Cela fait maintenant 240 ans que Fredericton est la capitale du Nouveau-Brunswick. Nous sommes si habitués à cet état de fait qu’il ne nous vient pas à l’esprit de l’interroger. Que le pouvoir politique soit concentré à Fredericton nous apparaît aujourd’hui aussi naturel et inévitable que l’alternance de la pluie et du beau temps.
La localisation de la capitale provinciale relève toutefois d’une décision politique, décision sur laquelle il serait parfaitement légitime, huit générations plus tard, de revenir, sur la base que la province a depuis changé.
Aux États-Unis, les capitales sont typiquement situées près du centre de population de la juridiction en question, c’est-à-dire l’endroit où la somme des distances que chaque individu de la juridiction aurait à voyager pour s’y rendre est la plus basse. On présume ici qu’un corps civique est un agrégat de citoyens individuels égaux.
Au Nouveau-Brunswick, le choix de Fredericton semble être assez cohérent avec cette approche. Je ne suis pas au courant qu’on ait déjà calculé le centre de population de la province, mais je devinerais qu’il se trouverait assez près de la ville de Fredericton, située, en voiture, à soixante-quinze minutes de Saint-Jean, à moins de deux heures de Moncton, et à moins de quatre heures de n’importe quelle ville de la province. Le choix de Fredericton est assurément défendable.
Mais une approche alternative a été privilégiée pour la capitale du Canada. En 1986, des chercheurs avait calculé que le centre de population du Canada se situait près de Toronto, tout en se déplaçant toutefois rapidement vers l’ouest du pays. Déjà, au moment de l’unification du Haut et du Bas-Canada en 1848, Toronto s’imposait comme le choix naturel pour la capitale du Canada-Uni, choix qui apparaissait toutefois inacceptable aux Canadiens français. Finalement, si, en 1857, c’est la ville d’Ottawa qui fut désignée la capitale, c’est surtout parce qu’elle se situait pratiquement à la frontière entre le Canada-Est et le Canada-Ouest; certes au Canada-Ouest, mais beaucoup plus près de Montréal que de Toronto. En clair, le Canada s’imaginait alors moins comme un agrégat d’individus que comme l’union de deux communautés.
Progressivement depuis les années 1960, le Nouveau-Brunswick en est également venu, jusque dans la constitution canadienne, à se définir fondamentalement comme étant constitué d’une communauté francophone et d’une communauté anglophone. Dans la Loi sur les langues officielles, dans le découpage de la carte électorale, dans l’organisation du ministère de l’Éducation comme du système de santé, partout, on cherche à traduire la dualité dans nos institutions.
De cette perspective, le choix de Fredericton apparaît assez problématique. La ville n’est pas bilingue, elle est loin de toutes les régions francophones de la province et les francophones y représentent une minorité marginale. Que faire?
Pour le philosophe français écrivant avant l’ère démocratique, Jean-Jacques Rousseau, la notion même de capitale était solidaire d’une tradition politique antidémocratique dont il fallait s’émanciper. Dans Du Contrat social (1762), il écrit que l’idéal, en démocratie, «c’est de n’y point souffrir de capitale, de faire siéger le gouvernement alternativement dans chaque ville».
La proposition n’est peut-être pas réaliste. Il serait toutefois assurément possible de partitionner fonctionnellement la capitale du Nouveau-Brunswick entre différentes localités. En Allemagne, par exemple, le Tribunal constitutionnel fédéral et la Cour fédérale de justice n’ont sont pas à Berlin, la capitale, mais à Karlsruhe, sorte de capitale judiciaire du pays.
Une autre possibilité serait de déménager la capitale dans la ville de Moncton. Cette dernière est déjà officiellement bilingue (la seule au Canada!), par une coïncidence inouïe, sa part de francophones est pratiquement la même que celle de la province, et elle se trouve simultanément près de communautés francophones et anglophones bien enracinées. Bref, on ne peut pas dire qu’au problème de Fredericton, il n’existe aucune solution; le temps n’est-il finalement pas venu d’interroger le choix de Fredericton?
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