L‘arrestation, le 31 janvier 2024, de l’homme d’affaires camerounais Hervé Bopda à la suite de multiples accusations de viols et d’agressions sexuelles a mis fin à 10 jours d’une grande mobilisation. Il est tombé grâce à un lanceur d’alerte et d’un hashtag : #stopBopda.
Tout a commencé le 19 janvier. Sur ses comptes Facebook et X, le lanceur d’alertes N’Zui Manto publie le témoignage d’une femme qui dit avoir été giflée et menacée avec une arme à feu par Hervé Bopda, un homme d’affaires bien connu au Cameroun. N’Zui Manto a ouvert la boîte de Pandore. En quelques jours, il reçoit des centaines de messages et relaye plus de 70 témoignages anonymes. Le lanceur d’alerte, qui utilise un nom d’emprunt pour sa sécurité, décrit Hervé Bopda « comme l’un des pires violeurs du Cameroun ». Sur les réseaux sociaux, le #stopBopda devient viral. Dans les stades de foot, à l’occasion de la Coupe d’Afrique des nations, les pancartes #stopBopda fleurissent. Le retentissement est énorme. Devant la puissance de cette vague MeToo, l’ordre des avocats du Cameroun a réclamé, le 25 janvier l’ouverture d’une enquête par le parquet et l’exhorte à traduire l’agresseur présumé « devant les juridictions compétentes afin que justice soit rendue conformément à la loi ».
Au Cameroun, le long combat contre l’impunité
Une lettre ouverte signée par 22 femmes issues de la société civile camerounaise a également été déposée le même jour auprès des autorités, dénonçant « l’inaction ou la lenteur des services gouvernementaux compétents » dans les cas de violences faites aux femmes.
L’affaire devient politique. L’opposant Maurice Kamto appelle le gouvernement à agir. La ministre des Droits des femmes Marie-Thérèse Abena Ondoa, dans un communiqué transmis le 26 janvier « encourage » les victimes présumées à « briser le silence » et « à fournir aux autorités judiciaires les éléments nécessaires à la conduite des procédures destinées à établir la matérialité des faits ».
Les faits se seraient déroulés en majorité dans les villes de Douala et Yaoundé. Les témoignages décrivent un homme violent, menaçant ses victimes avec une arme à feu. Au fil des récits se dessine le portrait d’un prédateur sexuel hors norme ayant sévi pendant deux décennies, et de l’impunité dont il aurait bénéficié. Une centaine de jeunes filles ont dénoncé des viols et agressions sexuelles commis par l’accusé. Certaines ont été enlevées sous la menace d’une arme ou avec l’assistance de ses gardes du corps ou d’autres personnes. La plupart des victimes refusent de quitter l’anonymat par peur des représailles. Un des témoignages lui attribue de fortes influences et des relations à la présidence. Des dénonciations concordantes lèvent le voile sur un vaste réseau de proxénétisme et des ramifications dans l’appareil étatique. Les victimes, pour la plupart, étaient mineures au moment des faits.
À 45 ans, Hervé Bopda homme affaires bien connu au Cameroun apparaissait comme intouchable, en raison de la profondeur de son portefeuille et de son réseau. Fils du richissime homme d’affaires, Emmanuel Bopda Fodoup, décédé en 2020, il fréquentait assidûment le milieu de la jet-set avec tous les attributs du flambeur, cigares, whisky, belles montres et grosses voitures. Il aurait même bénéficié de passe-droits des autorités.
Après un mois garde à vue, Hervé Bopda a été inculpé pour « viol aggravé » et placé en détention provisoire le 29 février et transféré à la prison de New Bell, selon son avocat, Roland Ojong-Ashu. Selon les indications de ce dernier, « douze personnes ont porté plainte ».
Le système de protection des puissants au Cameroun est ébranlé. Cet homme influent, qui semblait inattaquable, dort en prison. Quelques jours avant cette affaire retentissante, toujours au Cameroun, une femme dénonçait le harcèlement sexuel qu’elle avait subi de la part d’un autre homme, dans le cadre de son travail. Ironie de l’histoire, il s’agit du président de la Commission des droits de l’homme. Les féministes camerounaises ont décidé de boycotter le pagne du 8 mars, nom du tissu distribué par le gouvernement pour la Journée Internationale des droits des femmes au Cameroun. Elles dénoncent une gabegie alors que tant de choses restent à faire !
Au Maroc, les défenseurs des droits des femmes ne lâchent rien
Vingt ans après la refonte du Code de la famille, jugée progressiste mais insuffisante, les militantes des droits des femmes au Maroc placent leurs espoirs dans la nouvelle réforme pour surmonter « les injustices et discriminations » à l’égard des femmes. Elles réclament l’égalité en matière d’héritage, de tutelle des enfants – y compris en cas de divorce – et l’interdiction totale du mariage des mineures. En ligne de mire, la réforme du Code de la famille, annoncée pour le printemps 2024. Une réforme à laquelle s’opposent les partis islamistes, invoquant des interprétations rigoristes de l’islam, religion d’État au Maroc.
En 2004, un nouveau Code de la famille accordant plus de droits aux femmes avait été adopté et avait mis fin à la condamnation d’une vie sous tutelle masculine. Il a permis de placer la famille sous la responsabilité des deux époux, imposant des restrictions à la répudiation, aux mariages des mineures et à la polygamie. Toutefois, les féministes espèrent aller plus loin. Elles ont été entendues par le roi Mohammed VI, qui a demandé une nouvelle réforme de ce code pour « dépasser les défaillances et les aspects négatifs révélés par l’expérience menée sur le terrain ». Un comité, composé du ministre de la Justice et de responsables des institutions judiciaires et religieuses, est chargé depuis septembre 2023 de consulter et préparer un projet de réforme, dans un délai de six mois. Dans son discours, à l’occasion de la fête du Trône, en juillet 2022, il avait déjà évoqué ce sujet. « Le Code de la famille a représenté un véritable bond en avant. Désormais, il ne suffit plus en tant que tel », avait-il déclaré.
L’amendement du Code de la famille, la « Moudawana », représente une opportunité de rectifier « l’injustice juridique, les discriminations et les violences à l’égard des femmes dans le texte ou dans son application », explique Samira Muheya, présidente de Fédération des ligues des droits des femmes (FLDF) sur le site de TV5 Monde. Depuis 2004, la société marocaine a beaucoup évolué. Les femmes sont plus émancipées. Le nouveau code a notamment donné aux femmes le droit de demander le divorce et de choisir librement leur époux sans l’autorisation d’un tuteur. Il a fixé à 18 ans l’âge du mariage et posé de sévères restrictions à la polygamie. Cependant, les militantes féministes se sont vite dites déçues par son application, entravée par le poids des traditions et le pouvoir d’appréciation laissé aux juges. De plus, de nombreuses inégalités persistent dans ces textes.
Le code de 2004 a porté à 18 ans (au lieu de 15 ans) l’âge légal du mariage des femmes, des dérogations étant possibles avec une autorisation judiciaire exceptionnelle. Malheureusement, si ces dérogations étaient censées être exceptionnelles, il n’en est rien. En 2022, plus de 13 000 autorisations ont été délivrées, sur 20 000 demandes. Même constat pour la polygamie. Malgré des conditions strictes (accord de la première épouse, la garantie d’équité) les juges ont toute latitude pour les contourner, dénoncent les féministes.
Alors que le droit de tutelle des enfants est automatiquement attribué au père, la mère notamment en cas de divorce, a besoin impérativement de l’accord de son ex-conjoint pour les plus simples démarches administratives liées à ses enfants. Si elle se remarie, elle s’expose au risque de perdre la garde de son enfant dès l’âge de sept ans, si le père en fait la demande. Celui-ci conserve en revanche ce droit en cas de remariage.
L’inégalité au regard de l’héritage est flagrante. La femme n’ayant droit qu’à la moitié de ce qu’hérite l’homme. La règle du « taasib » oblige ainsi les héritières n’ayant pas de frère à partager leurs biens avec des parents masculins du défunt, parfois éloignés, voire inconnus, qui peuvent débarquer au moment du décès pour réclamer leur part.
Bien sûr, la revendication d’une égalité en matière d’héritage, réclamée par les mouvements de protection des droits des femmes, suscite une vive opposition de la part des islamistes. Ces derniers s’opposent aussi à l’interdiction de la polygamie. Le Parti de la justice et du développement (PJD) n’envisage ainsi des amendements que dans le cadre « du référentiel islamique ».
Il reviendra au roi, président du Conseil supérieur des oulémas, organisme ayant le monopole des fatwas (avis religieux), de trancher sur les questions les plus clivantes de la réforme.
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