Il a 20 ans aujourd’hui et déjà plusieurs vies. La première commence à Kindia, ville de Guinée située à 130 km de la capitale Conakry où il naît, aîné d’une famille de trois enfants. La vie n’y est pas facile, surtout et de son propre aveu, « après un primaire vite fait ».
Un accident de la circulation le bascule ensuite dans ce qui l’entraînera vers un ailleurs. Il n’a pas 14 ans alors qu’il doit subvenir aux besoins d’une famille désormais coupée du père. Le voilà provisoirement invalide, inutile aux yeux de sa société. Sa seule option : quitter le pays.
L’homme qui l’a renversé sur son chemin du travail le prend, par chance, en protection. Il s’inquiète de son avenir jusqu’à lui proposer d’être son passeur vers un avenir meilleur, c’est-à-dire l’Europe. Le « passage », cet épisode si souvent montré à la télévision et décrié, devient sa priorité. Ismaël s’en va alors, traverse le Mali et l’Algérie puis le Maroc, des fois en camion, des fois à pied pour se détourner des gardes frontières. Il part avec une bande de concitoyens eux aussi motivés par la liberté. Avant de débarquer de l’autre côté de la mer Méditerranée…
Comme Sami Nouri avant lui
L’ado Ismaël touche le sol en Espagne. Ou le fond ? Placé dans une famille d’accueil, il comprend vite qu’il n’y a pas sa place. La barrière de la langue, la façon de vivre, de manger… Pas moyen non plus de téléphoner et de donner signe de vie à sa maman, son repère par la suite. Il récupère son acte de naissance, un sésame qui lui fera passer bien des portes. Après trois mois de villégiature, sa décision est prise. « Je quitte l’Espagne ! » Le voilà en gare d’Hendaye pour un nouveau départ, vers la France cette fois. Un nouveau voyage… Mais vers où ?
Terminus : gare Montparnasse. Au lendemain d’une nuit glaciale de décembre à la belle étoile (nous sommes en décembre 2018). Ismaël ne sait toujours pas ce que demain sera fait. Comme hagard derrière cette ligne d’arrivée sans lendemain, il reprend le premier train venu, persuadé qu’il le reconduirait sur Hendaye. Mais celui-ci l’emmène jusqu’à Tours. Nouveau terminus du train.
Ismaël Sylla a été embauché en septembre 2023, après avoir obtenu son bac professionnel.
© (Photo NR, Julien Pruvost)
Avant lui, Sami Nouri s’était retrouvé au même âge et au même endroit place de la Gare. D’origine afghane, le futur grand couturier s’était assis seul, sur un banc public, avant d’être repéré par la police nationale, interrogé sur ses origines, puis confié aux services du conseil départemental et d’être placé dans une vraie famille d’accueil.
CAP, bac pro et deux médailles d’argent
Ismaël Sylla n’avait pas le don inné de la couture, tel que Sami Nourri le raconte dans son incroyable aventure, avec son livre « La machine à coudre » paru aux Éditions Robert-Laffont et coécrit avec Olivia Karam. Mais il révèle un réel talent pour l’étamage propre à ce métier de la réparation automobile. Comme une aptitude innée. Ce que Jessica Descoubes, la dirigeante d’Esthetic Auto, va repérer assez vite, après un autre concours de circonstances, lors d’un stage d’apprentissage improbable parce que les deux places étaient prises. Il ne reste que quelques jours, s’en va puis revient et insiste pour retrouver sa place dans le garage.
Jessica Descoubes le confie à Patrick afin qu’il lui transmette son savoir-faire pendant ses trois dernières années professionnelles. « On a défini des aptitudes en lui. Et quand je lui ai demandé de me donner une seule raison de ne pas le prendre, Patrick ne m’a jamais répondu. » À force de travail, Ismaël passe un CAP, puis un bac pro. Un déclic a lieu quand il reproduit par mimétisme des gestes que seuls les anciens savaient faire. Son employeur le présente au concours du meilleur apprenti. Il y remporte deux médailles d’argent, l’une départementale et l’autre régionale. Nous sommes en juin 2023.
Depuis, Ismaël a été embauché et projette quelques jours de vacances à Kindia pour rendre visite à sa maman. Six ans qu’ils ne se sont pas revus. Ainsi va le destin, maraguiry en langue soussou…
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