Le très controversé Monument aux pionniers belges au Congo caché par un immense rideau : “Ces scènes de propagande coloniale promeuvent le racisme”

C’est un monument très controversé du parc du Cinquantenaire, à Bruxelles. Pensé en 1909 comme un hommage à Léopold II, le monument aux pionniers belges au Congo est inauguré en 1921, alors que la Belgique a étendu son pouvoir de l’océan Atlantique à la région des grands lacs, sur tout le bassin du fleuve Congo. Mais l’œuvre du sculpteur Thomas Vinçotte ne peut plus être lue en 2024 comme elle l’était il y a un siècle. Car elle véhicule des clichés racistes. Aussi s’additionne-t-elle ce 21 mars 2024 d’un véritable rideau. Celui-ci doit transformer le regard du spectateur. Grâce à ce dispositif temporaire, le massif bloc de pierre devient un “anti-monument” qui marque la Journée internationale de lutte contre le racisme.

De quel monument parle-t-on ?

Le monument aux pionniers belges au Congo est un immense bloc de pierre semi-circulaire. Il se trouve au parc du Cinquantenaire. À ce titre, il est classé depuis 1976, comme le reste de l’espace vert. Il est pensé dès 1909, suite au décès de Léopold II, mais inauguré en 1921 seulement, après la Première Guerre Mondiale. Il comprend plusieurs bas-reliefs et sculptures métaphoriques représentant “l’héroïsme belge contre l’Arabe esclavagiste”, “la race noire accueillie par la Belgique” ou “les explorateurs” et “missionnaires” belges. Il voit aussi inscrite une citation attribuée à Léopold II : “J’ai entrepris l’œuvre du Congo dans l’intérêt de la civilisation et pour le bien de la Belgique”. On comprend qu’en 2024, ces allégories et hommages fassent tache, à un moment ou la décolonisation de l’espace public doit être entreprise à bras-le-corps et réunit de nombreux militants.

Le Monument aux pionniers belges au Congo, au Cinquantenaire à Bruxelles. ©CC BY-SA 3.0 – EmDee

Un monument controversé

”Louée à l’époque de sa création, l’œuvre est depuis plusieurs années controversée et identifiée comme l’une des principales traces coloniales de la capitale”, note les autorités communales et régionales bruxelloises ce 21 mars 2024. ” Les scènes et citations qui y sont présentées établissent en effet explicitement des hiérarchies de pouvoir et promeuvent des stéréotypes racistes. Le monument illustre aussi le lien économique qui existe entre l’Art nouveau et la période coloniale belge. Lors de l’exposition universelle de 1897, les visiteurs avaient découvert ce ‘nouvel art’ surnommé ‘Style Congo’, en raison de sa propagande en faveur de la colonie”, rappelle un communiqué.

Qui sont les architectes à l’origine de l’œuvre de 2024 ?

Le rideau apporte un point de vue neuf. ©Cab. Persoons

L’œuvre installée ce 21 mars 2024 aux abords du mémorial est due au studio d’architecture Traumnovelle. Ce collectif basé avenue Louise se définit comme “une faction militante fondée par trois architectes belges : Léone Drapeaud, Manuel León Fanjul et Johnny Leya”. Traumnovelle explique aussi “utiliser l’architecture et la fiction comme outils d’analyse, de critique et de subversion, afin de mettre en valeur les problèmes contemporains et leurs solutions”. Obscur ? C’est en fait exactement ce que le studio a tenté de faire dans l’épineux cas de décolonisation du monument si controversé.

Alors, de quoi s’agit-il ?

On peut désormais se servir du monument pour décrypter la colonisation dans l’espace public. ©Cab. Persoons

L’installation temporaire de Traumnovelle s’appelle “The Grand Opening”. Tout est dans le titre : les artistes architectes y reconstituent l’inauguration du monument le 11 mai 1921. Mais marque la distance par rapport à une reconstitution à l’identique. Comment ? Grâce à un rideau de scène monumental qui doit inviter le spectateur à décaler son regard, à voir les détails colonialistes et racistes avec davantage de distance critique, “à observer les détails et à analyser les codes du discours, de la propagande coloniale et de la violence raciste”. On apprend ainsi que l’œuvre additionnée au monument “se base sur le concept de speakers’corner de Londres, où chacun peut prendre la parole librement et assumer un rôle temporaire d’orateur devant l’assistance du moment”. En clair, des lectures, débats, spectacles décoloniaux pourront s’y tenir. C’est donc une véritable scène où qui veut décrypter le racisme et ses ressorts peut désormais grimper.

Pourquoi ne pas déménager le monument polémique ?

La question de déboulonner les statues, dénommer les rues, gommer les traces du passé colonial revient régulièrement à Bruxelles. Certaines anciennes gloires militaires ont été éjectées, des noms de rues et places continuent de questionner, un tunnel a été rebaptisé, mais la statue équestre de Léopold II par exemple, subsiste. Ici, l’œuvre “ne vise pas à remplacer le monument, mais elle s’oppose à la monumentalité”. On comprend que le dispositif permet non plus de s’arrêter sur le monument lui-même, mais comme un écran de télé qui diffuserait un documentaire, pousse celui qui regarde à observer cette trace architecturale du passé comme telle, et non plus comme une œuvre actuelle. “Il s’agit d’un contre-monument qui interroge le narratif existant”, plaident les autorités bruxelloises. “L’installation pointe […] la place des autorités coloniales et leurs certitudes condescendantes et la place des colonisés”. Au contraire de ces grands absents des photos de l’inauguration de 1921, l’installation du rideau contemporain s’est faite ce 21 mars 2024 en présence de nombreux membres de la diaspora congolaise, burundaise et rwandaise de Belgique.

L’inauguration de l’installation temporaire de décolonisation du Monument aux pionniers belges au Congo, due à Traumnovelle, s’est déroulée le 21 mars 2024, à l’occasion de la Journée mondiale contre le racisme. ©Cab. Persoons

Qu’en disent les autorités bruxelloises ?

”Il est temps d’arrêter de détourner le regard sur l’une des pages les plus sombres de notre histoire collective. Ouvrons nos yeux”, plaide Ans Persoons, secrétaire d’État bruxelloise au Patrimoine. “Bruxelles compte des monuments, statues, stations de métro, noms de rues qui glorifient encore notre passé colonial et rendent hommage à des hommes ayant participé à la mort de milliers de congolais, burundais, rwandais”. Ce 21 mars 2024, “ce monument devient un regard critique et antiraciste sur le monde et servira pour des représentations, des lectures et débats”, glisse encore Persoons.

Maes, Ben Hamou et Persoons. ©Cab. Persoons

De son côté, l’échevine bruxelloise du Patrimoine Anaïs Maes se souvient : “J’ai grandi dans le quartier du Cinquantenaire et plus jeune, je considérais le parc comme mon jardin. Je connais donc très bien le monument. Souvent, nous passons devant des monuments sans prêter attention. Sauf que non : il est temps de regarder au-delà de la familiarité, d’examiner et de questionner cet héritage. La décolonisation exige de ne pas se reposer sur ce qui est donné ou acquis, mais de reconnaître les erreurs du passé”.

Enfin, Nawal Ben Hamou, secrétaire d’État bruxelloise à l’Égalité des chances, salue “une première en Belgique. N’oublions jamais que le racisme est un danger. Notre histoire est inscrite dans les murs de Bruxelles. Il faut la raconter justement et déconstruire les stéréotypes racistes”.

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