la technologie au service de la cohabitation avec le loup

« Entre les faits et les ressentis, il y a un gouffre », avertit en préambule Quentin Baudouin, chef du service connaissance et gestion du patrimoine au parc national du Mercantour. Le sujet de la difficile cohabitation du loup avec les bergers, les brebis, les chiens de protection et les randonneurs enflamme pourtant les esprits. « On travaille pour rendre cette coexistence possible ».

438 attaques de loup en 2023

Le parc national du Mercantour compte 240 000 moutons, brebis, chèvres ou béliers, 9 000 vaches, bœufs ou chevaux. Il y a 300 élevages et autant de bergers (1). Le nombre de chiens de protection est estimé à 1 600. Le parc dénombre 16 meutes de loups qui comprendraient chacune entre 3 et 11 individus. Et 500 000 randonneurs viennent fouler chaque été les chemins du Mercantour.

D’autres chiffrent quantifient la tension entre les différents acteurs : 438 attaques de loup constatées pour 1 051 victimes en 2023. Les éleveurs ont retrouvé des carcasses de moutons ou de brebis dont la mort est attribuée au loup. Dans le même temps, 5 morsures de chiens de protection ont été recensées sur des randonneurs.

2/3 des attaques en journée

« Il y a les chiffres, mais il y a aussi les ressentis. Les bergers font face à une pression de prédation. Car il y a aussi les nombreuses attaques déjouées par les moyens de protection (gardiennage, parc de nuit et chien de protection). Il y a désormais une inversion de tendance : 2/3 des attaques ont lieu en journée et 1/3 de nuit. Les bergers et les chiens subissent du stress et ont un sentiment de harcèlement », explique Quentin Baudouin.

« Le ressenti des randonneurs est aussi à prendre en compte. Les chiens de protection sont imposants, constate-t-il. Ils vont à la rencontre des gens qui se rapprochent des troupeaux. Les randonneurs voient la montagne comme un espace de liberté, ils se retrouvent avec de nouvelles règles où il y a une activité pastorale qui doit cohabiter avec leur liberté. »

Des tirs de destruction sont autorisés dans certains cas par la préfecture. « Ils sont soumis à la mise en place préalable d’au moins deux moyens de protection sur trois (parc de nuit, gardiennage et chien de protection). Le berger peut être éligible au tir de défense simple ou au tir de défense renforcé s’il subit plusieurs attaques à proximité du troupeau. Pour effectuer ces tirs de destruction, ils peuvent demander la venue d’un lieutenant de louveterie, explique Quentin Baudouin. Attention, la destruction du loup est interdite dans le cœur du parc (2). Elle ne peut se faire que dans les communes de l’aire d’adhésion au parc national du Mercantour (24 communes au total) hors périmètre cœur de parc. Le braconnage de cette espèce protégée est passible de 3 ans de prison et 150 000 euros d’amende. »

Vingt et un loups ont été tués légalement en 2023 dans les communes d’adhésion du Mercantour hors périmètre cœur de parc. A noter que l’État a annoncé il y a quelques semaines que, dès 2026, les éleveurs pourront tuer des loups en cas d’attaques sur leurs troupeaux sans autorisation préalable.

1. Les éleveurs sont présents toute l’année dans les vallées de la Roya Bévéra et de la Vésubie, et majoritairement transhumants dans les Alpes-de-Haute-Provence (Ubaye, Verdon), la Tinée et dans le Haut-Var (juillet-octobre).

2. Il s’étend sur tout ou partie de 27 communes.

Des colliers anti-loups pour les brebis

Gilles Gauneau, 65 ans, est berger à Belvédère. Il a la responsabilité de 1 400 brebis qui évoluent dans la montagne de la Gordolasque, entre Roquebillière et Belvédère. Ces bêtes appartiennent à un regroupement pastoral de trois éleveurs. Son quotidien pendant les estives de début juin à fin octobre : une présence 24h/24. Il doit faire manger les brebis, les soigner. La nuit, il parque les bêtes dans un enclos électrifié, pas très loin de sa cabane.

Pour l’accompagner dans sa mission, il dispose de huit chiens de protection : des patous des Pyrénées et des bergers d’Anatolie. Sauf que malgré toutes les protections, il subit « régulièrement des attaques de loup. J’en ai eu 6 en juin et juillet. Ils ont tué une dizaine de brebis », relate le berger. « On ne s’habitue jamais à ces attaques, mais je suis un peu résigné face à une telle fréquence », confie celui qui exerce ce métier depuis plus de 25 ans.

Une première en France

Alors le parc du Mercantour lui a proposé une expérimentation pour limiter cette prédation. Disposer sur certaines de ses brebis des colliers effaroucheurs pour faire fuir le loup. Le principe : « Nous avons équipé 85 brebis de colliers anti-loups. Déclenchés par une accélération soudaine des animaux domestiques qui en sont équipés, ces colliers émettent des combinaisons d’ultrasons et de signaux lumineux destinés à surprendre le prédateur et à dissuader son attaque », explique Léa Laudic, cheffe du projet Mercal pour l’entreprise Field Data Analytics.

« C’est une première en France, appuie Quentin Baudouin. On expérimente des colliers anti-loups sur des gros troupeaux dans des zones de forte prédation, un dispositif innovant et non létal ».

Les objectifs de ce test sont de « voir si le collier est efficace face aux attaques, voir si les ultrasons émis par les colliers ne dérangent pas le travail des chiens et s’assurer que ces colliers ne nuisent pas à la cohésion du troupeau », indique Léa Laudic.

« On étudie le comportement des chiens et du troupeau »

Pour récolter des données de référence, de juin à mi-juillet, les brebis et les chiens de protection ont été équipés de colliers GPS et 25 pièges photos ont été disposés dans l’alpage et sa périphérie.

À partir de mi-juillet et jusqu’à fin octobre, « environ une brebis sur 15 est équipée d’un collier anti-loups horodaté qui permet de rapprocher ces données des vidéos captées grâce aux pièges photos et du positionnement du troupeau et des chiens de protection grâce à un GPS, présente Léa Laudic. On étudie aussi le comportement des chiens de protection et du troupeau. »

Les premiers résultats devraient être publiés au premier semestre 2026. « Les expérimentations déjà menées sur de petits troupeaux sont prometteuses. Il y a clairement une réduction du nombre d’attaques. Ce serait une bonne nouvelle pour le pastoralisme », insiste-t-elle. En 2026, la cheffe du projet Mercal « espère reconduire l’étude pour recueillir davantage de données et analyser l’habituation du loup ». Une expérimentation où pourraient être associés des chercheurs du CNRS.

Reste à trouver le financement. L’étude en cours a été financée par le plan national d’actions sur le loup et deux fondations privées (la fondation Albert II de Monaco et la fondation Alpes Sauvages).

Des GPS, de l’I.A. et des drones à l’essai

Le Département des Alpes-Maritimes va lancer d’ici quelques semaines une carte interactive pour géolocaliser les troupeaux et donc les chiens de protection. « Nous participerons à ce projet. Tout le monde y a intérêt, précise Quentin Baudouin ; les éleveurs, qui peuvent se retrouver dans des situations compliquées avec les randonneurs, car ils sont responsables de leurs chiens ; les randonneurs ou les vététistes, qui pourront voir la position des troupeaux en temps réel et donc éviter la confrontation avec les chiens de protection ».

Cette carte disponible sur pastorando.com délimite les unités pastorales et note le positionnement des chiens de protection. Elle est déjà mise en place depuis 3 ans dans le Val d’Allos à la demande des éleveurs. « Désormais, quand on part en montagne, on se renseigne sur la météo et sur le positionnement des troupeaux, poursuit-il. C’est une information de plus pour améliorer l’expérience et réduire le problème de cohabitation. »

L’I.A. fait également désormais partie du quotidien au parc national du Mercantour. « On a un réseau d’une vingtaine de pièges photos qui peuvent produire en un été plusieurs milliers d’images. On rentre ces données dans un logiciel développé par le CNRS qui permet, grâce à l’intelligence artificielle, l’authentification des animaux. Grâce à l’I.A. le travail est fait en une dizaine de minutes contre plusieurs jours auparavant. Ce qui nous permet d’être davantage sur le terrain. »

D’autres expérimentations ailleurs en France

Dans le nord des Alpes, des essais sont actuellement menés avec des drones pour la surveillance des parcs d’ovins, de caprins ou de bovins. Une expérimentation impossible dans le Mercantour, puisque c’est interdit en cœur de parc pour ne pas déranger la quiétude des animaux sauvages. En Haute-Savoie, des loups ont été équipés de colliers GPS. « C’est indispensable de comprendre davantage le facteur loup. Comment chasse ce prédateur aujourd’hui ?, interroge le chef du service connaissance et gestion du patrimoine au parc national du Mercantour. Ils vont récolter des données jamais obtenues en France. »

« La science doit être au service de la vie sauvage »

La représentante de Ferus au comité départemental loup, Michèle Durieux, lance un appel : « Il faut que les recherches scientifiques et le progrès technologique nous permettent de mieux comprendre les loups et donc de mieux cohabiter avec. La science doit être au service de la vie sauvage. (…) Il y a encore beaucoup trop d’emportements. Il faut toujours aller dans le sens de la pacification et du respect. »

Michèle Durieux poursuit : « À chaque fois qu’on met en place une nouvelle protection des troupeaux, ça permet une baisse de la prédation. Les loups sont des animaux qui apprennent à partir d’expériences négatives. (…) Il faut de la bonne volonté de la part de tous les éleveurs pour mettre en place des systèmes de protection et acquérir de nouvelles compétences afin de s’adapter. »

Mais une chose inquiète la représentante de Ferus au comité départemental loup : « L’État ne prend pas suffisamment position pour le respect de la vie sauvage et la préservation de la biodiversité. (…) On peut craindre qu’il y ait indirectement la création d’une ambiance plus favorable au braconnage. Il y a des disparitions volontaires de loups de façon totalement illégale. Mais ça ne concerne pas que les loups, ça concerne toutes les espèces sauvages. »

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