100 ans du parc Lescure. Le mythique stade de Bordeaux a été inventé… par amour du vélo

D’abord appelé Parc des sports Bordeaux-Lescure, puis stade municipal Lescure et enfin stade Chaban-Delmas en 2000, le grand ensemble dédié au sport professionnel mais aussi amateur qui se niche entre la barrière d’Ornano, le boulevard du Maréchal Leclerc et l’avenue du Parc Lescure, est inscrit au titre des monuments historiques depuis octobre 2022. Il s’est implanté il y a cent ans, sur le domaine de Lescure.

Située aux portes de Bordeaux, cette propriété dont le nom viendrait d’une chapelle séculaire, Saint-Laurent d’Escure, appartenait depuis 1810 à l’une des grandes familles bordelaises, les Johnston. Outre son château, que l’on peut toujours voir, enserré dans le lotissement d’élégantes maisons bourgeoises des années 1930, elle comptait une orangerie, des serres et un haras.


Avec son entrée au 2, place des Cèdres, le Château Lescure, à Saint-Augustin, héberge aujourd’hui des handicapés sensoriels.

Archives Sud Ouest

Par amour du vélo

Le papa du Parc Lescure, c’est un certain Robert Hüe, un architecte bordelais dont la famille est originaire de Bourg-sur-Gironde. Né en 1894 et mort en 1958, ce quasi-homonyme de l’ancien n°1 du Parti communiste français est un fou de cyclisme. Ce sport lui étant désormais interdit – il est sorti estropié de la Première Guerre mondiale -, il a à cœur de partager sa passion avec le plus grand nombre.

Robert Hüe, avec canne, moustache et lunettes, au centre de la photo.


Robert Hüe, avec canne, moustache et lunettes, au centre de la photo.

Archives Christian Vareille

Le 8 février 1912, la société immobilière du Parc Lescure a acheté à Harry Scott Johnston les 15 hectares de terrain restant de l’immense domaine de Lescure, morcelé par des ventes successives, pour construire un nouveau quartier résidentiel. Huit hectares sont lotis pour y bâtir des maisons. Hüe découvre par hasard l’existence d’un projet de parc zoologique, sur l’emplacement des sept hectares restants. Traversés en partie par le ruisseau du Peugue et inconstructibles car en zone inondable, ils ont été rétrocédés à la société immobilière des Sports.

Le plan du futur quartier Lescure, en 1912.


Le plan du futur quartier Lescure, en 1912.

Archives Bordeaux Métropole.

Il convainc le concepteur du projet, l’architecte bordelais Cyprien Alfred-Duprat, de construire plutôt un parc des Sports, avec un nouveau vélodrome. À cette époque, l’agglo est déjà riche en installations sportives de qualité (Stade Sainte Germaine au Bouscat, Vélodrome de la Côte d’Argent à Talence, terrains du CAB à Bègles, etc.), mais rien de tout cela n’est à Bordeaux même. Situé dans le quartier Saint-Augustin, proche du centre de Bordeaux, avec la présence de nombreux tramways à proximité, l’emplacement est idéal. Au sortir de la Grande guerre, la société anonyme du Parc des sports de Bordeaux-Lescure est alors constituée, à l’initiative du maire, Fernand Philippart.

Un bon de la société anonyme du Parc des sports de Bordeaux-Lescure en 1922.


Un bon de la société anonyme du Parc des sports de Bordeaux-Lescure en 1922.

Fonds F. Baudy

Une souscription de participations individuelles est ouverte aux Bordelais. Avec le soutien financier de grandes familles bordelaises du milieu viticole ou industriel – les Descas, Ginestet, Lawton, Guestier ou encore les Chapon -, elle permet d’installer une piste en ciment de 400 mètres. Au centre du complexe sportif dessiné par Alfred-Duprat et Hüe, des courts de tennis, un terrain d’honneur pour le rugby ou le football, une piste d’athlétisme et quatre tribunes séparées de gradins. On y trouve aussi une piscine alimentée par une source naturelle, une salle de culture physique, des stands de tir et un cinéma pouvant accueillir 1 200 personnes.

Un des meilleurs vélodromes du monde

L’entrée du premier Parc des sports Bordeaux-Lescure, réalisé par Hüe et Alfred-Dupra, avant sa rénovation et sa transformation.


L’entrée du premier Parc des sports Bordeaux-Lescure, réalisé par Hüe et Alfred-Dupra, avant sa rénovation et sa transformation.

Archives Sud Ouest

L’harmonie des courbes de la piste du vélodrome de Lescure, la parfaite réussite de ses raccordements et le grain de son ciment en font l’un des meilleures et des plus rapides au monde.

La première pierre est posée en mars 1923. L’ouverture a lieu le 24 avril 1924. Inauguré par une rencontre de rugby CA Bègles – Stade Bordelais, le stade dont Robert Hüe devient le directeur sportif, peut accueillir jusqu’à 30 000 spectateurs dont 10 000 assis. Théâtre de nombreuses compétitions de haut niveau payantes durant les week-ends, de fin mars à fin septembre, il est ouvert à tous les Bordelais gratuitement le reste de la semaine, notamment aux élèves des écoles communales, et il est réservé aux ouvriers le samedi après-midi.

À l’époque, le grand sport populaire, c’est le vélo, pas le foot, et ce sont les courses cyclistes qui cartonnent auprès du public. L’harmonie des courbes de la piste du vélodrome de Lescure, la parfaite réussite de ses raccordements et le grain de son ciment en font l’une des meilleures et des plus rapides au monde. Mais il y a un gros hic. Le stade, qui n’est pas la propriété de la municipalité, mais d’une société anonyme, n’est pas rentable. Aux difficultés de trésorerie, se rajoute la crise de 1929. Déficitaire, la société du Parc des sports dépose le bilan en 1930.

Sauvé de la destruction par la Ville

En 1931, Bordeaux rachète le stade et le nomme « stade municipal »

Un peu comme en 2015, lors du déménagement du club de football des Girondins au Matmut, deux tendances s’opposent alors au Conseil d’administration. Les uns souhaitent vendre pour créer un lotissement résidentiel. Les autres, Robert Hüe en tête, soutenu par les familles Lawton, du Vivier ou de Luze, veulent à tout prix sauver le vélodrome. Ils parviennent à empêcher la destruction du parc. En avril 1931 – l’année où le Tour de France y fait étape pour la première fois -, la Ville en fait l’acquisition pour 3,8 millions de francs et le nomme « stade municipal ».

Bordeaux est alors dirigée par le socialiste Adrien Marquet (1). Ce maire bâtisseur – le port de la Lune lui doit, entre autres, la Bourse du travail – imagine un grand stade municipal rénové, avec un vaste parc des sports, pour accueillir le Tour de France 1935, sur le modèle mussolinien de celui de Milan, qui l’avait séduit lors d’un voyage en Italie : 26 000 places toutes couvertes, sans aucun poteau qui vienne gêner les spectateurs, grâce à un audacieux pari architectural. En 1933, il confie le projet à l’architecte Raoul Jourde (1889-1959).

La reconstruction houleuse du nouveau stade municipal Lescure

L’entrée supplémentaire du boulevard Maréchal Leclerc, avec son grand arc monumental.


L’entrée supplémentaire du boulevard Maréchal Leclerc, avec son grand arc monumental.

Archives Sud Ouest

Pendant que l’on assainit le terrain en canalisant le Peugue, Jourde prend le parti d’exploiter au maximum les possibilités du béton armé, qu’il entend laisser brut de décoffrage, et imagine la couverture des tribunes. Avant d’être présenté au maire, en octobre 1934, le projet est modifié par deux fois pour répondre aux vœux de Jacques d’Welles (1883-1970), l’architecte officiel de la Ville, et du comité des architectes-conseils, qui critiquent, en particulier, la lourdeur des supports.

La société France et Colonies dirigée par Sante Garibaldi (petit-fils de Giuseppe héros de l’indépendance italienne) est choisie pour l’exécution. Déjà en conflit avec D’Welles à propos du chantier du siège de la Régie municipale du gaz et de l’électricité, Jourde est poussé à la démission, fin 1935. Suprême injustice : son nom n’apparaîtra même pas sur la plaque commémorative de l’inauguration.

Une des entrées latérales avec la mention « Ville de Bordeaux, Stade Municipal ».


Une des entrées latérales avec la mention « Ville de Bordeaux, Stade Municipal ».

Archives Sud Ouest

Pour gagner des places, D’Welles procède à des modifications. L’ensemble prend un aspect « à l’antique » rompant avec la modernité radicale voulue par Jourde. On retrouve toutefois l’esprit Art déco des dessins initaux de ce dernier, notamment dans l’arche monumentale de 18 mètres d’ouverture de l’entrée supplémentaire du stade, ajoutée en 1937 sur les boulevards, avec sa cour d’honneur bordée de vases décorés par le céramiste René Buthaud.

Cour d’honneur, détail des vases réalisés par René Buthaud.


Cour d’honneur, détail des vases réalisés par René Buthaud.

Région Nouvelle-Aquitaine, Inventaire général du patrimoine culturel – Bernard Chabot

D’Welles conçoit aussi la deuxième partie du parc des sports comprenant un stade d’athlétisme, un fronton de pelote basque, bordé de gradins avec une couverture semblable à celle du stade et un quartier des athlètes. Orné de deux bronzes des sculpteurs Alfred Janniot et Marcel Damboise, ce dernier comporte vestiaires et gymnases.

Vue générale de l’arrière du stade Lescure, avec son fronton et ses terrains de tennis.


Vue générale de l’arrière du stade Lescure, avec son fronton et ses terrains de tennis.

Archives Sud Ouest

Vélo, football, rugby : de Lescure à Chaban

Quart de finale de la Coupe du monde de football entre le Brésil et la Tchécoslovaquie, le 12 juin 1938, avec en premier plan le gardien tchécoslovaque Burkert.


Quart de finale de la Coupe du monde de football entre le Brésil et la Tchécoslovaquie, le 12 juin 1938, avec en premier plan le gardien tchécoslovaque Burkert.

DR

Le nouveau Stade municipal est enfin inauguré et baptisé Stade Lescure, le 12 juin 1938, à l’occasion de la Coupe du monde de football, lors d’un match de quart de finale opposant le Brésil à la Tchécoslovaquie. Salué par la presse, l’équipement monumental bordelais fait sensation en France, où encore peu de villes possèdent « un grand stade ». Il est en outre le seul à avoir ses tribunes et gradins abrités intégralement.

Le nouvel âge d’or de la piste du vélodrome de Lescure

Alors que Robert Hüe a quitté ses fonctions de directeur du stade-vélodrome en 1936, le public bordelais voit rapidement revenir les champions cyclistes sur la piste de Lescure. Restée à l’identique, le stade ayant été rebâti autour, elle connaît un nouvel âge d’or jusqu’à la fin des années 1950.

Le parc Lescure avant 1950.


Le parc Lescure avant 1950.

Archives Sud Ouest

En 1949, le cycliste bayonnais Guy Lapébie remporte dans l’enceinte de Lescure une étape du Tour de France. En 1952, c’est Fausto Coppi qui y revêt le Maillot jaune. Le 10 juillet 1964, c’est au tour d’une autre légende du cyclisme, André Darrigade, » le lévrier des Landes », d’y gagner une étape de la Grande Boucle.

  • Dans les années cinquante, course de demi-fond derrière motos au vélodrome du stade Lescure.


    Dans les années cinquante, course de demi-fond derrière motos au vélodrome du stade Lescure.

    Archives Sud Ouest

  • Le 15 juillet 1952, l’arrivée du Tour de France au vélodrome du stade Lescure à Bordeaux.


    Le 15 juillet 1952, l’arrivée du Tour de France au vélodrome du stade Lescure à Bordeaux.

    Archives Sud Ouest

  • Le 15 juillet 1952, Fausto Coppi, maillot jaune à l’arrivée du Tour de France au stade Lescure.


    Le 15 juillet 1952, Fausto Coppi, maillot jaune à l’arrivée du Tour de France au stade Lescure.

    Archives Sud Ouest

Victime de la désaffection du public pour le vélo, le vélodrome du Stade municipal cède à la pression du football qui a besoin d’espace pour aménager de nouvelles places, et disparaît en 1985. En 1986, une première vague de travaux, confiés à l’architecte Guy Dupuis, porte la capacité du stade à 40 000 places, en remplaçant la piste du vélodrome par des gradins supplémentaires. Pour la Coupe du monde de football de 1998 sa rénovation est confiée aux architectes Michel Moga, Pascal Teisseire et Hugues Touton. Outre la modernisation des équipements et la transformation de toutes les places en places assises, elle comporte la construction sur l’annexe du stade d’un centre de presse reconverti depuis en salle omnisports.

Le stade Lescure de Bordeaux lors des travaux qui ont supprimé la piste cycliste, en 1986.


Le stade Lescure de Bordeaux lors des travaux qui ont supprimé la piste cycliste, en 1986.

Archives Sud Ouest/Jean François Grousset

Dès sa remontée en Top 14, en 2011, l’UBB intègre Lescure, rebaptisé Chaban-Delmas en novembre 2000, avant que le foot ne cède à son tour définitivement sa place au rugby en 2015, après le déménagement des Girondins au Matmut. Quant au vélo, depuis 1989, il a trouvé sa place au vélodrome couvert du Stadium de Bordeaux-Lac. Ecrin du sport professionnel, Lescure s’était aussi voulu, dès l’origine, un lieu d’éducation populaire. Une fonction sociale toujours bien vivante en 2024, qu’est venu renforcer l’espace sportif annexe du parc Lescure, sorti de terre en 1940.

(1) Adrien Marquet fut maire de Bordeaux de 1925 jusqu’à son arrestation, en août 1944, pour faits de collaboration durant la Seconde Guerre mondiale avec les Allemands.

Crédit: Lien source

Les commentaires sont fermés.