L’Amérique latine, inattendue caisse de résonance du conflit israélo-palestinien (1/3). Une présence historique de communautés libano-palestiniennes
De fait, les réactions latino-américaines à la réponse militaire israélienne s’avèrent parmi les plus virulentes du monde, devant même bien des nations moyen-orientales : sur les neuf pays [2] ayant rappelé leur ambassadeur en Israël ou rompu leurs relations diplomatiques avec l’Etat hébreu jusqu’à maintenant dans l’intégralité de la communauté internationale, plus de la moitié se trouve en Amérique latine. Le continent sud-américain compte par ailleurs en son sein les seuls pays non-musulmans du monde – à l’exception de la Corée du Nord – à avoir condamné les actions d’Israël et déclaré apporter leur soutien au peuple palestinien, caractérisant les opérations militaires israéliennes de « génocidaires » [3] et de « terroristes » [4].
L’implication de l’Amérique latine dans les affaires moyen-orientales n’est pourtant pas de celles que l’actualité retient le plus ; comme les Clés du Moyen-Orient s’en faisaient l’écho récemment, la région est davantage le terrain de prédilection des puissances russe, américaine et chinoise. Pourtant, pour des raisons sociohistoriques, politiques et économiques, l’Amérique latine entretient un rapport singulier avec le Moyen-Orient et plus encore avec le Levant, en particulier Israël, le Liban et les Territoires palestiniens.
Cet article entend ainsi exposer la perméabilité méconnue du continent sud-américain au conflit israélo-palestinien en détaillant dans un premier temps la présence en Amérique latine des acteurs principaux du conflit, qu’il s’agisse tant des populations elles-mêmes (première partie) que d’organisations politico-sécuritaires moyen-orientales (deuxième partie) ; il en découle un positionnement diplomatique singulier, révélateur des tiraillements politico-économiques propres à chacun des pays de la région (troisième partie).
Première partie : une présence historique de communautés libano-palestiniennes
1. Les Palestiniens
L’une des premières raisons de la perméabilité de l’Amérique latine au conflit israélo-palestinien repose, avant toute chose, sur la forte représentation de certains de ses principaux acteurs, volontaires ou malgré eux, à savoir de notables diasporas libanaises, palestiniennes et, dans une moindre mesure, syriennes. L’Amérique latine abriterait en effet plus de 700 000 Palestiniens selon une étude réalisée en 2020 [5], dont près de 500 00 pour le seul Chili, faisant de la diaspora palestinienne chilienne la plus importante en-dehors d’un pays arabe [6] et donnant naissance à une communauté singulière surnommée les « Chilestiniens », dont le nom souligne à la fois l’intégration dans le tissu social chilien et la persistance de leur identité palestinienne [7], aujourd’hui mise en évidence par leur mobilisation politique au profit des Palestiniens du Levant [8].
Cette préservation de l’identité palestinienne ne s’est toutefois pas avérée incompatible ni avec l’intégration, ni avec l’acceptation des Palestiniens en Amérique latine : le cas du populaire [9] président salvadorien Nayib Bukele, d’origine palestinienne [10], en est un exemple, tout comme celui de son prédécesseur Antonio Saca (2004-2009), également issu d’une famille de migrants palestiniens chrétiens installés au Salvador au début du XXème siècle [11]. De fait, les premières vagues migratoires de Palestiniens vers l’Amérique latine seront essentiellement composées de chrétiens, comme les Clés du Moyen-Orient le détaillait dans un précédent article, avant d’être rejoints plus tard par leurs compatriotes musulmans.
2. Les Libanais
Les Libanais ne sont pas en reste : selon des chiffres publiés par les autorités libanaises en 2018, la diaspora issue du Liban serait forte de 15,4 millions de personnes – soit plus du double de la population libanaise au Liban même -, dont 70% se trouverait en Amérique latine. Les communautés les plus populeuses se trouveraient au Brésil (7 millions de personnes) – l’ancien président brésilien Michel Temer (2016-2018) est d’origine libanaise -, en Argentine (1,5 million) – dont l’ancien président Carlos Menem (1989-1999) était lui aussi d’origine syro-libanaise – ou encore en Colombie (700 000) [12] – dont l’ancien président Julio César Turbay Ayala (19778-1982) était lui aussi issue de la communauté libanaise [13]. Les chiffres relatifs à la diaspora syrienne s’avèrent quant à eux trop approximatifs ou débattus pour être mentionnés [14], d’autant que de larges contingents des migrants ayant rejoint l’Amérique latine au XIXème ou au début du XXème siècle l’ont fait à une époque où les nationalités actuelles étaient regroupées dans l’Empire ottoman, avant que les différents traités ayant succédé à la Première Guerre mondiale ne tracent les frontières d’aujourd’hui. Il est ainsi courant de davantage parler d’origines « syro-libanaises » que d’origines strictement « syriennes » ou « libanaises » sur le continent [15].
3. Les juifs
Les juifs seraient quant à eux environ 750 000 à travers le continent latino-américain et concentreraient leurs plus grandes communautés au Brésil et en Argentine [16]. La présence juive remonterait en particulier à l’arrivée d’ashkénazes ayant fui l’Europe durant les années 1930-1940. Les communautés juives s’avèrent tout autant politisées que les diasporas arabes ; des manifestations contre le Hamas et appelant à la libération d’otages argentins ont ainsi été tenues à Buenos Aires par des membres de la communauté israélite [17]. Toutefois, leur relative discrétion politique et leurs faibles effectifs comparés à ceux des communautés juives en Amérique du Nord, en Europe ou encore au Moyen-Orient en font un acteur relativement mineur sur le continent sud-américain.
4. Plusieurs vagues migratoires au fil des XIXème et XXème siècles
Diverses raisons ont poussé Palestiniens, Libanais et Syriens à quitter le Levant pour l’Amérique latine : si la recherche de nouvelles opportunités économiques a pu pousser les uns à partir [18], d’autres l’ont fait pour fuir la guerre, la conscription ottomane ou les persécutions [19]. L’Amérique latine s’est quant à elle présentée comme une destination de prédilection pour diverses raisons allant de lois migratoires plus favorables qu’aux Etats-Unis [20] ou en Europe, en passant par de traditionnelles considérations politiques et économiques [21]. Quelles qu’aient pu être les motivations ayant présidé à ces vagues migratoires, celles-ci ont commencé à la fin du XIXème siècle et se sont poursuivies durant la première moitié du XXème siècle, en concentrant alors essentiellement des migrants fuyant l’Empire ottoman pour les raisons présentées supra ; les vagues migratoires de la seconde moitié du XXème siècle seront, elles, constituées de Palestiniens et Libanais fuyant les nombreux conflits parcourant alors le Levant, notamment à partir de la création de l’Etat d’Israël. Ainsi, si les premières vagues migratoires se sont avérées substantiellement constituées de chrétiens, celles de la seconde moitié du XXème siècle inaugureront l’arrivée de larges contingents de musulmans. Ces nouvelles arrivées pérenniseront sur le continent sud-américain l’implantation de plusieurs générations de Palestiniens [22], Libanais et Syriens intégrés à la vie civile et politique de la région, inaugurant par la même occasion, pour la première fois de l’histoire latino-américaine, l’apparition des premières communautés musulmanes notables du continent [23].
Comme il sera vu plus loin dans cet article, l’activisme de ces diasporas joue un rôle certain dans la politique étrangère de certains pays sud-américains avec les Territoires palestiniens et Israël. De la même manière, le lien identitaire fort conservé par ces populations avec leur patrie d’origine explique, à bien des égards, la présence particulièrement marquée en Amérique latine de certains des acteurs politico-sécuritaires du Levant, au premier rang desquels le Hezbollah libanais ; la seconde partie de cet article lui est consacrée.
Lire la partie 2 : L’Amérique latine, base arrière du Hezbollah
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