La proposition de loi socialiste visant à reconnaître la responsabilité de l’État dans le scandale du chlordécone, pesticide utilisé dans les bananeraies aux Antilles jusqu’en 1993 en dépit de sa dangerosité, a été approuvée par l’Assemblée nationale ce jeudi 29 février 2024.
Le texte a été voté en première instance par la majorité des votants. La majorité et la droite se sont abstenues.
Cette loi était portée par Elie Califer, député de Guadeloupe, où le chlordécone a été utilisé jusqu’en 1993, malgré les alertes de l’Organisation mondiale de la Santé à l’égard du produit, et l’interdiction de l’utilisation du produit en France en 1990.
Mais que se cache-t-il derrière le scandale du chlordécone, dont les conséquences continuent, trente ans après, à affecter la Martinique et la Guadeloupe ? Ouest-France revient, en cinq questions, sur ce scandale, pour lequel l’État pourrait être reconnu comme responsable.
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Le chlordécone, c’est quoi ?
Le chlordécone est un pesticide qui visait à lutter contre le charançon du bananier, un insecte de la famille des coléoptères connu pour ravager les plantations de bananes. Utilisé dans les bananeraies des Antilles, en Martinique et à la Réunion, entre 1972 et 1993, il est décrit par le site internet de Santé Publique France comme un « insecticide organochloré », mais surtout comme un « perturbateur endocrinien ».
Le chlordécone est un insecticide de la famille du DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane).
Que savait-on de la dangerosité du pesticide lors de son utilisation ?
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) décrit sur son site une substance toxique pour l’Homme : « des études toxicologiques sur modèle animal et des études épidémiologiques ont pu montrer des effets néfastes sur le système nerveux, la reproduction, le système hormonal et le fonctionnement de certains organes (foie, rein, cœur, etc.) ».
Dès les années 1960, avant même la première autorisation de mise sur le marché provisoire en France, signée en 1972 par Jacques Chirac (alors ministre de l’Agriculture), des études scientifiques s’inquiétaient de tests réalisés sur des souris.
Au cours des années 1970, les pesticide est même interdit aux États-Unis, à la suite d’un accident survenu en 1975 dans une usine de Virginie. En raison d’une forte exposition au produit, des ouvriers avaient développé des troubles neurologiques.
En 1979, le Centre international de recherche sur le cancer, lié à l’OMS, classait le chlordécone comme cancérogène probable. L’interdiction du pesticide ne sera proposée, en France, qu’en 1986 après deux rapports de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra).
Pourquoi l’utilisation du chlordécone s’est poursuivie jusqu’en 1993 ?
Malgré les alertes autour de l’utilisation du produit, il faudra attendre 1990 pour voir le chlordécone interdit d’utilisation en France. Mais le ministère de l’Agriculture délivre, à l’époque, des dérogations pour permettre l’utilisation du produit dans les bananeraies des Antilles.
En 2009, un rapport parlementaire rappelait donc que des « stocks résiduels ont été utilisés aux Antilles jusqu’en 1993 ».
Quelles conséquences l’utilisation du produit a-t-elle entraînées ?
Il a aujourd’hui été prouvé à de multiples reprises que le chlordécone présentait une nocivité pour l’Homme, mais aussi pour l’environnement. « Le chlordécone a entraîné une pollution des sols, de l’eau des rivières et du milieu marin proche des secteurs où il a été utilisé », écrit l’Anses sur son site internet. Encore aujourd’hui, les sols et la chaîne alimentaire restent pollués, et continuent de voir la population exposée au produit.
Les médecins et scientifiques ont constaté une surexposition de la population des Antilles au cancer de la prostate. Une corrélation avec l’exposition au chlordécone est fortement présumée par l’expertise Inserm pesticides et santé publiée en 2021.
D’après l’étude Kannari, mise en œuvre par l’Anses et Santé publique France en 2013, le chlordécone a été détecté chez plus de 90 % des individus aux Antilles.
Quelles réparations et quelle responsabilité de l’État ?
Depuis plusieurs années, associations et collectifs en Martinique et e Guadeloupe se battent pour l’indemnisation des victimes, et la reconnaissance de l’État dans ce scandale sanitaire et environnemental.
En 2019 le rapport final d’une commission d’enquête parlementaire sur la pollution au chlordécone avait estimé que « l’État a fait subir des risques inconsidérés, au vu des connaissances scientifiques de l’époque, aux populations et territoires de Guadeloupe et de Martinique ». Quelques mois plus tôt, Emmanuel Macron avait lui-même qualifié l’affaire de « scandale environnemental » dans lequel l’État « a sa part de responsabilité ».
Les gouvernements successifs ont mis en place différents « plans chlordécone » pour lutter contre les conséquences de l’insecticide. Fin 2021, le cancer de la prostate avait été reconnu comme maladie professionnelle dans le cadre du Plan chlordécone IV, ouvrant la porte à des indemnisations.
Le texte de loi socialiste voté à l’Assemblée ce jeudi vise lui à reconnaître la « responsabilité » de l’État dans le scandale, il doit désormais passer devant le Sénat.
Pour les parties civiles, le texte ne va pas assez loin, ne reconnaissant pas de préjudice moral, ni la responsabilité d’autres acteurs comme les producteurs et autres pollueurs de l’époque.
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