Guadeloupe : L’île n’en a pas fini avec l’héritage homophobe de la « murder music » d’Admiral T (alias de Campbell Christy)

Tribune

Même si l’idée est loin de faire l’unanimité parmi les personnes LGBT+ d’origine antillaise, il y a lieu d’un point de vue moral à s’interroger quant à la pertinence d’accoler le nom « d’Admiral T », à un lieu de transmission de savoirs et de non-discrimination, telle qu’une école primaire en Guadeloupe, y compris quand c’est à l’initiative des habitants.

Pour rappel, depuis 2013, le nom d’« Admiral T » est apposé au fronton d’une école primaire à Boissard, dans un quartier populaire de l’agglomération pointoise, d’où est issu ce chanteur de dancehall, bien connu pour les immondices d’homophobie qu’il infusait aux Antilles, sur les ondes radio mais aussi en boîte de nuit, à travers des titres restés tristrement célèbres tels que Batty Boy Dead Now (2001), Makomè (2001), Brilé yo (2001), mais aussi Gwadada (2002) et Bun pédophile (2004).

Actuellement, l’on peut trouver l’abondante logorrhée « poétique » de ces chansons sur les réseaux sociaux dont voici quelques extraits traduits en français : « On est venu pour brûler les pédés », « Si tuer les pédés c’était du sexe, je serais un nympho », « Les pédés, ce sont des cigarettes, brûlez-les comme des mégots » (Batty Boy Dead Now ; 2001).

D’ailleurs en 2024, Admiral T touche aujourd’hui encore des droits en tant qu’auteur-compositeur auprès de la Sacem pour l’un des titres l’ayant rendu célèbre (Gwadada), où il présente les homosexuels comme l’un des nombreux fléaux sociaux de l’île, au même titre que les braquages à main armée ou le chômage.

Sans même parler de la stupeur de certains homosexuels, que d’apprendre qu’un établissement scolaire puisse s’appeler « Campbell Christy Admiral T», est-il moralement souhaitable en Outre-mer, au sein de la République, qu’un lieu d’éducation au respect et à la tolérance puisse porter le nom d’un individu qui tire en ce moment une partie de ses revenus de son homophobie ?

Et même si les familles, les parents, le quartier, les grands frères et « la rue antillaise » le réclament, est-ce juste, est-ce droit, est-ce bien ? Est-ce que le fait d’être guadeloupéen, d’être caribéen, dans des sociétés peu clémentes envers les personnes LGBT+ doit nous affranchir d’une réflexion ou nous absoudre par amnésie volontaire d’une certaine réserve, concernant cet héritage musical homophobe importé de Jamaïque ?

L’autre objection qui revient souvent est le fait qu’ Admiral T se soit excusé de l’ensemble de ces emportements à l’endroit de la communauté LGBT+ et que tout cela ne serait qu’une histoire ancienne entretenue à dessein par les associations pour en faire un bad buzz.

Alors effectivement, en décembre 2006 à Paris, c’est sous la pression de Louis-Georges Tin (fondateur de la journée mondiale de lutte contre les LGBTphobies célébrée chaque année le 17 mai), qu’Admiral T conseillé par son équipe juridique, s’était alors fendu d’un timide communiqué en quelques mots, afin d’éviter l’annulation de ses concerts et le manque à gagner pécuniaire inhérent, se rendant compte opportunément « que la haine et la violence à l’égard des homosexuels n’apportent rien.

Cependant, même s’il a finalement enjoint ses fans « à aller dans le même sens », il n’a jamais joint la parole aux actes pour faire reculer la stigmatisation, en supprimant certaines chansons incriminantes de son catalogue musical. A titre de comparaison, Sexion d’Asssaut a enlevé “On t’a humilié” de son répertoire d’oeuvre de la Sacem, suite à la controverse soulevée par les associations LGBT+ en 2010, renonçant ainsi à tirer profit des droits sur cette chanson.

S’il est sans doute immoral de s’enrichir des droits d’auteur sur des chansons homophobes durant plus de 20 ans, pour l’échelle et la hiérarchie des valeurs dans notre société antillaise, il serait peut-être temps de voir le nom d’un Jean-Pierre Sainton – historien et universitaire local décédé en 2023 – resté gravé dans le marbre de nos écoles et de nos services publics, en lieu et place d’Admiral T.

Moïse Manoël-Florisse, Journaliste et consultant sur les LGBTphobies


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