Monstres academy
Elle en a fait des virages, la franchise de Legendary et Warner. Du film de monstre grave et guerrier de Gareth Edwards à la gaudriole saturée de néons d’Adam Wingard, en passant par le sous Apocalypse Now simiesque et le Kaiju-porn décomplexé et pluvieux, elle n’a cessé de changer de ton, au gré des envies de ses auteurs. Et les derniers plans de la bande-annonce de Godzilla x Kong : Le nouvel Empire, où les deux bestiaux font la course pour le siège passager, laissent présager une suite plus foutraque encore.
Pourtant, l’ambition de la série Monarch, qui s’ouvre sur un caméo de John Goodman et s’achève sur un assaut de Kong, est de connecter le sérieux du premier opus aux délires complotistes de Godzilla vs. Kong. Il fallait bien 10 épisodes de quasi une heure pour tenter un tel grand écart sans échauffement. D’autant que le récit est scindé en deux arcs se déroulant à 60 ans d’intervalle, de la création de Monarch (organisme censé surveiller les titans) aux conséquences directes de l’attaque de Big G et des MUTO relatée par Edwards.
Bon, on va prendre le métro
Pour ce qui est de la digestion du Godzilla de 2014, les premiers épisodes font largement illusion, en traitant l’évènement désormais connu sous le nom de « G-Day » comme un traumatisme planétaire aux répercussions lourdes. Le premier épisode, en plus de livrer la dose réglementaire de rugissements monstrueux via des flashbacks, évoque, un peu à la manière d’Agents of Shield côté Marvel, ce sur quoi les films n’ont pas le temps de s’étendre : l’organisation d’une société apprenant à faire face à une gigantesque menace surnaturelle et les soucis divers des victimes collatérales, formant une bonne partie du panel de personnages.
Le vrai intérêt d’une série Godzilla
Laxisme mundi
Dans ces premiers épisodes, les scénaristes parviennent relativement habilement à jongler entre l’échelle titanesque et l’échelle intime, les apparitions de monstres et leurs conséquences sur la vie personnelle, familiale ou professionnelle des différents protagonistes. Y compris lors des premières expériences sur Godzilla dans les années 1950 : l’une des meilleures scènes de la saison dévoile le contrechamp du faux essai nucléaire esquissé dans le premier long-métrage, au coeur d’enjeux politiques cruciaux pour l’organisation toute neuve et ses fondateurs.
En revanche, dès qu’il s’agit de raccrocher les wagons à la série B boursoufflée sortie directement en VOD chez nous et à ses histoires de Terre creuse et de portails vers des dimensions pleines de monstres, ça fonctionne beaucoup, beaucoup moins. L’intrigue met des lustres à rationaliser les plus débiles des concepts, se perdant même dans des sous-intrigues explicatives qui parasitent un rythme déjà bien ralenti.
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Et au moment de se jeter dans la gueule du Kaiju, pendant les deux derniers épisodes (le dernier étant littéralement intitulé « Beyond Logic »), le budget a déjà été dilapidé en crabes géants. Plutôt que d’investir l’excitante terre creuse abracadabrantesque de Godzilla vs. Kong, le climax se déroule donc dans sa contrefaçon Leaderprice créée pour l’occasion (le « Axis Mundi »). Apple TV+ troque les grandes étendues sauvages contre une forêt municipale colorée en post-production et les grosses bestioles contre des phacochères furtifs ou des clones peu inspirés de Rodan. C’est presque comme si elle n’assumait pas le parti pris décomplexé du film auquel elle est pourtant censée se référer…
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Famille recomposée
Les premiers épisodes parviennent à peu près à s’emparer des zones d’ombre du film de 2014. Les derniers échouent complètement à retrouver l’absurdité du film de 2021. Et entre-temps… il ne se passe pas grand-chose. Car si Monarch se perd dès qu’elle lâche la jambe de Gareth Edwards, c’est parce qu’elle se prend beaucoup trop au sérieux.
Afin de naviguer entre origin story et références aux derniers volets, elle s’articule intégralement autour de son saut temporel, éparpillant une foule de personnages plus ou moins liés à 60 ans d’intervalle, avec en guise de fil rouge ce cher Kurt Russell, dont le rôle est interprété par son fils Wyatt dans les années 1960. Si l’idée est plutôt bonne et que le comédien semble s’amuser un peu à jouer les vétérans à qui on ne la fait pas, la mécanique narrative qui résulte de ce long montage alterné est surtout extrêmement laborieuse.
À la recherche du fun
D’autant que tous ces jeunes héros, pourtant réunis par des circonstances passionnantes (le G-Day révèle des secrets de famille), passent plus de temps à lire de vieux documents d’archives la bouche ouverte qu’à vraiment évoluer. Beaucoup trop contrainte par son allégeance à un univers parti dans tous les sens, la série se contente de déballer lentement un arbre généalogique, sans pour autant s’intéresser à ses membres. Tant et si bien que les noeuds émotionnels du climax, survenant pourtant après 8 heures de pérégrinations monstrueuses, se dénouent très vite et que certains seconds couteaux sont purement et simplement négligés par le récit.
Pour vraiment s’inscrire dans la continuité de Godzilla vs. Kong ou même de ses prédécesseurs, elle aurait eu tout intérêt à remplacer les réunions de famille par plus de grosses bestioles, celles-ci disparaissant subitement du devant de la scène passé le premier tiers de la saison. Un niveau de générosité impossible à atteindre au format télévisuel ? Peut-être l’idée d’une série sur le Monsterverse était-elle foireuse depuis son annonce.
Tous les épisodes de Monarch : Legacy of Monsters sont disponibles sur Apple TV+ depuis le 12 janvier 2024

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