l’ex-chef du contre-espionnage et un influent homme d’affaires inculpés dans l’affaire Martinez Zogo

Après plus d’un an d’une enquête qui a tenu le pays en haleine, le tribunal militaire de Yaoundé a formellement inculpé dix-sept personnes dans le dossier de l’assassinat du journaliste Martinez Zogo, en janvier 2023. Parmi les personnes renvoyées en procès, figurent l’ancien patron de la direction générale de la recherche extérieure (DGRE), le commissaire de police Léopold Maxime Eko Eko, le lieutenant-colonel Justin Danwe, ex-numéro deux de la DGRE, et un des hommes d’affaires les plus connus et les plus sulfureux du pays, Jean-Pierre Amougou Belinga.

L’enlèvement de Martinez Zogo et la découverte de son corps marqué par la torture quelques jours plus tard dans un terrain vague de la banlieue nord-est de Yaoundé avait créé une onde de choc au sein de l’opinion publique et éclaboussé une partie des caciques du régime. A la tête de l’émission « Embouteillages », sur la radio Amplitude FM, le populaire animateur de 50 ans dénonçait les actes de corruption commis par les plus hautes personnalités du pays – aucun puissant n’était épargné, sauf le président Paul Biya, à la tête du pays depuis 1982. L’une de ses cibles régulières était Jean-Pierre Amougou Belinga, accusé par le journaliste de bénéficier illégalement de nombreuses lignes de crédits publics.

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Selon la note de renvoi datée du 29 février et consultée par Le Monde, Martinez Zogo a été kidnappé sur ordre de l’homme d’affaires par un commando dirigé par Justin Danwe. Si le directeur des opérations de la DGRE avait dans un premier temps reconnu les faits avant de se rétracter, il est bien considéré par le magistrat comme l’homme de main qui a monté et coordonné l’opération meurtrière contre le journaliste. Il a recruté trois commandos, le premier pour filer et rapporter les mouvements du journaliste, le second pour l’arrêter et le torturer, et le troisième pour l’éliminer.

D’abord poursuivi pour « complicité d’enlèvement et de torture », il est finalement inculpé pour des faits plus graves : « complicité d’assassinat, complicité d’arrestation et séquestration, complicité de torture et violation de consigne ».

« Expédition punitive »

Pour le magistrat, le supérieur de Justin Danwe, Léopold Maxime Eko Eko, ne pouvait ignorer le projet contre le journaliste. « Sieur Léopold Maxime Eko Eko n’a pris aucune mesure pour l’empêcher et ne saurait dès lors se soustraire de sa responsabilité hiérarchique au moyen d’un tissu de prétextes aussi légers », écrit le juge d’instruction, le lieutenant-colonel Narcisse Pierrot Nzié.

Tout-puissant patron des renseignements à la tête de la DGRE depuis 2010, il avait mis sous surveillance Martinez Zogo dès 2015, dans le cadre d’un vaste programme de contrôle des journalistes du pays. Des mises en cause que M. Eko Eko, qui est incarcéré depuis son arrestation le 7 février 2023, a toujours « nié mordicus », souligne l’ordonnance de renvoi. Le tribunal militaire de Yaoundé a retenu l’accusation de « complicité de torture » contre lui.

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Pour l’instruction, c’est bien Jean-Pierre Amougou Belinga, inculpé pour complicité et coaction de torture sur le journaliste, qui est la tête pensante de « l’expédition punitive » contre Martinez Zogo. Lors d’une conversation avec Justin Danwe, le patron de L’Anecdote, un important groupe de médias, et fantasque homme d’affaires, il avait exigé de « faire taire » le journaliste qui l’« insultait » et avait alors remis 2 millions de francs CFA (quelque 3 000 euros) au lieutenant-colonel. Ce dernier reconnaît ce pot-de-vin, mais rejette avoir ordonné l’assassinat de journaliste, qui ne « représentait aucune menace pour lui », assure-t-il.

Proche notamment du ministre de la justice Laurent Esso, Jean-Pierre Amougou Belinga était perçu, jusqu’à son interpellation en février 2023, comme un autre intouchable, protégé par ses relations au sein des arcanes du pouvoir. Son incarcération a été interprétée comme une des manifestations de la lutte des clans qui déchire le sommet de l’Etat camerounais, dans l’hypothèse de la disparition du président Biya, âgé de 91 ans. Aucune date de procès n’a pour l’heure été annoncée mais, selon l’avocat de la partie civile, les audiences pourraient s’ouvrir courant mars.

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