Dans l’est de la RDC, l’étau du M23 se resserre autour de Goma, faisant craindre une « déflagration régionale »

Trois semaines après sa prestation de serment pour un second mandat présidentiel en République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi est brutalement rattrapé par l’une de ses promesses électorales : rétablir la paix dans l’est du pays. Il en est encore loin. Les rebelles du Mouvement du 23 Mars – plus communément appelé M23 – sont repartis à l’attaque, depuis le 7 février, dans le Nord-Kivu. Ils enserrent chaque jour davantage leur emprise sur Goma, la capitale de cette province orientale de la RDC, frontalière de l’Ouganda et du Rwanda. Les rebelles viennent de s’emparer de la petite localité de Shasha, située sur les rives du lac Kivu, au sud de Sake, ville carrefour considérée comme un verrou stratégique.

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Les accès à Goma sont désormais coupés ou en passe de l’être dans trois directions (sud, ouest et nord). « Il n’y a pas encore de pénurie sur les marchés, mais les prix alimentaires s’envolent », confie un résident étranger vivant à Goma. Selon lui, « le M23 pourrait probablement étouffer la ville, soit en coupant les routes, soit, au contraire, en lançant des offensives sur plusieurs axes, qui submergeraient Goma sous l’afflux de personnes des environs déplacées par les combats ».

Plusieurs milliers d’habitants de Sake et des alentours ont de nouveau afflué, ces derniers jours, dans les camps improvisés aux portes de Goma, et ils sont déjà surpeuplés. « L’augmentation des pertes civiles et l’utilisation d’armes lourdes dans les zones peuplées, y compris dans les camps de personnes déplacées, sont alarmantes », alertait le 8 février le Forum des ONG internationales en RDC. Selon l’ONU, plus de 1 million de personnes ont dû quitter leurs foyers depuis la reprise des combats, à l’automne 2021.

Des soldats rwandais sur le sol congolais

Signe de la gravité de la situation, le Conseil de sécurité des Nations unies s’est réuni en urgence, lundi 12 février, à huis clos. Ses membres ont à l’unanimité « condamné l’offensive du M23 (…) et répété leur condamnation de tous les groupes armés opérant dans le pays », a précisé l’ambassadrice du Guyana, Carolyn Rodrigues-Birkett, qui assure la présidence tournante du Conseil. Celui-ci a par ailleurs réaffirmé son « soutien total à la souveraineté, à l’unité et à l’intégrité territoriale de la RDC ».

Sans autre précision, cette remarque vise clairement le Rwanda voisin, dont l’armée – les Forces rwandaises de défense (FRD) – est accusée d’intervenir directement sur le sol congolais en soutien au M23 depuis sa résurgence, en novembre 2021. Dans leur dernier rapport adressé le 30 décembre au Conseil de sécurité, les experts de l’ONU affirmaient avoir obtenu des preuves – dont des images aériennes et des photos – d’interventions directes et de renforts de troupes des FRD. Ces soldats appartenant à cinq bataillons sont déployés dans les territoires de Masisi, Rutshuru et Nyiragongo, dans le Nord-Kivu.

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Depuis le lancement de la dernière offensive rebelle, l’ONU dit avoir collecté de nouveaux éléments impliquant Kigali. Un de ses drones d’observation a ainsi été visé – sans être atteint –, le 7 février, par un « missile sol-air présumé des FRD » tiré depuis une zone sous contrôle du M23, indique un document interne consulté par l’AFP. « Des renseignements externes provenant de France confirment que le véhicule blindé de type WZ551, équipé d’un système de missile sol-air, est rwandais », ajoute ce document de l’ONU. Les autorités rwandaises n’ont pas réagi à ces accusations.

Depuis le début de la crise en octobre 2023, le Rwanda affirme que « le M23 est un problème congolais » et que « le Rwanda ne soutient pas le M23 et n’a pas de troupes en RDC ». En revanche, le pays a averti qu’il « répliquera significativement si sa sécurité est menacée ». Cet avertissement répond aux rodomontades de Kinshasa. Alors candidat à un second mandat à l’élection présidentielle du 20 décembre, Félix Tshisekedi, réélu entre-temps, avait accusé son homologue rwandais de vouloir « se comporter comme Adolf Hitler », lui promettant de « finir comme Adolf Hitler ».

Des sociétés de sécurité privées étrangères

Lors de sa dernière visite en RDC, début février, Jean-Pierre Lacroix, le secrétaire général adjoint des Nations unies chargé des opérations de paix, s’est inquiété de cette surenchère verbale entre les deux voisins, évoquant un risque de « déflagration régionale ». Car le Rwanda n’est pas la seule puissance étrangère partie prenante au conflit dans le Nord-Kivu.

Le groupe d’experts de l’ONU décrit en effet dans son rapport comment les Forces armées de la RDC (FARDC) sont « soutenues […] par la Force de défense nationale du Burundi (FDNB) », en plus des groupes armés locaux et des sociétés de sécurité privées étrangères (Agemira, entreprise enregistrée en Bulgarie et dirigée par le Français Olivier Bazin, et Congo Protection, composée de Roumains ayant fait leurs armes au sein de la Légion étrangère française). Selon les experts, « 1 070 soldats de la FDNB portant l’uniforme des FARDC ont été secrètement déployés depuis début octobre 2023 pour sécuriser le territoire de Masisi (…) en dehors du cadre de la Force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) ». Kinshasa a dénoncé l’accord conclu avec l’EAC dont le contingent kényan s’est retiré. Le Burundi, quant à lui, a maintenu ses troupes à la demande de la RDC.

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Outre les Burundais, « entre 800 et 1 000 soldats sud-africains », selon les estimations d’un observateur local, sont arrivés à Goma depuis fin décembre. Ils ne sont que les précurseurs d’un contingent plus important, déployé conformément à un accord conclu en mai 2023 avec la Communauté de développement de l’Afrique australe. Lundi, la présidence sud-africaine a annoncé qu’elle enverrait 2 900 soldats comme contribution à cette mission, la SAMIRDC. Celle-ci, commandée par un général de division sud-africain, est prévue pour durer jusqu’au 15 décembre 2024.

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La SAMIRDC se déploie au titre du « scénario six » de l’Union africaine, le degré le plus robuste dans la classification de ses opérations de maintien de la paix. Celui-ci autorise théoriquement les soldats de la SAMIRDC à user de la force contre le M23 et, le cas échéant, les Forces rwandaises. Rien ne dit pour autant, malgré ce que soutient Kinshasa, que les soldats sud-africains, ainsi que ceux originaires du Malawi et de Tanzanie attendus prochainement, adopteront une attitude offensive. La même question s’était posée avec les contingents de l’EAC, auxquels il fut finalement reproché leur passivité, jusqu’à exiger leur retrait.

Les Congolais, principaux concernés par cette crise, participent également à la militarisation de la région. Trois jours après la visite éclair à Goma du ministre congolais de la défense, les forces armées ont annoncé l’envoi d’un renfort important en hommes et en matériels.

Face à la montée inquiétante de la militarisation de la région, les initiatives diplomatiques, américaines notamment, paraissent bien timides. Le cessez-le-feu arraché par Washington avant la présidentielle n’a guère tenu. Les blocages persistent. Le président Félix Tshisekedi exige toujours le retrait de tous les soldats rwandais avant de s’asseoir à la même table que Paul Kagame. Lequel continue de nier leur présence sur le sol congolais.

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