La France en Amérique du Sud, quelles relations avec ses voisins brésilien, surinamais et guyanien ? – Sénat




N° 846

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du
Sénat le 5 juillet 2023

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées (1)
sur : « La
France en
Amérique du Sud,
quelles
relations avec ses voisins
brésilien
, surinamais et
guyanien ? »,

Par Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, M. André
VALLINI, Mme Catherine DUMAS, M. Philippe FOLLIOT et Mme Nicole DURANTON,

Sénateurs et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de :
M. Christian Cambon, président ; MM. Pascal
Allizard, Olivier Cadic, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Olivier
Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël
Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul,
Cédric Perrin, Rachid Temal, vice-présidents ;
Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam,
Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury, secrétaires ;
MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Alain Cazabonne, Pierre
Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine
Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier,
Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle
Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert,
Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue,
Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques
Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier,
Gilbert Roger, Bruno Sido, Jean-Marc Todeschini, Mickaël Vallet,
André Vallini, Yannick Vaugrenard.

L’ESSENTIEL

Douze ans après la publication du dernier rapport
consacré au Brésil par la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces
armées1(*), il était indispensable de mener de
nouveaux travaux sur ce pays tant ce dernier a connu d’importants
bouleversements politiques au cours de la décennie écoulée
: destitution de la Présidente Dilma Rousseff en août 2016,
accession au pouvoir du dirigeant d’extrême droite Jair Bolsonaro en
2018, et élection, pour un troisième mandat, de Luiz
Inácio Lula da Silva en octobre 2022.

Ces alternances, sur fond de polarisation de plus en plus
marquée de la société brésilienne, ont eu des
répercussions importantes tant à l’intérieur des
frontières du pays, en matières économique, sociale et
environnementale, qu’en dehors, en raison de la place qu’il était
parvenu à occuper à la fin des années 2010 aux niveaux
régional et international.

L’objectif de cette mission d’information était
double :

– établir un bilan de la situation
économique, sociale et politique du Brésil à l’amorce de
la troisième présidence Lula, tout en identifiant les axes de
possible renforcement de la relation bilatérale ;

– analyser les atouts et les défis que
représente la présence de la France en Amérique du Sud,
par l’intermédiaire du département de la Guyane, en mettant
l’accent sur les relations qu’elle entretient avec ses voisins du Plateau des
Guyanes, immédiats, comme le Brésil et le Suriname, ou plus
lointains, comme le Guyana, et sur les pistes d’approfondissement de ces
derniers.

I.
BRÉSIL : LE RETOUR DE L’ « IMPAVIDE
COLOSSE »2(*) ?

A. LE
BRÉSIL EST CONFRONTÉ À D’IMPORTANTES DIFFICULTÉS
ÉCONOMIQUES ET SOCIALES

1. Au plan
économique, à la « décennie
dorée » du début des années 2000 a
succédé une « décennie perdue » des
années 2010-2020

Au cours de la première décennie des
années 2000, le Brésil a connu une amélioration
significative de sa situation économique marquée notamment par un
taux de croissance élevé (plus de 4 % en moyenne entre 2003 et
2011) et une baisse du taux de chômage de l’ordre de 30 %
.
Cette période s’est en outre caractérisée par une
distribution plus équitable des revenus du travail.

À cette
« 
décennie
dorée
 » a toutefois succédé une
« 
décennie perdue »,
avec une croissance annuelle de 0,6 % en moyenne au cours de la
période. Celle-ci s’est également traduite par une
dégradation des finances publiques brésiliennes : la dette
publique devrait ainsi s’élever à 88 % du PIB
en
2023, contre 61 % en 2011.

L’économie brésilienne est
notamment pénalisée par une série
de « handicaps » socio-économiques,
communément appelés « coût
Brésil »
estimé à plus de
1 500 milliards de réaux.

2. Un pays
fortement polarisé

Depuis la récession de 2015-2016, les
inégalités et la pauvreté sont reparties à la
hausse.
Entre 2014 et 2021, le revenu moyen des 40 % les plus pauvres
a diminué de 8 %, tandis que celui des 10 % les plus riches a
augmenté de 7,2 %. Par ailleurs, le Brésil
compterait à l’heure actuelle plus de 30 millions de personnes
souffrant de la faim
.

L’élection présidentielle des 2 et
30 octobre 2022, qui a vu le retour de Lula au pouvoir, a mis en lumière
une société brésilienne profondément divisée
entre les valeurs prônées par le camp bolsonariste (travail,
famille traditionnelle, religion, notamment évangélique) et
celles portées par Lula et ses alliés (lutte contre les
inégalités et les discriminations, dialogue, protection de
l’environnement).

Une semaine après l’investiture du nouveau
Président, le 8 janvier 2023, des milliers de partisans de
Jair Bolsonaro réclamant un coup d’État militaire se sont ainsi
introduits dans les bâtiments des trois pouvoirs (Congrès
fédéral, Présidence et Tribunal suprême
fédéral), se livrant à des actes de vandalisme
.

3. La
troisième présidence Lula entend tourner la page de l’ère
Bolsonaro tout en s’inscrivant dans la continuité des deux premiers
mandats

En rupture avec la politique menée par
son prédécesseur, le Président Lula a fait de la lutte
contre la pauvreté et de la réduction des
inégalités les priorités
de son
Gouvernement.

Ce volontarisme dans le domaine social s’est traduit par
le retour de plusieurs mesures emblématiques de ses premiers
mandats telles que les programmes « Bolsa
Família
 » et « Minha Casa Minha
Vida
 »
.

Le nouvel exécutif a également
annoncé la mise en oeuvre d’une importante réforme
fiscale
qui devra notamment permettre une réduction du
« coût Brésil ».

Conformément aux promesses faites durant
la campagne, le nouvel exécutif, qui s’est engagé à
atteindre une déforestation nette nulle d’ici 2030, a pris
différentes mesures pour combattre la déforestation telles que la
création d’un ministère de l’environnement ou encore la
mobilisation de l’armée pour lutter contre l’orpaillage illégal.

Le Président Lula a également fait
de la protection des peuples autochtones l’une des priorités de son
Gouvernement, appelant dans son discours d’investiture à révoquer
« toutes les injustices commises à l’encontre des peuples
autochtones
 »
.

Le nouveau Gouvernement doit cependant composer
avec un Congrès qui lui est majoritairement défavorable
,
le parti conservateur de Jair Bolsonaro et ses alliés y détenant
la majorité. L’unité nationale manifestée au lendemain du
8 janvier 2023 associée à un certain pragmatisme et une souplesse
des partis brésiliens, habitués aux gouvernements de coalition,
devraient faciliter l’adoption de certaines réformes.

En matière environnementale cependant, le
secteur de l’agro-négoce, bien représenté au sein du
Congrès, pourrait constituer un frein au volontarisme du nouvel
exécutif.

B. LA
POLITIQUE ÉTRANGÈRE DU BRÉSIL : LA
RÉAFFIRMATION D’UN LEADERSHIP RÉGIONAL, UNE AMBITION
INTERNATIONALE RETROUVÉE ?

1.
Après une période d’isolement sous la présidence
Bolsonaro, un leadership régional retrouvé ?

Au niveau régional, les premiers mandats du
Président Lula ont été marqués par l’affirmation
progressive d’une « hégémonie
consensuelle
 » brésilienne sur le sous-continent.

Cette stratégie régionale du Brésil
s’est déclinée en deux volets : un
volet économique, via un appui à l’élargissement
et à l’approfondissement du Mercosur
(marché commun du
Sud), et un volet politique avec la création et le renforcement
de l’Unasur
(Union des nations sud-américaines).

Si, durant la présidence Bolsonaro, le
Brésil s’est détourné de l’Amérique latine au
profit d’un rapprochement avec les États-Unis, le
Président Lula a clairement affirmé son souhait de
relancer le processus d’intégration régionale
.
L’une des premières décisions prises par le nouvel
exécutif a ainsi consisté à réintégrer la
CELAC
(Communauté d’États Latino-Américains et
Caraïbes) le 5 janvier 2023. Dès le 23 janvier 2023, Lula
s’est en outre rendu en Argentine pour assister au VIIe sommet de
l’organisation. Enfin, le 30 mai 2023, un sommet des chefs d’État du
continent sud-américain s’est réuni à Brasilia,
témoignant de l’engagement du nouvel exécutif dans
l’intensification des liens entre pays du sous-continent.

2. Une
ambition internationale réaffirmée

Au début de la décennie 2010, sous
l’impulsion du Président Lula qui avait fait du renforcement des
relations Sud-Sud un axe fort de la politique étrangère
brésilienne, le Brésil s’est imposé comme le
porte-parole du « Sud Global »
, parvenant
à en affirmer la place sur la scène internationale.

Cette volonté de
rééquilibrage des relations internationales au profit des
pays du Sud demeure un marqueur fort de la politique étrangère du
Gouvernement Lula III.
Dans le domaine économique et
monétaire, celle-ci se traduit par un narratif appelant à une
« dédollarisation » de l’économie mondiale,
à une réforme de l’architecture financière internationale
et à un assouplissement des conditions de remboursement des dettes des
pays du Sud.

La politique étrangère
brésilienne a cependant pu être perçue comme ambigüe,
en particulier dans le contexte de la guerre en Ukraine
. Dans un
entretien accordé au Time Magazine le 22 mai 2022 alors qu’il
n’était encore que candidat, Lula a semblé renvoyer dos
à dos les Présidents Poutine et Zelensky
. S’il
refuse d’appliquer des sanctions à l’encontre de la Russie
tant
que celles-ci n’auront pas été décidées par le
Conseil de sécurité de l’ONU – au sein duquel la Russie, membre
permanent, dispose d’un droit de veto – ou de livrer des armes à
l’Ukraine
, le Brésil a cependant voté en faveur
de la plupart des résolutions de l’Assemblée
générale des Nations unies
. Le Brésil entend
ainsi assumer un rôle de médiateur dans ce
conflit, proposant la création d’un « club de la
paix » qui réunirait des pays non occidentaux et servirait
d’intermédiaire entre les belligérants
.

L’évolution des relations entre l’UE et le
Brésil dépendent quant à elles pour partie du futur de
l’accord d’association négocié depuis 1999
. Au cours des
derniers mois, celui-ci a suscité un certain regain
d’intérêt côté européen. Le 17 janvier 2023,
la Présidente de la Commission européenne, Ursula van der Leyen a
ainsi appelé depuis le Forum économique mondial à
« relancer les débats en ce qui concerne l’accord du
Mercosur
 ». Le Mercosur se montrerait en outre
constructif sur l’instrument additionnel présenté par la
Commission et aurait donné son consentement pour
« débloquer » l’accord sans demander une
réouverture des négociations.

Dans la perspective de sa présidence de l’Union
européenne débutée le 1er juillet 2023,
l’Espagne avait émis le souhait que les discussions puissent
aboutir d’ici le sommet UE-CELAC des chefs d’État et de gouvernement qui
se tiendra à Bruxelles les 17 et 18 juillet 2023
.
Ce calendrier, déjà optimiste en début
d’année 2023, semble désormais peu vraisemblable compte tenu du
report des négociations sur l’instrument additionnel
.

S’il peut sembler excessif de considérer qu’un
éventuel échec des discussions sur cet accord ancrera
définitivement le Brésil à la Chine, compte tenu des
relations commerciales qui existent déjà entre les deux pays, et
si la mission ne méconnaît pas les problématiques
soulevées par cet accord qui ont été bien rappelées
par des résolutions ou projets de résolutions
déposés à l’Assemblée nationale et au Sénat,
elle considère qu’il convient de poursuivre les discussions sur
ce sujet en prenant notamment en compte le volontarisme de Brasilia en
matière environnementale, cet accord
pouvant, à tout le
moins, contribuer au renforcement du lien unissant le Brésil aux pays
occidentaux.

C.
APRÈS UNE PARENTHÈSE SOUS LA PRÉSIDENCE BOLSONARO, DES
« RETROUVAILLES » ENTRE LA FRANCE ET LE BRÉSIL
AUXQUELLES IL CONVIENT DE DONNER UNE TRADUCTION CONCRÈTE

1. Une
volonté partagée de relance des relations bilatérales

L’élection du Président Lula ouvre
incontestablement un nouveau chapitre de nos relations diplomatiques.

Lors de son déplacement au Brésil en
février 2023, la ministre de l’Europe et des affaires
étrangères, Catherine Colonna, a ainsi qualifié de
« retrouvailles » cette volonté
partagée de tourner la page de la présidence sortante.

L’ensemble des personnes rencontrées par la
mission ont mis en avant la nécessité de renouer des liens
nourris et réguliers avec la France.

Cette main tendue doit être saisie rapidement alors
que plusieurs de nos alliés et compétiteurs ont
déjà opéré un rapprochement, parfois plus
marqué, avec ce « nouveau
Brésil
 ».

Plusieurs chefs d’État, dont le
Roi d’Espagne et les Présidents du Portugal et de l’Allemagne, ou
encore le Vice-Président chinois Wang Qishan étaient
ainsi présents lors de l’investiture du Président Lula, alors que
la France n’y était représentée que par le ministre
délégué chargé du commerce extérieur, de
l’attractivité et des Français de l’étranger
. Le
Président Lula a par ailleurs accueilli plusieurs visites officielles
depuis son élection : le Chancelier allemand Olaf Scholz
s’est ainsi rendu à Brasilia dès le mois de janvier 2023,
promettant le versement de 200 millions d’euros pour la protection de
l’Amazonie
. Le ministre des affaires étrangères
russes, Sergueï Lavrov, a également été reçu
par son homologue brésilien Mauro Vieira puis le Président Lula
en avril 2023
.

2. Un
partenariat stratégique qui doit être relancé

Dans le domaine de la défense, le
partenariat stratégique s’est matérialisé par un plan
d’actions conclu en 2008, qui a notamment donné lieu à
d’importants contrats dans les domaines naval, aéronautique et
spatial.

Dans le domaine naval plus spécifiquement,
un ambitieux programme de transfert de technologie baptisé
ProSub (Programa de desenvolvimentos de submarinos o Brasil) a
été signé en 2009. Il repose sur
deux piliers :

– la construction d’un chantier et d’une
base navale à Itaguaí
 ;

– la construction de 4 sous-marins
conventionnels de type Scorpène
dans les chantiers
d’Itaguaí et l’assistance à la construction d’un
sous-marin à propulsion nucléaire
.

Le premier sous-marin conventionnel, baptisé
Riachuelo, a été livré et mis en service le 1er
septembre 2022. L’Humaitá, qui a réalisé ses essais
à la mer, devrait pour sa part être livré à la fin
de l’année 2023. Les deux derniers sous-marins, le Tonelero et
l’Angostura, seront quant à eux mis en service respectivement en 2024 et
2025.

Il convient de préparer dès maintenant
l’après 2025, date de mise en service du dernier sous-marin
conventionnel.

Plusieurs axes de relance de ce partenariat
pourraient être envisagés
 :
renforcement de l’appui français aux autorités
brésiliennes dans la construction d’un sous-marin à propulsion
nucléaire, utilisation d’Itaguaí comme d’un
« relais » en Amérique latine pour la vente de
sous-marins de type Scorpène qui seraient construits au Brésil,
conclusion d’un partenariat dans le domaine terrestre avec la livraison de
systèmes CAESAR, etc.

II. LA PRÉSENCE FRANÇAISE SUR LE PLATEAU DES
GUYANES : UN ATOUT POUR LA FRANCE QUI DOIT ÊTRE CONSOLIDÉ

Selon les mots de Thierry Queffelec, préfet
de la Guyane, le département de la Guyane, plus
grand département français avec plus de 83 000km²,
représente « la France en Amérique
Latine
 »
. Si la France partage avec ses
voisins immédiats que sont le Brésil et le Suriname, ou plus
lointains comme le Guyana, les innombrables atouts de cette
région
(biodiversité, ressources naturelles, etc.),
elle est également confrontée aux mêmes
problématiques
(protection d’un territoire rendue difficile du
fait de son étendue et de ses caractéristiques,
développement des activités illicites, questions relatives
à l’immigration clandestine, ou encore défis liés à
la protection de l’environnement et à la lutte contre la
déforestation. Ces enjeux, dans une large mesure
régionaux, appellent une réponse coordonnée avec les pays
voisins
.

A. UNE
COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE FRANCO-BRÉSILIENNE
DÉJÀ INTENSE MAIS QUI DOIT ÊTRE ENCORE RENFORCÉE

La France et le Brésil partagent une
frontière de plus de 730 km, ce qui constitue la plus longue
frontière terrestre française.

La
coopération transfrontalière dans les domaines militaires (en
particulier en matière de lutte contre la pêche ou l’orpaillage
illégaux), judiciaire et policier
est déjà
intense. Différentes mesures pourraient cependant être prises pour
en renforcer la portée telles que l’organisation de patrouilles
conjointes à la frontière, un renforcement de la
coopération judiciaire en matière pénale visant à
une meilleure exécution des commissions rogatoires émises par les
juges français à l’égard de ressortissants
brésiliens ou encore le renforcement de la coopération dans le
domaine de la protection de l’environnement via le
développement de contacts entre magistrats et policiers
spécialisés ou des coopérations techniques notamment avec
le Censipam brésilien.

Au cours du déplacement, les
autorités nationales comme locales brésiliennes ont par ailleurs
systématiquement soulevé la question de l’obligation pour les
Brésiliens souhaitant se rendre en Guyane de disposer d’un
visa
, alors qu’une telle obligation n’existe pas pour se rendre sur le
territoire métropolitain et que les Guyanais sont, de leur
côté, exemptés de visa pour franchir la frontière.
Cette problématique des visas constitue un
« irritant » majeur des relations
franco-brésiliennes, auquel il conviendrait d’apporter une
réponse rapidement
.

B. LE
SURINAME : UN DÉVELOPPEMENT ATTENDU, UN PAYS EN PROIE À UNE
SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE FORTEMENT DÉGRADÉE

Depuis 2020, le
Suriname fait face à une grave crise économique qui l’a contraint
à faire défaut sur sa dette extérieure, laquelle
s’élevait à près de 150 % du PIB fin 2020.

Placé sous l’intervention du FMI avec un programme d’aide de 690
millions de dollars, le Suriname a obtenu l’aide du Club de Paris et le
soutien de la France
, avec laquelle un accord de restructuration d’une
partie de sa dette a été signé en octobre 2022.

Pour faire face à cette situation, le
Gouvernement a adopté plusieurs réformes fortement
contestées par l’opinion
 : augmentation du prix de
l’électricité et des carburants, gel des salaires des
fonctionnaires, ou encore mise en place d’une TVA de 10 % depuis le
1er janvier 2023. Une manifestation contre la vie
chère a ainsi eu lieu le 17 février 2023,
en marge de
laquelle des actes de violence ont été commis contre le
siège de la présidence et le bâtiment de l’Assemblée
nationale.

L’existence de gisements pétroliers
offshore, dont les niveaux sont actuellement en cours d’estimation,
pourrait, à moyen terme, apporter une réponse à la crise
traversée par le Suriname.

La France doit renforcer sa coopération avec le
Suriname, pays avec lequel elle partage une frontière de plus de
500km.

En matière de défense, Krishna Mathoera,
ministre de la défense du Suriname, a rappelé que
« la France est un partenaire très important
pour le Suriname
 ». Depuis 2003, les
deux pays sont liés par un accord de statut des forces à
l’étranger. La coopération militaire entre nos
pays devrait en outre être renforcée avec l’installation d’une
mission de défense au sein de l’ambassade de France à partir du
1er août 2023.

Dans les domaines judiciaires et policiers, une
convention d’entraide en matière pénale a été
signée en 2021
qui vise à renforcer la lutte contre la
criminalité transfrontalière. La convention de
coopération policière transfrontalière signée en
2006 est par ailleurs entrée en vigueur le 1er septembre
2022.

La mission estime nécessaire que le
protocole d’accord pour la reconnaissance de la frontière sur le
Maroni-Lawa du 15 mars 2021, qui doit mettre un terme à l’essentiel
du contentieux frontalier entre la France et le Suriname
, soit
rapidement ratifié côté surinamais. Il conviendra
ensuite d’aboutir rapidement à un accord sur la 4e section de
la frontière
afin de clore définitivement ce
chapitre.

Au cours des entretiens, les autorités
surinamaises ont mis en avant l’insuffisance des moyens des
armées et des forces de sécurité intérieure pour
lutter efficacement contre les activités illicites
. La
France pourrait ainsi apporter un soutien logistique aux forces surinamaises,
en envisageant par exemple des cessions de matériels
, qu’il
s’agisse de véhicules, de moyens de communication, ou encore
d’équipements individuels.

C. LE GUYANA,
FUTUR « QATAR » D’AMÉRIQUE DU SUD ?

Jusqu’à récemment, le Guyana,
ancienne colonie britannique ayant accédé à
l’indépendance en 1966, était le pays le plus pauvre
d’Amérique du Sud
. La découverte d’importants gisements
de pétrole en mer par l’américain ExxonMobil en 2015 a cependant
grandement rebattu les cartes. Avec près de 11,5 milliards de
barils équivalents de pétrole
, le pays
possèderait ainsi les deuxièmes plus grandes
réserves de pétrole par habitant au monde. S
a production
de pétrole pourrait ainsi atteindre 1,2 million de barils par
jour d’ici 2027
.

Les politiques publiques mises en oeuvre par l’actuel
Gouvernement guyanien seront donc déterminantes dans le modèle de
développement du pays pour les années à venir. Pour
éviter la survenance du « syndrome hollandais »,
le Gouvernement du Guyana a ainsi mis en place un fonds souverain
(Natural Resource Fund) placé auprès d’une institution
financière newyorkaise.

La « manne »
pétrolière, qui représentait plus de 88 % de la croissance
du PIB réel du pays en 2022, devra ainsi servir au développement
d’autres secteurs d’activité, en particulier l’agriculture et
l’agroalimentaire. À cet égard, le Président Irfaan Ali a
rappelé à la mission la volonté des
autorités d’augmenter les investissements dans les infrastructures
(dont 650 millions de dollars pour les infrastructures
routières, 258 millions de dollars pour les logements et
210 millions de dollars pour les infrastructures
électriques) ainsi que dans les domaines de l’éducation
et de la santé
.

Plusieurs axes de développement des relations
franco-guyaniennes doivent être explorés.

Dans le domaine économique tout d’abord,
le Guyana offre d’importantes opportunités pour les entreprises
françaises
. Le renforcement de la présence
française au Guyana a d’ailleurs été appelé de ses
voeux par le Président Irfaan Ali qui a indiqué que les
entreprises françaises étaient les bienvenues et souhaiter que la
France devienne un « partenaire clé » du
développement du pays.

En matière de sécurité, ensuite,
le pays demeure confronté aux défis de la
criminalité organisée : pêche et orpaillages
illégaux et trafics de stupéfiants, en particulier de
cocaïne, à destination de l’Amérique du Nord et de
l’Europe
. Le Président Ali a ainsi appelé
à un renforcement de la coopération franco-guyanienne en
matière de lutte contre la criminalité
.

Enfin, s’agissant des relations diplomatiques, lors des
entretiens qu’elle a menés à Georgetown, les
autorités guyaniennes ont toutes indiqué à la mission
regretter l’impossibilité pour les Guyaniens d’effectuer les
démarches pour obtenir un visa pour la France depuis le territoire du
Guyana
. En effet, aucun pays de l’Union européenne ne disposant
à l’heure actuelle d’une ambassade à Georgetown, les Guyaniens
doivent se rendre à l’ambassade des Pays-Bas au Suriname pour y
déposer leur demande de visa Schengen.

Par ailleurs, si l’ouverture d’une ambassade au
Suriname également compétente pour le Guyana et la mise en place
d’une antenne diplomatique à l’automne 2023 constituent des signaux
importants et salués par les autorités guyaniennes
rencontrées, la mission considère cependant nécessaire
d’aller plus loin en ouvrant une ambassade de plein exercice à
Georgetown
, à l’instar de ce qu’ont pu faire d’autres pays tels
que les États-Unis, la Chine ou la Russie.

En effet, si la France ne prend pas rapidement
l’initiative, nos concurrents ont déjà fait, ou feront dans un
futur proche, à n’en pas douter, preuve de davantage de
clairvoyance
.

La France doit rapidement se positionner comme un
partenaire clé du Guyana

Les recommandations

Donner un nouvel élan à la relation
bilatérale franco-brésilienne

· Maintenir la présence française
dans la Casa Europa à Rio de Janeiro et développer des
partenariats avec des entreprises françaises pour contribuer au
financement des travaux nécessaires à sa rénovation.

· Afin de rééquilibrer les flux
d’investissement franco-brésiliens, mettre en place un accompagnement
renforcé des entreprises brésiliennes envisageant de s’implanter
en France.

· Créer un conseil franco-brésilien
permettant un dialogue bilatéral de haut niveau régulier sur les
sujets économiques et financiers.

· Formaliser la reprise des relations
bilatérales par une visite présidentielle, par exemple lors du
sommet des pays d’Amazonie, voire une visite d’État à l’occasion
de laquelle des engagements concrets devront être pris.

· Renouveler le partenariat stratégique de
2006 et l’étendre à de nouveaux champs tels que le domaine
terrestre, le cyber ou le spatial. Étudier les possibilités
d’approfondissement du programme ProSub dans le domaine nucléaire et
mettre en avant les savoir-faire désormais établis d’ICN dans les
discussions qui pourraient être ouvertes avec des pays d’Amérique
latine concernant l’acquisition de sous-marins.

Renforcer les relations entre pays du
Plateau
des Guyanes

· Étudier les modalités de
rapprochement entre le parc national des montagnes du Tumucumaque (Parque
Nacional das Montanhas do Tumucumaque
) et le parc Amazonien de Guyane, ce
qui constituerait la plus grande zone mondiale de la biodiversité, et
étendre cette coopération au Suriname et au Guyana.

· Créer un groupe d’amitié
France-Guyana-Suriname.

Intensifier la coopération
transfrontalière
avec le Brésil

· Mettre en place de véritables patrouilles
conjointes permettant aux militaires des deux pays d’appréhender les
auteurs d’actes illicites sur le territoire de l’autre pays, dans une zone dont
la profondeur devra être déterminée.

· Proposer un renforcement de la
coopération judiciaire en matière pénale visant à
une meilleure exécution des commissions rogatoires émises par les
juges français à l’égard de ressortissants
brésiliens, réétudier les modalités d’extradition
et de mise en oeuvre de la procédure dite de libération
conditionnelle « expulsion », voire envisager
l’établissement d’une convention sur le transfert de prisonniers.

· Renforcer la coopération dans le domaine
de la protection de l’environnement via le développement de
contacts entre magistrats et policiers spécialisés, des
coopérations techniques notamment avec le Censipam, l’appui de la
demande brésilienne d’accéder à certaines images prises
par le satellite Sentinel-1 ou encore la participation de la France au
financement du Fonds Amazone relancé par le Président Lula.

· Ouvrir une Alliance française à
Macapá, le cas échéant, dans le cadre d’un partenariat
avec le centre de langue et de culture françaises « Danielle
Mitterrand ».

· Poursuivre la recherche d’un partenaire bancaire
brésilien permettant un financement intermédié de l’AFD
à destination de l’État d’Amapá. Outre les
thématiques liées à l’environnement et à la
culture, prévoir que cette aide sera consacrée au financement
d’infrastructures dans le secteur touristique.

· Prévoir un assouplissement du
régime des visas applicable aux Brésiliens se rendant en Guyane
et, a minima, mettre en place une solution technique permettant aux
habitants de l’Amapá de ne pas avoir à se rendre à
Brasilia pour obtenir un visa.

Accompagner le développement
du
Suriname

· Envisager une action de Proparco, filiale de
l’AFD, en faveur du secteur privé, afin de poursuivre l’accompagnement
du développement du Suriname.

· Encourager les autorités surinamaises
à procéder à la ratification du protocole d’accord pour la
reconnaissance de la frontière Maroni-Lava. Engager rapidement des
travaux sur la 4e et dernière section de la frontière
afin de solder définitivement ce contentieux avec le Suriname.

· Maintenir un très haut niveau de
coopération en matière policière et oeuvrer activement
pour la mise en oeuvre de l’accord de coopération judiciaire.

· Étudier les possibilités de
cessions de matériels et d’équipements au profit des forces de
sécurité surinamaises.

Positionner la France comme
un partenaire
clé du Guyana

· Multiplier les initiatives à destination
des entreprises françaises afin de leur faire prendre conscience des
opportunités commerciales offertes par le Guyana.

· Étudier les solutions possibles pour
faciliter les démarches d’obtention de visas Schengen pour les
Guyaniens.

· Créer une ambassade de plein exercice au
Guyana.

LA FRANCE EN AMÉRIQUE DU SUD, QUELLES
RELATIONS AVEC NOS VOISINS BRÉSILIEN, SURINAMAIS ET
GUYANIEN ?

Douze ans après la publication du dernier rapport
consacré au Brésil par la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces
armées3(*), il
était indispensable de mener de nouveaux travaux sur ce pays tant ce
dernier a connu d’importants bouleversements politiques au cours de la
décennie écoulée : destitution de la
Présidente Dilma Rousseff en août 2016, accession au pouvoir
du dirigeant d’extrême-droite Jair Bolsonaro en 2018, et
élection, pour un troisième mandat, de Luiz Inácio
Lula da Silva en octobre 2022.

Ces alternances, sur fond de polarisation de plus en plus
marquée de la société brésilienne, ont eu des
répercussions importantes tant à l’intérieur des
frontières du pays, en matières économique, sociale et
environnementale, qu’en dehors, en raison de la place qu’il était
parvenu à occuper à la fin des années 2010 aux niveaux
régional et international.

L’objectif de cette mission d’information
était double 
:

– établir un bilan de la situation
économique, sociale et politique du Brésil
à
l’amorce de la troisième présidence Lula, tout en
identifiant les axes de possible renforcement de la relation
bilatérale
 ;

– analyser les atouts et les défis
que représente la présence de la France en Amérique du
Sud, par l’intermédiaire du département de la Guyane,
en
mettant l’accent sur les relations qu’elle entretient avec ses voisins du
Plateau des Guyanes, immédiats, comme le Brésil et le Suriname,
ou plus lointains, comme le Guyana, et sur les pistes d’approfondissement de
ces derniers.

Dans cette perspective, la délégation
sénatoriale, composée de Jöelle Garriaud-Maylam et
André Vallini, rapporteurs, Catherine Dumas, Philippe Folliot et
Nicole Duranton, s’est rendue à Rio de Janeiro, sur la base navale
d’Itaguaí, symbole de la coopération franco-brésilienne en
matière de défense, à Brasilia, Macapá, Oiapoque,
Cayenne, puis à Paramaribo, capitale du Suriname, et enfin Georgetown,
capitale du Guyana.

Carte de l’Amérique du Sud

(en rouge, l’itinéraire du déplacement de
la mission)

PREMIÈRE
PARTIE
BRÉSIL : LE RETOUR DE L’» IMPAVIDE
COLOSSE »4(*) ?

I. PREMIÈRE PUISSANCE
D’AMÉRIQUE LATINE, LE BRÉSIL FAIT CEPENDANT FACE À
D’IMPORTANTS DÉFIS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX

A. UN GÉANT DOTÉ DE FORMIDABLES ATOUTS

1. Un territoire immense disposant
d’importantes ressources naturelles

Plus grand État d’Amérique latine
avec plus de 8,5 millions de km² (quinze fois la France et
deux fois l’Union européenne), le Brésil est
également le cinquième plus grand pays au
monde
.

Cet immense territoire est de surcroît richement
doté en ressources naturelles.

Le Brésil possède ainsi
d’importantes réserves minières, avec une exploitation
diversifiée couvrant environ 80 types de minerais
,
11 d’entre eux représentant plus de 99 % de la valeur de
production du secteur. Le pays est en outre un acteur majeur dans les
minerais critiques
tels que le niobium, le fer, le graphite, la
bauxite et le kaolin, ainsi que dans les réserves abondantes de
manganèse, de niobium, de tantale et de terres rares.

Il dispose par ailleurs d’importantes ressources
en hydrocarbures
. Ses réserves de pétrole
s’élèvent ainsi à près de 12 milliards de
barils
(environ 0,8 % des réserves mondiales), ce qui en
fait le deuxième pays d’Amérique latine après le
Venezuela, tandis que ses ressources en gaz naturel atteignent plus de
337 milliards de mètres cubes
.

Le Brésil accueille en outre la majeure
partie de l’Amazonie, qui recouvre 61 % de son territoire, soit environ
5,2 millions de km²
. L’ » Amazonie
verte » constitue un réservoir de biodiversité
exceptionnel, rassemblant près de 15 % des espèces de faune
et de flore mondiales et 20 % des réserves d’eau douce.

Au plan maritime, ce que la marine
brésilienne a, la première, qualifié
d’» Amazonie bleue » représente une superficie
d’environ 4,5 millions de km²
, dont 3,5
millions de km² au titre de la zone économique exclusive et
963 000 km² au titre du plateau continental. Outre des gisements
pétroliers significatifs, cet espace maritime abrite d’importantes
ressources halieutiques.

2. Une population nombreuse mais
inégalement répartie sur le territoire

Avec plus de 203 millions d’habitants, le
Brésil est le pays le plus peuplé d’Amérique latine, se
classant au 6e rang mondial
.

Le Brésil – dont la classe moyenne
représente près de la moitié de la population, soit
environ 100 millions d’habitants5(*) – est ainsi le plus grand marché
d’Amérique latine
, loin devant le Mexique (129 millions
d’habitants), la Colombie (51 millions d’habitants) et l’Argentine
(46 millions d’habitants).

La population brésilienne, en croissance de
7,6 % entre 2012 et 2021, est en outre une population
jeune
. 43,9 % des Brésiliens étaient ainsi
âgés de moins de 30 ans en 2021, même si ce taux tend
à décroître
(- 6 points entre 2012 et
2021).

Répartition de la population
brésilienne par classe d’âge

Source : Institut brésilien de
géographie et de statistiques (IGBE)

Par ailleurs, comme le rappelle Hervé
Théry6(*),
« la population brésilienne [est]
très inégalement distribuée sur le territoire, il persiste
une nette opposition […] entre régions littorales très
peuplées et régions intérieures faiblement occupées
qui reflète aujourd’hui encore les effets du processus
de colonisation et de peuplement du territoire à partir de la
côte. Même les zones de concentration côtière sont
irrégulières, des vides y persistent et seuls São Paulo,
le Paraná, Rio de Janeiro et quelques petits États du Nordeste
voient leur territoire occupé de façon continue. Sur le reste du
territoire la répartition de la population est étroitement
corrélée avec les réseaux de transport, voies navigables
en Amazonie, routes de desserte régionale ailleurs
 ».

Carte de la densité de population
brésilienne

(Année 2010)

Source : Institut brésilien de
géographie et de statistiques (IGBE)

3. Une économie
diversifiée

Selon les chiffres de la banque mondiale, le
produit intérieur brut (PIB) du Brésil s’élevait à
près de 1 609 milliards de dollars (2,4 % du PIB mondial) en
2021, le classant au 8e rang mondial
.

Au niveau régional, le Brésil
représente actuellement un tiers du PIB d’Amérique
latine
. À eux seuls, le Brésil et le Mexique
représentent près de 58 % dans l’économie de la
région.

Son PIB par habitant (en dollars courants)
s’élevait quant à lui à 7 507 dollars (85e
rang mondial), soit un niveau comparable à celui de la Colombie, mais
inférieur à celui du Chili, de l’Argentine ou du Mexique.

Les principales forces de l’économie
brésilienne résident dans la richesse et la diversité de
ses ressources naturelles, faisant du pays une puissance agricole,
minière et énergétique de premier plan7(*)
.

Le secteur agricole peut s’appuyer sur l’importante
superficie du pays, des conditions naturelles favorables et des avancées
en recherche agronomique. Le Brésil, qui était un importateur net
de denrées alimentaires en 1970, a connu une révolution agricole
et est désormais une référence mondiale dans plusieurs
domaines. Il occupe ainsi la première place mondiale pour la
production de sucre, de soja
, de café et de jus
d’orange, la deuxième place pour l’éthanol, la viande bovine et
la viande de volaille, et la troisième place pour le maïs et la
viande porcine
.

Les exportations brésiliennes de minerais ont
quant à elles augmenté de 59 % en 2021 pour atteindre
58 milliards de dollars.

S’agissant des hydrocarbures, la compagnie nationale
Petrobras est le principal producteur de pétrole du pays,
représentant 95 % de la production totale en 2020.
Cependant, le Brésil demeure un importateur de produits
pétroliers raffinés
. Des projets visant
à augmenter les capacités de raffinage sont certes en cours, mais
ils ne devraient être opérationnels qu’à partir de 2030.

Son industrie, initialement concentrée sur
l’exploitation des ressources naturelles, s’est également
développée dans des domaines tels que l’automobile ou
l’aéronautique
(avec notamment Embraer).

Les services représentent quant à
eux près de 60 % du PIB
brésilien et recouvrent un
panel large d’activités : services financiers, assurances,
télécommunications, tourisme, immobilier, hôtellerie,
administration et éducation notamment.

Le secteur de la santé occupe
également une place importante dans l’économie
brésilienne, avec des dépenses de santé correspondant
à près de 9,6 % du PIB en 2019
(environ 130
milliards d’euros), dépassant la moyenne des pays de l’OCDE
(8,8 %). En 2021, le secteur de la santé, comprenant les
hôpitaux publics et privés, les établissements de
santé, les entreprises pharmaceutiques et les fabricants
d’équipements médicaux, a ainsi généré plus
de 4,6 millions d’emplois directs et indirects dans le pays.
Avec un chiffre d’affaires d’environ 21 milliards d’euros en
2021
, le marché brésilien représentait
2,2 % des ventes mondiales de médicaments.

B. AU PLAN ÉCONOMIQUE,
À « LA DÉCENNIE DORÉE » DU
DÉBUT DES ANNÉES 2000 A SUCCÉDÉ UNE
« DÉCENNIE PERDUE » DES ANNÉES
2010-2020

1. Un bilan économique positif des premiers mandats de
Lula (2003-2011)

Au cours de la première décennie des
années 2000, le Brésil a connu une amélioration
significative de sa situation économique marquée notamment par un
taux de croissance annuel de son PIB de plus de 4 % en moyenne entre 2003
et 2011 et une baisse du taux de chômage de l’ordre de
30 %
.

PIB et croissance du PIB brésiliens entre
2000 et 2021

Source : banque mondiale

Évolution du taux de chômage
brésilien entre 2000 et 2021

(en %)

Source : banque
mondiale

Cette période s’est en outre
caractérisée par une distribution plus équitable des
revenus du travail
. Cette évolution a été permise
par une croissance économique solide ainsi que la mise en place
de politiques sociales : augmentation du salaire minimum,
lancement de programmes sociaux tels que « Bolsa
Família 
» et « Beneficio de
Prestacão Continuada
 » et de programmes d’aide à
l’éducation et au logement tels que « Minha Casa Minha
Vida
 »
.

Au total, comme le rappelle Bruno Meyerfeld8(*),
« grâce à ses programmes sociaux,
40 millions de Brésiliens sortent de la pauvreté, la faim
est éradiquée
[…] et toute une
génération accède enfin à
l’universit
é
 ».

Pour Frédéric Louault9(*), ces années ont
constitué pour le Brésil « une
“ 
décennie dorée ” (2003-2011)
marquée par la croissance, les créations d’emplois et la hausse
des salaires, la confiance des consommateurs et des investisseurs et une belle
attractivité internationale
. Ce modèle s’est
appuyé sur une insertion renforcée dans le capitalisme global,
à travers notamment un boom des exportations de matières
premières, dont les cours étaient
élevés
 ».

2. Si l’année 2022 a pu surprendre par son dynamisme,
la dernière décennie s’est globalement caractérisée
par une croissance atone et une dégradation des comptes publics
brésiliens

Selon les chiffres de la Banque mondiale, au
cours de la dernière décennie, la croissance du PIB
brésilien s’est élevée à 0,6 % en moyenne
annuelle
.

Cette faiblesse de la croissance de l’économie
s’est accompagnée d’une diminution du PIB par habitant : alors
qu’il avait enregistré une croissance soutenue lors de la
décennie précédente, le pays a vu son PIB par
habitant diminuer de 8,15 % entre 2011 et 2020, passant de
15 394 dollars (en parité de pouvoir d’achat constant)
à 14 140 dollars
.

Évolution du PIB brésilien par
habitant entre 2011 et 2021

(en dollars, parité de pouvoir d’achat
constant)

Source : Banque mondiale

Dans une note d’avril 2021, le service économique
régional de Brasilia estime que les années 2010-2020 ont
constitué une « décennie perdue »
pour le Brésil
.

Plusieurs facteurs ont contribué à cette
détérioration des performances économiques du pays :

– le Brésil a souffert de la fin de
l’augmentation du prix des matières premières et des taux
d’intérêt bas aux États-Unis, ce qui a eu un impact
négatif sur sa croissance. Sa dépendance vis-à-vis des
exportations de matières premières a de surcroît rendu son
économie vulnérable aux fluctuations des prix sur les
marchés mondiaux ;

– si la crise financière mondiale de 2008 a
eu peu d’effets directs et immédiats sur le Brésil, la
détérioration des conditions économiques mondiales s’est
traduite par un ralentissement de sa croissance économique au cours de
la décennie suivante ;

– la gouvernance du pays a été remise
en cause par des scandales de corruption, ce qui a nui à la confiance
des investisseurs ;

– la pandémie de Covid-19, qui a causé
près de 700 000 décès dans le pays et a
été à l’origine d’une grave récession.

Au regard de la relative atonie de
l’économie brésilienne au cours des dix dernières
années, 2022 a pu surprendre par son dynamisme (+ 2,9 %)
,
après une année 2021 elle-même marquée par un rebond
du PIB post-Covid 19 (+ 5 %).

Corollaire de cette dynamique, le marché du
travail a également affiché de bons résultats. Le
taux de chômage a poursuivi sa baisse tout au long de l’année pour
atteindre 7,9 % au quatrième semestre 2022, après un pic
à 14,9 % atteint en début d’année 2021
.

Cette amélioration devrait cependant
être temporaire avec un ralentissement attendu de la croissance

dès 2023.

En effet, selon le FMI, le PIB brésilien
ne devrait croître que de 1,2 % en 2023
. Ce ralentissement
résulte de plusieurs facteurs : i) une politique monétaire
restrictive de la Banque centrale du Brésil (BCB), avec des taux
d’intérêt réels parmi les plus élevés au
monde (autour de 8 %) ; ii) la fin de l’effet rebond dans les
secteurs des services à la suite de la réouverture progressive de
l’économie brésilienne après les restrictions
sanitaires ; et iii) un contexte international incertain et morose.

Cette « décennie
perdue
 » s’est également caractérisée par
une dégradation des finances publiques
brésiliennes
.

Le déficit primaire (hors charge de la
dette) pour 2023 devrait ainsi s’élever à – 0,5 % du
PIB
. Des mesures ont été mises en place en janvier et
avril 2023 pour accroître les recettes et diminuer le déficit,
prévu initialement à – 2,3 % du PIB. La hausse
du déficit résulte principalement d’un amendement constitutionnel
(appelé PEC10(*) de la transition), négocié par
l’équipe de transition du Président Lula avec l’ancien
Congrès, autorisant une augmentation réelle des dépenses
fédérales de 8 %, destinée à financer les
engagements pris durant la campagne
.

Le déficit nominal, incluant la charge de
la dette, devrait également augmenter en 2023, atteignant
– 8,8 % du PIB
selon les prévisions du FMI,
principalement en raison de l’augmentation des charges de la dette en raison de
la hausse des taux liée à la politique monétaire de la
Banque centrale du Brésil.

Selon le FMI, la dette publique devrait ainsi
croître en 2023, atteignant 88 % du PIB
.

Évolution de la dette publique
brésilienne

(en % du PIB)

Source : FMI

L’inflation devrait en outre atteindre 6 %
en 2023, soit un taux légèrement supérieur à celui
de 2022 (5,8 %), mais en deçà du pic de 12,1 % atteint
en avril 2022
.

3. Une économie
pénalisée par un ensemble de facteurs qualifiés de
« coût Brésil » 

L’économie
brésilienne est pénalisée par un ensemble
de » handicaps » socio-économiques,
communément appelés « coût
Brésil » estimé par le Boston
Consulting Group à plus de 1 500 milliards de réaux (cf.
infra).

Comme le rappelle la direction générale du
Trésor dans ses réponses au questionnaire de vos rapporteurs, ce
concept, apparu au milieu des années 1990, recouvre notamment :

– une fiscalité qui se
caractérise par un niveau d’impôts et de taxes
élevé
, tant sur le marché domestique qu’à
l’importation, ainsi que par une complexité du système
fiscal
. Selon le classement Doing Business de la Banque
mondiale, les entreprises brésiliennes consacrent en moyenne 1 501
heures par an au paiement de leurs impôts, contre 159 heures en
moyenne dans les pays de l’OCDE ;

– un droit du travail marqué par une
certaine rigidité
et un niveau élevé de
charges salariales
 ;

– une bureaucratie jugée
excessive
par de nombreux acteurs ;

– un environnement juridique et
réglementaire brésilien qui expose les entreprises aux
décisions rétroactives du pouvoir judiciaire
. Par
exemple, la Cour suprême fédérale a pris plusieurs
décisions remettant en cause rétroactivement l’assiette fiscale
d’un impôt, ce qui crée une incertitude pour les
entreprises ;

– une main-d’oeuvre insuffisamment
qualifiée
. Selon la Banque mondiale, l’indice du capital humain
au Brésil était inférieur à la moyenne de l’OCDE en
2021 ;

une qualité des infrastructures
insuffisante
, avec des disparités importantes entre les
États fédérés. L’absence de réseaux
ferroviaires et la mauvaise qualité du réseau routier
pénalisent ainsi particulièrement les chaînes de
production ;

– un accès au crédit bancaire
difficile
pour les petites et moyennes entreprises. Les banques
brésiliennes limitent généralement l’octroi de
crédits aux opérations à court terme et sans risque. De
plus, le coût du capital est élevé en raison d’une faible
concurrence entre les banques, ce qui entrave l’investissement.

Estimation du « coût
Brésil » en 2018 par le Boston Consulting Group et le MBC
(Movimento Brasil Competitivo)

Source : direction générale du
Trésor, réponse aux questionnaires des rapporteurs

Conscientes de la nécessité de
réduire le poids de ces handicaps structurels, les
autorités brésiliennes ont lancé le programme
« Redução do custo Brasil »
(réduction du coût Brésil). Plus de
1 000 projets ont ainsi été répertoriés,
lesquels pourraient avoir un impact estimé à 827 milliards
de réaux sur une période de 10 ans
.

Le précédent Gouvernement a
engagé un ensemble de mesures destinées pour partie à
améliorer la compétitivité du pays : réforme
des retraites, réforme du travail, nouveaux cadres réglementaires
dans le secteur de l’assainissement et du gaz, digitalisation des services
publics,
etc.

Plusieurs réformes annoncées par le
Président Lula, et plus particulièrement celle de la
fiscalité
, devraient en outre contribuer à la
réduction du « coût Brésil » (cf.
infra).

C. UNE
SOCIÉTÉ CARACTÉRISÉE PAR UNE FORTE POLARISATION

1. Le
Brésil demeure l’un des pays les plus inégalitaires au monde

Depuis la récession de 2015-2016, les
inégalités et la pauvreté sont reparties à la
hausse
, après une période d’amélioration globale
des conditions de vie (cf. supra).

Entre 2014 et 2021, le revenu moyen des 40 % les
plus pauvres a diminué de 8 %, tandis que celui des 10 % les
plus riches a augmenté de 7,2 %.

Par ailleurs, le Brésil compterait
à l’heure actuelle plus de 30 millions de personnes souffrant de la
faim
.

Cette évolution est principalement due
à la forte hausse du taux de chômage, qui est passé de
6,5 % fin 2014 à 11,1 % début 2022
, ainsi
qu’à la montée du travail informel, qui concerne près de
40 % de la population active occupée.

La pandémie de Covid-19 a accentué cette
tendance, malgré la mise en place de mesures de soutien importantes qui
ont permis de contenir l’augmentation de la pauvreté et des
inégalités. Le programme « auxílio
emergencial
 », approuvé en avril 2021, a ainsi
assuré un revenu à près de 67 millions de
Brésiliens parmi les plus modestes. Ce programme a été
transformé en fin d’année 2021 en une allocation permanente
appelée « auxílio Brasil », en
remplacement du programme « Bolsa Familia ».

En 2020, le Brésil se classait ainsi au
15e rang des pays les plus inégalitaires du monde
.
Les 50 % les plus pauvres ne recevaient que 10 % du revenu brut,
tandis que les 10 % les plus riches en percevaient 60 % (contre une
moyenne mondiale de 52 %).

Dans une note de mars 2023, le service économique
régional de Brasilia relève en outre que
« les disparités géographiques des revenus
au Brésil sont croissantes
. C’est en effet la
principale conclusion de l’étude d’après la “ Carte des
Richesses ” dressée en mars 2023 par la Fondation Getulio Vargas
(FGV), qui cartographie les flux de revenus et de patrimoine des grandes
fortunes brésiliennes à partir de la déclaration
d’impôt sur le revenu (IRPF). Les résultats sont sensiblement
différents de ceux “ traditionnels ”, issus de
l’enquête nationale continue par sondage sur les ménages (Pnad
Continua) : l’indice de Gini, qui calcule le niveau
d’inégalité dans une économie, atteint 0,7068 avec le
chiffrage de la FGV contre 0,6013 calculés par la Pnad
Continua
. La richesse au Brésil se concentre
particulièrement dans le sud-est et le sud du pays
. Parmi les
27 États brésiliens, ceux où le revenu mensuel total par
habitant est le plus important sont le District Fédéral qui
abrite la capitale Brasilia (3 113 BRL, ou 558 EUR), Sao Paulo (2 230 BRL, ou
400 EUR) et Rio de Janeiro (1 762 BRL, ou 316 EUR), suivi par les trois
États de la région Sud : le Rio Grande du Sud
(1 646 BRL ou 300 EUR), Santa Catarina (1 580 BRL, ou 284
EUR) et le Parana (1 488 BRL, ou 267 EUR). À
l’inverse, les États du nord et du nord-est sont les plus
pauvres
. Le Para (504 BRL, ou 91 EUR) et le Maranhão (367 BRL,
ou 66 EUR) sont les deux États ayant le revenu moyen par habitant
le plus faible
 ».

Enfin, comme l’a indiqué la direction
générale du Trésor dans ses réponses au
questionnaire de vos rapporteurs, d’autres formes
d’inégalités
persistent telles que les
inégalités de genre, de même que des problèmes de
santé et médicaux résultant d’un important déficit
en infrastructures et services essentiels
(accès à l’eau
potable, gestion des déchets, accès aux hôpitaux et le
nombre de médecins par habitant), qui se superposent aux
disparités géographiques de revenus
.

2. Une
montée de la contestation depuis le début des années 2010
ayant abouti à l’élection de Jair Bolsonaro en 2018

Les grandes manifestations de juin 2013 ont
constitué un premier signal d’alerte sur l’émergence d’un
mouvement de contestation au sein de la population brésilienne
.
Comme le rappelle Laurent Delcourt11(*), celles-ci font descendre « des
centaines de milliers de jeunes Brésiliens dans la rue.
Pêle-mêle, les manifestants dénoncent la hausse des tarifs
de transport, la flambée du prix du logement, les dépenses
excessives consenties par le pays pour organiser la Coupe du monde (2014),
réclament de meilleurs services publics et dénoncent la
corruption »
.

Ces mouvements n’ont cependant pas empêché
la victoire du Parti des travailleurs (PT) lors des élections de 2014.
Or, jusque dans les années 2010, le système politique
brésilien reposait sur une alternance régulière entre
sociale démocratie et partis dominés par le PT. Cette
quatrième victoire consécutive du PT a ainsi été
perçue par une partie de l’électorat comme un blocage de ce
système
.

À ce sentiment, a pu s’ajouter une certaine
« usure du pouvoir » dans un contexte économique
dégradé, la crise économique de 2008 s’étant
traduite, bien qu’avec retardement, par des récessions en 2015 et
2016.

D’autre part, au moment même où le
Brésil faisait face à une grave crise économique,
l’opération Lava Jato (lavage express),
conduite à partir de 2013 par le juge Sergio Moro, devenu par la suite
ministre de la justice et de la sécurité publique sous la
présidence Bolsonaro et sénateur du Paranà, a
révélé un gigantesque système de corruption
impliquant notamment des cadres de l’entreprise publique Petrobras, ainsi que
la plupart des partis politiques
.

Cette affaire, qui a abouti à la condamnation de
Lula pour corruption et blanchiment d’argent – lequel verra ses condamnations
annulées par le Tribunal fédéral en avril 2021 – et
à l’arrestation de centaines d’hommes politiques et de chefs
d’entreprise, a durablement entamé la confiance des
Brésiliens dans leurs élites politiques et
économiques
.

Affaiblie par une coalition en délitement et
devant faire face à la montée des trois groupes conservateurs au
Parlement (« boeuf, Bible, balles », ou
« 3B »), la Présidente Dilma Rousseff, qui a
succédé à Lula en 2011, est finalement destituée
par le Congrès le 31 août 2016 pour « crime de
responsabilité
 »12(*). Cet évènement, qualifié par
l’ancienne Présidente et ses partisans de « coup
d’État », a constitué un véritable
« séisme » politique que la présidence de
Michel Temer n’a pas réparé.

Cette contestation montante au sein de la population
brésilienne, associée à une fragilisation de la droite
classique, elle-même en prise à des affaires de corruption, ainsi
qu’à l’inéligibilité de Lula prononcée le
31 août 2018 par le Tribunal supérieur électoral
brésilien ont abouti à l’élection de Jair Bolsonaro
lors des élections de 2018.

Pour Frédéric Louault13(*),
« l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro en 2019,
trente ans exactement après l’élection de Fernando Collor, marque
l’avènement d’un nouveau style populiste, jusqu’alors peu visible en
Amérique latine, porteur d’un projet politique d’extrême droite
à la verve débridée et violente. Économiquement
libéral et très conservateur sur les questions de
société, il s’oppose farouchement aux politiques qui ont
été mises en oeuvre par des prédécesseurs Lula et
Dilma Rousseff
 ».

3. Les
élections d’octobre 2022 et les évènements du
8 janvier 2023 ont confirmé les profondes divisions de la
société brésilienne

L’élection présidentielle des 2 et
30 octobre 2022, qui a vu le retour de Lula au pouvoir, a mis en lumière
une société brésilienne profondément divisée
entre les valeurs prônées par le camp bolsonariste
(travail, famille traditionnelle, religion, notamment
évangélique) et celles portées par Lula et ses
alliés
(lutte contre les inégalités et les
discriminations, dialogue, protection de l’environnement).

Cette élection, qui opposait une vaste coalition
menée par Lula au Président sortant, s’est ainsi
soldée par un score extrêmement serré en faveur du premier,
lequel a recueilli 50,9 % des voix (60,3 millions d’électeurs)
contre 49,1 % (58,2 millions d’électeurs) pour son
adversaire
. Cette fragmentation de l’électorat
apparaît notamment géographique, avec un Nord majoritairement
acquis à Lula et un Sud plus prospère ayant davantage
voté en faveur de Jair Bolsonaro
.

Malgré les accusations de fraude et de faiblesses
du système électoral avancées par Jair Bolsonaro et ses
partisans, la victoire de Lula a rapidement été reconnue
par les principaux soutiens de son adversaire
, au premier rang
desquels Arthur Lira, président de la Chambre des députés.

Pourtant, une semaine après l’investiture du
nouveau Président, le 8 janvier 2023, des milliers de
partisans de Jair Bolsonaro réclamant un coup d’État militaire se
sont introduits dans les bâtiments des trois pouvoirs
(Congrès fédéral, Présidence et Tribunal
suprême fédéral), se livrant à des actes de
vandalisme
.

Ces événements, qui font écho
à ceux survenus deux ans plus tôt à Washington, ont
cependant été condamnés par les 27 gouverneurs des
États fédérés
, lesquels ont unanimement
soutenu Lula, en dépit des clivages politiques. Ces actes ont,
au moins à court terme, contribué à renforcer la
légitimité du nouveau pouvoir
. En
dépit du discrédit dont souffre Jair Bolsonaro auprès
des élites du pays depuis les évènements du 8 janvier
2023, comme l’a rappelé Gaspard Estrada, la cote de
popularité du « Cavalão » demeure
élevée au sein de la population et, pour une partie importante
celle-ci, il continue d’incarner l’opposition au nouveau
Gouvernement
.

Les élections d’octobre, qui voyaient le
renouvellement d’un tiers des 81 sénateurs et de l’ensemble des 513
députés, ont également renforcé le front
bolsonariste au sein des deux chambres
, le parti libéral ayant
obtenu 99 sièges à la Chambre des députés – dont il
est devenu le premier parti – et 14 sièges au Sénat
fédéral.

Le nouveau Président doit donc composer
avec un Congrès qui lui est majoritairement défavorable et, en
particulier, avec la multitude de partis du Centrão (centre)
dont le soutien sera indispensable pour mener à bien sa
politique
. La composition du Gouvernement Lula III, qui ne compte pas
moins de 37 ministères, témoigne de cette volonté
présidentielle de rassembler le plus largement possible. Si le
régime brésilien est traditionnellement qualifié de
« présidentialisme de coalition », selon les
termes du politologue Sérgio Abranches, la coalition
gouvernementale actuelle, « de circonstance »,
pourrait cependant rendre plus difficile la mise en oeuvre des réformes
promises par le nouveau Président
(cf. infra).

D. EN MATIÈRE DE POLITIQUE INTÉRIEURE, DES
PRIORITÉS DU PRÉSIDENT LULA CONSISTANT À TOURNER LA PAGE
DE L’ÈRE BOLSONARO TOUT EN S’INSCRIVANT DANS LA CONTINUITÉ DE SES
DEUX PREMIERS MANDATS

1. « Remettre sur pied l’appareil
d’État »

Lors de son discours d’investiture prononcé le
1er janvier 2023, le Président Lula a réaffirmé
sa volonté de consacrer ses efforts « à la
restauration de cet édifice de droits et de valeurs
nationales »
14(*), précisant avoir signé des mesures
visant à « réorganiser les structures du pouvoir
exécutif afin qu’elles permettent à nouveau au gouvernement de
fonctionner de manière rationnelle, républicaine et
démocratique
 » et annonçant,
« après le terrible défi » qui
venait d’être relevé, le retour de la
« démocratie pour toujours ».

Pour Gaspard Estrada, la « remise sur pied
de l’appareil d’État
 », qui constitue un chantier
prioritaire du Gouvernement Lula III, passera par plusieurs mesures
telles que les renforcements de certaines agences gouvernementales et services
publics dont les moyens avaient été réduits sous la
précédente présidence, l’accroissement de leurs
prérogatives, la réduction du poids de l’armée dans les
ministères (de l’ordre de 6 000 militaires auraient ainsi
été nommés dans des fonctions civiles) afin de revenir
progressivement à un fonctionnement
« traditionnel » des institutions.

Par ailleurs, le nouveau Gouvernement a pris
différentes mesures visant à consolider la
démocratie brésilienne et à encourager le dialogue avec la
société civile
telles que la création
d’un site visant à lutter contre les fausses informations
ou
encore la mise en place d’un Conseil de participation sociale,
destiné à maintenir un dialogue permanent avec les organisations
de la société civile dans le processus d’élaboration et
d’évaluation des politiques publiques.

2. Une politique économique et budgétaire
axée sur le social et le renforcement du rôle de l’État

La politique économique du
Président Bolsonaro s’est concentrée autour de plusieurs
réformes structurelles dans les domaines social (notamment la
réforme des retraites), du marché du travail (en en
renforçant la flexibilité) et fiscal (avec la refonte du
système fiscal), ainsi que sur un projet majeur de réforme de
l’administration publique. Si plusieurs de ces mesures ont été
menées à bien, notamment dans le domaine de la
sécurité sociale, les réformes concernant le
système fiscal et l’organisation administrative de l’État n’ont
pas pu être engagées.

Elle se caractérisait en outre par une
désétatisation de l’économie, qui s’est traduite par la
mise en oeuvre d’un vaste programme de privatisations et le
développement de concessions et de partenariats public-privé
(PPP).

En rupture avec la politique menée par son
prédécesseur, le Président Lula a fait de la lutte contre
la pauvreté et de la réduction des inégalités ses
priorités
.

Ce volontarisme dans le domaine social s’est traduit par
le retour, dès les premiers jours du mandat, de plusieurs mesures
emblématiques telles que les programmes « Bolsa
Família
 », qui instaure une allocation minimum de 600
reaux par mois et le versement de 150 reaux par enfant de moins de 6 ans (ce
programme doit bénéficier à plus de 21 millions de
familles), et « Minha Casa Minha Vida », qui
fixe comme objectif la construction de 2 millions de logements d’ici 2026, la
hausse du salaire minimum à compter du 1er mai 2023, ou
encore l’augmentation du salaire des fonctionnaires.

Le nouveau Président s’est d’autre part
prononcé en faveur d’une réindustrialisation du
pays
, indiquant lors de son discours d’investiture :
« il est insensé d’importer des carburants, des engrais,
des plateformes pétrolières, des microprocesseurs, des avions et
des satellites. Nous disposons de capacités techniques, de capitaux et
de parts de marché suffisants pour reprendre l’industrialisation et la
prestation de services à un niveau
compétitif »
. Un « Plan
d’exécution de la stratégie industrielle, verte et
technologique », présentant la stratégie
gouvernementale en la matière sur les 10 prochaines années,
devrait ainsi être présenté prochainement
.

Conformément aux engagements présidentiels,
le Gouvernement Lula III a par ailleurs mis fin au processus de
privatisation
engagé sous la précédente
présidence, retirant une dizaine d’entreprises (dont Petrobras, Telebras
et Correios) du programme national de désétatisation et du
programme de partenariats d’investissements. Le nouvel exécutif s’est en
outre engagé à accroître les dépenses
consacrées aux infrastructures
, en particulier dans les
domaines de l’eau et de l’assainissement et des mobilités urbaines.

Afin de financer une partie de ces mesures et avant
même l’investiture du nouveau Président, l’équipe
de transition a fait adopter un amendement à la Constitution, visant
notamment à retirer certaines dépenses sociales du
« plafond des dépenses » (« teto de
gastos
 »), permettant une augmentation du budget 2023 de
8 %
.

Les mesures annoncées par le nouveau
Président, dont le financement a été permis par un
« contournement » du plafond des dépenses, ont
été à l’origine d’importantes tensions entre
l’exécutif et la Banque centrale du Brésil
, laquelle,
considérant que la politique gouvernementale se traduirait par une
augmentation des prix, a décidé de maintenir une
politique monétaire fortement restrictive en laissant inchangé
son taux directeur à 13,75 %, malgré une baisse
significative de l’inflation
.

Pour rassurer les marchés et la BCB, le
Gouvernement a proposé un nouveau mécanisme de contrôle
budgétaire
reposant sur la définition de plafonds pour
l’accroissement annuel des dépenses et l’établissement d’un seuil
minimal pour les investissements publics, tout en tenant compte de divers
critères pour déterminer l’évolution des recettes
publiques. Un paquet de mesures destinées à permettre une
limitation du déficit primaire à 1 % du PIB en 2023 a par
ailleurs été présenté.

Surtout, le nouvel exécutif a annoncé
la mise en oeuvre d’une importante réforme fiscale qui
devra notamment permettre une réduction du « coût
Brésil ». Dans une note de juin 2023, le service
économique de Brasilia détaille les mesures contenues dans le
projet de réforme présenté par le groupe de travail de la
Chambre des députés parmi lesquelles : une simplification
des taxes indirectes sur la production et la consommation
remplacées par une taxe sur la valeur ajoutée (TVA)
duale
(le taux ayant vocation à être fixé par
l’État fédéré, les États et les
municipalités), l’instauration de régimes spéciaux en
faveur de certains secteurs (services financiers, immobilier, carburants et
lubrifiants, etc.), des taux supérieurs pour décourager la
consommation de produits considérés comme nocifs pour la
santé et l’environnement, ou encore la mise en place de crédits
d’impôt pour les ménages les plus modestes.

3. Un
volontarisme affiché en matière environnementale et de protection
des peuples autochtones

À partir du milieu des années 1950,
l’Amazonie a acquis une dimension stratégique pour le Brésil, qui
l’a placée au coeur de ses enjeux de souveraineté
.

Plusieurs instruments ont ainsi été mis en
place au fil des années pour assurer la protection de cet immense
territoire.

La mission s’est par exemple rendue dans les locaux du
Centro gestor e operacional do sistema de proteção da
Amazônia
(centre de gestion et d’exploitation du système de
protection de l’Amazonie – CENSIPAM) à Brasilia. Ce centre, dont les
prémices remontent à la fin des années 1980, vise à
fournir des renseignements aux forces de sécurité
intérieure et à l’armée permettant de lutter contre la
déforestation, les activités illégales telles que
l’orpaillage, ou encore de faire face à certaines catastrophes
naturelles
(inondations, incendies).

L’Amazonie constitue également une
priorité stratégique pour l’armée
brésilienne
. Signe de cet intérêt pour cette zone,
comme l’a rappelé le commissaire en chef François Escarras,
attaché militaire de l’ambassade de France, les élèves les
mieux classés des écoles militaires choisissent désormais
de servir en Amazonie à l’issue de leur formation. Les forces
brésiliennes ont de surcroît considérablement
renforcé leur présence en Amazonie, leurs effectifs étant
passés de 1 000 hommes en 1950 à 30 000 hommes en
2023.

L’importance accordée par le Brésil
à ce territoire, n’a cependant pas empêché une
accélération de la déforestation sous la présidence
Bolsonaro, laquelle a résulté d’un certain laisser-faire et d’une
diminution des moyens accordés aux organismes de surveillance, comme le
rappelle Frédéric Louault15(*) :
« sous Bolsonaro, les organisations chargées de
la politique environnementale sont littéralement
démantelées, financièrement et administrativement, au nom
de la débureaucratisation. Plusieurs parcs nationaux ont même
été privatisés
 »
.

Au total, selon Ombelyne Dagicour, la forêt
amazonienne a « perdu 20 % de sa superficie en l’espace de
cinquante ans
. La déforestation en Amazonie a
désormais presque doublé au Brésil par rapport à
2018
, poussant les monocultures commerciales et les activités
d’extraction toujours plus loin dans les confins
tropicaux »
16(*).

Conformément
aux promesses faites durant la campagne, le nouvel exécutif, qui s’est
engagé à atteindre une déforestation
illégale nulle d’ici 2030,
a pris différentes mesures
pour combattre la déforestation, notamment la création d’un
ministère de l’environnement ou encore la mobilisation de l’armée
pour lutter contre l’orpaillage illégal.

Dans une étude du 10 avril 2023, le service
économique régional de Brasilia note que
« l’investiture de Lula aura symboliquement été
marquée par la révocation de textes promulgués par
Bolsonaro et plusieurs décisions en faveur de la protection de
l’environnement
, engageant sans ambiguïté un
détricotage législatif. Les premiers arbitrages
budgétaires témoignent également d’un net
changement de cap en termes de politique environnementale
. Marina
Silva fait de la lutte contre la déforestation l’une de ses
priorités, visant le “ zéro déforestation
(légale et illégale) pour 2030 ”. Par ailleurs,
12 ministères fédéraux intègrent un ou
plusieurs secrétariats (22 au total) dédiés au
développement durable, à l’environnement, au climat, à la
bioéconomie
. S’en est suivi le dégel du Fonds Amazonie
avec une capacité d’engagements annuels d’1 Md BRL »
.

Ces mesures ont eu des conséquences
immédiates sur la déforestation, comme le rappelle Bruno
Meyerfeld dans un article du Monde du 22 juin 2023 :
« en Amazonie, la déforestation a chuté de
31 % lors des cinq premiers mois de l’année, comparé
à 2022
 ».

Le Président Lula a également fait
de la protection des peuples autochtones l’une des priorités de son
Gouvernement, appelant dans son discours d’investiture à révoquer
« toutes les injustices commises à l’encontre des peuples
autochtones
 »
. Prenant le contrepied de la
présidence précédente, au cours de laquelle aucune
homologation ou déclaration de terre autochtone, permettant une
protection de ces espaces, n’avait été signée, comme le
rappelle Bruno Meyerfeld dans l’article du Monde précité,
« six nouvelles terres indigènes ont
été homologuées, et une grande opération
coordonnée par l’armée est en cours sur le territoire Yanomami,
afin d’en expulser les milliers d’orpailleurs
 ».

4. Une politique dont la mise en oeuvre pourrait être
entravée par la fragmentation du Congrès

Ainsi qu’il a été rappelé
supra, le nouveau Gouvernement doit composer avec un Congrès
qui lui est majoritairement défavorable, le parti conservateur de Jair
Bolsonaro et ses alliés y détenant la majorité.

L’unité nationale manifestée au lendemain
du 8 janvier 2023 associée à un certain pragmatisme et une
souplesse des partis brésiliens, habitués aux gouvernements de
coalition, devraient faciliter l’adoption de certaines réformes.

En matière environnementale, cependant, le
secteur de l’agro-négoce, bien représenté au sein du
Congrès, pourrait constituer un frein au volontarisme du nouvel
exécutif
.

Ainsi, si le Parlement a approuvé l’organisation
et la répartition des compétences des ministères, celui de
l’environnement a vu son périmètre profondément
modifié avec le retrait de la gestion de l’eau, de l’assainissement, du
cadastre rural et environnemental. De même, le ministère des
Peuples autochtones, a perdu la compétence de finalisation de
reconnaissance des terres autochtones, laquelle a été
attribuée au ministère de la justice.

En mai 2023, la Chambre des députés a par
ailleurs adopté une loi dite du « marco
temporal
 » (« repère temporel »),
qui dispose que les terres des Peuples autochtones doivent correspondre
à celles qu’ils occupaient lors de la promulgation de la Constitution en
1988. Si elle était approuvée par le Sénat, cette loi
restreindrait significativement la capacité d’homologation de nouvelles
terres par l’exécutif.

II. APRÈS UNE PÉRIODE D’ISOLEMENT SOUS LA
PRÉSIDENCE BOLSONARO, UN LEADERSHIP RÉGIONAL
RETROUVÉ ?

A.
À PARTIR DES ANNÉES 2000, LE BRÉSIL S’EST IMPOSÉ
COMME LE FER DE LANCE DE L’INTÉGRATION RÉGIONALE

Au niveau régional, les premiers mandats du
Président Lula ont été marqués par l’affirmation
progressive d’une « hégémonie
consensuelle
 » brésilienne17(*) sur le sous-continent, selon
les termes de Bruno Muxagato18(*).

Dès son discours d’investiture en janvier 2003,
Lula fixe comme priorité en matière de politique
étrangère un approfondissement de l’intégration
régionale, privilégiant cependant une approche restreinte
à l’Amérique du Sud plutôt qu’élargie à
l’ensemble de l’Amérique latine.

Cette recherche d’un leadership brésilien
en Amérique du Sud poursuivait un double objectif : d’une
part, renforcer les relations économiques entre États de la zone
pour accroître la prospérité du pays et de son
environnement régional et, d’autre part, assurer au Brésil une
assise continentale appuyant ses ambitions sur la scène internationale,
l’Amérique du Sud étant « dès lors
considérée comme une “ vitrine
diplomatique 
” pour les aspirations mondiales
brésiliennes
 »19(*).

Cette stratégie régionale du Brésil
s’est déclinée en deux volets : un
volet économique, via un appui à l’élargissement
et à l’approfondissement du Mercosur
(marché commun du
Sud), et un volet politique avec la création et le renforcement
de l’Unasur
(Union des nations sud-américaines).

1. Le
Brésil a joué un rôle actif dans l’élargissement et
l’approfondissement du Mercosur

Le Marché commun du Sud
(Mercosur)

Le 26 mars 1991, le traité d’Asunción
crée l’accord du Mercosur (Marché commun du Sud).

L’alliance Mercosur est constituée de membres
permanents : l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay (le
Venezuela a été suspendu en 2017). D’autres États sont
membres associés : Chili, Bolivie, Colombie, Équateur, Guyana,
Pérou et Suriname.

Le Mercosur est une alliance économique qui repose
sur :

– la libre circulation des biens et des services
;

– l’établissement d’un tarif extérieur
commun et l’adoption d’une politique commerciale commune vis-à-vis des
États tiers ou de groupe d’États tiers ;

– la coordination des politiques
macroéconomiques et sectorielles entre les États parties dans les
domaines du commerce extérieur, commerce agricole, industriel.

Source :
https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/289981-laccord-commercial-ue-mercosur-en-cinq-questions

Selon Bruno Muxagato, « la période
2003-2010 correspond à une évolution du Marché commun du
Sud vers une plus grande maturité
intégrationniste »
20(*). Pour le chercheur, « la question qui
se posait était celle de savoir si la consolidation de cette
organisation était utile ou non à l’insertion internationale du
pays. Brasilia a répondu par l’affirmative et a fait le choix
d’assumer en partie les coûts de l’intégration en accentuant son
rôle de
paymaster, tout en se fiant aux
principes intégrationnistes à travers le développement
(même minimaliste) du bloc
 ».

Comme le relève Olivier Dabène, la mise en
oeuvre de l’agenda régional brésilien a par ailleurs
été favorisée par une vague d’alternances en
Amérique latine : « l’arrivée au pouvoir de
Lula en 2002, suivie de celle de Nestor Kirchner en Argentine puis de
Tabaré Vázquez en Uruguay facilite le sauvetage du MERCOSUR.
Le virage à gauche de la région se traduit par le
lancement d’une réforme institutionnelle volontariste et l’adoption d’un
nouvel agenda d’intégration
 »21(*).

Au cours de cette période, plusieurs
institutions et instruments, à l’instar du Parlement et du fonds de
convergence structurelle (Focem)
, en grande partie
financé par le Brésil, sont ainsi créés au
sein du Mercosur
, le premier visant à renforcer la dimension
politique de l’organisation et le second à doter la région d’un
instrument financier permettant de réduire les asymétries
régionales, sur le modèle des fonds structurels
européens.

2. Le leadership du
Brésil au sein de l’Unasur

Pour Bruno Muxagato, « il
était essentiel pour Brasilia de redynamiser le processus de
régionalisation en regardant au-delà du système
mercosulien. C’est précisément ce que les autorités
brésiliennes ont cherché à faire avec l’initiative
ambitieuse de l’Union des nations
sud-américaines
 ».

L’Union des nations sud-américaines
(Unasur)

L’Union des nations sud-américaines (Unasur) a
été créée le 23 mai 2008 lors du sommet de
Brasilia et est entrée en vigueur le 11 mars 2012. Elle rassemblait
à l’origine 12 États membres : l’Argentine, la Bolivie, le
Chili, l’Équateur, le Guyana, le Pérou, le Suriname, le
Venezuela, l’Uruguay, le Brésil, la Colombie et le Paraguay.

L’Unasur est dotée de plusieurs institutions,
dont le Conseil des chefs d’État et de Gouvernement, le Conseil des
ministres des relations extérieures, le Conseil des
délégués et le Secrétariat général.
Elle compte également des conseils ministériels sectoriels dans
des domaines tels que l’énergie, la santé, la défense, le
développement social, la lutte contre les drogues, l’infrastructure,
l’éducation, la culture, la science, la technologie et l’innovation.

L’organisation a connu plusieurs succès notables,
notamment la Déclaration de la Moneda en septembre 2008, qui a permis
d’éviter un coup d’État en Bolivie en condamnant les actes de
violence et en exprimant son soutien au Président Evo Morales. La
Déclaration de la Bariloche en août 2009 a également
joué un rôle crucial dans la résolution de la crise
liée à l’installation de bases militaires américaines en
Colombie. D’autres déclarations, telles que celle de Buenos Aires en
octobre 2010, ont également condamné les tentatives de coup
d’État et soutenu les gouvernements en place.

En dépit de ces succès, l’Unasur a
été confrontée à des défis internes. En
avril 2018, l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Paraguay
et le Pérou ont ainsi suspendu leur participation à
l’organisation en raison du manque de résultats concrets garantissant le
bon fonctionnement de l’organisation. Trois pays, la Colombie,
l’Équateur et l’Argentine ont en outre annoncé leur retrait
définitif de l’organisation.

Le Brésil, à l’initiative de la
création de l’Unasur, y a exercé un rôle de
leadership jusqu’au milieu des années 2010. Brasilia a
notamment « cherché, avec l’aide de la BNDES [Banque
brésilienne de développement – Banco Nacional de Desenvolvimento
Economico e Social], à définir les priorités et
à dégager les ressources financières permettant d’entamer
les grands travaux nécessaires à la concrétisation d’un
système d’intégration physique du sous-continent
. Ne
serait-ce qu’en 2014, l’Initiative pour l’intégration de
l’infrastructure régionale sud-américaine (IIRSA) a
géré 579 projets pour un investissement total
estimé à 163 milliards de
dollars »
22(*).

Par ailleurs, à l’initiative du Brésil, un
Conseil de défense sud-américain de l’Unasur a été
créé, lequel « obéissait à
l’objectif stratégique du Brésil de Lula de créer une
structure de dialogue dans ces domaines sensibles, afin de consolider
l’intégration régionale et le
leadership
brésilien tout en écartant l’Amérique du Sud de
l’influence nord-américaine
 »23(*).

B. LA
PRÉSIDENCE BOLSONARO A CEPENDANT MARQUÉ UN COUP D’ARRÊT
À CE PROCESSUS

Le Président Bolsonaro a, dès son discours
d’investiture, promis de « sortir les relations internationales
du Brésil du biais idéologique
 ». L’ancien
Président s’est ainsi employé à retirer son pays des
instances associant des gouvernements situés à gauche de
l’échiquier politique tels que la CELAC et l’Unasur.

La priorité accordée par Brasilia au
renforcement de sa relation avec Washington a en outre contribué
à détourner le Brésil de l’Amérique latine.

Comme le relève Alejandro Frenkel24(*), « le retrait
de l’Unasur et de la CELAC confirme l’aversion à toute structure
régionale associant des gouvernements de gauche ou de centre gauche et
surtout la priorité donnée aux liens avec les États-Unis.
À cet égard, il convient de souligner que la CELAC a agi,
à plusieurs reprises, comme un contrepoids à l’Organisation des
États américains (OEA), une instance où Washington exerce
le leadership […] L’absence d’influence du Brésil dans la
création du Prosur constitue un aspect inédit dans la tradition
diplomatique brésilienne. Historiquement, toutes les initiatives visant
à consolider l’Amérique latine, comme un espace politique et
économique propre, étaient pilotées par le
Brésil
 »
.

C. LES ALTERNANCES POLITIQUES SUR LE CONTINENT ET LE
VOLONTARISME AFFICHÉ DU PRÉSIDENT LULA CONSTITUENT UNE
FENÊTRE D’OPPORTUNITÉ POUR UNE RELANCE DE L’INTÉGRATION
RÉGIONALE

Au moins deux facteurs pourraient contribuer à une
relance de l’intégration régionale sud-américaine dans les
années à venir.

En premier lieu, l’existence d’un
« axe progressiste » constitué de l’Argentine, du
Chili25(*), de la
Colombie26(*), de la
Bolivie27(*) et,
depuis la réélection de Lula, du Brésil
.

En second lieu, s’inscrivant dans la continuité de
ses deux premiers mandats, le Président Lula a clairement
affirmé son souhait de relancer le processus d’intégration
régionale
. Son discours d’investiture est ainsi
éclairant tant sur la volonté du Brésil de donner un
nouvel élan aux organisations sud-américaines
que sur le
vecteur de puissance que celles-ci peuvent constituer pour le
pays : « notre rôle se concrétisera par
la reprise de l’intégration sud-américaine,
à commencer par le Mercosur, la revitalisation de l’Unasur et d’autres
instances de concertation souveraine dans la région. C’est sur
cette base que nous pourrons reconstruire un dialogue fier et actif avec les
États-Unis, l’Union européenne, la Chine, les pays de l’Est et
les autres acteurs mondiaux ; renforcer les BRICS, la coopération
avec les pays d’Afrique et rompre l’isolement dans lequel le pays a
été relégué
 ».

L’une des premières décisions
prises par le Président Lula a ainsi consisté à
réintégrer la CELAC
(Communauté d’États
Latino-Américains et Caraïbes) le 5 janvier 2023. Dès le
23 janvier 2023, il se rend en outre en Argentine pour assister au
VIIe sommet de la CELAC.

Enfin, le 30 mai 2023, un sommet des chefs d’État
du continent sud-américain s’est réuni à Brasilia. Pour
Christophe Ventura28(*), « son objectif fondamental
était d’afficher le
leadership consensuel régional du
Brésil. Il s’agissait de montrer qu’il était le seul pays
sud-américain capable de réunir tous les autres après neuf
ans d’absence
d’un tel moment commun du fait
des crises et divisions politiques régionales, qu’il
était le pays qui pouvait relancer le sujet de l’unité
sud-américaine dans la période
 »
.

III. UNE AMBITION INTERNATIONALE
RÉAFFIRMÉE

Les premiers mandats du Président Lula ont
été marqués par une volonté d’affirmation du pays
sur la scène internationale.

Comme le souligne Bruno Meyerfeld29(*), » doté d’un charisme
sans égal, le métallo fait du Brésil le leader des
“ 
pays du Sud ”, inaugure des
dizaines d’ambassades en Afrique ou en Amérique latine et obtient
l’organisation des Jeux olympiques de 2016
 »
.

Néanmoins, à l’instar de ce qui
s’est produit au niveau régional, à l’activisme des années
Lula a succédé un certain isolement sous la présidence
Bolsonaro
, lequel s’est rapproché des
États-Unis et des pays dont les dirigeants étaient
idéologiquement proches du pouvoir brésilien.

Mathilde Chatin30(*) relève ainsi :
« après l’annonce de sa victoire, Bolsonaro a
proclamé qu’il allait libérer le ministère des Relations
extérieures (MRE) du biais idéologique auquel il avait
été assujetti sous les gouvernements de la gauche
“ pétéist ”, et renforcer les relations du
Brésil avec les pays développés. La politique
étrangère du nouveau président est ainsi guidée par
la volonté de donner la priorité aux relations avec
Washington
, et de présenter le Brésil comme
l’allié des États-Unis en Amérique du Sud. Bolsonaro a
choisi comme ministre des Relations extérieures
Ernesto Araújo, lequel a autrefois dirigé son
Département pour les États-Unis, le Canada et les Affaires
interaméricaines. En mars 2019, pour son premier déplacement
international, il s’est rendu aux États-Unis, et non pas en Argentine
comme c’est d’ordinaire le cas »
.

Le retour de Lula au pouvoir marque, d’ores et
déjà, un tournant radical avec la présidence
précédente
, avant même son investiture, le
Président élu ayant fait part de son souhait d’un
« retour du Brésil »
sur la scène internationale, selon les termes qu’il a
employés lors de la COP27 à Charm el-Cheikh en
Égypte.

Le choix de Celso Amorim comme conseiller diplomatique,
qui fut son ministre des affaires étrangères de 2003 à
2010, et de Mauro Vieira comme ministre des relations extérieures, poste
qu’il occupait sous la Présidence de Dilma Rousseff, témoigne de
la volonté du nouveau Président de s’inscrire dans la
continuité de ses premiers mandats en matière de politique
étrangère.

Comme l’a indiqué Caio Renault, chargé
d’affaires, lors de la réception donnée à l’ambassade du
Brésil en France : « le Brésil veut
reprendre un rôle actif et constructif sur la scène
internationale
, au-delà du domaine environnemental.
Nous voulons jouer un rôle clé dans la promotion de
l’intégration régionale, du maintien de paix et de l’aide
humanitaire. Nous sommes engagés en faveur du multilatéralisme et
de l’ordre international fondé sur des règles, et nous
continuerons de travailler avec nos partenaires pour relever les défis
mondiaux tels que le développement, la sécurité et le
changement climatique »
.

Au cours de ses premiers mois de mandat, le
Président Lula a ainsi multiplié les déplacements à
l’étranger
, se rendant notamment
en Argentine, à Washington, en Chine, aux Émirats arabes
unis et en Europe (Portugal, Espagne, Royaume-Uni, Italie, France), et les
rencontres bilatérales.

Le retour d’une politique étrangère
« ativa et altiva »
(active et
fière) se manifeste également par un
activisme renouvelé au sein de plusieurs instances
internationales : retour dans la CELAC, présidence du G20 en 2024
et des BRICS en 2025, ou encore organisation de la COP30 à
Belém
en 2025.

La volonté du Brésil de voir son
rôle renforcé au sein des organisations internationales, ne
particulier de l’Organisation des Nations unies (ONU), est historiquement
soutenue par la France, qui appuie sa demande d’obtenir un siège de
membre permanent au Conseil de sécurité
.

A. LA
PROMOTION D’UN RÉÉQUILIBRAGE DES RELATIONS
INTERNATIONALES EN FAVEUR DES PAYS ÉMERGENTS : LE
BRÉSIL PORTE-PAROLE DU « SUD GLOBAL »

Au début de la décennie 2010, sous
l’impulsion du Président Lula qui avait fait du renforcement des
relations Sud-Sud un axe fort de la politique étrangère
brésilienne, le Brésil s’est imposé comme le
porte-parole du « Sud Global »
.

Ce concept, aux contours flous, rassemble sous un
même vocable un ensemble de pays
hétérogènes
 : pays en développement
et pays émergents, pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie.
Au-delà de sa dimension géographique (cet ensemble regroupe des
pays situés dans l’hémisphère sud), cette notion
doit par conséquent s’entendre par opposition à un Nord plus
riche et présentant un niveau de développement plus
élevé
.

Au cours de ses premiers mandats, Lula a oeuvré
pour un renforcement du poids de ce « Sud global » dans
les relations internationales. À titre d’exemple, dans un entretien de
mai 2005, il déclarait : « je suis convaincu que le
21e siècle, comme le 19e siècle a
été le siècle de l’Europe et le 20e
siècle celui des États-Unis, je suis convaincu que le
21siècle peut-être le siècle des pays du
tiers monde, le siècle des pays qui ont été pauvres au
19e et au 20e
siècles
 »31(*).

Comme le note Selin Dorel32(*), cette volonté s’est
traduite par « la formation de coalitions Sud-Sud et
l’institutionnalisation des instances de coopération informelles
existantes, telles que le G20, les BRICS
(Brésil,
Russie, Inde, Chine, puis Afrique du Sud à partir de 2011) ou
encore l’IBSA
(Inde, Brésil, Afrique du Sud). Cette inclinaison
à la coopération Sud-Sud se traduit, particulièrement sur
les volets économique, commercial et industriel, par le
développement de nombreux partenariats bilatéraux avec les pays
en développement, notamment en Amérique latine et en Afrique
lusophone (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, etc.). […] En
cela, le Brésil s’illustre tout particulièrement, par
l’implication personnelle de son ministre des Affaires
étrangères, lors du sommet de l’Organisation mondiale du commerce
à Cancun en septembre 2003, lorsque les représentants des
États du G21, menés par Amorim, parviennent à bloquer des
négociations, jusqu’ici à l’avantage des puissances
occidentales
(États-Unis et Union européenne en premier
lieu), portant sur l’élimination des subventions à l’exportation
des produits agricoles. En faisant par-là dérailler le
cycle de Doha, entamé au Qatar en 2001, les États du G21 font la
démonstration de l’efficacité de la coopération Sud-Sud
dans le développement du pouvoir de négociation du Sud
global
. Malgré l’échec “
général ” des négociations, le
Brésil atteint une victoire symbolique en faisant la preuve de la
reconnaissance de sa nouvelle stature internationale, qui plus est
portée de manière très personnelle par le leadership de
Celso Amorim au sein des négociations »
.

Cette volonté de
rééquilibrage des relations internationales,
considérées comme très largement injustes, au profit du
« Sud Global » demeure un marqueur fort de la politique
étrangère du Gouvernement Lula III.

Dans le domaine économique et monétaire,
celle-ci se traduit par un narratif appelant à une
« dédollarisation » de l’économie mondiale,
à une réforme de l’architecture financière internationale
et à un assouplissement des conditions de remboursement des dettes des
pays du Sud.

Le discours prononcé le 13 avril 2023
à Shanghai à l’occasion de la nomination de Dilma Rousseff,
dont il a soutenu la candidature, à la tête de la Nouvelle banque
de développement des BRICS est à cet égard
particulièrement éclairant. Le Président Lula a ainsi
appelé à « une réforme efficace des Nations
unies, du FMI et de la Banque mondiale et pour des changements dans les
règles commerciales »
, estimant que les pays du Sud
devaient « faire un usage créatif du G20, que le
Brésil présidera en 2024, et des BRICS, que nous dirigerons en
2025, afin de renforcer la place accordée dans l’ordre du jour
international aux questions prioritaires pour un monde en
développement »
. Il a par ailleurs estimé que
cette institution permettrait d’éviter « aux pays
émergents de se soumettre aux institutions financières
traditionnelles qui veulent nous gouverner sans en avoir le
mandat
 », à l’inverse du FMI qui,
selon lui, « lorsqu’il prête de l’argent à un pays
du tiers-monde, ou toute autre banque, lorsqu’elle prête à un pays
du tiers-monde, ils se sentent autorisés à exercer les
responsabilités, à gérer les compte du pays, à
visiter le pays pour en faire le bilan
 »33(*). Il s’est enfin livré
à une critique de l’hégémonie du dollar dans les
échanges internationaux
 : « chaque soir, je
me demande pourquoi tous les pays sont obligés de commercer en dollars.
Pourquoi ne pouvons-nous pas commercer dans notre propre monnaie ? Pourquoi
n’avons-nous pas la volonté d’innover ? Qui a décidé que
le dollar était la monnaie, après que l’or a disparu en tant que
parité ? Pourquoi n’était-ce pas le yen ? Pourquoi pas le real ?
Pourquoi pas le peso ? Parce que nos monnaies étaient faibles et que nos
monnaies n’ont pas de valeur dans les autres pays. La monnaie a donc
été choisie sans tenir compte de la nécessité
d’avoir une monnaie qui transforme les pays en une situation un peu plus
tranquille. Parce qu’aujourd’hui, un pays doit courir après le dollar
pour pouvoir exporter, alors qu’il pourrait exporter dans sa propre monnaie, et
les banques centrales pourraient certainement s’en
charger »
.

Cette volonté du Président Lula de
porter la voix des pays du Sud et de n’appartenir à aucun
« bloc » a cependant pu être perçue comme
ambigüe, en particulier dans le contexte de la guerre en
Ukraine
.

B. UN
« NON-ALIGNEMENT » DONT L’ÉQUILIBRE SUBTIL PEUT
ÊTRE PERÇU COMME AMBIGU

Lors de son audition, Michèle Ramis, directrice
des Amériques et des Caraïbes au ministère de l’Europe et
des affaires étrangères a rappelé que la politique
étrangère du Brésil continuerait de se traduire par un
non-alignement : « le Brésil de 2023 ne
s’éloignera pas des fondamentaux passés. Culturellement
occidental, ce pays se refuse à un alignement sur l’Europe ou
les États-Unis en matière de politique
étrangère : il est critique des interventions militaires et
des sanctions et cherche une forme de neutralité, par exemple sur le
conflit en Ukraine, bien qu’il ait voté les résolutions des
Nations unies »
.

À certains égards, cet équilibre
subtil de la politique étrangère brésilienne peut
cependant paraître ambigu.

S’agissant du non-alignement de Brasilia dans la
concurrence sino-américaine, si le Brésil continue d’entretenir
d’importantes relations économiques avec les États-Unis (3°
partenaire économique après la Chine et l’UE), le
Président Lula semble marquer une certaine distanciation
vis-à-vis de Washington
(remise en cause de
l’hégémonie du dollar, volonté d’émancipation de
l’Amérique latine vis-à-vis de son puissant voisin et de
renforcement des liens entre les pays du Sud). À l’inverse, un
rapprochement avec Pékin tend progressivement à
s’opérer
. Outre des relations économiques
sino-brésiliennes confinant à une quasi dépendance du
Brésil vis-à-vis de la Chine (premier partenaire
économique du Brésil, la Chine en est aussi son principal
débouché, notamment en ce qui concerne les exportations de
minerais et de matières premières), la visite de Lula en Chine en
avril 2023 a donné lieu à un communiqué conjoint de 49
articles traitant d’un grand nombre de sujets (développement, paix,
réforme des institutions internationales, etc.) ainsi qu’à la
conclusion d’une soixantaine d’accords et de contrats. Fin mars 2023, les deux
pays sont en outre convenus de commercer dans leur devise nationale.

Surtout, la position du Brésil et de son
nouveau Président vis-à-vis du conflit ukrainien
a
suscité des réactions et des incompréhensions au sein des
pays occidentaux.

Dans un entretien accordé au Time Magazine le 22
mai 2022 alors qu’il n’était encore que candidat, Lula a
semblé renvoyer dos à dos les Présidents Poutine et
Zelensky
en indiquant que ce dernier était
« aussi responsable de la guerre que Poutine. Car quand il y a
une guerre il n’y a pas qu’un coupable. Il souhaitait la guerre, s’il ne
l’avait pas voulue, il aurait davantage
négocié
 », ajoutant que, s’il avait
indiqué au Président russe que l’invasion de l’Ukraine avait
constitué une
« erreur », Vladimir Poutine
n’était pas le seul coupable du déclenchement de cette guerre,
les États-Unis, l’OTAN et l’Union européenne ayant dû
rapidement déclarer que l’Ukraine n’avait pas vocation à
rejoindre les deux organisations
.

S’il refuse d’appliquer des sanctions à
l’encontre de la Russie
, tant que celles-ci n’auront pas
été votées par le Conseil de sécurité de
l’ONU – au sein duquel la Russie, membre permanent, dispose d’un droit de veto
ou de livrer des armes à l’Ukraine, le
Brésil a cependant voté en faveur de la plupart des
résolutions de l’Assemblée générale des Nations
unies
34(*).

Le Brésil entend par conséquent assumer un
rôle de médiateur dans ce conflit. Il
propose ainsi la création d’un « club de la paix »
réunissant des pays non occidentaux et susceptible de servir
d’intermédiaire entre les belligérants
.

Cette position est clairement assumée par
l’Itamaraty (ministère des affaires étrangères). Maria
Laura Rocha, secrétaire générale du ministère des
relations extérieures, a ainsi rappelé à la mission que le
Brésil ne pourra adhérer aux mécanismes de sanctions que
si ceux-ci sont « légitimés » par un vote
à l’ONU.

C. UN
APPROFONDISSEMENT DES RELATIONS AVEC L’UNION EUROPÉENNE EN PARTIE
SUSPENDU À LA CONCLUSION DE L’ACCORD D’ASSOCIATION MERCOSUR-UE

Au cours des 30 dernières années, l’Union
européenne (UE) et le Brésil ont renforcé leur
coopération économique (l’UE est ainsi le principal partenaire
commercial ainsi que le 1er investisseur au Brésil) et
diplomatique, dont le cadre juridique a été formalisé
par :

– un accord-cadre de coopération signé
en 1992 ;

– un accord de coopération scientifique et
technologique signé en 2004 ;

– un accord-cadre de coopération avec le Mercosur
signé en 1995 ;

– un partenariat stratégique mis en place en
2007 qui prévoit l’engagement des deux parties à jouer un
rôle actif dans les problèmes politiques, régionaux,
économiques et sociaux dans le monde, et comporte une série
d’engagements concrets dans de nombreux domaines, dont la
sécurité, le développement durable, la coopération
régionale, la recherche et les nouvelles technologies, les migrations,
l’éducation et la culture.

L’approfondissement des relations entre l’UE et
le Brésil dépend cependant pour partie du futur de l’accord
d’association UE-Mercosur négocié depuis 1999
.

1. Depuis
2019, la conclusion de cet accord achoppe sur des questions
environnementales

L’accord d’association entre l’Union
européenne et le Mercosur a fait l’objet de négociations conclues
le 28 juin 2019. Celui-ci n’a cependant pas été
présenté au Conseil en raison des préoccupations
environnementales exprimées par plusieurs États membres, dont
l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas et la France
, laquelle a fait
part de ses inquiétudes quant aux conséquences de cet accord sur
l’environnement, notamment en ce qui concerne la déforestation au
Brésil et le respect des engagements de l’Accord de Paris.

Celles-ci ont été rappelées par le
Président de la République lors du sommet du G7 à Biarritz
en août 2019, qui a indiqué que la France ne pouvait pas soutenir
l’accord dans sa forme actuelle en raison de ces préoccupations.

En 2020, le Premier ministre a formulé
trois conditions essentielles pour que la France puisse soutenir
l’accord
. En premier lieu, il a insisté sur le fait qu’il ne
devait pas entraîner une augmentation de la déforestation
importée au sein de l’Union européenne. En deuxième lieu,
les politiques publiques des pays du Mercosur devaient être pleinement
conformes à leurs engagements envers l’Accord de Paris. Enfin, en
troisième lieu, il était primordial que les produits
agroalimentaires importés respectent les normes sanitaires et
environnementales de l’Union européenne.

2. Une
année 2023 marquée par une relance des discussions

Au cours des derniers mois, l’accord d’association entre
l’Union européenne et le Mercosur, a suscité un certain regain
d’intérêt côté européen. Le 17 janvier 2023,
la présidente de la Commission européenne, Ursula van der Leyen a
ainsi appelé depuis le Forum économique mondial à
« relancer les débats en ce qui concerne l’accord du
Mercosur
 ».

Depuis son élection, le Président
Lula a, à de nombreuses reprises, regretté que l’accord dans sa
rédaction actuelle cantonne le Brésil dans un rôle de
fournisseur de matières premières et que l’ouverture des
marchés publics puisse entraver le développement des PME locales
alors qu’il fait de la réindustrialisation du Brésil l’une de ses
priorités
. Selon lui, le Brésil doit chercher à
obtenir certaines avancées sur ces fronts dans le cadre des discussions
en cours sur la proposition d’instrument additionnel présenté par
la Commission européenne sur les exigences environnementales
européennes. En dépit d’un discours critique sur le contenu de
l’accord, le Président Lula plaide pour une conclusion rapide de ce
dernier.

Dans ses réponses au questionnaire de vos
rapporteurs, la direction générale du Trésor a
présenté les contours de l’instrument additionnel
envisagé par la Commission
. Celui-ci comprendrait des
engagements de région à région, réciproques,
juridiquement liants, et de nature interprétative,
c’est-à-dire précisant les engagements déjà pris
dans l’accord commercial, sans rouvrir la substance de
l’accord
: il viserait notamment à interpréter les
dispositions de l’accord sur le changement climatique, la diversité
biologique, les forêts, le droit du travail, la coopération, les
droits de l’homme, et le rôle de la société civile. Il
serait assorti d’un scenario proposant l’activation de la clause de revue du
chapitre commerce et développement durable, dans l’objectif d’inclure un
mécanisme contraignant et l’Accord de Paris comme élément
essentiel de l’accord d’association.

3. La
présidence espagnole de l’Union européenne, qui affiche son
volontarisme sur ce sujet, pourrait permettre d’accélérer le
processus même si d’importants obstacles doivent encore être
levés

Selon la direction générale du
Trésor, le Mercosur se montrerait constructif sur l’instrument
additionnel présenté par la Commission, et aurait donné
son consentement pour « débloquer »
l’accord sans demander une réouverture des négociations
.
Le Mercosur aurait indiqué que l’instrument additionnel allait dans la
bonne direction mais contenait certaines dispositions qui allaient
au-delà des engagements pris en 2019 et étaient excessivement
« centrées sur l’UE ». Le Brésil doit ainsi
présenter prochainement une lettre de réponse, après
concertation avec les membres du Mercosur, à l’instrument additionnel de
la Commission européenne.

Dans la perspective de sa présidence de l’Union
européenne intervenue le 1er juillet 2023, l’Espagne
avait émis le souhait que les discussions puissent aboutir d’ici le
sommet UE-CELAC des chefs d’État et de gouvernement qui se tiendra
à Bruxelles les 17 et 18 juillet 2023.

Ce calendrier, déjà optimiste en
début d’année 2023, semble désormais peu vraisemblable
compte tenu du report au mois de mai 2023 de la deuxième session de
négociation de l’instrument additionnel
.

Les États membres du Mercosur ne semblent de
surcroît pas unanimement partager le souhait que cet accord soit conclu
dans un avenir proche. Ainsi, si l’Argentine se dit favorable à cet
accord, à l’occasion de questions parlementaires du 29 mars, Agustin
Rossi, chef de cabinet des ministres, a indiqué le 29 mars que
« l’accord UE-Mercosur n’était pas à l’ordre du
jour du sommet UE-CELAC »
. Le Président argentin
Alberto Fernandez a en outre appelé par le passé à
« retourner à la table des
négociations
 » et à « revoir les
asymétries
 »
.

Par ailleurs, le 13 juin 2023, l’Assemblée
nationale a adopté une résolution relative à l’accord
commercial entre l’Union européenne et le Mercosur, par laquelle nos
collègues députés indiquent que le volet commercial de
l’accord n’est compatible ni avec les engagements de l’Union européenne
dans la lutte contre le réchauffement climatique, ni avec l’objectif de
souveraineté alimentaire et s’opposent à son adoption tant que
les produits en provenance du Mercosur ne seront pas contraints de respecter
les normes de production européennes ainsi qu’à l’adoption
séparée du volet commercial de l’accord.

De son côté, la secrétaire
d’État chargée de l’Europe, Laurence Boone, a rappelé
la fermeté de la position française lors du débat
préalable à la réunion du Conseil européen des 29
et 30 juin 2023 qui s’est tenu le 20 juin 2023 : « comme je
le dis à tous nos partenaires européens, cet accord doit
être complété par des engagements additionnels
contraignants et ambitieux sur le développement durable
.
L’accord de Paris doit en être une clause essentielle, et l’accord avec
le Mercosur doit être aligné avec la nouvelle approche de l’Union
européenne en matière de commerce et de développement
durable. Nous portons cette position auprès de la Commission
européenne, qui travaille en ce moment avec les États du
Mercosur, et nous la relayons à la future présidence espagnole du
Conseil de l’Union européenne et à nos partenaires
sud-américains. Je vous assure qu’il n’y aucune ambiguïté
sur le sujet »
.

À l’occasion d’une rencontre avec des
représentants de la communauté diplomatique à Brasilia,
les ambassadeurs présents ont majoritairement appelé
à une conclusion de cet accord, certains diplomates considérant
qu’un échec des négociations conduirait à un rapprochement
du Brésil avec la Chine
.

S’il peut sembler excessif de considérer qu’un
éventuel échec des discussions sur cet accord ancrera
définitivement le Brésil à la Chine, compte tenu des
relations commerciales qui existent déjà entre les deux pays, et
bien que la mission ne méconnaisse pas les problématiques
soulevées par cet accord, qui ont été bien
rappelées par des résolutions ou projets de résolution
déposés à l’Assemblée nationale et au Sénat,
elle considère qu’il convient de poursuivre les discussions sur
ce sujet en prenant notamment en compte le volontarisme de Brasilia en
matière environnementale,
cet accord pouvant,
à tout le moins, contribuer au renforcement du lien unissant le
Brésil aux pays occidentaux.

Lors de son entretien avec la mission, Cid Gomes,
vice-président de la commission des relations extérieures du
Sénat, a ainsi indiqué que les attentes vis-à-vis de la
France étaient fortes sur ce sujet
.

Entretien avec M. Cid Gomes,
vice-président de la commission des relations extérieures du
Sénat

IV. UNE VOLONTÉ PARTAGÉE DE RELANCE DES
RELATIONS BILATÉRALES QU’IL CONVIENT DÉSORMAIS DE
CONCRÉTISER

A. LE
BRÉSIL, PARTENAIRE MAJEUR DE LA FRANCE EN AMÉRIQUE LATINE

L’amitié entre
la France et le Brésil est profonde et ancienne
. Dans un
discours d’octobre 1985, François Mitterrand35(*) résumait ainsi cette
relation : « en me rendant chez vous, je me demandais :
à quoi donc est due, et de quoi est faite cette sorte de
connivence entre Brésiliens et Français
 ? La
réponse me paraissait tenir en deux mots et vous venez de les confirmer
dans votre toast il y a un instant : langue et culture. Cinq
siècles de relations et en tous cas plus de 200 ans
d’amitié
: voilà qui résume, me semble-t-il,
l’histoire de nos pays. Vous avez vous-même, monsieur le
président, rappelé l’attirance exercée sur votre pays par
les écoles littéraires, artistiques, philosophiques de la France.
Vous avez cité plusieurs noms fameux : Benjamin Constant, Auguste Comte,
dont la devise figure sur votre drapeau, mais j’ajouterai quand même
aussi quelque chose. Sait-on que l’Empereur Don Pedro II s’entretenait avec
Hugo de l’esclavage, avec Renan des langues sémitiques, avec Pasteur de
l’extinction de la fièvre jaune ? Etrange et forte histoire que celle
qui relie l’homme et la terre. La terre, un paysage, un cours d’eau, une ville
inspirent le poète ou bien le romancier. Et voilà que ce
qu’écrit ou chante le romancier, ou le poète, devient un autre
paysage, un autre fleuve, une autre ville pour ceux qui gagnent, pour ceux qui
suivent, et ce dialogue recommence sans cesse : l’homme et la terre.
Voilà pourquoi l’homme du Brésil et la terre du
Brésil exercent aussi sur nous la même attirance. Les preuves de
cette attirance sont multiples tout le long de ces derniers
siècles.
Vous avez cité Montaigne. On peut aller
jusqu’à le Corbusier, jusqu’à Louis Jouvet, à
Sainte-Beuve, notant l’influence de la littérature du Minas Gerais sur
le romantisme français, Blaise Cendrars qui vous appartient à
vous et à nous exaltant la magie du Sertao ; Claudel écrivant
à Rio la “ Messe de là-bas ” et glissant
dans le “ Soulier de satin ” une touche de Macumba ;
Duhamel prônant le métissage des civilisations, Manet ravivant sa
palette après un bref voyage ; Darius Milhaud nous donnant les
“ Saudades du Brésil ”, Anatole France devenant la
première personnalité étrangère membre de
l’Académie brésilienne des lettres ; Bernanos, encore un fois,
qui avait fait du Brésil et de Barbacena sa seconde patrie. Devais-je
parler de Santos Dumont dont on ne sait s’il fut le plus français des
Brésiliens ou le plus brésilien des Français ! Enfin, ne
sont ce pas également des professeurs français dont le plus
éminent peut-être a bien voulu m’accompagner ici
Claude Lévi-Strauss, qui ont contribué, dès 1934,
à faire de l’Université de Saint-Paul ce qu’elle est
aujourd’hui »
.

Concrétisant ce lien historique, culturel et
diplomatique entre nos deux pays, un ambitieux partenariat
stratégique a été lancé en mai 2006 par les
Présidents Lula et Chirac
.

Le partenariat stratégique lancé
2006

Lancé en 2006 par les Présidents Jacques
Chirac et Luiz Inácio Lula da Silva, le partenariat stratégique
reconnaît le Brésil comme un acteur global et un candidat
légitime à un siège de membre permanent au Conseil de
sécurité des Nations-Unies. Il engage un partage de savoir-faire
et d’expertise par des initiatives conjointes, s’appuyant sur la mise en commun
de ressources matérielles, technologiques, humaines ou naturelles. Il
touche tous les domaines : militaire, spatial, énergétique,
économique, éducatif, transfrontalier, aide au
développement en pays tiers, coopération transfrontalière
entre la Guyane française et l’État de l’Amapá.

Source : ministère de l’Europe et des
affaires étrangères

La France et le Brésil ont ainsi
développé d’importantes coopérations dans des
domaines
variés.

En matière scientifique, le Brésil
est ainsi le principal partenaire de la France en Amérique
latine
. Cette coopération se concentre sur la
recherche et l’innovation technologique, et la France et est soutenue par des
programmes de formation d’excellence entre universités et des
partenariats de haut niveau entre les organismes de recherche des deux pays.
Les domaines de collaboration incluent les mathématiques fondamentales
et appliquées, les changements climatiques, ainsi que les sciences
sociales et humaines. Des programmes de technologies innovantes, tels que le
programme CAPES-COFECUB, ont connu un développement significatif. Ce
partenariat scientifique a permis de former près de 2 000 docteurs
brésiliens depuis son lancement en 1978.

La France est en outre le principal partenaire
européen du Brésil dans le domaine universitaire
.
Dès les années 1930, des intellectuels éminents tels que
Fernand Braudel ou Claude Lévi-Strauss ont contribué à
établir des liens entre les deux pays en participant à la
fondation de l’Université de São Paulo, qui est aujourd’hui la
première université d’Amérique latine. Plus de 750 accords
lient par ailleurs des universités françaises à des
universités brésiliennes et la France est la 3e
destination des étudiants boursiers brésiliens après les
États-Unis et le Portugal.

La promotion de la langue française et des
échanges culturels occupe une place importante dans la
coopération franco-brésilienne
. Trois
lycées français situés à São Paulo, Rio de
Janeiro et Brasilia accueillent plus de
2 500 élèves
. Les Alliances françaises
présentes au Brésil forment en outre le réseau le plus
ancien et le plus dense du monde.

Enfin, le traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle
signé le 22 janvier 2019 prévoit l’implantation d’un
institut culturel franco-allemand à Rio de Janeiro. Cet institut doit
s’installer dans les locaux de la Casa Europa, qui abrite les services
consulaires français, allemands et finlandais.

La vente de ce bâtiment emblématique
semble pourtant avoir été envisagée par
l’État
. À cet égard, la réponse du
ministère à notre collègue Ronan Le Gleut qui
l’interrogeait sur ce sujet ne laisse pas
d’inquiéter : » néanmoins, nos
réflexions doivent également intégrer les
réalités locales : plusieurs occupants de la “ Maison de
France ” ont d’ores et déjà quitté cet immeuble de
13 étages, et le quartier du Centro a perdu en attractivité au
cours des dernières années »
36(*).

Si aucune décision formelle n’a
été prise à ce stade, la mission considère que la
vente de cet immeuble constituerait une grave erreur qui témoignerait
d’un recul de l’influence française dans ce pays
. Elle
appelle par conséquent le ministère à maintenir son
implantation dans la Casa Europa et à développer des
partenariats, notamment avec des entreprises françaises
implantées au Brésil, pour contribuer au financement des travaux
nécessaires
à sa rénovation.

Recommandation : maintenir la présence
française dans la Casa Europa à Rio de Janeiro et
développer des partenariats avec des entreprises françaises pour
contribuer au financement des travaux nécessaires à sa
rénovation.

Au niveau économique, le Brésil est
également un partenaire majeur de la France
au sein de la
sphère émergente.

D’après la Banque de France37(*), le stock
d’investissement direct (IDE) français au Brésil atteignait ainsi
28,3 milliards d’euros en 2021
, ce qui en fait la 12e
destination des IDE français dans le monde (1,7 % du total du
stock) et la 1ère en Amérique latine (65,6 % du
total français dans la région). Ce stock se concentre
essentiellement dans les secteurs des services (38,8 %), de l’industrie
manufacturière (20,2 %), de l’industrie extractive (19,1 %) et
de l’électricité (18,2 %).

En termes de flux, avec 734 millions d’euros en 2021, le
Brésil représente la 10e destination des IDE
français et le 1er grand pays émergent.

Le nombre d’implantations françaises dans le
pays38(*)
s’élevait à 1 113 en 2020. La quasi-totalité des
sociétés du CAC 40 (39 sur 4039(*)) dispose au moins d’une filiale au Brésil.

Les multinationales françaises employaient
475 000 personnes au Brésil en 2020, positionnant le Brésil
comme la 2e plus grande présence française en termes
d’effectifs salariés après les États-Unis. Le
Brésil représente le 9e plus important chiffre
d’affaires des multinationales françaises à l’étranger
(50,7 milliards d’euros, 3,2 % du total).

Plusieurs de ces entreprises occupent des positions
clé sur le marché brésilien. À titre d’exemple,
Carrefour est le 1er acteur de la grande distribution au
Brésil, pays qui représente son 2e marché
après la France (Casino et Carrefour réunis ont 25 % de
parts de marché dans la grande distribution au Brésil).

Comme l’a constaté la mission lors de sa visite du
salon LAAD à Rio de Janeiro, les entreprises du secteur de la
défense ou duales sont bien implantées dans le pays
.
Ainsi que l’a rappelé, le commissaire en chef François Escarras,
attaché de défense, à la différence de leurs
concurrentes, les entreprises de défense françaises sont
implantées au Brésil depuis 30 ans. Il s’agit d’un point auquel
les autorités brésiliennes sont sensibles dans un contexte de
volonté de réindustrialiser le pays.

Visite du pavillon France sur le salon de
défense LAAD

Les relations franco-brésiliennes en
matière d’investissements laissent cependant apparaître un
important déséquilibre
. Le stock d’IDE brésilien
en France ne s’élevait ainsi qu’à 1,8 milliard de dollars,
pour un total de 97 filiales implantées dans l’hexagone en 2020.
D’autre part, les flux d’IDE sortants du Brésil vers la France ont
diminué significativement, passant de 209 millions de dollars annuels
entre 2010 et 2015 à 72 millions de dollars par an entre 2016 et
2021.

La mission estime qu’un certain
rééquilibrage des flux d’investissements devrait être
recherché pour les années à venir
. À cet
effet, il pourrait être utile de mettre en place un accompagnement
renforcé des entreprises brésiliennes envisageant de s’implanter
en France.

Recommandation : afin de rééquilibrer
les flux d’investissement, mettre en place un accompagnement renforcé
des entreprises brésiliennes envisageant de s’implanter en France.

Ce sujet, comme l’ensemble des
aspects de la relation économique franco-brésilienne, pourrait
être utilement abordé au sein d’une instance permettant un
dialogue bilatéral de haut niveau régulier sur les sujets
économiques et financiers, qu’il conviendrait de
créer
.

Recommandation : créer un conseil
franco-brésilien permettant un dialogue bilatéral de haut niveau
régulier sur les sujets économiques et financiers.

En termes d’échanges commerciaux, en 2022, le
volume des échanges entre la France et le Brésil s’est
élevé à 8,4 milliards d’euros, soit une augmentation de
35% par rapport à l’année précédente. Les
exportations françaises ont augmenté de 24% et les importations
françaises de 48%. Le Brésil est ainsi devenu notre premier
partenaire commercial dans la région et notre 29e partenaire
mondial. Cependant, en raison de la hausse des cours des produits alimentaires
et pétroliers, la France a enregistré un déficit
commercial pour la première fois en 2022, s’élevant à -216
millions d’euros.

Commerce de biens

(en milliards d’euros)

 

Rang

2019

2020

2021

2022

Exportations françaises vers le Brésil

28e client

4,1

2,9

3,3

4,1

Importations françaises d’origine du
Brésil

34e fournisseur

3,1

2,4

2,9

4,3

Solde commercial pour la France

 

1,1

0,5

0,4

-0,2

Source : direction générale du
Trésor, réponse au questionnaire des rapporteurs

Les matériels de transport représentent le
principal poste d’exportation français vers le Brésil, avec une
part de 29% des ventes françaises. Après avoir subi les
conséquences négatives de la pandémie en 2020 et 2021, ce
secteur a retrouvé son dynamisme en 2022. La vente d’aéronefs a
notamment été impactée, entraînant une perte
annuelle d’environ 800 millions d’euros. Les autres postes d’exportation
importants sont les produits chimiques, parfums et cosmétiques
(26 %), les produits pharmaceutiques (11 %), et les machines
industrielles, agricoles et diverses (9 %).

Les importations françaises en provenance du
Brésil sont principalement constituées de matières
premières telles que les produits agroalimentaires, le bois, les
hydrocarbures et les minerais de fer.

S’agissant des « concurrents » de
la France, comme le rappelle la direction générale du
Trésor dans ses réponses au questionnaire des rapporteurs, il
convient de distinguer les États-Unis, pour qui le Brésil
constitue un marché de « proximité », de la
Chine, premier partenaire commercial du Brésil, dont les parts de
marché sont essentiellement dues à son offre à bas
coût et à sa place dans les chaînes de valeur des
matières premières. Les entreprises allemandes ont quant à
elles privilégié l’exportation là où les
entreprises françaises ont davantage opté pour une
stratégie d’implantation, qui s’est traduite par un volume moins
importants d’exportations (le stock d’IDE français au Brésil est
ainsi 50 % supérieur au stock d’IDE allemand).

B. DES
FINANCEMENTS DE L’AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT SIGNIFICATIFS
QUI DEVRAIENT CEPENDANT DAVANTAGE BÉNÉFICIER AUX RÉGIONS
DU NORD ET NORD-EST

L’action de l’Agence française de
développement (AFD), qui intervient au Brésil depuis 2007,
s’appuie sur deux types d’instruments :

– des prêts en faveur des
collectivités territoriales
(États
fédérés et municipalités) et du secteur
public
(banques et entreprises publiques) à l’exclusion
de l’État fédéral brésilien qui n’emprunte pas
auprès des bailleurs bilatéraux
et n’est donc pas un
partenaire direct de l’AFD ;

– des fonds d’assistance technique provenant
de l’Union européenne ou de la France
, dont les montants sont
cependant plus limités.

1. Une
stratégie d’aide au développement axée sur les questions
environnementales et notamment tournée vers les collectivités
territoriales

La stratégie brésilienne de l’AFD pour la
période 2018-2022 avait pour principal objectif d’accompagner la
transition du pays vers un modèle de développement bas carbone
via l’appui aux territoires et le développement de
partenariats, avec le système financier public brésilien
notamment.

L’action de l’AFD s’est ainsi concentrée sur le
financement de projets de développement durable, notamment urbains, pour
améliorer la qualité environnementale et la résilience des
territoires aux changements climatiques, encourager l’innovation,
préserver les ressources naturelles et accompagner la transition
énergétique du pays.

Par ailleurs, l’AFD a noué des partenariats avec
les entreprises publiques et les banques locales de développement, tout
en veillant à coordonner ses actions avec les bailleurs de fonds
multilatéraux.

L’AFD est ainsi le principal partenaire bilatéral
du pays, ce qui témoigne de la vitalité de la relation avec la
France et l’intérêt des autorités pour des financements de
long terme en faveur du développement durable et du climat. Elle a
noué des partenariats sur le long terme, la Banque nationale de
développement économique et social (BNDES) qui finance environ
40 % des infrastructures du pays par exemple.

Après 16 ans de présence de l’AFD au
Brésil, le pays est devenu le 5e partenaire au monde
du Groupe avec 2,3 milliards d’euros engagés depuis 2007 et il
représente le premier pays d’exposition de sa filiale
dédiée au soutien au secteur privé, Proparco
.

Dans ses réponses au questionnaire de vos
rapporteurs, l’AFD rappelle que ses interventions sont principalement
concentrées sur les infrastructures urbaines (plus de 80 %) et
dominées par l’activité de financement des collectivités
territoriales (68 % à destination des municipalités et
États fédérés).

Source : Agence française de
développement, réponse au questionnaire des rapporteurs

Entre 2018 et 2022, le montant total des
engagements de l’AFD au Brésil s’est élevé à 751,6
millions d’euros
, 97 % de ce volume étant constitué
de prêts sans bonification (731 millions d’euros) et 3 %
(20,6 millions d’euros dont 3 millions d’euros de crédit
engagé en Facilité d’investissement pour l’Amérique
latine) de fonds d’assistance technique non remboursable.

Sur cette période, l’AFD a apporté
120,8 millions d’euros d’aide publique au développement (correspondant
aux montants décaissés) au Brésil
, dont 94 %
de prêts.

Pour la période 2023-2027, l’AFD a indiqué
que son action reposerait sur une approche territoriale répondant au
programme du nouveau Gouvernement en matière économique,
environnementale et sociale : accompagnement de la transition
économique et financière du modèle brésilien,
développement durable des territoires pour faire face au changement
climatique, soutien aux populations vulnérables, promotion de la
diversité, etc.

Ces priorités font l’objet de discussions avec les
partenaires brésiliens et les tutelles de l’AFD et doivent aboutir en
2024 à l’adoption d’une nouvelle stratégie d’intervention au
Brésil.

Globalement, le programme d’activité
envisagé prévoit une augmentation sensible des engagements, avec
un doublement du volume annuel moyen d’engagements à hauteur de 600
millions d’euros sur la période 2023-2027
.

2. Bénéficiant essentiellement au Sud et au
Sud Est du pays, l’aide au développement française devrait se
réorienter vers le Nord et le Nord est brésiliens moins
prospères

Au cours de son audition, l’AFD a admis que son
portefeuille en exécution restait à l’heure actuelle
majoritairement concentré dans les régions Sud et
Sud-Est
.

L’Agence a cependant manifesté son souhait de
rééquilibrer ce portefeuille vers les régions les
plus défavorisées et vulnérables du Nord et du Nordeste,
en maintenant toutefois une activité dans les régions historiques
d’intervention
.

La mission ne peut qu’encourager cette
évolution et considère en particulier que l’État de
l’Amapá, frontalier de la Guyane, devrait pouvoir
bénéficier de l’aide publique au développement
française
(cf. infra).

C. APRÈS UNE PARENTHÈSE SOUS LA
PRÉSIDENCE BOLSONARO, DES « RETROUVAILLES » ENTRE
LA FRANCE ET LE BRÉSIL

En dépit de liens multiples, historiques et
profonds unissant le Brésil et la France, la relation bilatérale
a connu d’importantes tensions sous la présidence
précédente.

En août 2019, à la suite des incendies qui
se sont déclarés en Amazonie, le Président de la
République a souhaité mobiliser la communauté
internationale afin d’aider les États touchés. Le Brésil a
refusé l’aide de la France et du G7, estimant qu’elle serait de nature
à remettre en cause sa souveraineté sur ce territoire. La
question environnementale a été un sujet de discorde tout au long
de la présidence Bolsonaro, lequel a refusé que le Brésil
intègre l’Alliance pour la Préservation des Forêts
Tropicales et Humides, lancée à l’initiative de Paris.

Ce « gel » des relations
diplomatiques s’est notamment traduit par l’absence de visite
ministérielle et a fortiori présidentielle entre 2019 et
2023.

L’élection du Président Lula ouvre
incontestablement un nouveau chapitre de nos relations diplomatiques.
Lors de son déplacement au Brésil en février
2023, la ministre de l’Europe et des affaires étrangères,
Catherine Colonna, a ainsi qualifié de
« retrouvailles » cette volonté
partagée de tourner la page de la présidence
sortante
.

Un certain « alignement des
planètes » favorable à une relance des relations
franco-brésiliennes semble en effet se dessiner, les deux chefs
d’État ayant clairement affiché leur proximité à
plusieurs reprises. Lula a ainsi appelé à voter pour Emmanuel
Macron au second tour de la présidentielle française tandis que
le Président de la République, qui l’avait reçu à
l’Élysée en novembre 2021, a été parmi les premiers
chefs d’État à féliciter le Président Lula pour sa
victoire.

Encore récemment, fin juin 2023, les deux chefs
d’État se sont rencontrés à Paris en marge du Sommet pour
un nouveau pacte financier mondial.

D. UNE
MAIN TENDUE QUI DOIT ÊTRE SAISIE RAPIDEMENT

L’ensemble des personnes rencontrées par
la mission ont mis en avant la nécessité de renouer des liens
nourris et réguliers avec la France
.

Plusieurs d’entre elles ont par ailleurs exprimé
leur regret que la précédente présidence n’ait
dégradé les relations entre nos deux pays.

Randolfe Rodrigues, sénateur de l’Amapá et
porte-parole du Gouvernement au Congrès, a par exemple rappeler la
nécessiter de retrouver des « rapports civilisés
entre deux Nations
liées
 historiquement ».

Entretien avec M. Randolfe Rodrigues,
sénateur de l’Amapá

Cette « demande de
France
 », perceptible lors des entretiens, s’est
accompagnée de propositions concrètes de coopérations
qu’il convient d’explorer
.

La secrétaire générale de
l’Itamaraty (ministère des affaires étrangères), Maria
Laura Rocha, qui a rappelé l’attachement du Brésil à la
coopération avec la France, a ainsi proposé une action commune en
matière de lutte contre la désinformation ou
encore le cyber.

Entretien avec Mme Maria Laura Rocha,
secrétaire générale du ministère des Affaires
étrangères

Pedro Spadale,
conseiller chargé des relations internationales et de la
coopération au cabinet d’Eduardo Paes, maire de Rio de Janeiro, a quant
à lui estimé que la France pourrait apporter son expertise en
matière de mobilités urbaines, d’eau et d’assainissement. Il a
par ailleurs proposé que la ville de Rio, qui a accueilli les
Jeux Olympiques d’été de 2016, puisse faire
bénéficier Paris de son retour d’expérience, y compris
dans la gestion de l’après Jeux Olympiques
. Enfin, il s’est dit
intéressé d’approfondir la coopération avec Nice, ville
avec laquelle Rio est jumelée, en matière de développement
de l’économie de la mer.

Entretien avec M. Pedro Spadale, conseiller
chargé des relations internationales et de la coopération au
cabinet de M. Eduardo Paes, maire de Rio de Janeiro

Il convient désormais de saisir cette main
tendue alors que plusieurs de nos alliés et compétiteurs ont
déjà opéré un rapprochement, parfois plus
marqué, avec ce « nouveau
Brésil »
.

Plusieurs chefs d’État, dont le
Roi d’Espagne et les Présidents du Portugal et de l’Allemagne, ou
encore le Vice-Président chinois Wang Qishan étaient
ainsi présents lors de l’investiture du Président Lula, alors que
la France n’y était représentée que par le ministre
délégué chargé du commerce extérieur, de
l’attractivité et des Français de l’étranger
.

Le Président Lula a par ailleurs accueilli
plusieurs visites officielles depuis son élection : le
Chancelier allemand Olaf Scholz s’est ainsi rendu à Brasilia dès
le mois de janvier 2023, promettant le versement de 200 millions d’euros pour
la protection de l’Amazonie
.

Le ministre des affaires étrangères
russes, Sergueï Lavrov, a également été reçu
par son homologue brésilien Mauro Vieira puis le Président Lula
en avril 2023
.

Si la visite de la ministre de l’Europe et des
affaires étrangères en février 2023 a constitué un
important signal, plusieurs interlocuteurs ont estimé que la relance des
relations bilatérales devait désormais se concrétiser par
un geste fort côté français, avec une visite
présidentielle dès 2023
.

Or, comme l’a indiqué Gaspard Estrada au cours de
son audition, « lors de la visite de Catherine Colonna
au Brésil en février dernier, les Brésiliens pensaient
obtenir une date pour une visite du Président de la République et
des annonces concernant des investissements français dans leur pays. Ils
n’ont eu ni l’un ni l’autre
 »
.

Le sommet des pays d’Amazonie, qui se tiendra au mois
d’août 2023 et auquel le Président Lula a invité son
homologue français, pourrait constituer une opportunité de visite
présidentielle, à laquelle devrait rapidement succéder
une visite d’État permettant une feuille de route comprenant des
engagements concrets, visant en particulier à donner un nouveau souffle
au partenariat stratégique
de 2006 (cf.
infra).

Recommandation : formaliser la reprise des relations
bilatérales par une visite présidentielle, par exemple lors du
sommet des pays d’Amazonie, voire une visite d’État à l’occasion
de laquelle des engagements concrets devront être pris.

E. UN
PARTENARIAT STRATÉGIQUE DE 2006 AUQUEL IL CONVIENT DE DONNER UN NOUVEL
ÉLAN

Dans le domaine de la défense, le
partenariat stratégique s’est matérialisé par un plan
d’actions conclu en 2008, qui a notamment donné lieu à
d’importants contrats dans les domaines naval
(programme ProSub,
cf. infra), aéronautique (programme HX-BR
achevé en 2022 qui a donné lieu à l’acquisition de 47
hélicoptères EC725 Caracal, sur 50 initialement
prévus) et spatial (programme SGDC, acquisition d’un
satellite de télécommunications civiles et militaires construit
par Thales Alenia Space et lancé par Arianespace).

S’agissant plus spécifiquement de ProSub
(Programa de desenvolvimentos de submarinos o Brasil),
la mission, qui s’est rendue sur la base navale d’Itaguaí, tient
à souligner l’importante réussite que constitue ce
partenariat
industriel franco-brésilien.

Signé en 2009, cet ambitieux programme de
transfert de technologie réunissant au sein de la joint-venture
Itaguaí Construções Navais (ICN), côté
français, Naval Group (49 %) et, côté
brésilien, Novonor, ex Odebrecht (50 %) et la marine
brésilienne (1 %, dont une action de référence),
repose sur deux piliers :

– la construction d’un chantier et d’une
base navale à Itaguaí
, à une soixantaine de
kilomètres de Rio de Janeiro, dont le plan est inspiré de celui
de la base de Cherbourg ;

– la construction de 4 sous-marins
conventionnels de type Scorpène
dans les chantiers
d’Itaguaí et l’assistance à la construction d’un
sous-marin à propulsion nucléaire
.

Le premier sous-marin conventionnel, baptisé
Riachuelo, a été livré et mis en service le 1er
septembre 2022. L’Humaitá, qui a réalisé ses essais
à la mer, devrait pour sa part être livré à la fin
de l’année 2023. Les deux derniers sous-marins, le Tonelero et
l’Angostura, seront quant à eux mis en service respectivement en 2024 et
2025.

Visite du chantier et de la base navale
d’Itaguaí

Il convient par conséquent de préparer
dès maintenant l’après 2025
. Plusieurs
pistes pourraient ainsi être explorées.

En premier lieu, le développement du
sous-marin à propulsion nucléaire
Álvaro Alberto
, pour lequel Naval Group est
autorité de conception (design et maîtrise d’oeuvre hors parties
nucléaires), représente un important défi pour le
Brésil
. Plusieurs interlocuteurs ont clairement
indiqué souhaiter un accompagnement plus poussé de la
France
.

Si la mission est consciente des
problématiques soulevées par un éventuel approfondissement
de la coopération franco-brésilienne dans ce domaine,

il convient néanmoins d’étudier toutes
les possibilités
, alors que l’accord AUKUS devrait donner lieu
à la livraison à l’Australie de sous-marins à propulsion
nucléaire par les États-Unis ainsi que la construction, sans que
le chiffre précis ne soit connu à ce stade, de tels
équipements sur le territoire australien.

En second lieu, Itaguaí, dont le
savoir-faire est désormais établi, pourrait constituer un relais
en Amérique latine
. Des discussions pourraient en
particulier être ouvertes avec l’Argentine, qui aurait manifesté
son intérêt pour l’acquisition de sous-marins, pour une offre
comprenant des sous-marins construits par ICN
.

Au-delà du domaine maritime, d’autres champs de
coopération pourraient être envisagés.

Dans le domaine terrestre, le Brésil a
fait part de son souhait de renforcer ses capacités
d’artillerie
. Une coopération comprenant la livraison
de systèmes CAESAR
, dont le conflit ukrainien a
démontré les performances, leurs munitions et le soutien
associé ainsi que la formation d’artilleurs en France pourrait ainsi
être proposée aux autorités
brésiliennes
.

Lors de son audition, la direction générale
des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) a par ailleurs
indiqué à la mission que plusieurs champs de coopération
pourraient être approfondis concernant :

– le spatial. Une
complémentarité devrait ainsi être recherchée entre
le Centre spatial guyanais et la base spatiale Alcântara ;

– le cyber. Le Brésil
pourrait par exemple être associé à des exercices
menés par l’OTAN dans ce domaine ;

la sécurité maritime,
via le renforcement d’exercices conjoints, y compris jusque dans le
Golfe de Guinée, comme cela a été le cas dans le cadre de
l’exercice GUINEX qui a été mené en août
2022) ;

– la sécurité du Plateau des
Guyanes
(cf. infra).

Recommandation :
renouveler le partenariat stratégique de 2006 et l’étendre
à de nouveaux champs tels que le domaine terrestre, le cyber ou le
spatial. Étudier les possibilités d’approfondissement du
programme ProSub dans le domaine nucléaire et mettre en avant les
savoir-faire désormais établis d’ICN dans les discussions qui
pourraient être ouvertes avec des pays d’Amérique latine
concernant l’acquisition de sous-marins.

DEUXIÈME PARTIE
LA PRÉSENCE
FRANÇAISE SUR LE PLATEAU DES GUYANES : UN ATOUT POUR LA FRANCE QUI
DOIT ÊTRE CONSOLIDÉ

I. PAR SON DÉPARTEMENT DE LA GUYANE, LA FRANCE EST LE
SEUL PAYS EUROPÉEN D’AMÉRIQUE DU SUD

A. LA
GUYANE FRANÇAISE, QUI PARTAGE AVEC LES PAYS DU PLATEAU DES GUYANES LES
INNOMBRABLES ATOUTS DE LA RÉGION, FAIT FACE AUX MÊMES
PROBLÉMATIQUES

Selon les mots de Thierry Queffelec, préfet
de la Guyane, le département de la Guyane, plus
grand département français avec plus de 83 000km²,
représente « la France en Amérique
Latine
 »
.

Depuis l’indépendance de la Guyane
néerlandaise, devenue Suriname, en 1975, la France est ainsi le seul
pays européen d’Amérique du Sud
.

Si elle constitue une chance extraordinaire, cette
présence française sur le Plateau des Guyanes constitue aussi un
défi.

En effet, avec ses voisins immédiats que sont le
Brésil et le Suriname, ou plus lointains comme le Guyana, la Guyane
partage les innombrables atouts de cette région :

– l’incroyable biodiversité du territoire
amazonien (la Guyane est recouverte à 96 % par la forêt
amazonienne) ;

– un domaine maritime disposant d’importantes
ressources halieutiques et pétrolières ;

– un territoire riche en minerais et favorable à
l’agriculture ;

– une proximité culturelle à l’origine
de liens étroits entre les populations.

Mais la Guyane est également confrontée
aux mêmes problématiques, d’ailleurs souvent liées entre
elles : protection d’un territoire rendue difficile du fait de son
étendu et de ses caractéristiques, développement des
activités illicites (trafic d’êtres humains, d’armes et de drogue,
contrebande et orpaillage illégal), questions relatives à
l’immigration clandestine, ou encore pêche illégale, défis
liés à la protection de l’environnement et à la lutte
contre la déforestation.

B. UNE
HAUSSE DE LA CRIMINALITÉ AU COURS DES CINQUANTE DERNIÈRES
ANNÉES EN PARTIE EXOGÈNE

Comme le soulignait notre collègue Georges
Patient, sénateur de la Guyane, lors de la séance de questions au
Gouvernement du 13 avril 2023 : « la Guyane est
devenue le département le plus criminogène et le plus violent de
France
. Les faits d’armes, agressions, crimes, meurtres s’y
multiplient. Plus une seule partie du territoire n’est à l’abri de la
violence, et plus personne non plus. L’assassinat du gendarme Arnaud
Blanc, en plein coeur de la forêt amazonienne, en est la triste
démonstration et je tiens ici à rendre hommage à ces
hommes qui se dévouent jusqu’à donner leur vie pour la
sécurité de leurs concitoyens
 ».

Selon le général de brigade Jean-Christophe
Sintive, commandant de la gendarmerie de Guyane, le département
représenterait ainsi à lui-seul 15 % (secteur gendarmerie)
de la grande criminalité en France
.

Or, comme l’a indiqué le procureur
général près la Cour d’appel de Cayenne, Joël
Sollier, il y a 50 ans, la Guyane était « vierge de
délinquance
 ». Celle-ci constitue en partie un
phénomène « importé » depuis les
pays voisins
 : du Brésil pour l’orpaillage, et du Suriname
et du Guyana pour les autres flux de délinquance.

À titre d’exemple, sur les 855
détenus que comptait le Centre pénitentiaire de Guyane fin 2022,
45 % (434 écroués) étaient étrangers (30%
brésiliens, 28 % surinamais, 18 % guyaniens et 10 %
haïtiens)
.

C. UNE
RÉPONSE STRICTEMENT NATIONALE QUI NE SAURAIT PAR CONSÉQUENT
SUFFIRE

Face à ces enjeux, la France a engagé des
moyens militaires (opérations Titan, Harpie et Polpêche,
cf. encadré ci-après), judiciaires et policiers40(*) visant à juguler
l’augmentation des activités illégales en Guyane.

Les opérations Titan, Harpie et
Polpêche

Opération Titan : au
sein d’un dispositif interarmées, lui-même intégré
dans un dispositif interministériel, environ 50 militaires surveillent
en permanence les abords du CSG. Cet effectif atteint près de 350
militaires lors des phases de transfert ou de lancement (quatre à cinq
jours par mois). Il peut atteindre, en cas de lancement sensible,
jusqu’à 400 militaires.

Opération Harpie :
lancée officiellement par le Président de la République en
février 2008, Harpie est une opération
interministérielle de grande envergure. Elle est menée
conjointement par les forces de l’ordre (police aux frontières,
gendarmerie) et les FAG. Placée sous l’autorité du préfet
et du procureur de la République pour la partie judiciaire, elle vise
à éradiquer l’orpaillage illégal.

Opération Polpêche
: la mission de police des pêches des FAG s’inscrit dans un cadre
interministériel associant d’autres services de l’État (affaires
maritimes, douanes et gendarmerie). L’action des FAG et plus
particulièrement centrée sur l’observation des activités
de pêches, l’interrogation de navires de pêche, la
vérification des journaux de bord, la vérification des engins de
pêche et le contrôle des maillages, l’appréhension des
navires, matériels et produits de la pêche.

Source : ministère des
armées

Si ces différentes actions ont enregistré
certains résultats, notamment en matière de lutte contre le
trafic de drogue, force est cependant de constater que l’État n’est pas
parvenu à éradiquer ou même contenir la criminalité
« du quotidien » ni, a fortiori, les grands
phénomènes criminels.

Ces enjeux, dans une large mesure
régionaux, appellent en effet une réponse coordonnée avec
les pays voisins
. Un renforcement de la coopération
policière, judiciaire, économique et dans le domaine de la
défense avec les autres pays du Plateau des Guyanes doit ainsi
être recherché. Un amendement au projet de loi de programmation
militaire pour les années 2024-2030 a d’ailleurs été
déposé en ce sens par les membres de la mission.

Au cours du déplacement, plusieurs propositions
concrètes ont été formulées par les personnes
entendues tels que :

– la mise en place d’un « droit
de poursuite »
applicable au Brésil et au Suriname,
permettant une sorte de « petit Schengen »,
selon les termes du préfet de Guyane ;

– le rapprochement entre le parc national
des montagnes du Tumucumaque
(Parque Nacional das Montanhas do
Tumucumaque
) et le parc Amazonien de Guyane, ce qui
constituerait la plus grande zone mondiale de la
biodiversité
, comme l’a suggéré Joël
Sollier, procureur général près la cour d’appel de
Cayenne. La mission fait sienne cette recommandation, qui pourrait être
étendue au Suriname et au Guyana ;

la conduite d’une réflexion sur le
développement de l’orpaillage légal
.
Développement économique nécessaire dans un cadre
strictement contrôlé : pas d’utilisation du mercure, moindre
déforestation.

Recommandation : étudier le rapprochement
entre le parc national des montagnes du Tumucumaque (Parque Nacional das
Montanhas do Tumucumaque
) et le parc Amazonien de Guyane, ce qui
constituerait la plus grande zone mondiale de la biodiversité, et
étendre cette coopération au Suriname et au Guyana.

Ces pistes pourraient être discutées
dans le cadre du dialogue stratégique du plateau des Guyanes

organisé à l’initiative de la DGRIS et qui réunit la
France, le Suriname et le Guyana ainsi que le Brésil en tant
qu’observateur.

D’autres axes de coopération bilatérale
avec le Brésil, le Suriname et le Guyana sont par ailleurs
présentés dans la suite du présent rapport
d’information.

II. UNE COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE
FRANCO-BRÉSILIENNE DÉJÀ INTENSE MAIS QUI DOIT ÊTRE
ENCORE RENFORCÉE

A. DES
RELATIONS TRANSFRONTALIÈRES HISTORIQUES QU’IL CONVIENT D’AFFERMIR

1. Le
fleuve Oyapock, frontière et bassin de vie

La France et le Brésil partagent une
frontière de plus de 730 km, ce qui constitue la plus longue
frontière terrestre française.

Matérialisée en grande partie par le fleuve
Oyapock, qui sépare la Guyane de l’État d’Amapá, le
tracé de cette frontière n’a été reconnu par la
France que le 1er décembre 1900, à la suite d’un
arbitrage de la confédération helvétique.

Le fleuve Oyapock constitue ainsi à la fois une
frontière entre le Brésil et la France mais aussi un bassin de
vie entre les villes de Saint-Georges-de l’Oyapock, côté
français, et Oiapoque, côté brésilien.

Comme le relèvent Sylvie Letniowska-Swiat et
Valérie Morel41(*), l’enclavement de ces deux villes a contribué
à leur rapprochement « les communes du bassin versant
dessiné par l’Oyapock sont parmi les plus isolées de ces
territoires, éloignées notamment des centralités
régionales de référence. Rares sont les routes et les
pistes qui relient les communes bordières du fleuve à Cayenne ou
Macapá. Seules routes asphaltées ou partiellement
asphaltées, la RN2 raccorde Cayenne à Saint-Georges et la BR-156,
Oiapoque à Macapá. Le reste des hameaux, lieux de vie ou feux ne
sont accessibles que par le fleuve, ses affluents ou des pistes
forestières. La très faible desserte terrestre et
l’enclavement induit ont eu pour effet de maintenir des pratiques spatiales
transversales intenses au sein du bassin de vie fluvial
. Faire, et
vivre loin de tout, pourrait en être la devise identitaire. La
frontière nationale qui s’appuie sur le fleuve se surimpose donc
à un territoire généré et organisé par ce
dernier, très loin en marge des centralités administratives.
L’existence et la pratique du bassin versant oyapoquois sont
historiques, adossées à la perception et aux fonctions qu’ont
affectées les populations autochtones aux fleuves d’Amazonie. Ces
pratiques sont mises en évidence dès le XVIIème
siècle par les premières explorations qui relatent le
fonctionnement en bassin de vie organisé, structuré par les
populations amérindiennes installées de part et d’autre du fleuve
(Collomb
G., 2013
) ».

Afin de faciliter les échanges entre les
deux rives et à ouvrir la Guyane au reste du continent américain,
un projet de construction de pont routier a été lancé en
novembre 1997
, lors d’une rencontre entre les présidents
Jacques Chirac et Fernando Henrique Cardoso. Ce projet a donné lieu
à un accord signé le 15 juillet 2005 et ratifié par la loi
n° 2007-65 du 18 janvier 2007 autorisant l’approbation de l’accord entre le
Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la
République fédérative du Brésil relatif à la
construction d’un pont routier sur le fleuve Oyapock reliant la Guyane
française et l’État de l’Amapá.

Si la construction du pont s’est achevée
en 2011, celui-ci n’a finalement ouvert qu’en 2017
.

Le pont sur l’Oyapock reliant la Guyane au
Brésil

Par ailleurs, la
mission a pu constater sur place que celui-ci demeure très peu
emprunté.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation. En
premier lieu, les plages horaires (entre 8 heures et midi puis entre 14 heures
et 18 heures) sont peu étendues. Comme cela a été
indiqué, certains travailleurs dont les horaires ne correspondent pas
aux heures d’ouverture du pont continuent de privilégier la voie
fluviale, plus souple.

En deuxième lieu, de nombreux flux entre les deux
rives étant informels, le passage par le pont nécessite un
passage par la douane, alors que cette formalité est dans une large
mesure inexistante en pirogue.

En troisième lieu, si l’assurance automobile est
obligatoire côté français, cela n’est pas le cas sur
l’autre rive. Par ailleurs, toutes les assurances brésiliennes ne sont
pas reconnues en France. Les Brésiliens souhaitant se rendre en France
doivent donc souscrire une assurance, ce qui constitue un coût excessif
pour la plupart des riverains.

Pour Sylvie Letniowska-Swiat et Valérie Morel,
de manière paradoxale, en redonnant au fleuve sa fonction
frontalière, le pont sur l’Oyapock a ainsi pu s’ériger en
barrière plutôt qu’en lien

En dépit de la proximité
géographique, historique et culturelle entre la Guyane et
l’Amapá, le volume des mouvements guyano-brésiliens de biens et
de personnes demeure ainsi relativement faible
.

Dans un rapport de 2020, l’Institut d’émission des
départements d’Outre-mer relève que les échanges
commerciaux entre la Guyane et le Brésil demeurent limités,
atteignant 14,2 millions d’euros en 2019, dont 12,6 millions d’euros
d’importations
, principalement de produits manufacturés divers
(notamment des chaudières), ou issus des industries
métallurgique. Comme le rappelait notre ancien collègue
Antoine Karam42(*), cette situation tient notamment aux
différences de normes applicables de part et d’autre de la
frontière : « la circulation des biens vient
également se heurter aux normes auxquelles les produits
brésiliens et français sont soumis chacun de leur
côté. Le respect de ces normes est en effet un préalable
à la pénétration du marché concurrent. La question
se pose en particulier pour les produits brésiliens à destination
du marché guyanais, qui pourraient représenter une alternative
d’approvisionnement pour la Guyane, mais qui doivent pour ce faire s’adapter
aux normes européennes
 ».

Au cours des auditions, il a été
indiqué que la mise en place d’une desserte aérienne
reliant les deux principales villes de Guyane et d’Amapá, Cayenne et
Macapá, pourrait être de nature à renforcer les mouvements
de personnes entre le département français et l’État
fédéré brésilien
. Ceux-ci ne
pourront cependant véritablement croître que lorsque la question
des visas aura été définitivement résolue

(cf. infra).

2. La coopération transfrontalière, qui couvre
déjà un nombre important de domaines, devrait être
approfondie

À l’occasion de la réception
organisée à Macapá, le Gouverneur de l’Amapá,
Clécio Luís a clairement indiqué sa volonté
d’approfondissement de la coopération entre la Guyane et
l’Amapá : « la relation entre l’Amapá et la
Guyane française remonte à des siècles, bien sûr,
mais pour une bonne partie elle était informelle. Nous voulons changer
cette réalité. Puissions-nous échanger beaucoup d’art, de
langue, de culture, de sécurité, la santé, et beaucoup
d’échanges commerciaux forts avec une protection
juridique »
43(*).

Réception donnée par M.
Clécio Luís, gouverneur de l’Amapá, en présence de
M. Randolfe Rodrigues, sénateur de l’Amapá

La coopération transfrontalière
entre la Guyane et le Brésil a été formalisée par
l’accord-cadre de coopération franco-brésilien du
28 mai 1996
, lequel a donné lieu à la
création de la Commission mixte de coopération
transfrontalière
(CMT) franco-brésilienne. Celle-ci
constitue l’instance privilégiée de dialogue politique
bilatéral. Un Conseil du Fleuve sur l’Oyapock, instance
locale consultative, a par ailleurs été créé par
une déclaration d’intention signée le 14 décembre 2012

Ces deux instances, qui ne s’étaient pas
réunies depuis 2019, ont connu une actualité nouvelle en 2023. Le
5e Conseil du fleuve s’est ainsi tenu à
Saint-Georges-de-l’Oyapock le 26 mai 2023. À cette occasion, plusieurs
thématiques ont été abordées : le
contrôle du mercure, la coordination de la santé, l’école
et l’accès à l’université, les échanges
commerciaux, la gestion des déchets, la culture wayanpi de Guyane et la
circulation des personnes dans le bassin de l’Oyapock. Ces sujets ont par
ailleurs été inscrits à l’ordre du jour de la Commission
mixte de coopération transfrontalière qui s’est réunie
à Cayenne les 3 et 4 juillet 2023.

En parallèle de ces instances de dialogue,
une sous-préfecture a été ouverte à
Saint-Georges-de-l’Oyapock en décembre 2022
. La mission se
félicite de cette initiative qui devrait contribuer à renforcer
la relation avec l’Amapá, en permettant une gestion au niveau local de
certaines problématiques telles que la délivrance des titres de
séjour plutôt qu’à Cayenne.

a) La
lutte contre les activités illicites nécessite un renforcement de
la coopération militaire, policière et judiciaire entre le
Brésil et la France

Dans le domaine militaire, la coopération
franco-brésilienne se traduit notamment par la conduite
d’opérations coordonnées
.

La mission a ainsi été reçue par la
22° brigade et le 34° bataillon d’infanterie de jungle dans le cadre de
l’opération Jararaca menée en partenariat entre l’armée
brésilienne et les forces armées en Guyane (FAG). Au cours de
cette visite, il a notamment été rappelé à la
mission que c’est avec la France que le Brésil avait conclu le
plus grand nombre d’accords de coopération militaire
.

Cette mission, qui s’est déroulée du 11 au
17 avril 2023, visait à mener des actions militaires
coordonnées dans le but de limiter les délits transfrontaliers et
environnementaux liés à l’orpaillage illégal en
application de l’accord du 23 décembre 2008 entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
fédérative du Brésil dans le domaine de la lutte contre
l’exploitation aurifère illégale dans les zones
protégées ou d’intérêt patrimonial44(*).

L’opération Jararaca

Dans le cadre de la lutte contre l’orpaillage
illégal, les forces armées en Guyane mènent
régulièrement des opérations avec le 34e Bataillon
d’Infanterie de la Selva (34e BIS) des Forces Armées Brésiliennes
(FAB). Ce sont les opérations baptisées Rochelle qui visent
à saisir sur une courte période les ressources des orpailleurs
illégaux (garimperos) en misant sur l’effet de surprise. En
complément, les opérations conjointes Jararaca viennent
compléter de manière semestrielle l’effort en matière de
lutte contre l’orpaillage illégal, freinant ou empêchant ainsi la
poursuite de l’activité illégale d’extraction par l’interception
des flux logistiques.

Source : ministère des armées

Visite du 34e bataillon d’infanterie de
jungle brésilien dans le cadre de l’opération
Jararaca

Celle-ci a donné lieu à la mise en
place d’un centre de commandement réunissant des militaires
brésiliens et français
.

La mission a pu constater l’intérêt de cette
opération qui comprenait trois phases :

1) préparation de l’opération ;

2) interventions et opérations de reconnaissance
et de surveillance dans plusieurs zones afin de parvenir à un gel des
flux logistique dans le bassin de l’Oiapoque ;

3) interventions dans plusieurs zones visant au
contrôle des moyens de transport et au maintien du gel des flux
logistiques dans le bassin de l’Oiapoque.

Pour autant, comme l’ont indiqué plusieurs
interlocuteurs, l’efficacité de ces opérations serait
renforcée si les actions n’étaient plus simultanées mais
véritablement conjointes, c’est-à-dire menées à
partir de mêmes embarcations avec la possibilité pour les
militaires des deux pays d’appréhender les auteurs d’actes
illicites sur le territoire de l’autre pays, dans une zone donc la profondeur
devra être déterminée
.

Recommandation : mettre en place de
véritables patrouilles conjointes permettant aux militaires des deux
pays d’appréhender les auteurs d’actes illicites sur le territoire de
l’autre pays, dans une zone dont la profondeur devra être
déterminée.

Dans le domaine maritime, des opérations
conjointes sont régulièrement menées au large des
côtes françaises et brésiliennes
. Ainsi, les 18 et
19 septembre 2022, une patrouille franco-brésilienne a été
menée le long de la frontière entre la Guyane et le
Brésil. Celle-ci a permis d’arrêter 4 embarcations qui se
livraient à des actions de pêche illicite.

L’entraide judiciaire en matière
pénale est basée sur la convention franco-brésilienne du
28 mai 1996
et prend essentiellement la forme de commissions
rogatoires internationales
émises par des juges d’instruction
de Cayenne dans des affaires concernant des Brésiliens.
Celles-ci apparaissent cependant très largement
inexécutées sans que les causes n’aient été
précisément identifiées
. Par ailleurs, la
question des transferts de prisonniers devrait faire l’objet de discussions
afin de permettre une plus grande prise en charge par le Brésil de ses
ressortissants
.

Recommandation : proposer un renforcement de la
coopération judiciaire en matière pénale visant à
une meilleure exécution des commissions rogatoires émises par les
juges français à l’égard de ressortissants
brésiliens, réétudier les modalités d’extradition
et de mise en oeuvre de la procédure dite de libération
conditionnelle « expulsion », voire envisager
l’établissement d’une convention sur le transfert de prisonniers.

En matière policière, un centre de
coopération policière45(*)
a été créé
à Saint-Georges-de-l’Oyapock qui réunit des représentants
de la police fédérale brésilienne, de la gendarmerie
française et de la police aux frontières. Néanmoins, comme
l’a rappelé Thierry Queffelec, préfet de la Guyane, ce
centre ne permet à ce jour qu’une coopération technique en
matière de police judiciaire
.

Les autorités de l’Amapá ont par ailleurs
mis en avant l’intérêt des coopérations dans les
domaines de la lutte contre les incendies
(formations, simulations de
crise, etc.) ou encore de la santé publique (veille
épidémiologique, etc.).

b) Une
thématique environnementale encore subsidiaire

La coopération transfrontalière en
matière environnementale constitue à l’heure actuelle,
pour l’essentiel, la conséquence de la lutte contre les activités
illicites, en particulier l’orpaillage ou la pêche
illégale
.

Pourtant, comme il a été rappelé
précédemment, la Guyane et le Brésil possèdent des
parcs naturels contigus et la protection de l’environnement devrait donner lieu
à la mise en oeuvre d’une coopération renforcée.

Outre la possibilité déjà
évoquée d’un jumelage entre les deux parcs, des actions
conjointes pourraient être menées dans ce domaine.

En matière répressive, il pourrait ainsi
être envisagé d’initier des contacts entre magistrats et
policiers spécialisés dans la protection de
l’environnement
, sans que celle-ci découle
nécessairement de la lutte contre l’orpaillage et la pêche
illégales.

Des coopérations techniques pourraient
également être envisagées, en particulier avec le Censipam,
dont l’expertise en matière de surveillance et de renseignement de
l’Amazone pourrait être utile à la France
.

La France pourrait en outre appuyer la demande
brésilienne d’accéder à certaines images prises par le
satellite européen Sentinel-1
, cette demande ayant
été, selon le directeur opérationnel du Censipam,
rejetée par l’Agence spatiale européenne.

Enfin, à l’instar de la Norvège, de
l’Allemagne et du Royaume-Uni, la France pourrait contribuer au financement du
Fonds Amazone relancé par le Président Lula
.

Recommandation : renforcer la coopération
dans le domaine de la protection de l’environnement via le
développement de contacts entre magistrats et policiers
spécialisés, des coopérations techniques notamment avec le
Censipam, l’appui de la demande brésilienne d’accéder à
certaines images prises par le satellite Sentinel-1 ou encore la participation
de la France au financement du Fonds Amazone relancé par le
Président Lula.

c) Une
coopération dans le domaine culturel qui demeure limitée

Lors de la réception
organisée à Macapá, Clécio
Luís, gouverneur de l’Amapá, a rappelé que la Guyane et
l’Amapá partagent le « même ADN, la même
culture et la même géographie »
appelant à
ce que le fleuve Oyapock ne soit pas vu comme une frontière mais comme
un lien permettant de rapprocher les peuples voisins
.

En dépit de liens culturels
évidents, la mission a constaté une coopération
limitée dans ce domaine
.

À cet égard, la mission a été
frappée par l’absence d’Alliance française à
Macapá. Elle appelle par conséquent à l’ouverture d’une
Alliance française, le cas échéant, dans le cadre d’un
partenariat avec le centre de langue et de culture françaises
« Danielle Mitterrand ».

Recommandation : ouvrir une Alliance
française à Macapá, le cas échéant, dans le
cadre d’un partenariat avec le centre de langue et de culture françaises
« Danielle Mitterrand ».

B. UNE
AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT FRANÇAISE QUI DEVRAIT POUVOIR
BÉNÉFICIER À L’AMAPÁ

Si l’Amapá est l’État
fédéré le plus pauvre du Brésil, il ne
bénéficie pourtant d’aucune aide publique au développement
française.

En effet, comme l’a rappelé l’AFD en audition, les
règles de l’Agence ne lui permettent pas d’apporter des subventions
à des États fédérés ou des
collectivités territoriales présentant une situation
financière trop dégradée. L’AFD ne peut donc pas soutenir
l’Amapá directement en tant que bailleur de fonds. Une solution
pourrait consister en un financement intermédié via un
établissement bancaire. La mission ne peut qu’encourager l’AFD à
poursuivre sa recherche de partenaire qui permettrait d’apporter un soutien
financier à l’État d’Amapá
.

Plusieurs thématiques pourraient plus
spécifiquement faire l’objet d’un soutien de l’AFD. Outre la protection
de l’environnement et le secteur culturel, comme cela a été
rappelé supra, les autorités de l’Amapá
rencontrées par la mission ont souligné le potentiel
touristique de cet État qui souffre cependant d’un manque
d’infrastructures, notamment hôtelières
.

De fait, l’Amapá dispose d’incontestables atouts
touristiques liés notamment à la présence de la
forêt amazonienne. L’aide au développement pourrait ainsi
contribuer au financement d’infrastructures touristiques
.

Recommandation : poursuivre la recherche d’un
partenaire bancaire brésilien permettant un financement
intermédié de l’AFD à destination de l’État
d’Amapá. Outre les thématiques liées à
l’environnement et à la culture, prévoir que cette aide sera
consacrée au financement d’infrastructures dans le secteur
touristique.

C. UNE
PROBLÉMATIQUE DES VISAS À LAQUELLE IL CONVIENT D’APPORTER UNE
SOLUTION

Au cours du déplacement, les
autorités nationales comme locales brésiliennes ont
systématiquement soulevé la question de l’obligation pour les
brésiliens souhaitant se rendre en Guyane de disposer d’un
visa
, alors qu’une telle obligation n’existe pas pour se rendre sur le
territoire métropolitain et que les Guyanais sont, de leur
côté, exemptés de visa pour franchir la
frontière.

Le régime de circulation des personnes
entre le Brésil et la Guyane

Les ressortissants brésiliens sont soumis à
l’obligation de visa de court séjour pour accéder à la
collectivité territoriale de Guyane car la Guyane ne fait pas partie de
l’espace Schengen. Ce visa est délivré par les Consulats de
France au Brésil.

Certains acteurs dont l’activité nécessite
de nombreux aller-retours en Guyane (secteur économique, enseignement et
recherche…) peuvent bénéficier de la possibilité
d’obtenir un visa de circulation d’une validité maximale de 5 ans.

La dispense de visas est prévue pour 3
cas :

1) dispense complète de visa pour tout
ressortissant brésilien en mission, détenteur d’un passeport
officiel (diplomatique ou de service) en cours de validité

2) dispense de visa pour les séjours d’une
durée n’excédant pas trois jours à l’occasion d’une escale
au cours d’un trajet aérien à destination du territoire
européen de la France, du Brésil ou d’un autre territoire
ultramarin français.

3) dispense de visa pour les séjours d’une
durée inférieure à quinze jours pour les ressortissants
dont le voyage et le séjour sont organisés par
l’intermédiaire d’un opérateur de voyages et de séjours
établi en Guyane et immatriculé au registre des opérateurs
de voyages et de séjours ou par un opérateur ayant conclu un
accord de partenariat avec une telle agence.

Source : préfecture de la Guyane

La Guyane est en effet le seul territoire français
pour lequel l’obligation de visas de court séjour pour les
Brésiliens n’a pas été levée, par dérogation
à l’accord sur la libre circulation des personnes conclu entre le
Brésil et l’Union européenne. Cette situation conduit par
exemple à ce que les habitants de l’Amapá souhaitant se rendre en
Guyane doivent déposer une demande de visa à
Brasilia
.

Cette problématique des visas constitue un
« irritant » majeur des relations
franco-brésiliennes
. Sans méconnaître les
éventuels risques liés à la suppression d’obligation de
visa, la mission considère que cette asymétrie de
traitement est difficilement justifiable
.

Elle appelle par conséquent le
Gouvernement à prévoir un assouplissement du régime des
visas applicable aux Brésiliens se rendant en Guyane et, a
minima
, à mettre en place une solution technique permettant aux
habitants de l’Amapá de ne pas avoir à se rendre à
Brasilia pour obtenir un visa
.

Recommandation : prévoir un assouplissement
du régime des visas applicable aux Brésiliens se rendant en
Guyane et, a minima, mettre en place une solution technique permettant
aux habitants de l’Amapá de ne pas avoir à se rendre à
Brasilia pour obtenir un visa.

III. LE SURINAME : UN
DÉVELOPPEMENT ATTENDU, UN PAYS EN PROIE À D’IMPORTANTES
DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES

Rencontre avec Mme Krishna Mathoera, ministre de
la défense du Suriname, le colonel Werner Kioe A Sen, chef
d’état-major des armées, et M. Sherif Abdoelrhamanla,
secrétaire général du ministère des affaires
étrangères

A. UN PAYS
CONFRONTÉ À D’IMPORTANTES DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES
ET SOCIALES DONT LE DÉVELOPPEMENT EST LARGEMENT CONDITIONNÉ
À L’AMPLEUR DE SES RÉSERVES PÉTROLIÈRES ET À
LEUR MISE EN EXPLOITATION

Ancienne colonie néerlandaise et seul pays
néerlandophone d’Amérique du Sud, le Suriname a
accédé à l’indépendance en 1975.

La France partage avec ce pays d’environ 600 000
habitants – ce qui en fait le pays le moins peuplé d’Amérique du
Sud – une frontière de 520km.

L’économie du Suriname

L’économie du Suriname est essentiellement
portée par le secteur primaire et les abondantes ressources naturelles
du pays.

Elle repose sur la production d’or, de bauxite et de
pétrole. L’exploitation minière englobe près de la
moitié des revenus du secteur public. L’or tient pour 80 % des
exportations totales du pays. Le secteur agricole (riz, canne à sucre,
banane et bois) représente une faible part du PIB mais emploie
près d’un quart de la population.

Est à noter également la
prépondérance des importations dans l’économie surinamaise
(80 % à 90 % des denrées alimentaires et biens de
consommation sont notamment importés).

Concernant le secteur du tourisme, le nombre de visiteurs
augmente ces dernières années. Le gouvernement revendique cette
volonté d’ouverture du pays au monde extérieur notamment avec la
mise en place depuis juillet 2022 d’un simple droit d’entrée à la
frontière (25 €), dispensant d’un visa pour la majorité des
pays étrangers.

L’évolution du marché des matières
premières et l’arrêt de la production d’aluminium ont
entraîné une dégradation brutale du solde budgétaire
en 2017 et 2018.

Le 21 septembre 2020, le nouveau Gouvernement a
réconcilié le taux de change officiel et celui du marché
noir, dévaluant le dollar surinamais et entraînant une inflation
de 50 % pour l’année 2020 (cette inflation est
évaluée à 52,5 % en 2022).

Environ une personne sur quatre au Suriname (26 % de
la population) vit avec moins de 5,50 dollars américains par jour. Le
taux de pauvreté est beaucoup plus élevé dans les
régions de l’intérieur où plus de la moitié de la
population vit dans la précarité.

Source : ministère de l’Europe et des
affaires étrangères

Depuis 2020, le Suriname fait face à une
grave crise économique
qui l’a contraint à faire
défaut sur sa dette extérieure, laquelle s’élevait
à près de 150 % du PIB fin 2020
. Placé sous
l’intervention du FMI avec un programme d’aide de 690 millions de dollars,
le Suriname a obtenu l’aide du Club de Paris et le soutien de la
France
, avec laquelle un accord de restructuration d’une partie de sa
dette a été signé en octobre 2022.

Cette crise économique est aggravée par
une inflation très élevée, qui atteignait
50 % en 2022
, laquelle, conjuguée à une
dévaluation continue du dollar surinamais, se traduit par une
érosion importante du pouvoir d’achat des ménages.

Après deux années de
récession
(- 15,9 % en 2020 et – 3,5 % en
2021), l’économie du Suriname semble renouer avec la croissance
en 2022
(+ 1,3 %), son PIB atteignant 3 milliards de dollars
(soit le plus faible montant du continent, tendance qui pourrait se confirmer
en 2023 (avec une prévision de croissance s’établissant à
+ 2,3 %)46(*).

Pour faire face à cette situation, le
Gouvernement a adopté plusieurs réformes fortement
contestées par l’opinion
 : augmentation du prix de
l’électricité et des carburants, gel des salaires des
fonctionnaires, ou encore mise en place d’une TVA de 10 % depuis le
1er janvier 2023.

Une manifestation contre la vie chère a
ainsi eu lieu le 17 février 2023, en marge de laquelle des
actes de violence ont été commis contre le siège de la
présidence et le bâtiment de l’Assemblée
nationale
.

En réponse à cette montée de la
contestation, les autorités surinamaises ont
décidé le versement d’une allocation de 1 800 dollars
surinamais aux 60 000 foyers les plus
défavorisés
.

À ces difficultés sociales
s’ajoutent en outre des tensions politiques
. Le Président
Chandrikapersad Santokhi, dit Chan Santokhi, élu en juillet 2020, dont
le parti VHP (Vooruitsrtrevende Hervormings Partij – parti
progressiste réformiste) ne dispose pas d’une majorité absolue
à l’Assemblée nationale, doit en effet gouverner avec l’ABOP
(Algemene Bevrijdings en Ontwikkelingspartij – Parti de la
libération générale et du développement) du
vice-président Ronnie Brunswijk47(*), alors que le NPS (Nationale Partij Suriname
– Parti national du Suriname) a quitté la coalition gouvernementale en
février dernier. Malgré des rumeurs concernant une possible
rupture de la coalition, les deux partis ont cependant annoncé
maintenir leur collaboration jusqu’au terme de leur mandat qui doit intervenir
en mai 2025. Par ailleurs, le NDP (Nationale Democratische
Partij
– Parti national démocratie) de l’ancien Président
Désiré Delanoe Bouterse, dit Desi Bouterse, dont le procès
pour des crimes politiques commis en décembre 1982 devrait s’achever en
fin d’année 2023, est régulièrement dénoncé
par ses adversaires pour contribuer à attiser les
tensions.

L’existence de gisements pétroliers
offshore, dont les niveaux sont actuellement en cours d’estimation,
pourrait, à moyen terme, apporter une réponse à la crise
traversée par le Suriname
.

Si les récentes déclarations du
Président-directeur général de TotalEnergies48(*),
Patrick Pouyanné, qui indiquait au début du mois de mai 2023
que « 2023 sera[it] une grande année pour le
Suriname
 », ainsi que le renforcement de la présence du
groupe français dans le pays49(*) invitent à un certain optimisme, la
« décision finale d’investissement » n’est
toujours pas prise, les données concernant le troisième et
dernier puits d’appréciation n’étant pas encore connues.

B. UNE
COOPÉRATION FRANCO-SURINAMAISE BIEN ÉTABLIE

Dans le domaine économique, les relations
franco-surinamaises sont réelles quoique limitées. Dans ses
réponses au questionnaire des rapporteurs, la direction
générale du Trésor a rappelé que
« les échanges bilatéraux entre la France
et le Suriname atteignent 42,9 M EUR en 2022
. Les produits
des industries agroalimentaires représentent près des
deux tiers (63 %) des exportations françaises vers le Suriname
(17 M EUR). La légère hausse annuelle de ces dernières
(+ 2 %) mise en perspective avec la hausse plus significative des
exportations surinamaises vers la France (+ 40 %, 26 M EUR) induite
par la crise énergétique et l’augmentation des prix des
hydrocarbures entraine un creusement de notre déficit commercial
avec le Suriname (9,7 M EUR vs. 2,6 M EUR en 2021)
.
La dépréciation du Dollar Surinamais (48 % sur 2022) a aussi
pu renforcer la compétitivité des exportations du pays.
Le pays limitrophe de la Guyane gagne une place au classement des
fournisseurs de la France
(21e/46 en Amérique latine
et Caraïbes et 138e/231 dans le monde vs. resp. 22ème et
141e). Le Suriname est notre 30e client en
Amérique latine et Caraïbes et notre 170e
mondial
 ».

En matière de défense, Krishna
Mathoera, ministre de la défense du Suriname, a rappelé
que
« la France est un partenaire très
important pour le Suriname
 ». Depuis 2003, les
deux pays sont liés par un accord de statut des forces à
l’étranger
.

La coopération franco-surinamaise militaire prend
la forme de plusieurs initiatives, notamment mises en oeuvre par les forces
armées en Guyane (FAG), dont la tenue d’un dialogue stratégique
au niveau du Plateau des Guyanes associant les états-majors
français, surinamais, guyanien et brésilien, l’apprentissage du
français aux forces armées surinamaises, l’organisation de
formations ou encore la tenue d’exercices conjoints tels que « Fer
de lance », qui s’est tenu du 8 au 19 mars 2023 et qui rassemblait
des militaires français, surinamais, guyaniens et brésiliens, ou
encore des formations dispensées par FAG au profit des forces
armées surinamaises. Signe de la vigueur de cette relation, la ministre
de la défense surinamaise s’est rendue à Paris en juin 2022
où elle a rencontré le ministre des armées,
Sébastien Lecornu. De même, en février 2023, le chef
d’état-major des armées du Suriname s’est rendu en France afin de
rencontrés plusieurs chefs militaires, dont son homologue, le
général Thierry Burkhard.

La coopération militaire entre nos pays
devrait en outre être renforcée avec l’installation d’une mission
de défense au sein de l’ambassade de France à partir du
1er août 2023.

Dans les domaines judiciaires et policiers, une
convention d’entraide en matière pénale a été
signée en 2021
qui vise à renforcer la lutte contre la
criminalité transfrontalière. La convention de
coopération policière transfrontalière signée en
2006 est par ailleurs entrée en vigueur le 1er septembre
2022
.

Enfin, en matière environnementale, comme le
rappelle le ministère de l’Europe et des affaires
étrangères, plusieurs initiatives peuvent être
mentionnées telles que la gestion par l’AFD d’une subvention de
5 millions d’euros versée par l’Union européenne pour la
préservation de la forêt amazonienne ou encore l’audition par
l’Assemblée nationale du Suriname, en mars 2023, d’experts
français dans le domaine de la lutte contre l’orpaillage.

La mission relève cependant qu’en raison
d’impayés, l’AFD a suspendu son intervention directe dans le
pays. Une action de sa filiale Proparco, à destination du secteur
privé, pourrait ainsi être envisagée pour accompagner le
développement de ce pays
.

Recommandation : envisager une action de Proparco,
filiale de l’AFD, en faveur du secteur privé, afin de poursuivre
l’accompagnement du développement du Suriname.

C. DES
RELATIONS TRANFRONTALIÈRES QU’IL CONVIENDRAIT DE RENFORCER, EN
PARTICULIER DANS LE DOMAINE DE LA SÉCURITÉ

À l’occasion d’un entretien avec des
parlementaires surinamais, le député Melvin Bouva a fait
part d’une expression néerlandaise selon laquelle il vaut
« mieux un bon voisin qu’un ami lointain »,
ajoutant que la France était ce bon voisin avec qui il fallait renforcer
la coopération. La mission ne peut que faire sienne cette analyse. Au
moins quatre axes de développement pourraient être
envisagés

1. Un
différend frontalier qu’il convient de solder rapidement

Au cours de la rencontre avec des parlementaires
surinamais, la mission a interrogé les élus sur le
calendrier de ratification du protocole d’accord pour la reconnaissance de la
frontière sur le Maroni-Lawa du 15 mars 2021, qui doit mettre un
terme à l’essentiel du contentieux frontalier entre la France et le
Suriname
.

En effet, si celui-ci a déjà
été ratifié par le France, cela n’est pas encore le cas
côté surinamais
.

Les parlementaires surinamais rencontrés,
en particulier Obed Kanape, président du groupe majoritaire, ont
manifesté leur volonté que ce texte soit rapidement adopté
par l’Assemblée nationale
.

Une fois cet accord ratifié par la partie
surinamaise, il conviendra d’aboutir rapidement à un accord sur
la 4e section de la frontière
, la France estimant
que la frontière est constituée par le fleuve Litani, alors que
le Suriname considère que celle-ci est matérialisée par le
Marouini, afin de clore définitivement ce chapitre.

Recommandation : encourager les autorités
surinamaises à procéder à la ratification du protocole
d’accord pour la reconnaissance de la frontière Maroni-Lava. Engager
rapidement des travaux sur la 4e et dernière section de la
frontière afin de solder définitivement ce contentieux avec le
Suriname.

2. Des
échanges commerciaux qui pourraient être intensifiés

Dans ses réponses au questionnaire vos
rapporteurs, la direction générale du Trésor a
rappelé que la valeur des échanges franco-surinamais de 2022 ne
représentaient que 30 % de ceux de 2015 (147 millions d’euros).

Des marges importantes existent donc dans ce domaine.
À cet égard, il a été indiqué
à la mission que le Gouvernement surinamais envisagerait des
investissements dans son outil de défense, ce qui pourrait constituer
des opportunités pour notre industrie de
défense
.

En second lieu, devant les parlementaires
rencontrés, la mission a mis en avant la nécessité
de débuter les travaux de construction d’une cale-sèche à
Albina, ville sur le fleuve Maroni située en face
Saint-Laurent-du-Maroni
, afin de permettre la circulation du bac
« Malani ».

Elle constate avec satisfaction que les travaux
de la cale-sèche côté surinamais ont débuté
le 23 juin dernier
, ce qui devrait permettre une augmentation
significative du volume des échanges entre le Suriname et la Guyane.

3. Une
coopération en matière de lutte contre les activités
illicites qui doit être approfondie

Lors de son déplacement en Guyane et à
Paramaribo, la mission a constaté que la question de la lutte contre les
activités illicites à la frontière entre le Suriname et le
département de la Guyane constituait un sujet de
préoccupation.

À titre d’exemple, si la vente de mercure, qui
sert à l’orpaillage illégal, est théoriquement interdite
au Suriname, force est de constater qu’une certaine tolérance
était de mise au cours des dernières années. Le
nouveau gouvernement semble avoir décidé de s’emparer de ce
sujet, en procédant à la destruction d’une vingtaine de barges
sur le Maroni à l’automne 2022
. Cette action constitué
un signal important vis-à-vis de la France, l’activité de
ces barges constituant une source de pollution majeure du fleuve
. Par
ailleurs, comme il a été rappelé
précédemment, le 27 mars dernier, le Parlement surinamais a
invité 7 experts français pour évoquer les
conséquences de l’orpaillage illégal en matière de
santé, de sécurité, etc. et envisager les pistes de
renforcement de la coopération policière.

Dans ce domaine, la mission se félicite que
l’accord de coopération policière signé en 2006 soit
entré en vigueur. Elle estime en outre indispensable que l’accord de
coopération judiciaire signé il y a deux ans soit rapidement
appliqué.

Au cours des entretiens, plusieurs pistes ont
été évoquées, telles que la conclusion d’une
convention de transfèrement de personnes condamnées entre la
France et le Suriname, l’augmentation du nombre de patrouilles communes sur le
Maroni afin de lutter contre l’immigration et les activités
illégales, ou encore le renforcement de la coopération
opérationnelles entre les forces de sécurité passant
notamment par des échanges de renseignements entre polices et forces
armées.

Recommandation : maintenir un très haut
niveau de coopération en matière policière et oeuvrer
activement pour la mise en oeuvre de l’accord de coopération
judiciaire.

4. Un
soutien de la France attendu dans le domaine militaire et de la
sécurité intérieure

Au cours des entretiens, les autorités
surinamaises ont mis en avant l’insuffisance des moyens des
armées et des forces de sécurité intérieure pour
lutter efficacement contre les activités illicites
.

La restructuration de la dette surinamaise rend plus
difficiles des investissements importants dans ces domaines. La France
pourrait ainsi apporter un soutien logistique aux forces surinamaises, en
envisageant par exemple des cessions de matériels
, qu’il
s’agisse de véhicules, de moyens de communication, ou encore
d’équipements individuels.

Recommandation : étudier les
possibilités de cessions de matériels et d’équipements au
profit des forces de sécurité surinamaises.

IV. LE GUYANA, FUTUR « QATAR »
D’AMÉRIQUE DU SUD ?

A. DU FAIT
DE SES IMPORTANTES RESSOURCES PÉTROLIÈRES…

Jusqu’à récemment, le Guyana,
ancienne colonie britannique ayant accédé à
l’indépendance en 1966, était le pays le plus pauvre
d’Amérique du Sud
.

La découverte d’importants gisements de
pétrole en mer par l’américain ExxonMobil en 2015 a cependant
grandement rebattu les cartes. Avec près de 11,5 milliards de
barils équivalents de pétrole
, le pays
possèderait ainsi les deuxièmes plus grandes
réserves de pétrole par habitant au monde
.
Sa production de pétrole pourrait ainsi atteindre 1,2
million de barils par jour d’ici 2027
.

Rencontre avec M. Manzoor Nadir, Président
de l’Assemblée nationale du Guyana

Entretien avec MM. Irfaan Ali, Président de
la République, et Hugh Todd, ministre des affaires
étrangères du Guyana

B. …LE GUYANA CONNAÎT ACTUELLEMENT DES
BOULEVERSEMENTS ÉCONOMIQUES MAJEURS, QUI POURRAIENT LUI PERMETTRE
D’ATTEINDRE D’ICI QUELQUES ANNÉES LES NIVEAUX DE VIE DES PAYS
DÉVELOPPÉS

Selon la DG Trésor, avec un PIB de 7,7 milliards
de dollars en 2021, qui devrait atteindre 14,8 milliards de dollars en
2022, le Guyana a enregistré le plus fort taux de croissance
mondiale en 2022
(+ 57,8 %), comme cela avait
déjà été le cas en 2020 (+ 43,5 %). Il
occupait la 3e position en 2021 (+ 23,8 %).

Alors que la croissance annuelle mondiale entre 2021 et
2027 devrait s’élever à 3,8 %, le Guyana enregistrerait
quant à lui une croissance de son PIB de 26,4 % sur la même
période.

11e pays sur les 12 d’Amérique du Sud
en termes de PIB, il est toutefois 2e en termes de PIB par
habitant (18 745 dollars courants en 2022). Il est prévu que
le pays dépasse l’Uruguay (20 018 dollars courants en 2022)
dès 2023 et creuse l’écart par la suite
.

Selon les projections du Fonds monétaire
international, en 2027, le PIB par habitant guyanien atteindrait
35 368 dollars, à la 41e place mondiale, derrière
l’Espagne et devant le Koweït.

Le PIB par habitant en dollars parité de
pouvoir d’achat (PPA) de 201750(*) devrait quant à lui atteindre 90 136
dollars (contre 18 672 dollars en 2020, soit une progression de +
383 % en 7 ans), ce qui le placerait au 6e rang mondial,
juste devant la Suisse
.

Projections de PIB/ habitant en 2027

(en dollars PPA 2017)

Irlande

125 797,126

Luxembourg

125 456,335

Singapour

125 328,693

Qatar

117 182,345

Macao

115 003,829

Guyana

90 136,064

Suisse

73 981,605

Émirats arabes unis

73 957,364

Sultanat de Brunei

73 628,978

Norvège

70 425,932

États-Unis

68 021,841

Hong-Kong

67 590,739

Taiwan

65 882,542

Saint-Marin

63 868,969

Danemark

62 691,153

Pays-Bas

62 502,806

Islande

60 836,134

Autriche

59 894,314

Allemagne

57 887,108

Suède

56 498,125

Andorre

55 530,932

Malte

55 362,331

Australie

54 965,147

Belgique

54 777,861

Finlande

52 749,608

Corée

51 637,165

Bahreïn

51 597,392

France

50 546,214

Canada

50 303,749

Royaume-Uni

50 027,03

Source : Fonds monétaire international,
World Economic Outlook database, octobre 2022

Face à ces niveaux de croissance
exceptionnels, pour l’essentiel liés aux revenus tirés de ses
gisements pétroliers, les autorités guyaniennes ne cachent pas
leur ambition de faire de leur pays les Émirats arabes unis ou le Qatar
de la prochaine décennie
. Le Président Irfaan Ali a par
ailleurs rappelé à la mission son souhait que le Guyana devienne
un champion mondial en matière de sécurité alimentaire, de
sécurité énergétique et de changement
climatique.

C. DES
CHOIX POLITIQUES QUI AURONT UN IMPACT SUR LE DÉVELOPPEMENT DU PAYS

L’exemple vénézuélien a
illustré l’absence de corrélation systématique entre
abondance de ressources en hydrocarbures et développement
économique de même que le rôle crucial joué par les
choix des autorités en matière économique et
sociale
.

Les politiques publiques mises en oeuvre par l’actuel
Gouvernement guyanien seront donc déterminantes dans le modèle de
développement du pays pour les années à venir.

Pour éviter la survenance du « syndrome
hollandais », c’est-à-dire ne pas être sujet aux effets
pervers d’une économie fondée uniquement sur une rente issue de
l’exportation de ressources naturelles, le gouvernement du Guyana a mis
en place un fonds souverain (Natural Resource Fund) placé
auprès d’une institution financière newyorkaise
.

Cette « manne »
pétrolière, qui représentait plus de 88 % de la
croissance du PIB réel du pays en 2022, devra ainsi servir au
développement d’autres secteurs d’activité, en particulier
l’agriculture et l’agroalimentaire.

Par ailleurs, ce
« ruissellement » lié à la manne
pétrolière devra profiter à l’ensemble de la population,
dont près de 40 % vit encore sous le seuil de
pauvreté
. À cet égard, le Président Irfaan
Ali a rappelé à la mission la volonté du
Gouvernement d’augmenter les investissements dans les infrastructures
(dont 650 millions de dollars pour les infrastructures
routières, 258 millions de dollars pour les logements et
210 millions de dollars pour les infrastructures
électriques) ainsi que dans les domaines de l’éducation
et de la santé
.

Enfin, au niveau environnemental, si le Guyana a
été l’un des premiers pays du monde à adopter une
stratégie à faible émission carbone (low carbon
development strategy
), celle-ci se repose en grande partie sur la
présence de forêts, dont les capacités de stockage de
carbone atteindraient plus de 19 gigatonnes. L’enjeu pour le Guyana consistera
par conséquent à s’engager dans un modèle de
développement fondé en grande partie sur la rente
pétrolière mais prenant en comptes les impératifs en
matière environnementale. Dans cette perspective, la France
accompagne déjà les efforts du Guyana dans ce domaine dans le
cadre de plusieurs partenariats
(cf. encadré
ci-après).

Partenariats liant la France au Guyana en
matière de développement durable

Le pays bénéficie du projet français
Nos Futures Forêts – Amazonia Verde, l’une des priorités de
conservation de l’Alliance pour la protection des forêts tropicales (le
Guyana perçoit 1,2 million € des 15,4 millions €
dédiés à ce projet).

La France soutient également les initiatives des
populations locales via un fonds de solidarité pour les projets
innovants (n° 2021-39 Protéger les droits des autochtones, la
forêt et l’environnement au Guyana) de 521 000 € qui vise à
élargir leurs droits fonciers, notamment en soutenant leurs moyens de
subsistance.

Le Fond français pour l’environnement mondial
(FEFEM) mène avec le WWF et d’autres partenaires un projet de 3,5
millions € de soutien à l’abandon progressif du mercure sur le
plateau des Guyanes.

Enfin, notons que l’Union européenne est le plus
gros donateur au Guyana avec une enveloppe de coopération de €21
millions pour la période 2021-2027. Cela comprend €5 millions de
fonds versé à l’AFD pour un projet avec WWF Guianas de soutien
aux moyens de subsistance forestiers durables pour les communautés de
l’intérieur du pays.

Source : ministère de l’Europe et des
affaires étrangères

D. LA
FRANCE DOIT RAPIDEMENT SE POSITIONNER COMME UN PARTENAIRE CLÉ DU GUYANA
EN RENFORÇANT SES RELATIONS AVEC CE PAYS

La France peut encore se positionner comme un
partenaire majeur du Guyana
.

Cela suppose que cette relation ne se limite pas
à des déclarations d’intention mais se traduise rapidement en
actes
, comme l’ont appelé de leurs voeux les autorités
guyaniennes rencontrées par la mission, qu’il s’agisse d’Irfaan Ali,
Président de la République du Guyana comme
de Manzoor Nadir, Président de l’Assemblée nationale du
Guyana.

1. Le Guyana offre d’importantes opportunités pour
les entreprises françaises sous réserve qu’elles y investissent
dès maintenant

La mission a pu constater qu’en dépit de
l’augmentation significative de son PIB au cours des dernières
années, les besoins en infrastructures et en services du Guyana
demeurent très élevés.

Le pays offre donc d’importantes
opportunités économiques pour les entreprises
françaises
. Le renforcement de la présence
française au Guyana a d’ailleurs été appelé de ses
voeux par le Président Irfaan Ali qui a indiqué que les
entreprises françaises étaient les bienvenues et souhaiter que la
France devienne un « partenaire clé » du
développement du pays.

L’ambassade de France au Suriname et au Guyana a
édité un document rappelant les opportunités
économiques du pays pour les entreprises françaises51(*). 7 secteurs sont
ainsi identifiés comme présentant un potentiel économique
important
 :

– les infrastructures ;

– la production et approvisionnement
énergétique ;

– l’immobilier ;

– l’agriculture et le secteur forestier. Le
Président Irfaan Ali s’est notamment dit intéressé par des
transferts de technologies françaises pour développer
l’agriculture guyanienne ;

– le secteur minier ;

– la distribution ;

– les crédits carbone.

La mission a cependant pu constater qu’en
dépit des efforts déployés par l’Ambassade de France au
Suriname et au Guyana52(*), les entreprises françaises étaient
encore peu représentées dans ce pays
. Elle appelle par
conséquent à multiplier les initiatives à destination de
nos entreprises afin de leur faire prendre conscience des opportunités
commerciales offertes par le Guyana.

Recommandation : multiplier les initiatives à
destination des entreprises françaises afin leur faire prendre
conscience des opportunités commerciales offertes par le Guyana.

2. Une procédure de délivrance de visas qui
doit être facilitée

Lors des entretiens conduits à Georgetown,
les autorités guyaniennes ont toutes indiqué à la
mission regretter l’impossibilité pour les Guyaniens d’effectuer les
démarches pour obtenir un visa pour la France depuis le territoire du
Guyana
.

En effet, aucun pays de l’Union européenne ne
disposant, à l’heure actuelle, d’une ambassade à Georgetown, les
Guyaniens doivent se rendre à l’ambassade des Pays-Bas au Suriname pour
y déposer leur demande de visa Schengen.

Lors de son audition par votre commission,
Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires
étrangères, a indiqué être consciente du
problème : « s’agissant du Guyana, nous connaissons
bien la situation, en particulier la difficulté qui représente le
fait de devoir se déplacer au Suriname pour effectuer les
démarches relatives aux visas
 ». Aucune piste n’a
cependant été évoquée par la ministre pour
répondre à cette problématique.

L’ambassadeur de France au Suriname et au
Guyana, Nicolas Bouillane de Lacoste, a pour sa part
précisé à la mission que la possibilité de
délivrer localement des visas Schengen était à
l’étude
. La mission ne peut qu’encourager le ministère
de l’Europe et des affaires étrangères à aboutir
rapidement à une solution afin de faciliter les démarches
d’obtention de visas pour les Guyaniens.

Recommandation : étudier les solutions
possibles pour faciliter les démarches d’obtention de visas Schengen
pour les Guyaniens.

3. Une coopération nécessaire en
matière de lutte contre les trafics illégaux

Si la hausse du niveau de vie des Guyaniens se traduit
par une baisse de la criminalité, le pays demeure
confronté aux défis de la criminalité
organisée : pêche et orpaillages illégaux et trafics
de stupéfiants, en particulier la cocaïne à destination de
l’Amérique du Nord et de l’Europe
. À titre d’exemple, en
2020, 11,5 tonnes de cocaïne en provenance du Guyana auraient
été saisies à Anvers.

Le Président Ali a ainsi appelé
à un renforcement de la coopération franco-guyanienne en
matière de lutte contre la criminalité
, soulignant que
celle-ci constitue un défi commun à l’ensemble des pays du
Plateau des Guyanes.

4. Un renforcement de la présence diplomatique
française à Georgetown qui devra se traduire par l’ouverture
à court terme d’une ambassade de plein exercice

L’ouverture d’une ambassade au Suriname
également compétente pour le Guyana a constitué une
première étape importante
. De même, la mission a
pu constater que la présence d’un représentant de
l’Ambassade à Georgetown, ayant le statut de volontaire international en
administration, a permis un renforcement significatif des liens
franco-guyaniens
.

La mise en place d’une antenne diplomatique
à l’automne 2023 constitue un signal important et salué par les
autorités guyaniennes rencontrées
. La mission estime
indispensable que le diplomate résident qui sera nommé
puisse capitaliser sur l’important travail, notamment de réseau,
réalisé par l’actuel volontaire international
, selon des
modalités qu’il conviendra de déterminer.

La mission considère cependant
nécessaire d’aller plus loin en ouvrant une ambassade de plein exercice
à Georgetown
, à l’instar de ce qu’ont pu faire d’autres
pays tels que les États-Unis, la Chine ou la Russie.

Le Royaume-Uni a, pour sa part, nommé un
haut-commissaire, instauré la gratuité des visas et ouvert une
ligne aérienne Georgetown-Londres.

Lors de son audition par votre commission,
Catherine Colonna53(*), ministre de l’Europe et des affaires
étrangères, a cependant opposé une fin de non-recevoir
à cette proposition, indiquant : « je ne
peux pas vous donner l’assurance que nous allons ouvrir une ambassade au Guyana
ni ailleurs
. Même si nos moyens sont appelés
à être renforcés, pour autant que le Parlement valide les
propositions qui lui seront faites, il en faudrait bien plus pour que
nous ouvrions des ambassades
, après avoir dû fortement
réduire le réseau consulaire dans les deux dernières
décennies. Je vous remercie de ce plaidoyer, qui était un beau
plaidoyer. Nous y penserons peut-être pour l’avenir si nos moyens
nous le permettent
 ».

Si la mission est consciente des contraintes
budgétaires pesant sur le ministère de l’Europe et des affaires
étrangères, elle estime cependant que l’ouverture d’une ambassade
au Guyana devrait constituer une priorité du ministère

au regard des enjeux rappelés supra.

En effet, si la France ne prend pas rapidement
l’initiative, nos concurrents ont déjà fait, ou feront dans un
futur proche, à n’en pas douter, preuve de davantage de
clairvoyance
.

Recommandation : créer une ambassade de plein
exercice au Guyana.

Enfin, en matière parlementaire, la
mission préconise la création d’un groupe d’amitié
France-Guyana-Suriname afin de renforcer les liens entre nos trois pays du
Plateau des Guyanes
.

Recommandation : créer un groupe
d’amitié France-Guyana-Suriname.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 5 juillet 2023, sous la
présidence de M. Christian Cambon, président, la
commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées a procédé à l’examen du rapport
d’information de Mme Joëlle Garriaud-Maylam et M. André
Vallini, rapporteurs, et de Mme Catherine Dumas, M. Philippe Folliot
et Mme Nicole Duranton, membres du groupe de travail, sur « Les
nouveaux équilibres stratégiques en Amérique du
Sud ».

M. Christian Cambon,
président
. – Nous examinons à présent le
rapport d’information réalisé à la suite de la mission
effectuée au Brésil, au Suriname et au Guyana, à laquelle
participaient nos collègues Joëlle Garriaud-Maylam,
André Vallini, Catherine Dumas, Philippe Folliot et Nicole
Duranton.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam,
rapporteur
. – Douze ans après le dernier rapport
consacré par notre commission au Brésil, il apparaissait
indispensable de mener de nouveaux travaux sur ce pays tant celui-ci a connu
d’importants bouleversements politiques au cours de la décennie
écoulée : destitution de la Présidente Dilma Rousseff en
août 2016, accession au pouvoir du dirigeant d’extrême-droite Jair
Bolsonaro en 2018, et élection, pour un troisième mandat, de Luiz
Inácio Lula da Silva en octobre 2022.

Ces alternances ont eu des répercussions
importantes tant à l’intérieur des frontières du pays, en
matières économique, sociale et environnementale, qu’en dehors,
en raison de la place qu’il était parvenu à occuper à la
fin des années 2010 au niveau régional comme international.

L’objectif de notre mission d’information était
double. Il s’agissait tout d’abord d’établir un bilan de la situation
économique, sociale et politique du Brésil à l’amorce de
la troisième présidence Lula, tout en identifiant les axes
possibles de renforcement de la relation bilatérale. Il s’agissait
ensuite d’analyser les atouts et les défis que représente la
présence de la France en Amérique du Sud en se penchant sur les
relations qu’elle entretient avec ses voisins du Plateau des Guyanes,
immédiats, comme le Brésil et le Suriname, ou plus lointains,
comme le Guyana, et sur les pistes d’approfondissement de ces derniers.

Dans cette perspective, notre délégation,
qu’André Vallini et moi avions l’honneur de conduire, et qui
était également composée de Catherine Dumas, Philippe
Folliot et Nicole Duranton, que je tiens à remercier pour leur
participation à ce travail commun, s’est rendue à Rio de Janeiro,
sur la base navale d’Itaguaí – symbole de la coopération
franco-brésilienne en matière de défense – à
Brasilia, Macapá, Oiapoque, Cayenne, puis à Paramaribo, capitale
du Suriname, et enfin Georgetown, capitale du Guyana.

Je commencerai cette présentation par un
état des lieux de la situation économique et sociale du
Brésil, de sa politique étrangère et des évolutions
attendues à la suite de l’élection du Président Lula avant
de laisser André Vallini vous présenter les perspectives
concernant la relation et la coopération transfrontalière.
Catherine Dumas abordera quant à elle les relations de la France avec
ses autres voisins du Plateau des Guyanes que sont le Suriname et le Guyana.

Au cours de la première décennie des
années 2000, le Brésil a connu une amélioration
significative de sa situation économique marquée notamment par un
taux de croissance élevé et une baisse du taux de chômage.
Cette période s’est en outre caractérisée par une
distribution plus équitable des revenus du travail. À cette
« décennie dorée » a toutefois
succédé une « décennie perdue »,
caractérisée par une croissance atone et une dégradation
des finances publiques brésiliennes.

Depuis la récession de 2015-2016, les
inégalités et la pauvreté sont en outre reparties à
la hausse. Le Brésil compterait ainsi à l’heure actuelle plus de
30 millions de personnes souffrant de la faim. Pays parmi les plus
inégalitaires du monde, le Brésil est marqué par une forte
polarisation de sa société.

Les élections d’octobre 2022 ont clairement mis en
évidence un clivage entre les valeurs prônées par le camp
bolsonariste : travail, famille traditionnelle, religion, notamment
évangélique ; et celles portées par Lula et ses
alliés : lutte contre les inégalités et les
discriminations, dialogue, protection de l’environnement.

Une semaine après l’investiture du nouveau
Président, le 8 janvier 2023, des milliers de partisans de Jair
Bolsonaro réclamant un coup d’État militaire se sont ainsi
livrés à des actes de vandalisme dans la capitale
fédérale, Brasilia.

Afin d’atténuer les clivages entre ces
« deux Brésil », le Président Lula a fait
de la lutte contre la pauvreté et de la réduction des
inégalités les priorités de son Gouvernement, en rupture
avec la politique menée par son prédécesseur. Ce
volontarisme du nouveau Président dans le domaine social s’est traduit
par le retour de plusieurs mesures emblématiques de ses premiers mandats
telles que les programmes « Bolsa
Família »
et « Minha Casa Minha
Vida »
. Le nouvel exécutif a également
annoncé la mise en oeuvre d’une importante réforme fiscale qui
verra notamment la création d’une TVA actuellement inexistante.

En matière environnementale, conformément
aux promesses faites durant la campagne, le Président Lula, qui s’est
engagé à atteindre une déforestation nette nulle d’ici
2030, a pris différentes mesures pour combattre la déforestation
telles que la création d’un ministère de l’environnement ou
encore la mobilisation de l’armée pour lutter contre l’orpaillage
illégal. Lula a également fait de la protection des peuples
autochtones l’une des priorités de son Gouvernement, appelant dans son
discours d’investiture à révoquer, je cite,
« toutes les injustices commises à l’encontre des peuples
autochtones
 ».

Le Gouvernement Lula III doit cependant composer avec un
Congrès qui lui est majoritairement défavorable, le parti
conservateur de Jair Bolsonaro et ses alliés y détenant la
majorité. L’unité nationale manifestée au lendemain du 8
janvier 2023 associée à un certain pragmatisme et une souplesse
des partis brésiliens, habitués aux gouvernements de coalition,
devraient faciliter l’adoption de certaines réformes. En matière
environnementale cependant, le secteur de l’agro négoce, bien
représenté au sein du Congrès, pourrait constituer un
frein au volontarisme du nouvel exécutif.

En matière de politique étrangère,
au niveau régional tout d’abord, les premiers mandats du
Président Lula ont été marqués par l’affirmation
progressive de ce que l’on peut qualifier
d’« hégémonie consensuelle »
brésilienne sur le sous-continent.

Si, durant la présidence Bolsonaro, le
Brésil s’est détourné de l’Amérique latine au
profit d’un rapprochement avec les États-Unis, le Président Lula
a clairement affirmé son souhait de relancer le processus
d’intégration régionale. L’une des premières
décisions prises par le nouvel exécutif a ainsi consisté
à réintégrer la Communauté d’États
Latino-Américains et Caraïbes (CELAC) le 5 janvier 2023. Dès
le 23 janvier 2023, Lula s’est en outre rendu en Argentine pour assister au
VIIe sommet de l’organisation. Enfin, le 30 mai 2023, un sommet des chefs
d’État du continent sud-américain s’est réuni à
Brasilia, témoignant de l’engagement du nouvel exécutif dans
l’intensification des liens entre pays du d’Amérique du Sud.

Au niveau international, au début de la
décennie 2010, le Brésil s’était imposé comme le
porte-parole du « Sud Global » parvenant à en
affirmer la place sur la scène internationale.

Cette volonté de rééquilibrage des
relations internationales au profit des pays du Sud demeure un marqueur fort de
la politique étrangère du Gouvernement Lula III. Dans le domaine
économique et monétaire, celle-ci se traduit par un narratif
appelant à une « dédollarisation » de
l’économie mondiale, à une réforme de l’architecture
financière internationale et à un assouplissement des conditions
de remboursement des dettes des pays du Sud.

Le « non-alignement » sur le bloc
occidental qui sous-tend la politique étrangère du Brésil
a cependant pu être perçu comme ambigu, en particulier dans le
contexte de la guerre en Ukraine. S’il refuse d’appliquer des sanctions
à l’encontre de la Russie tant que celles-ci n’auront pas
été décidées par le Conseil de
sécurité de l’ONU – au sein duquel la Russie, membre permanent,
dispose d’un droit de veto – ou de livrer des armes à l’Ukraine, le
Brésil a cependant voté en faveur de la plupart des
résolutions de l’Assemblée générale des Nations
unies. Le pays entend ainsi assumer un rôle de médiateur dans ce
conflit, proposant la création d’un « club de la
paix » qui réunirait des pays non occidentaux pour servir
d’intermédiaire entre les belligérants.

Je termine en évoquant la question des relations
entre l’Union européenne (UE) et le Brésil. Leur évolution
dépend évidemment pour partie du futur de l’accord d’association
négocié depuis 1999. Dans la perspective de sa présidence
de l’UE intervenue le 1er juillet 2023, l’Espagne avait émis
le souhait que les discussions puissent aboutir d’ici le sommet UE-CELAC qui se
tiendra les 17 et 18 juillet 2023. Ce calendrier, déjà optimiste
en début d’année 2023, semble désormais impossible compte
tenu du report de la deuxième session de négociation de
l’instrument additionnel.

S’il peut sembler excessif de considérer qu’un
éventuel échec des discussions sur cet accord ancrera
définitivement le Brésil à la Chine, compte tenu des
relations commerciales qui existent déjà entre les deux pays, et
sans méconnaître les problématiques soulevées par
cet accord, qui sont d’ailleurs bien rappelées dans un projet de
résolution déposé fin juin au Sénat, nous
considérons cependant qu’il convient de poursuivre les discussions sur
ce sujet en prenant notamment en compte le volontarisme de Brasilia en
matière environnementale, dans la mesure où il nous semble que
cet accord contribuera au renforcement du lien unissant le Brésil au
pays occidentaux.

Je laisse maintenant la parole à André
Vallini pour une présentation des perspectives concernant les relations
bilatérales franco-brésiliennes et la coopération
transfrontalière.

M. André Vallini,
rapporteur
. – L’amitié entre la France et le Brésil
est profonde et ancienne. La France et le Brésil ont ainsi
développé d’importantes coopérations dans des domaines
variés.

La France est en ainsi le principal partenaire
européen du Brésil dans le domaine universitaire. Dès les
années 1930, des intellectuels éminents tels que Fernand Braudel
ou Claude Lévi-Strauss ont contribué à établir des
liens entre les deux pays en participant à la fondation de
l’Université de São Paulo, qui est aujourd’hui la première
université d’Amérique latine.

Au niveau économique, le Brésil est
également un partenaire majeur de la France au sein de la sphère
émergente. En termes de flux, le Brésil est la 10e
destination des investissements directs à l’étranger (IDE)
français et le 1er grand pays émergent. Par ailleurs,
la quasi-totalité des sociétés du CAC 40 – 39 sur 40 –
dispose d’au moins une filiale au Brésil.

Les relations franco-brésiliennes en
matière d’investissements laissent cependant apparaître un
important déséquilibre. Nous estimons par conséquent qu’un
certain rééquilibrage des flux d’investissements devrait
être recherché pour les années à venir. Nous
proposons ainsi la mise en place d’un accompagnement renforcé des
entreprises brésiliennes envisageant de s’implanter en France. Ce sujet,
comme l’ensemble des aspects de la relation économique
franco-brésilienne, pourrait être utilement abordé au sein
d’une instance permettant un dialogue bilatéral de haut niveau
régulier sur les sujets économiques et financiers, dont nous
proposons la création.

La coopération franco-brésilienne s’exerce
aussi dans le cadre de l’action de l’Agence française de
développement (AFD) dans le pays. La stratégie brésilienne
de l’AFD pour la période 2018-2022 avait pour principal objectif
d’accompagner la transition du pays vers un modèle de
développement bas carbone via l’appui aux territoires et le
développement de partenariats, avec le système financier public
brésilien notamment.

Après 16 ans de présence de l’AFD au
Brésil, le pays est devenu le 5e partenaire au monde du Groupe avec 2,3
milliards d’euros engagés depuis 2007. L’action de l’AFD reste cependant
majoritairement concentrée dans les régions Sud et Sud Est plus
prospères. Nous estimons par conséquent nécessaire que
celle-ci se tourne davantage vers le Nord et le Nord Est brésiliens,
plus pauvres.

S’agissant des relations diplomatiques entre nos deux
pays, après une période de tension sous l’ère Bolsonaro
l’élection du Président Lula ouvre incontestablement un nouveau
chapitre. Nous ne pouvons que nous réjouir de ces
« retrouvailles » entre nos deux pays, pour
reprendre l’expression de Catherine Colonna.

Cette volonté de renouer des liens nourris et
réguliers avec la France a été systématiquement
rappelée lors des entretiens que nous avons eus. L’accueil chaleureux et
enthousiaste qui nous a été réservé est d’ailleurs
le meilleur témoignage de cette volonté de renforcer nos
relations.

Cette main tendue doit être saisie rapidement alors
que plusieurs de nos alliés et compétiteurs ont
déjà opéré un rapprochement, parfois plus
marqué, avec ce « nouveau Brésil ».
Quelques exemples : alors que plusieurs chefs d’État, dont le Roi
d’Espagne et les Présidents du Portugal et de l’Allemagne, ou encore le
Vice-Président chinois ont assisté à l’investiture du
Président Lula, la France n’y était représentée que
par le ministre délégué chargé du commerce
extérieur, de l’attractivité et des Français de
l’étranger.

Le Président Lula a par ailleurs accueilli
plusieurs visites officielles depuis son élection : le Chancelier
allemand Olaf Scholz s’est ainsi rendu à Brasilia dès le mois de
janvier 2023, promettant le versement de 200 millions d’euros pour la
protection de l’Amazonie. Le ministre des affaires étrangères
russes, Sergueï Lavrov, a également été reçu
par son homologue brésilien Mauro Vieira puis le Président Lula
en avril 2023.

Lors de la visite de Catherine Colonna au Brésil
en février dernier, les Brésiliens pensaient obtenir une date
pour une visite du Président de la République et des annonces
concernant des investissements français dans leur pays. Ils n’ont eu ni
l’un ni l’autre.

Nous estimons par conséquent que la relance des
relations bilatérales devrait désormais se concrétiser par
un geste fort côté français, avec une visite
présidentielle dès 2023. Le sommet des pays d’Amazonie, qui se
tiendra au mois d’août prochain et auquel le Président Lula a
invité son homologue français, pourrait constituer une
opportunité de visite présidentielle, à laquelle devrait
rapidement succéder une visite d’État permettant
l’établissement d’une feuille de route concrète, visant en
particulier à donner un nouveau souffle au partenariat
stratégique de 2006.

Dans le domaine de la défense, celui-ci s’est
matérialisé par un plan d’actions conclu en 2008, qui a notamment
donné lieu à d’importants contrats dans les domaines naval,
aéronautique et spatial. Dans le domaine naval plus
spécifiquement, un ambitieux programme de transfert de technologie a
été signé en 2009. Celui-ci repose sur deux piliers :
la construction d’un chantier et d’une base navale à Itaguaí et
la construction de 4 sous-marins conventionnels de type Scorpène dans
les chantiers d’Itaguaí et l’assistance à la construction d’un
sous-marin à propulsion nucléaire.

Nous appelons à préparer dès
maintenant l’après 2025, date de mise en service du dernier sous-marin
conventionnel.

Plusieurs axes de relance de ce partenariat pourraient
être envisagés : étudier les possibilités de
renforcement de l’appui français aux autorités
brésiliennes dans la construction d’un sous-marin à propulsion
nucléaire, même si nous sommes évidemment conscients des
problématiques que cela soulève ; utilisation d’Itaguai comme
d’un « relais » en Amérique latine pour la vente
de sous-marins de type Scorpène qui seraient construits au Brésil
; ou encore conclusion d’un partenariat dans le domaine terrestre avec, par
exemple, la livraison de systèmes CAESAR qui s’accompagnerait de la
maintenance et d’actions de formation.

Les relations franco-brésiliennes comprennent en
outre une dimension transfrontalière qui ne doit pas être
négligée, le Brésil étant, je le rappelle, notre
voisin par le département de la Guyane. Nous partageons d’ailleurs avec
ce pays notre plus longue frontière terrestre : plus de 700 km.

La coopération transfrontalière dans les
domaines militaires – en particulier en matière de lutte contre la
pêche ou l’orpaillage illégaux -, judiciaire et policier est
déjà intense. Certaines mesures pourraient cependant être
prises pour en renforcer la portée, telles que l’organisation de
patrouilles conjointes à la frontière, un renforcement de la
coopération judiciaire en matière pénale visant à
une meilleure exécution des commissions rogatoires émises par les
juges français à l’égard de ressortissants
brésiliens ou encore le renforcement de la coopération dans le
domaine de la protection de l’environnement via le développement de
contacts entre magistrats et policiers spécialisés ou de
coopérations techniques.

Par ailleurs, l’État de l’Amapá, frontalier
de la Guyane, ne peut actuellement pas bénéficier du soutien de
l’AFD en raison de sa situation financière. Une solution pourrait
consister en un financement « intermédié ».
C’est pourquoi nous encourageons l’AFD à rechercher un partenaire
bancaire qui permettrait d’apporter un soutien financier à l’État
d’Amapá. Plusieurs thématiques pourraient plus
spécifiquement faire l’objet d’un soutien français. Outre la
protection de l’environnement et le secteur culturel, l’aide au
développement pourrait contribuer au financement d’infrastructures
touristiques, qui font défaut à l’Amapá alors que cet
État jouit d’un fort potentiel touristique du fait de la présence
de la forêt Amazonienne.

Au cours du déplacement, les autorités
nationales comme locales brésiliennes ont par ailleurs
systématiquement soulevé la question de l’obligation pour les
Brésiliens souhaitant se rendre en Guyane de disposer d’un visa, alors
qu’une telle obligation n’existe pas pour se rendre sur le territoire
métropolitain et que les Guyanais sont, de leur côté,
exemptés de visa pour franchir la frontière. Cette
problématique des visas constitue un « irritant »
majeur des relations franco-brésiliennes, auquel nous estimons qu’il
convient d’apporter une solution rapidement.

Je laisse maintenant la parole à Catherine Dumas
pour vous présenter les relations qu’entretient la France avec ses
autres voisins du Plateau des Guyanes que sont le Suriname et le Guyana, ainsi
que leurs perspectives d’approfondissement.

Mme Catherine Dumas. – Selon les
mots de Thierry Queffelec, préfet de la Guyane, le département de
la Guyane représente « la France en
Amérique Latine »
. Avec ses voisins, notre pays partage
les innombrables atouts de la région du Plateau des Guyanes. Mais il est
également confronté aux mêmes problématiques :
augmentation de la criminalité, difficulté à assurer la
protection d’un territoire vaste et souvent peu accessible,
problématiques environnementales…

Ces enjeux, dans une large mesure régionaux,
appellent une réponse coordonnée avec nos voisins. André
Vallini vient d’exposer les perspectives de renforcement de la
coopération transfrontalière franco-brésilienne,
j’aborderai pour ma part les relations que nous entretenons avec notre voisin
immédiat qu’est le Suriname et plus lointain qu’est le Guyana.

S’agissant du Suriname, depuis 2020, le pays fait face
à une grave crise économique qui l’a contraint à faire
défaut sur sa dette extérieure. L’existence de gisements
pétroliers offshore, dont les niveaux sont actuellement en cours
d’estimation, pourrait, à moyen terme, apporter une réponse
à la crise traversée par le pays.

Des liens bien établis existent déjà
entre la France et le Suriname, pays avec lequel nous partageons une
frontière de plus de 500km. Leur renforcement nous semble cependant
envisageable dans au moins 4 domaines.

Premièrement, il nous semble indispensable de
clore définitivement le contentieux frontalier entre nos deux pays. Un
protocole d’accord pour la reconnaissance de la frontière sur le
Maroni-Lawa a été conclu le 15 mars 2021, qui doit mettre un
terme à l’essentiel de ce différend territorial.
Néanmoins, si celui-ci a déjà été
ratifié par le France, cela n’est pas encore le cas côté
surinamais. Nous appelons par conséquent le Gouvernement à
encourager les autorités surinamaises à ratifier ce protocole.
Une fois cet accord ratifié, il conviendra d’aboutir rapidement à
un accord sur la 4e section de la frontière afin de mettre un
terme définitif à ce contentieux.

Deuxièmement, en matière de défense,
au-delà des coopérations déjà nombreuses dans ce
domaine, en particulier avec les forces armées en Guyane, la France
pourrait apporter un soutien logistique aux forces surinamaises, en envisageant
par exemple des cessions de matériels, qu’il s’agisse de
véhicules, de moyens de communication, ou encore d’équipements
individuels.

Troisièmement, si deux conventions importantes ont
été signées en 2006 et 2021 dans les domaines policiers et
en matière pénale, nous avons toutefois constaté que la
question de la lutte contre les activités illicites à la
frontière entre le Suriname et le département de la Guyane
demeurait un sujet de préoccupation. Plusieurs pistes de renforcement de
la coopération franco surinamaise nous semblent envisageables en la
matière, telles que l’entrée en vigueur rapide de l’accord de
coopération judiciaire signé il y a deux ans, la mise en place
d’une convention de transfèrement de personnes condamnées ou
encore l’augmentation du nombre de patrouilles communes sur le Maroni.

Quatrièmement, dans le domaine économique,
des marges importantes existent, la valeur des échanges
franco-surinamais de 2022 ne représentant que 30 % de ceux de 2015.
Les échanges entre nos deux pays pourraient cependant croître avec
la construction d’une cale-sèche à Albina qui vient de
débuter et qui permettra la circulation d’un bac beaucoup plus important
que celui actuellement en circulation.

Des opportunités commerciales semblent
également exister en matière de défense, le Gouvernement
surinamais envisageant des investissements dans son outil de défense.

Une intervention de l’AFD en faveur du secteur
privé surinamais, via sa filiale Proparco, nous semble enfin
devoir être étudiée.

J’en viens maintenant aux relations franco-guyaniennes et
à leurs perspectives de développement.

Jusqu’à récemment, le Guyana, ancienne
colonie britannique ayant accédé à l’indépendance
en 1966, était le pays le plus pauvre d’Amérique du Sud. La
découverte d’importants gisements de pétrole en mer par
l’américain ExxonMobil en 2015 a cependant grandement rebattu les
cartes.

Avec près de 11,5 milliards de barils
équivalents de pétrole, le pays possèderait ainsi les
deuxièmes plus grandes réserves de pétrole par habitant au
monde. Sa production de pétrole pourrait ainsi atteindre
1,2 million de barils par jour d’ici 2027.

Le Guyana a enregistré le plus fort taux de
croissance mondiale en 2022, + 57,8 %, comme cela avait
déjà été le cas en 2020, + 43,5 %. Selon les
projections du Fonds monétaire international, en 2027, le produit
intérieur brut (PIB) par habitant en dollars parité de pouvoir
d’achat devrait dépasser 90 000 dollars, ce qui placerait le pays au
6e rang mondial, juste devant la Suisse.

Face à ces niveaux de croissance exceptionnels,
pour l’essentiel liés aux revenus tirés de ses gisements
pétroliers, les autorités guyaniennes ne cachent pas leur
ambition de faire de leur pays les Émirats arabes unis ou le Qatar de la
prochaine décennie.

L’exemple vénézuélien a cependant
illustré l’absence de corrélation systématique entre
abondance de ressources en hydrocarbures et développement
économique de même que le rôle crucial joué par les
choix des autorités en matière économique et sociale.

Les politiques publiques mises en oeuvre par l’actuel
Gouvernement guyanien seront donc déterminantes dans le modèle de
développement du pays pour les années à venir. Cette
« manne » pétrolière devra ainsi servir au
développement d’autres secteurs d’activité, en particulier
l’agriculture et l’agroalimentaire. Elle devra également profiter
à l’ensemble de la population, dont près de 40 % vit encore
sous le seuil de pauvreté.

Face aux bouleversements économiques
traversés par le Guyana, le pays suscite l’intérêt de
nombreux pays et investisseurs. Dans ce contexte, la France peut encore se
positionner comme un partenaire majeur du Guyana. Cela suppose cependant que
notre relation avec ce pays ne se limite pas à des déclarations
d’intention mais se traduise rapidement en actes.

En premier lieu, si la hausse du niveau de vie des
Guyaniens se traduit par une baisse de la criminalité, le pays demeure
confronté aux défis de la criminalité organisée :
pêche et orpaillages illégaux et trafics de stupéfiants, en
particulier la cocaïne à destination de l’Amérique du Nord
et de l’Europe. Le Président Ali, que nous avons rencontré, a
ainsi appelé à un renforcement de la coopération
franco-guyanienne en matière de lutte contre la criminalité,
proposition que nous ne pouvons que soutenir.

En deuxième lieu, nous avons pu constater qu’en
dépit de l’augmentation significative de son PIB au cours des
dernières années, les besoins en infrastructures et en services
du Guyana demeurent très élevés. Le pays offre donc
d’importantes opportunités économiques pour les entreprises
françaises sous réserve qu’elles y investissent dès
maintenant. Nous nous sommes cependant aperçus qu’en dépit des
efforts déployés par l’Ambassade de France au Suriname et au
Guyana, les entreprises françaises étaient encore peu
représentées dans ce pays.

Nous appelons par conséquent à multiplier
les initiatives à destination de nos entreprises afin de leur faire
prendre conscience des opportunités commerciales offertes par le
Guyana.

En troisième lieu, lors des entretiens que nous
avons conduits à Georgetown, les autorités guyaniennes nous ont
toutes indiqué regretter l’impossibilité pour les Guyaniens
d’effectuer les démarches pour obtenir un visa pour la France depuis
leur territoire.

En effet, aucun pays de l’Union européenne ne
disposant, à l’heure actuelle, d’une ambassade à Georgetown, les
Guyaniens doivent se rendre au Suriname pour y déposer leur demande de
visa Schengen. L’Ambassadeur de France au Suriname et au Guyana nous a
indiqué réfléchir à une solution technique
permettant de répondre à cette problématique. Nous ne
pouvons que soutenir cette démarche et appeler à une
résolution rapide de ce sujet.

Enfin, en quatrième lieu, si l’ouverture d’une
ambassade au Suriname également compétente pour le Guyana et la
mise en place d’une antenne diplomatique à l’automne 2023 constituent
des signaux importants et salués par les autorités guyaniennes
que nous avons rencontrées, nous estimons cependant nécessaire
d’aller plus loin en ouvrant une ambassade de plein exercice à
Georgetown, à l’instar de ce qu’ont pu faire d’autres pays tels que les
États-Unis, la Chine ou la Russie.

En effet, si la France ne prend pas rapidement
l’initiative, nos concurrents ont déjà fait, ou feront dans un
futur proche, à n’en pas douter, preuve de davantage de clairvoyance.

Je conclus en insistant sur le fait que la France doit se
positionner comme un partenaire clé du Guyana et que la présence
française sur le Plateau des Guyanes est un atout qui doit être
consolidé. Enfin, je souhaiterais remercier, au nom de la
délégation, les forces armées en Guyane sans qui nous
n’aurions pas pu effectuer cette mission.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l’unanimité, le
rapport d’information et en autorise la publication.

AUDITION DE
MME MICHÈLE RAMIS, DIRECTRICE DES AMÉRIQUES ET DES
CARAÏBES AU MINISTÈRE DE L’EUROPE ET DES AFFAIRES
ÉTRANGÈRES (29 MARS 2023)

M. Christian Cambon,
président
. – Nous recevons ce matin
Mme Michèle Ramis, directrice des Amériques et des
Caraïbes au ministère de l’Europe et des affaires
étrangères, que je remercie d’être parmi nous et à
qui je souhaite la bienvenue.

Madame la directrice, vous le
savez, notre commission considère l’Amérique latine comme un
sujet prioritaire. Plusieurs missions se sont ainsi rendues dans cette zone au
cours des dernières années – en Colombie en avril 2019
et en Guyane en décembre 2020 – et une
délégation de cinq sénateurs de notre commission se rendra
dans quelques semaines au Brésil, en Guyane et au Guyana.

Dans cette perspective, nous avons
souhaité vous entendre afin que vous nous dressiez une
présentation générale de la situation économique,
politique et sociale du Brésil, alors que vient de débuter la
nouvelle présidence Lula.

Il nous serait également
utile que vous nous présentiez l’état de la relation
bilatérale avec ce pays, qu’il s’agisse du partenariat
stratégique conclu en 2006 ou encore de la coopération
transfrontalière. Je rappelle que c’est avec le Brésil que nous
partageons notre plus longue frontière terrestre
– 730 kilomètres. Vous nous exposerez les perspectives de
relance des relations franco-brésiliennes, après une
présidence de Jair Bolsonaro marquée par une défiance
réciproque. À cet égard, la visite de la ministre de
l’Europe et des affaires étrangères en février dernier
constitue un signal important.

Par ailleurs, nous souhaiterions
vous entendre sur les perspectives et les enjeux auxquels est confronté
le Guyana. Ce pays, encore pauvre, est parfois présenté comme un
futur Qatar du fait de ses importantes réserves
pétrolières. Selon la Banque mondiale, sa production de
pétrole devrait quasiment quadrupler entre 2021 et 2024.
En 2027, selon les projections du Fonds monétaire internationale
(FMI), le PIB guyanien par habitant, en parité de pouvoir d’achat,
pourrait se situer juste au-dessus de celui de la Suisse.

Aussi, vous nous direz si les
politiques mises en oeuvre par le gouvernement guyanien vous semblent de nature
à favoriser le développement de ce pays et à éviter
la mise en place d’une économie reposant exclusivement sur la rente
pétrolière, ce qui poserait bien des questions sur le plan
environnemental. Vous nous présenterez également les perspectives
de renforcement de nos relations diplomatiques et commerciales avec ce pays.

Lors de son discours
d’investiture, le président Lula a souhaité donner un nouvel
élan à l’intégration régionale en Amérique
du Sud. Vous nous indiquerez si une relance du Mercosur, voire de l’Unasur
(Union des nations sud-américaines), vous semble crédible dans
les mois ou années à venir et quels pourraient en être les
contours. Vous pourrez également évoquer la manière dont
un éventuel retour du leadership brésilien est perçu par
ses voisins.

Enfin, nous souhaiterions que
vous nous précisiez comment la France entend se positionner dans cette
zone, dans quelle mesure la présidence espagnole de l’Union
européenne (UE), au second semestre 2023, pourrait constituer
l’occasion pour l’UE d’approfondir ses relations avec l’Amérique latine
et quelles sont les attentes françaises vis-à-vis du sommet
UE-Celac (Communauté d’États latino-américains et
caribéens) prévu en juillet 2023.

En d’autres termes, beaucoup
d’interrogations pèsent sur l’avenir du continent sud-américain
et ses relations avec l’Europe. Lorsque nous rencontrons les ambassadeurs
sud-américains, ils se plaignent d’une forme de
désintérêt – peu de visites ministérielles, pas
de visite présidentielle…

Alors que le chancelier Olaf
Scholz vient de réaliser une tournée de plusieurs jours sur le
continent et que nous sommes nous-mêmes physiquement présents au
travers de la Guyane, il est intéressant de nous pencher sur les
nouvelles formes de collaboration envisageables.

Après votre propos
liminaire, je donnerai la parole à mes collègues pour un
échange de questions-réponses. Je vous rappelle que cette
audition est captée et diffusée sur le site internet du
Sénat.

Mme Michèle
Ramis, directrice des Amériques et des Caraïbes au ministère
de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE).
 – Je
remercie la commission de m’avoir invitée à faire cette
présentation sur le Brésil. C’est un grand plaisir pour moi
d’être ici avec le sous-directeur d’Amérique du Sud,
Jean-Christophe Tallard-Fleury.

J’ai bien noté qu’une
délégation de votre commission se rendrait au Brésil du
9 au 17 avril. Cette visite est opportune et participe d’une relance
de la relation diplomatique avec ce pays. Nous tâcherons de vous
éclairer au maximum pour la préparer.

Nous entendons les attentes des
pays latino-américains quant à une multiplication des visites et
des échanges et je m’emploie à les satisfaire, mais aussi
à corriger une certaine perception. L’Amérique latine est
importante pour la France et le président de la République, qui
n’a pas pu s’y rendre durant son premier quinquennat, émaillé de
nombreuses crises, souhaite le faire cette année. Je souligne par
ailleurs qu’il reçoit souvent les chefs d’État étrangers
et a récemment reçu les présidents costaricien, argentin
et colombien ainsi que monsieur Lula avant son élection.

Le Brésil est un
géant de 8,5 millions de kilomètres carrés
– soit quinze fois la France -, qui compte 212 millions
d’habitants. Il est un partenaire historique de la France, avec lequel nous
partageons un partenariat stratégique signé en 2006 par les
présidents Chirac et Lula, dont la feuille de route a été
établie par ce dernier et le président Sarkozy en 2008.

Si la relation bilatérale
a été distendue pendant le mandat du président
précédent, nous sommes en train de la relancer, comme en
témoigne la visite officielle de Catherine Colonna du 8 au
9 février. Celle-ci a trouvé un pays polarisé, les
événements du 8 janvier ayant montré qu’une partie de
la population, peut-être manipulée par les réseaux sociaux,
n’a pas accepté l’alternance.

Par ailleurs, nos relations
économiques et culturelles ont perduré pendant ces quatre
années et nous avons beaucoup travaillé avec les États
fédérés et les mairies.

Lula ayant été
élu avec une faible marge, il va devoir, pour rassembler sa population,
faire preuve d’une capacité à concilier les inconciliables.
À cet égard, il a nommé un gouvernement élargi au
centre, sachant qu’il doit composer avec un Sénat conservateur.

J’ai accompagné la
ministre lors de sa visite en févier et nous avons eu le sentiment que
Lula se sentait renforcé par les événements du
8 janvier, car il est parvenu à éviter une dérive
vers une situation incontrôlable, obtenant des présidents des deux
chambres et des gouverneurs qu’ils s’expriment en faveur du respect des
institutions démocratiques, soutenu en cela par la Cour
suprême.

Toutefois, il devra rapidement
engranger des succès, dans un pays où plus de 30 millions de
personnes souffrent encore de la faim.

Le Brésil, neuvième
économie mondiale, exporte essentiellement des produits primaires
– produits agricoles, minerais, pétrole – et importe ses
produits manufacturés. Ce grand pays émergent, qui a beaucoup
souffert des conséquences du covid-19, doit donc améliorer sa
productivité et faire évoluer son modèle.

En matière de politique
étrangère, le retour de Lula a été
célébré dans le monde entier, car sa voix porte dans le
« Sud global » et il peut relancer le processus
d’intégration régionale. En effet, la crise
vénézuélienne a entraîné une polarisation du
continent. L’arrivée au pouvoir de gouvernements de gauche en
Amérique latine – Brésil, Colombie, Honduras – a permis
de réconcilier le continent et de retrouver un dialogue
intra-américain, ainsi qu’avec l’Europe – un sommet UE-Celac se
tiendra en effet au mois de juillet.

La voix du Brésil sera
très attendue sur les sujets environnementaux. Lula s’est
déplacé à la COP 27 et a annoncé qu’il
accueillera la COP 30 en 2025 en Amazonie.

De plus, le président
brésilien souhaite faire le pont entre le Nord et le Sud et encourager
la coopération Sud-Sud.

Pour autant, le Brésil
de 2023 ne s’éloignera pas des fondamentaux passés.
Culturellement occidental, ce pays se refuse à un alignement sur
l’Europe ou les États-Unis en matière de politique
étrangère : il est critique des interventions militaires et
des sanctions et cherche une forme de neutralité, par exemple sur le
conflit en Ukraine, bien qu’il ait voté les résolutions des
Nations unies.

Pour ce qui concerne sa politique
économique, elle sera dictée par les intérêts
commerciaux du pays : un tiers de ses exportations se font vers la Chine
et il est dépendant d’importations d’engrais en provenance de Russie, ce
qui peut expliquer certaines de ses prises de position.

Le sommet UE-Celac qui se tiendra
en juillet marque le retour de cette organisation après huit ans
d’interruption, le Brésil s’étant notamment retiré de la
Celac à cause de la crise vénézuélienne. Nous en
attendons la réactivation du dialogue sur les questions
économiques, environnementales, énergétiques, ainsi que de
démocratie, car l’État de droit est mis à mal dans
certains pays.

Nous souhaitons tenir un dialogue
franc avec tous les pays de ce continent qui, vu de loin, partage les principes
démocratiques de la France, mais qui connaît des crises
préoccupantes en matière de droits de l’homme.

Le Mercosur comporte deux pays
conservateurs et deux pays progressistes, ce qui complique l’adoption de
positions communes. Toutefois, la présidence espagnole souhaite, comme
vous l’avez noté, monsieur le président, relancer la relation
avec l’Amérique latine à l’occasion du sommet avec le Celac, ce
à quoi nous sommes tout à fait favorables.

La relation bilatérale
entre la France et le Brésil s’est altérée à partir
de 2019 à cause de divergences sur les questions environnementales,
consécutivement aux incendies en Amazonie. Il n’y a donc pas eu de
visites bilatérales pendant les quatre années
précédentes, mais les contacts techniques entre fonctionnaires se
sont poursuivis, de même que le dialogue avec des États, notamment
celui de São Paulo.

La relation a été
rétablie avec la visite de Catherine Colonna, reçue par le
président Lula et son homologue brésilien Mauro Vieira. Nous
avons annoncé que nous allions signer une feuille de route pour relancer
notre partenariat stratégique, qui date de 2008 et doit être
nourri. Il porte sur les questions de défense, de culture, de
francophonie, de lutte contre la désinformation, mais il doit aussi
inclure les questions globales, c’est-à-dire la lutte contre le
changement climatique, les questions de santé, d’alimentation et de
gouvernance mondiale.

Le président de la
République réunira les 22 et 23 juin un sommet à
Paris pour réformer l’architecture financière internationale,
auquel le Brésil est invité.

En ce qui concerne l’Ukraine, le
Brésil, acteur majeur du dialogue Nord-Sud, a voté en faveur de
la résolution de l’ONU condamnant l’invasion russe, s’est entretenu avec
le président Zelensky et a défendu l’intégrité
territoriale de l’Ukraine. Nous dialoguons donc bien sûr avec ce pays,
dont je rappelle qu’il est membre des « BRICS »
(Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).

Par ailleurs, nous plaidons pour
un renforcement et un rééquilibrage de nos relations
économiques bilatérales, d’ores et déjà
amorcé. La ministre s’est rendue dans l’État de São Paulo,
qui représente un tiers du PIB brésilien et a reçu la
communauté française des affaires, importante dans cet
État.

Ainsi, un agenda politique et
diplomatique très riche se dessine : des délégations
parlementaires se rendront au Brésil dans les semaines à venir,
la secrétaire générale du ministère mènera
des consultations bilatérales en avril et le ministre
délégué au commerce extérieur devrait
également effectuer une visite. Nous en profiterons pour imaginer de
nouvelles formes de coopération.

Nous souhaitons accompagner le
Brésil dans ses démarches d’adhésion à l’OCDE,
notamment pour qu’il parvienne à se conformer aux normes
environnementales.

Je sais que la
délégation de votre commission se rendra dans l’État
d’Amapá, qui partage une frontière avec la Guyane. La relation
transfrontalière est très importante ; nous la relancerons
également en réunissant, pour la première fois depuis
quatre ans, la commission mixte franco-brésilienne à Cayenne, en
juillet, pour examiner les questions de sécurité, de lutte contre
les trafics et de circulation des personnes.

M. Christian Cambon,
président
. – Cette réunion sera d’autant plus
importante que la frontière est très poreuse, comme nous avons pu
le constater lors de notre déplacement en Guyane. Les gens passent d’un
côté et de l’autre du fleuve comme on changerait de trottoir.

Avant de vous entendre sur le
Guyana, madame la directrice, je cède la parole à mes
collègues pour vous interroger sur la situation brésilienne.

M. André
Vallini
. – J’ai la chance de faire partie de la
délégation qui se rendra en Amérique latine. Pour
préparer cette visite, nous multiplions les auditions, notamment en vue
du salon Défense et sécurité qui se tiendra à Rio
de Janeiro. Le Brésil achète des hélicoptères, nous
construisons des sous-marins ensemble, il envisage d’acheter des canons Caesar,
etc.

Aussi, nous nous interrogeons sur
les raisons pour lesquelles Lula, dans la suite de Bolsonaro, veut à ce
point réarmer son pays et rediriger les forces armées vers
l’extérieur du pays, alors qu’il n’a a priori ni ennemi ni
problème frontalier.

M. André
Gattolin
. – Il y a quatre ans, la crise
vénézuélienne a poussé 5 millions de
Vénézuéliens à l’exil – soit 10 % de la
population -, notamment vers le Brésil qui leur accorde des visas.
Comment évaluez-vous l’impact de cette situation dans la région,
alors que des élections dont on ne sait pas si elles seront libres et
non faussées doivent se tenir l’année prochaine au
Venezuela ?

M. Jacques Le
Nay
. – Comment se déroule la coopération avec les
pays frontaliers, en particulier le Brésil, dans la lutte contre les
trafics en Guyane – stupéfiants, orpaillage, pêche
clandestine ? À cet égard, je rends hommage au
maréchal des logis-chef Arnaud Blanc, décédé le
week-end dernier.

Par ailleurs, quels sont les
liens entre les pays latino-américains, la Russie et la Chine ?

M. Philippe
Folliot
. – Je ferai également partie de la
délégation qui se rendra au Brésil. En ce qui concerne les
relations franco-brésiliennes autour de la Guyane, vous venez de nous
informer qu’une commission mixte se réunira au mois de juillet. Comment
faire en sorte que notre visite à Macapá et à Cayenne
contribue à remédier à la situation difficile que nous
rencontrons à cause de l’orpaillage, de l’immigration et de la
pêche illégale ?

Dans le cadre de
l’élaboration du rapport d’information Les outre-mer au coeur de la
stratégie maritime nationale
, j’avais recueilli le
témoignage de pêcheurs guyanais victimes d’actes de piraterie de
la part de pêcheurs clandestins brésiliens. Comment assurer la
souveraineté maritime et terrestre de notre pays, alors que l’on peut
suspecter une certaine complaisance des autorités brésiliennes en
la matière ?

M. Olivier
Cadic
. – Je me rendrai pour ma part à Curitiba, dans
l’État du Paranà, où le procureur Sergio Moro avait
mené l’enquête sur les accusations de blanchiment ayant conduit
à l’emprisonnement de Lula. Ce dernier a tenu des propos injurieux la
semaine dernière à l’égard du premier, devenu depuis
sénateur, qui a répondu sur CNN. Cela témoigne de la
polarisation que vous avez évoquée.

Or les milieux économiques
ne sont pas les plus grands supporters du président Lula. Comment
envisagez-vous la relation économique avec ce pays ? Inclurez-vous
l’opposition à vos discussions ?

M. Guillaume
Gontard
. – L’une des premières décisions de Lula a
été de créer un ministère des peuples autochtones.
Quelles mesures ont été prises par la ministre
Sonia Guajajara pour protéger les peuples autochtones, fortement
affectés par la déforestation ?

M. Yannick
Vaugrenard
. – Ma question porte sur la position du Brésil
sur le conflit en Ukraine, qui s’est abstenu aux Nations unies. Vous avez dit
que cela pouvait en partie s’expliquer par le fait que le Brésil
était un grand importateur d’engrais en provenance de Russie. Comment
l’Europe peut-elle intervenir sur le plan économique pour tenter
d’infléchir la position brésilienne – et celle d’autres pays
d’Amérique latine – sur le conflit ukrainien ?

Mme Michèle
Ramis. –
Sur la question de la défense, nous avons un
partenariat avec le Brésil pour la production de sous-marins et
d’hélicoptères. Pourquoi le Brésil se dote-t-il en moyens
militaires ? Tout grand pays a besoin d’une armée, même
lorsqu’il n’est pas menacé, comme c’est le cas du Brésil
actuellement. Nous espérons d’ailleurs que le Brésil s’investira
davantage dans les opérations de maintien de la paix qu’il ne l’a fait
jusqu’à présent.

L’armée est une
institution loyale et qui compte au Brésil. Pour sa stature
régionale, ce pays ne peut pas se permettre de ne pas disposer d’une
armée moderne et équipée, sans avoir pour autant des
visées bellicistes.

M. André
Vallini
. – Pourquoi ? Nous sommes prisonniers d’une
espèce de préjugé global selon lequel un pays doit
absolument être armé jusqu’aux dents, même s’il n’est
confronté à aucune menace. Je ne veux pas jouer le pacifiste de
service, mais votre réponse est curieuse.

Mme Michèle
Ramis. –
Il s’agit également de dissuader les
éventuels agresseurs. Tous les pays du monde dotent leurs armées
d’équipements permettant de répondre à une menace qui peut
intervenir par surprise.

M. Christian Cambon,
président
. – La confiance que le Brésil manifeste
aux industries de défense françaises, notamment pour la
confection de sous-marins, est très importante. Compte tenu de
l’étendue des espaces maritimes à contrôler, même
s’il n’y a pas de contentieux ou d’intention belliqueuse, les pays
d’Amérique latine ont de légitimes préoccupations de
sécurité.

Mme Michèle
Ramis. –
En effet, le rôle de l’armée est
également de lutter contre les menaces intérieures : les
trafics, la déforestation, l’orpaillage…

En ce qui concerne la crise
vénézuélienne, elle a mis sur les routes 7 millions
de Vénézuéliens, soit 20 % de la population – le
chiffre a augmenté – pour se rendre au Brésil, mais aussi en
Colombie ou au Chili. Cette crise multidimensionnelle dure depuis une dizaine
d’années. Nous essayons d’y répondre et espérons que le
Brésil de Lula incitera Nicolás Maduro à organiser
des élections libres et démocratiques en 2024. Le processus
de négociation est actuellement suspendu. La proximité des
élections américaines n’y est pas étrangère, car le
congrès suit de près tout ce qui concerne le Venezuela.

En attendant, le Brésil ou
la Colombie ont donné un statut à ces migrants pour qu’ils ne
soient privés ni d’accès à la santé ni de droit au
travail. Tant que la crise vénézuélienne ne sera pas
résolue, il est certain que ces migrations massives se poursuivront.

Pour ce qui est de la
coopération transfrontalière, elle est ancienne et vise notamment
à lutter contre la venue d’orpailleurs brésiliens en Guyane, qui
utilisent du mercure pour trouver de l’or et qui polluent ainsi les eaux. Elle
doit toutefois être renforcée, ce dont est conscient le nouveau
gouvernement brésilien, qui a augmenté la dotation du
comité de coopération policière à la
frontière. Une opération conjointe a récemment
été menée sur le fleuve Oyapock.

La question de la lutte contre
l’orpaillage, le trafic et la pêche illégale est prise au
sérieux par le Brésil. L’État de l’Amapá est
d’ailleurs très concerné. Aussi, mesdames, messieurs les
sénateurs, lorsque vous vous y rendrez, vous pouvez insister sur la
nécessité de renforcer la coopération entre nos deux
États en vue de la commission mixte qui se tiendra à Cayenne au
début du mois de juillet.

Sur les présences chinoise
et russe, nous savons que la Chine a fortement investi le continent, au travers
d’investissements nombreux, qui peuvent se faire à bas bruit. Celle-ci
voit l’Amérique du Sud comme un réservoir de ressources
naturelles et est destinataire d’une grande partie du commerce extérieur
des pays du continent. Accentuer la présence européenne pourrait
ralentir la montée en puissance de la Chine sur le continent, qui se
traduit pour le moment par une forte présence économique.

Par ailleurs, la Chine cherche
à légitimer sa politique à l’égard de
Taïwan : sur les quatorze États qui reconnaissent encore
Taïwan, huit se trouvent en Amérique latine et dans les
Caraïbes. Lorsqu’un État bascule sur la question, à l’instar
du Nicaragua l’année dernière et du Honduras il y a quelques
jours, la Chine engrange une victoire diplomatique.

La Russie est peu présente
sur le plan économique, mais compte des alliés fidèles en
Amérique latine – Venezuela, Nicaragua, Cuba -, qui ont
résisté aux sanctions américaines grâce au soutien
russe. La pénétration d’acteurs étrangers peut ainsi
contribuer à pérenniser les crises.

Une partie du secteur
privé est en effet défavorable à Lula ; c’est la
raison pour laquelle il a nommé un ancien ennemi politique,
libéral, vice-président et ministre de l’industrie et du
commerce : Geraldo Alckmin. En réalité, Lula ne va pas
remettre en cause la primauté de l’agronégoce, qui est un volet
très important de l’économie. En outre, le Brésil
souhaitant se réindustrialiser, Lula ne souhaite pas se mettre à
dos le secteur privé.

La question des autochtones est
très importante et le Gouvernement compte désormais une ministre
des peuples autochtones, ainsi qu’une ministre des droits des femmes. Le
gouvernement de Lula a fait un geste important en organisant des rencontres
avec les populations Yanomami, qui souffrent de l’orpaillage et de la
déforestation. Il compte défendre leur mode de vie traditionnel,
tout en les encourageant à se montrer respectueux de l’environnement.

Enfin, monsieur Vaugrenard, le
Brésil ne s’est abstenu qu’une seule fois au conseil de
sécurité des Nations unies sur les questions d’annexion de
territoires ukrainiens. En général, il se prononce en faveur des
résolutions de l’assemblée générale, comme celle du
23 février qui a marqué l’anniversaire de l’agression russe
en Ukraine.

Sa position, qu’il souhaite
équilibrée, est liée à des raisons politiques
– apparaître comme une puissance libre de ses choix -, mais
également économiques, liées à sa dépendance
aux engrais. Ainsi, nous étudions la manière dont l’Union
européenne pourrait constituer une source d’approvisionnement
alternative, car il est compliqué pour les Brésiliens de produire
eux-mêmes des engrais.

M. Bruno
Sido
. – La négociation concernant le Mercosur menée
directement par Bruxelles est importante. Si les États membres n’ont pas
à savoir où en sont les négociations, la France a
posé des conditions, notamment l’adoption de clauses miroir, afin
d’éviter d’importer du Brésil des organismes
génétiquement modifiés (OGM) interdits en France.
Pensez-vous que cette négociation aboutira ?

Mme Gisèle
Jourda
. – Quelles sont les négociations menées en
ce qui concerne les objectifs de transition verte, notamment
édictés par le pacte vert européen ? La
déforestation de l’Amazonie durant la présidence Bolsonaro a
été un véritable cataclysme qui déstabilise
l’équilibre mondial en matière d’émission de gaz à
effet de serre.

Mme Michèle
Ramis. –
L’accord entre l’UE et le Mercosur ne doit pas conduire
à une augmentation de la déforestation importée. Les pays
du Mercosur doivent se conformer à leurs engagements au titre de
l’accord de Paris et respecter les mêmes normes sanitaires et
phytosanitaires qu’en Europe pour produire ce qu’ils exportent.

Où en sommes-nous de cet
accord ? Si l’élection de Lula a relancé la dynamique, la
Commission européenne élabore un projet d’instrument additionnel
pour introduire des clauses complémentaires et juridiquement
contraignantes, notamment en matière de droit du travail. C’est elle qui
a le sujet entre les mains et consulte les deux blocs, qui composent avec
diverses exigences. Je ne sais pas quand les travaux aboutiront, mais ce sera
après le sommet de juillet. Nous serons vigilants sur le respect des
normes environnementales.

Par ailleurs, c’est une
priorité pour le président Lula de mettre fin à la
déforestation de l’Amazonie, qui s’est accrue de 70 % lors du
précédent mandat. Le seul arrêt de la déforestation
suffirait au Brésil pour remplir ses obligations en matière
d’émission de gaz à effets de serre. L’Union européenne
peut agir par ses programmes de coopération et nous le faisons notamment
avec l’Agence française de développement (AFD).

Le Brésil, compte tenu de
sa superficie, a un rôle fondamental à jouer dans la lutte contre
le réchauffement global. Toutefois, l’Amazonie s’étend
également sur les pays voisins, avec lesquels il n’est pas facile de
trouver des consensus.

M. Christian Cambon,
président
. – Pouvez-vous nous dire un mot de la situation
du Guyana ?

Mme Michèle
Ramis. –
J’ai compris que votre délégation se
rendra également à Georgetown. Le Guyana est un ancien pays
pauvre et un futur pays riche, en proie à une transformation
économique majeure grâce à la mise en exploitation de
champs de pétrole offshore découverts récemment.

Ce pays, dont la superficie est
légèrement inférieure à la moitié de celle
de la France, compte seulement 800 000 habitants. Or il disposerait
de près de 11 milliards de barils de pétrole au large de ses
côtes, ce qui le classe au second rang mondial du rapport entre
population et volume des réserves estimées en hydrocarbures. Ce
pays devrait donc connaître un bouleversement d’une ampleur majeure.

Depuis 2020, le pays
enregistre la plus forte croissance mondiale : son PIB a augmenté
de 43 % en 2020 malgré la crise du covid-19. Entre 2023
et 2026, son économie devrait croître de 25 %.

Ces ressources pourraient
permettre un développement très rapide du pays. Toutefois, la
gestion de telles ressources n’est pas facile pour un pays démuni
où la vie politique est marquée par un fort bipartisme entre le
parti progressiste du peuple du président Irfaan Ali, qui
représente majoritairement la population indo-guyanienne, et la
coalition entre APNU (A Partnership for National Unity) et AFC
(Alliance for Change), qui est l’alliance des partis
afro-guyaniens.

Un contentieux électoral a
eu lieu lors des dernières élections générales. Le
président sortant, issu de la communauté afro-guyanienne, a perdu
les élections de peu et a remis en cause les résultats. Cette
situation a plongé le Guyana dans une crise profonde pendant plusieurs
mois. La Cour caribéenne de justice a tranché le litige et
permis, sous la pression internationale, d’officialiser la victoire de
l’opposition : le président sortant a admis sa défaite et
laissé la place, sans violence, au président Irfaan Ali, issu de
la communauté indo-guyanienne.

Le principal défi du
Guyana réside dans la gestion inclusive de cette manne
pétrolière, dont la communauté afro-guyanienne craint
d’être privée. L’enjeu majeur est le pilotage d’un processus de
développement équilibré au plan économique, social
et environnemental. Pour y parvenir, le Gouvernement a mis en place un fonds de
ressources naturelles auprès d’une institution financière
new-yorkaise, afin d’éviter tout risque de corruption ou de mauvais
usage. L’abondance est parfois difficile à gérer…

Sur le plan international, le
Guyana est devenu un partenaire de plus en plus convoité : le
Premier ministre indien s’y est rendu en visite officielle en 2018, le
secrétaire d’État américain en 2019, Jair Bolsonaro
en 2022 et le ministre saoudien du pétrole en
février 2022. Pour l’instant, l’entreprise américaine Exxon
Mobil est l’acteur pétrolier principal sur place, le Guyana ne
possédant pas de compagnie nationale.

Les relations du Guyana avec les
États-Unis et le Canada sont facilitées par la présence de
fortes communautés guyaniennes dans ces deux pays. Le Guyana demande
à renforcer ses relations avec la France. Nous sommes le seul
État à disposer d’une présence diplomatique à
Georgetown : aucun autre État membre de l’Union européenne
ne dispose d’ambassade ; seule une délégation de l’Union
européenne est présente. La représentation diplomatique
est assurée par notre ambassade au Suriname, l’ambassadeur en poste
à Paramaribo étant également compétent pour le
Guyana. Un agent, volontaire international, physiquement présent dans
les locaux de la délégation de l’Union européenne, est
chargé de mettre en oeuvre des actions de coopération.

Nous avons récemment
créé un fonds de solidarité pour les projets innovants
doté de plus de 500 000 euros qui vise à
protéger les forêts. Par la coopération bilatérale,
nous luttons contre la déforestation, en élargissant les droits
fonciers des peuples autochtones et en soutenant l’accès à leurs
moyens de subsistance et leur droit à la prise de décision.

Nous savons que cette
représentation n’est pas suffisante, raison pour laquelle nous avons
décidé, voilà quelques semaines, de rehausser le statut de
notre représentation diplomatique au Guyana, en ouvrant une antenne
diplomatique. Un diplomate expatrié, qui dépendra de l’ambassade
de Paramaribo, sera ainsi basé à Georgetown. Nous serons donc le
premier État membre de l’Union européenne à disposer d’une
représentation diplomatique permanente dans ce pays.

L’essor du Guyana offre des
perspectives à nos entreprises – et je ne pense pas seulement
à TotalEnergies. Le Guyana souhaite protéger ses installations
pétrolières en mer, ce qui ouvre des espaces aux entreprises du
secteur de la défense – patrouilleurs d’Ocea,
hélicoptères d’Airbus, matériels de surveillance
côtière de Thales, drones de surveillance de Safran, etc. Une
délégation d’entreprises de la chambre de commerce et d’industrie
de Guyane se rendra au Guyana pour étudier les opportunités de
marché du 14 au 17 mai.

En 2021, nous avons
lancé le dialogue stratégique du plateau des Guyanes,
organisé par les forces armées françaises de Guyane, qui
réunit des représentants du Guyana, du Suriname, de France et du
Brésil. La première édition a eu lieu en 2021, la
deuxième en 2022 et la troisième devrait se tenir au
Guyana.

La Chine a bien évidemment
pris conscience du fort potentiel du Guyana. Les entreprises chinoises
renforcent leur présence, en particulier dans le domaine de la
construction et des infrastructures. Des contacts politiques ont
été établis au plus haut niveau. Le ministre des affaires
étrangères chinois s’est ainsi rendu au Guyana. En 2021, le
président guyanien et ses ministres ont tenu une réunion
virtuelle avec le président Xi Jinping. Le Guyana a adhéré
aux nouvelles routes de la soie. La China National Offshore
Oil Corporation détient par ailleurs une participation directe
de 25 % dans un bloc d’exploitation de pétrole offshore. Face
à la présence américaine, on constate également la
montée d’une présence chinoise en lien avec la recherche de
ressources naturelles.

M. Philippe
Folliot. –
Nous avions découvert des réserves de
pétrole dans notre zone économique exclusive de Guyane avant de
décider de ne pas poursuivre les explorations. Quels arguments opposer
à ceux qui soulignent que cette manne pétrolière, à
laquelle nous avons renoncé, aurait pu être un levier de
développement pour la Guyane ?

Mme Michèle
Ramis.
 – Cette décision sort du cadre diplomatique,
monsieur le sénateur. Il m’est donc quelque peu difficile de vous
répondre. Cette manne pétrolière est une aubaine pour le
Guyana, qui était un pays extrêmement pauvre. Il s’agit de
situations différentes. Ce sera ensuite au Guyana de trouver les
ressources nécessaires pour se conformer aux attentes des accords de
Paris en matière de transition écologique et
énergétique.

M. Rachid
Temal
. – J’entends ce que vous dites du Guyana et des accords de
Paris, mais il est toujours facile pour un pays industrialisé de
demander à un autre pays de ne pas appuyer son développement sur
les énergies fossiles, sans proposer d’alternative…

M. Christian Cambon,
président
. – Un rapport sera publié après la
visite de notre délégation au Brésil et au Guyana afin
d’enrichir, je l’espère, la réflexion du Gouvernement.

Après avoir
rencontré récemment quinze ambassadeurs d’Amérique latine,
j’ai le sentiment qu’on attend davantage d’attention de notre part dans cette
partie du monde.

Mme Michèle
Ramis.
 – J’en ai bien conscience, monsieur le président,
et je m’emploie à corriger les choses, en proposant de nombreuses
rencontres à nos partenaires. Le rapport de votre
délégation nous sera extrêmement utile, puisqu’il
interviendra juste avant les consultations politiques.

Les semaines de l’Amérique
latine se tiendront du 25 mai au 10 juin. Je tiens à souligner
que le Sénat est à l’origine de cet événement,
puisqu’il avait organisé la première journée de
l’Amérique latine, en 2011.

Ce sera l’occasion de mettre en
valeur nos liens culturels, scientifiques, économiques et politiques.
Nous avons intérêt à développer avec ces pays des
relations fortes dans ces domaines. Mon équipe et moi-même nous y
employons.

M. Christian
Cambon, président
. – C’est effectivement sous l’impulsion
du président du Sénat que cet événement, toujours
très attendu, a été créé.


LISTE DES PERSONNES ENTENDUES EN AUDITION

23 mars 2023

– M. Hervé Croce, responsable des
relations institutionnelles de la SOGENA ;

– M. Philippe Missoffe,
délégué général du GICAN ;

– M. François Devoto, conseiller
diplomatique et Mme Sylvia Skoric, directrice des relations institutionnelles
de Naval group ;

– MM. Christopher Chevasson, directeur
régional commerce export, et Alexandre Ferrer, responsable des affaires
publiques France et Europe de Nexter ;

– M. Ronan Niger, responsable de la
coopération industrielle Amérique latine, Mme Karine Barets,
responsable des affaires gouvernementales internationales, et M. Olivier
Masseret, directeur des relations institutionnelles d’Airbus ;

– M. Hervé de Bonnaventure, conseiller
défense du Président, Mme Anne-Sophie Thierry-Bozetto,
responsable des relations politiques et parlementaires, M. Gwendal Rouillard,
conseiller affaires internationales et M. Patrick de la Revelière,
vendeur de la zone de MBDA ;

28 mars 2023

– Capitaine de vaisseau Guillaume Arnoux, chef du
département Asie Amérique Latine et Océanie, et
ingénieur en chef de l’armement Reynold Prévost de la
Boutetière, délégué contrôle exports
DGRIS ;

29 mars 2023

– Mme Michèle Ramis, directrice des
Amériques et des Caraïbes, et M. Jean-Christophe
Tallard-Fleury, sous-directeur Amérique du Sud au ministère de
l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) ;

5 avril 2023

– Mmes Marie-Pierre Bourzai, directrice du
département Amérique latine, Gaëlle Narayanassamy,
responsable pays Brésil et Paraguay, et Laura Collin,
chargée de mission relations avec le Parlement ;

– M. Gaspard Estrada, directeur exécutif de
l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes
(OPALC), Sciences Po ;

6 avril 2023

– MM. Pierre-Marie Gaillard, chef
du bureau BILAT 3 Asie, Amériques et Océanie, et Samuel Lefebvre,
adjoint au chef de bureau, direction générale du
Trésor ;

– Réception à l’Ambassade du
Brésil autour de M. Caio Renault, chargé d’affaires.

PROGRAMME DU
DÉPLACEMENT DE LA MISSION AU BRÉSIL, EN GUYANE, AU SURINAME ET AU
GUYANA

Lundi 10 avril – Itaguaí et Rio de
Janeiro

Visite de la base navale d’Itaguaí et
présentation du programme ProSub par le vice-amiral d’escadre Petronio
Augusto Siqueira de Aguiar, directeur général du
développement nucléaire et technologique de la Marine du
Brésil

Entretien avec M. Pedro Spadale, conseiller chargé
des relations internationales et de la coopération au cabinet de M.
Eduardo Paes, maire de Rio de Janeiro

Rencontre avec MM. Gérard Maréchal, Consul
général de France à Rio de Janeiro, et Etienne
Cardilès, Consul général adjoint

Mardi 11 avril – Rio de Janeiro

Visite du 23e salon de l’armement LAAD

Rencontre avec des industriels français

Mercredi 12 avril – Brasilia

Entretien avec S.E Mme Brigitte Collet, ambassadrice de
France au Brésil, M. Olivier Fontan, premier conseiller, M.
Philippe Vinogradoff, conseiller, Mme Nastssja Hoffet,
conseillère, M. Keyvan Sayar, conseiller, le commissaire en chef
François Escarras, attaché de défense, et le
lieutenant-colonel Guillaume Gastelu, attaché de défense
adjoint

Entretien avec M. Randolfe Rodrigues, sénateur de
l’Amapá

 

Entretien avec M. Cid Gomes, sénateur,
vice-président de la commission des relations extérieures.

Rencontre avec S.E M. Martin Agbor Mbeng, ambassadeur du
Cameroun au Brésil, S.E M. Pietro Lazzeri, ambassadeur de Suisse au
Brésil, S.E M. Peter Claes, ambassadeur du Royaume de Belgique au
Brésil, et S.E M. Ignaco Ybáñez, ambassadeur de
l’Union européenne au Brésil, autour de S.E. Mme Brigitte
Collet, ambassadrice de France au Brésil

Jeudi 13 avril – Brasilia

Entretien avec Mme Maria Laura Rocha, secrétaire
générale du ministère des Affaires
étrangères

 

Visite du Censipam (Centro gestor e operacional do
sistema de proteção da Amazônia) par M. Hélcio
Vieira Júnior, directeur opérationnel

 

Vendredi 14 avril – Macapá

Visite de la 22° Brigada da Foz par le
Général de brigade Marcus Vinicius Gomes Bonifacio

Réception au Palais du Septentrion par M.
Clécio Luís, gouverneur de l’Amapá, en présence de
M. Randolfe Rodrigues, sénateur de l’Amapá

Samedi 15 avril – Oiapoque et Cayenne

Visite du 34e bataillon d’infanterie de jungle
pour le suivi de l’opération Jararaca (centre de commandement tactique
binational) par le lieutenant-colonel George Alberto Gargia de Oliveira, en
présence de MM. Guillaume Brault, sous-préfet de
Saint-Georges-de-l’Oyapock, M. François Ringuet, maire de Kourou et M.
Eddy Caman, adjoint au maire de Saint-Georges-de-l’Oyapock

Rencontre avec M. Thierry Queffelec, préfet de la
Guyane, en présence de Mme Marie-Laure Phinera-Horth, sénatrice
de la Guyane, du général de division aérienne
Xavier Buisson, commandant supérieur des forces armées en
Guyane et commandant de la base de défense de Guyane, du
général de brigade Jean-Christophe Sintive, commandant de la
gendarmerie de Guyane, et de M. Joël Sollier, procureur
général près la Cour d’appel de Cayenne

Dimanche 16 avril – Paramaribo et
Georgetown

Rencontre avec Mme Krishna Mathoera, ministre de la
défense du Suriname, le colonel Werner Kioe A Sen, chef
d’état-major des armées, et M. Sherif Abdoelrhaman,
secrétaire permanente du ministère de la défense, en
présence de S.E M. Nicolas Bouillane de Lacoste, ambassadeur de France
au Suriname et au Guyana, de M. Joël Sollier, procureur
général près la Cour d’appel de Cayenne et du
lieutenant-colonel Jean-Marc Moulin, attaché de défense non
résident

Rencontre avec des parlementaires surinamais

Rencontre avec des représentants d’entreprises
françaises implantées au Suriname

Rencontre avec la communauté française au
Guyana

Entretien avec M. Manzoor Nadir, Président de
l’Assemblée nationale du Guyana

Lundi 17 avril – Georgetown

Entretien avec M. Irfaan Ali, Président de la
République du Guyana, et M. Hugh Todd, ministre des affaires
étrangères


* 1 Rapport
d’information n° 662 (2010-2011) de MM. Josselin de Rohan, Jean Besson,
Bernard Piras et Yves Pozzo di Borgo, fait au nom de la commission
des affaires étrangères et de la défense,
déposé le 22 juin 2011.

* 2
Expression figurant dans l’hymne national brésilien.

* 3 Rapport
d’information n° 662 (2010-2011) de MM. Josselin de Rohan, Jean Besson,
Bernard Piras et Yves Pozzo di Borgo, fait au nom de la commission des
affaires étrangères et de la défense, déposé
le 22 juin 2011.

* 4
Expression figurant dans l’hymne national brésilien.

* 5
https://www.bpifrance.fr/nos-actualites/7-choses-a-savoir-sur-le-bresil

*
6 Hervé Théry, Les populations du
Brésil, disparités et dynamiques. Espace Populations
Sociétés, 2014.

* 7
Direction générale du Trésor, réponses au
questionnaire des rapporteurs.

* 8 Bruno
Meyerfeld, Cauchemar brésilien, Grasset, 2022.

* 9
Frédéric Louault, Le Brésil en 100 questions,
l’interminable émergence, 2022.

* 10
Proposta de emenda constitucional.

* 11
Laurent Delcourt, « 
Bolsonaro, président : ressorts
et conséquences d’une révolte à rebours »
in « 
Le Brésil de Bolsonaro : le grand bond en
arrière », Alternatives Sud, Centre Tricontinental,
2020.

* 12 Il
lui était reproché d’avoir dissimulé l’ampleur des
déficits publics en vue de sa réélection en 2014.

* 13
Frédéric Louault, Le Brésil en 100 questions,
l’interminable émergence, 2022, op. cit.

* 14
Traduction issue de l’Institut de relations internationales et
stratégiques, Discours d’investiture du Président Luiz Inacio
Lula da Silva au Congrès national brésilien, 1er
janvier 2023.

* 15
Frédéric Louault, Le Brésil en 100 questions,
l’interminable émergence, 2022, op. cit.

*
16 Ombelyne Dagicour, « Géopolitique
de l’Amazonie », Politique étrangère, vol. , n° 1,
2020.

*
17 Ce concept renvoie à la volonté
des « 
Brésiliens de persuader les voisins
sud-américains qu’il existe un bénéfice à tirer de
l’adhésion à leur projet
régionaliste ».

* 18 Bruno
Muxagato, Leadership du Brésil en Amérique du sud ; de la
contestation à l’émergence d’une hégémonie
consensuelle, 2015.

*
19 Ibid.

* 20
Ibid.

* 21
Olivier Dabène, 1991. Les 20 ans du MERCOSUR Au-delà du clivage
droite/gauche, un bilan décevant. Les Études du CERI,
2011.

* 22 Bruno
Muxagato, « Intégration et leadership en Amérique du Sud :
la difficile émergence du Brésil comme puissance régionale
», Critique internationale, vol. 71, no. 2, 2016.

* 23 Bruno
Muxagato, Leadership du Brésil en Amérique du sud ; de la
contestation à l’émergence d’une hégémonie
consensuelle, 2015, op. cit.

* 24
Alejandro Frenkel, « Bolsonaro contre tous : la politique
extérieure du Brésil », in « Le Brésil de
Bolsonaro : le grand bond en arrière », Alternatives Sud, Centre
Tricontinental, 2020.

* 25
Gabriel Boric.

* 26
Gustavo Petro.

* 27 Luis
Arce.

* 28
Christophe Ventura, La Nouvelle politique étrangère du
Brésil, Note d’analyse Iris/AFD, juin 2023.

* 29 Bruno
Meyerfeld, Cauchemar brésilien, Grasset, 2022, op.cit.

* 30
Mathilde CHatin, «
Brésil : la politique
étrangère de Jair Bolsonaro », Politique
étrangère, vol. , no. 2, 2019.

* 31
http://www1.rfi.fr/actufr/articles/065/article_36119.asp

* 32 Selin
Dorel, Quand le Brésil était (presque) une puissance
globale : la politique étrangère de Celso Amorim,
février 2023.

* 33
https://legrandcontinent.eu/fr/2023/04/26/comment-le-sud-veut-financer-le-sud/

* 34 Des 2
mars 2022 (déplorant « l’agression » commise par la Russie
contre l’Ukraine), 24 mars 2022 (exigeant un arrêt «
immédiat » des hostilités par la Russie contre l’Ukraine),
12 octobre 2022 (demande à la Russie de revenir sur sa « tentative
d’annexion illégale » de quatre régions ukrainiennes) et 23
février 2023 (exigeant de nouveau le retrait des forces russes
d’Ukraine). Le Brésil s’est cependant abstenu lors du vote d’une
résolution de l’AGNU du 7 avril 2022 suspendant la Russie du Conseil des
droits de l’homme.

* 35
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la
République, sur les relations culturelles franco-brésiliennes et
l’aide au développement, à l’occasion du dîner offert par
M. le Président de la République du Brésil et Mme Sarney,
au Palais de l’Itamaraty à Brasilia, lundi 14 octobre 1985.

* 36
Question écrite n° 00439 – 16e
législature.

* 37
Statistiques de la Banque de France :
https://www.banque-france.fr/statistiques/balance-des-paiements-et-statistiques-bancaires-internationales/les-investissements-directs/investissements-directs-series-annuelles

* 38 Le
dernier recensement de la BCB de 2020 indique pour sa part 861
entreprises.

* 39 Seul
le groupe Vivendi n’a pas d’opération au Brésil.

* 40
Dominique Faure, ministre déléguée auprès du
ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition
écologique et de la cohésion des territoires, chargée des
collectivités territoriales et de la ruralité, a par exemple
indiqué le 13 avril 2023 en séance : « 
Cette
ambition s’est traduite par la création, dans votre département,
de 94 postes de gendarme depuis 2017 au profit du commandement de la
gendarmerie de la Guyane. […] Par ailleurs, depuis le 7 septembre 2022, un
septième escadron de gendarmerie mobile est venu renforcer le dispositif
opérationnel en Guyane, concentrant, sur votre seul département,
un tiers des unités de forces mobiles (UFM) projetées en
outre-mer. Par ailleurs, un renfort judiciaire en provenance de la
métropole a accompagné une réorganisation partielle du
dispositif sécuritaire, lequel semble porter ses fruits. Lors de sa
dernière visite, le ministre de l’intérieur et des outre-mer
Gérald Darmanin a pu apprécier l’engagement de l’ensemble des
forces de sécurité intérieure, coordonnées par
l’autorité préfectorale. Ainsi, lors des assises de la
sécurité de Guyane, qui se sont tenues le 30 septembre
dernier, il s’est engagé à créer plusieurs brigades, dont
certaines fluviales, ce qui représente quarante effectifs
supplémentaires à court terme, ainsi qu’à
pérenniser ce septième escadron. À ce stade, la
création de ces nouvelles unités prenant notamment en compte des
délais d’intervention liés à l’extension du territoire
guyanais est à l’étude, mais devrait être prochainement
officialisée ».

* 41
Sylvie Letniowska-Swiat et Valérie Morel, «
Le bas-Oyapock :
un fleuve, une frontière, des frontières ?», Confins
51, 2021.

*
42 Projet de loi accord France-Brésil en
vue de l’établissement d’un régime spécial transfrontalier
concernant des produits de subsistance entre les localités de
Saint-Georges de l’Oyapock (France) et Oiapoque (Brésil), rapport n°
552 (2015-2016) de M. Antoine KARAM, fait au nom de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées,
déposé le 27 avril 2016.

*
43 https://la1ere.francetvinfo.fr/guyane/est-guyanais/amapa/une-rencontre-franco-bresilienne-en-amapa-pour-un-renouveau-de-la-cooperation-regionale-1385626.html.

* 44 Dont
l’approbation a été autorisée par la loi n° 2011-856
du 20 juillet 2011 autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement
de la République française et le Gouvernement de la
République fédérative du Brésil dans le domaine de
la lutte contre l’exploitation aurifère illégale dans les zones
protégées ou d’intérêt patrimonial.

* 45 Ce
centre a été créé par un protocole additionnel
signé le 7 septembre 2009 complétant l’accord de partenariat et
de coopération en matière de sécurité publique
conclu le 12 mars 1997 entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République
fédérative du Brésil1, qui prévoit notamment, la
possibilité pour les pays signataires d’échanger des informations
en matière policière, dans le respect des législations
nationales.

* 46
https://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Suriname.

* 47
Lequel a été condamné par contumace par les tribunaux
français pour trafic de cocaïne.

* 48 Le
groupe français dispose des droits d’exploration et d’opération
du bloc 58 en partenariat avec le groupe américain Apache
Corporation.

* 49
TotalEnergies a ainsi fait savoir par communiqué du 15 mai
2023 : « 
TotalEnergies et ses partenaires ont
signé les contrats de partage de production des blocs 6 et 8 avec
Staatsolie Maatschappij Suriname (Staatsolie), la compagnie nationale du
Suriname. Les blocs 6 et 8 ont été attribués à
TotalEnergies dans le cadre de l’appel d’offres offshore conventionnel
2020/2021. TotalEnergies sera opérateur des deux blocs avec une
participation de 40 %, aux côtés de QatarEnergy (20 %)
et Paradise Oil Company (POC) (40 %), filiale de
Staatsoli ».

* 50 La
parité de pouvoir d’achat permet d’exprimer dans une unité
commune les pouvoirs d’achat des différentes monnaies.

* 51
Bureau de représentation de l’ambassade de France, Les
opportunités économiques au Guyana, janvier 2023.

* 52 Une
mission prospection au Guyana a par exemple eu lieu du 19 au 21 juin 2023 pour
les entreprises avec l’appui de l’Ambassade de France.

* 53
Audition du 17 mai 2023.

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