L’autrice de “L’Amant” a aussi été réalisatrice. Elle fait l’objet d’une rétrospective à Paris jusqu’au 27 mai. Gabriela Trujillo, historienne du cinéma, analyse son œuvre férocement originale.
« India Song, 1974 ». Gabriela Trujillo : « Tout y est beau, l’image, la musique, Delphine Seyrig surgissant telle une déesse. » Photo Films Armorial – Sunchild productions
Publié le 30 avril 2024 à 15h37
Duras, dit-elle. Marguerite Duras est aussi cinéaste ; une réalisatrice exigeante ; cela valait bien ce modeste pastiche. Et c’est surtout l’occasion de donner la parole à l’écrivaine et historienne de cinéma Gabriela Trujillo, qui a participé à la rétrospective à la Cinémathèque française.
Comment et pourquoi Duras devient-elle cinéaste ?
Marguerite Duras fait du cinéma pour deux raisons : d’une part, son incapacité à écrire après les événements de Mai 68 et, d’autre part, son inévitable déception face aux films des autres. Il faut rappeler que, dès la fin des années 50, c’est le cinéma qui vient chercher l’écrivaine. René Clément, Henri Colpi, Peter Brook la sollicitent pour adapter ses livres. Alain Resnais lui propose l’écriture d’un scénario qui deviendra Hiroshima mon amour en 1959. Duras, quant à elle, décide de passer à la réalisation avec La Musica, adapté de sa propre pièce de théâtre. Elle dirige ce premier opus avec Paul Seban en 1966. Il sera présenté à la Cinémathèque française dans une version restaurée.
Quels sont les liens entre ses films et son œuvre littéraire ?
Le premier film que Duras réalise seule est Détruire, dit-elle, en 1969, adaptation de son roman publié la même année. Avec Nathalie Granger (1972), elle écrit désormais directement pour le cinéma. C’est ainsi qu’au cours des années 70 elle suspend sa création littéraire au profit du septième art. Mais, entre ses écrits et ses films, on note une incessante circulation de motifs : les personnages vont d’un support à un autre (comme Anne-Marie Stretter, qui hante sa littérature, son théâtre, puis le cinéma), le film Les Enfants devient le roman La Pluie d’été.
Des cinéastes l’ont-ils influencée ?
Duras a pu évoquer une cinéphilie classique, parlant essentiellement de son amour de Chaplin, Dreyer ou Bresson. Elle admirait aussi l’œuvre de Godard. Mais, à vrai dire, le cinéma des autres comptait moins pour elle que la féroce originalité et la radicalité de ses propres films.
« Le Camion » de Marguerite Duras, 1977, avec Marguerite Duras et Gérard Depardieu. Photo Cinema 9
Comment décrire son style ?
Duras réalise dix-neuf films en dix-huit ans, conservant tout du long une exigence esthétique et politique. Elle tourne avec de petits budgets, s’opposant au cinéma qu’elle qualifie de milliardaire, se révoltant contre le divertissement, qui ne vise qu’à distraire le spectateur de son état d’aliénation. C’est pourquoi elle dépouille son cinéma de toute la grammaire traditionnelle et des règles narratives. Pourtant, c’est en conteuse qu’elle défend sa pratique, avec des gros plans, une désynchronisation de l’image et du son, des travellings mémorables. On découvre médusé un cinéma des ellipses et de l’absence, des films où le spectateur, décontenancé, doit participer en quelque sorte à la construction du récit pour combler ses failles.
Quels films recommandez-vous ?
Drôle et politique : Le Camion. Un camionneur embarque une petite femme qui fait de l’auto-stop. Ou plutôt : deux protagonistes lisent le scénario d’un film à venir. Splendide : India Song. En Inde, la passion contrariée d’un obscur diplomate pour Anne-Marie Stretter. Tout y est beau, l’image, la musique, Delphine Seyrig surgissant telle une déesse. Mélancolique : Le Navire Night. Un curieux film de fantômes : des solitudes parisiennes, des amours impossibles. Radical : L’Homme atlantique. Des chutes d’un film et des ruines d’un amour est né ce court métrage, un adieu à l’homme aimé.
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