Le 27 août 2025, quatre décrets d’application de la réforme du code minier ont été adoptés en conseil des ministres. Ils restructurent l’architecture juridique de l’exploitation des ressources minières. En Guyane, les opérateurs miniers dénoncent un durcissement des règles, tandis que les écologistes déplorent un manque d’ambition.
“Je suis la ministre qui a voulu la révision du code minier afin de faciliter les activités minières”, déclarait le 25 mars dernier la ministre de la Transition écologique, Agnès Panier-Runacher, en commission parlementaire. Interpellée par le député Jean-Victor Castor sur l’extraction minière, la ministre annonçait une “simplification” des activités minières.
Mais en Guyane, la réforme du code minier n’a pas simplifié les débats. Elle s’inscrit dans un contexte où la France cherche à sécuriser ses approvisionnements en métaux stratégiques. D’autre part, l’objectif affiché de la réforme est de placer le droit minier en conformité avec le droit de l’environnement. Dans ce double objectif, la réforme du code minier tente de répondre aux intérêts des opérateurs miniers et des défenseurs de l’environnement, qui s’entrechoquent.
Avec 102 sites miniers actifs en 2024 (85 autorisations d’exploitation – AEX – et 36 concessions), la Guyane concentre 82% des activités minières en France, selon le ministère de la Transition écologique. Encadrée par le schéma départemental d’orientation minière (SDOM), l’exploitation minière, principalement aurifère, doit respecter des conditions visant à préserver la forêt, les sols et les populations dépendant des cours d’eau qui la traversent.
Environ une tonne d’or est extraite légalement chaque année. Sur le territoire, l’essentiel de cette production aurifère est issu de gisements alluvionnaires. Ils sont exploités dans le cadre d’une autorisation d’exploitation (AEX), régime dominant sur le territoire. Ce titre minier, dérogatoire et spécifique à la Guyane, n’excède pas la taille de 1km².
Mais la réforme vient chambouler ce régime avec l’apparition d’un seuil de 25 hectares : au-delà de ce seuil, une étude d’impact complète – dont les coûts sont estimés entre 100 000 et 200 000 euros – et une enquête publique sont imposées aux opérateurs. Cette nouveauté pose plusieurs problèmes pratiques aux opérateurs miniers. Ils sont d’abord contraints par les coûts de l’étude d’impact, la plupart des entreprises ne pouvant pas assumer les coûts.
“Paris prend des décisions qui vont toutes systématiquement à l’encontre du développement minier du département, nous explique la Fédération des opérateurs miniers de Guyane (Fedomg). Nous avons beau expliquer et prouver que toutes ces nouvelles règles communautaires (notices d’impact, cautions financières, formes libres des AEX, cumul d’impact, etc…) ne sont absolument pas adaptées à la Guyane et à la taille de nos sociétés… Personne ne tient compte de nos avis.”
Depuis la publication des décrets, un renforcement des garanties financières est aussi imposé aux opérateurs miniers. Avant d’ouvrir une mine, les compagnies devront désormais déposer une grosse caution – entre 100 000 et 500 000 € – pour garantir la remise en état des sites et prévenir un préjudice environnemental. Pour la Fedomg, ces contraintes pourraient mener à la disparition des petits opérateurs miniers :
“C’est la mort programmée maintenant à très court terme de la filière légale en Guyane, pendant que les clandestins pullulent.”
Du côté des défenseurs de l’environnement, la lecture de la réforme est bien différente. Pour Nolwenn Rocca, coordinateur-juriste de Guyane nature environnement (GNE), l’activité d’orpaillage alluvionnaire bénéficie déjà d’un nombre important de dérogations : “Il faut d’abord rappeler que les autorisations d’exploitation (AEX) sont une dérogation propre à la Guyane. Depuis 1994, l’activité d’extraction de matériau est interdite dans un lit mineur, parce qu’elle est très impactante pour le cours d’eau, glisse-t-il. Ces activités entraînent des incisions du lit mineur, qui font perdre au cours d’eau toutes ses fonctionnalités.”
Dans son dossier d’évaluation environnementale, le Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) pour la période 2022-2027 livre une analyse en ce sens : “Première activité causant la dégradation des milieux, l’activité aurifère (légale et illégale) génère des pressions significatives pour 167 masses d’eau cours d’eau localisées dans les zones à potentiel aurifère sur l’ensemble du territoire”, indique le rapport.
Concernant le seuil de 25 hectares des AEX, GNE déplore que la réforme de la procédure de demande ne requière qu’une simple notice d’impact, sans données de terrain :
“En dessous de 25 hectares, les AEX vont entraîner des déforestations sans étude environnementale. On ne va pas inventorier la biodiversité présente sur ces sites, alors que la Guyane abrite 50% de la biodiversité française”
Nolwenn Rocca, coordinateur-juriste GNE
Le coordinateur juriste de Guyane Nature environnement insiste et compare ce seuil avec l’exemple d’un projet de résidence à Rémire-Montjoly, le “Hameau de Caveland”. “Pour déforester 2,5 hectares à Rémire-Montjoly sur le mont Saint-Martin, considéré comme dégradé, il a fallu faire une demande de dérogation espèce protégée, et une autorisation environnementale sur une forêt dégradée. Pour des AEX en pleine forêt, dans des milieux préservés, il n’y a aucune formalité”, regrette-t-il.
Un autre point sensible qui gravite autour de la réforme du code minier : le rôle de l’Office national des forêts (ONF). Gestionnaire du domaine privé de l’État en Guyane, l’ONF intervient dans deux étapes du processus minier : “Dans la procédure minière, on intervient dans l’étape de l’Autorisation de recherche minière (ARM), où on va donner un accord préalable ou un désaccord. On intervient également au niveau de l’autorisation d’exploitation (AEX) dans lequel on va rendre un avis”, explique François Korysko, directeur territorial.
Mais un nouveau texte pourrait changer la donne : le projet de loi de simplification de la vie économique, dans son article 19, prévoit de supprimer cet accord préalable.
“Tel qu’il est rédigé aujourd’hui, l’article 19 prévoit la suppression de l’accord préalable de l’ONF”
François Korysko, directeur territorial de l’ONF en Guyane
Une perte de garde-fou environnemental pour Guyane nature environnement : “L’objectif vise à empêcher l’ONF de préserver des zones à haute valeur environnementale de l’exploitation. C’est la seule institution qui empêchait l’octroi d’AEX ou de titres miniers pour des raisons environnementales”, souffle Nolwenn Rocca.
Du côté de la Fedomg, cette suppression d’accord préalable représente au contraire la disparition d’un obstacle au développement de la filière aurifère. Les principaux conflits qui opposent les entreprises minières à l’ONF concernent des demandes d’autorisation sur des surfaces classées en séries d’intérêts écologique (SIE) ou de protection physique et générale des milieux (SPPGM). Classées par le SDOM en zone 2, elles sont ouvertes à l’extraction de l’or mais sous contraintes. L’exploitation de bois y est interdite.
Un rapport de la Cour des comptes sur la forêt guyanaise, publiée en juillet dernier, pointe ce conflit de zonage : “Seules les entreprises prouvant leur expertise et leur capacité à maîtriser les impacts environnementaux peuvent obtenir des autorisations […], écrit le rapport. Pour rationaliser les inventaires et atténuer les conflits entre développement économique et préservation de la forêt […], les efforts d’études et de recherche pourraient se concentrer sur les zones potentiellement exploitables pour le bois ou les minerais”, précise-t-il.
Selon le rapport, lorsque les SIE et les SPPGM se superposent avec SDOM, 30 dossiers ont été soumis entre 2020 et 2024 à l’ONF : 26 avis défavorables de l’ONF ont été confirmés, deux autorisations ont été accordées et deux dossiers restent en cours d’examen.
“Quelles que soient les dispositions juridiques applicables, cette situation naît finalement de deux logiques opposées. L’une considère les positions de l’ONF comme un obstacle au développement économique par l’extraction minière. L’autre les perçoit comme une assurance contre des exploitations détruisant l’environnement. Il revient à l’État d’harmoniser ses positions”, conclut le rapport.
Au-delà des débats entre opérateurs et défenseurs de l’environnement, la réforme du code minier semble ouvrir la voie à des projets plus capitalisés et techniquement structurés. La disparition des permis exclusifs d’exploitation (PEX), jusqu’ici étape entre AEX et concession, simplifie le labyrinthe des titres miniers.
Couplée à la mutation du régime des AEX, cette simplification pourrait favoriser une bascule vers des concessions primaires capables d’absorber les coûts d’études et de garanties. Moins de petites opérations dispersées, davantage de projets robustes et lisibles : l’incitation à la montée en gamme semble nette, et les petits opérateurs risquent d’en pâtir.
“La “montée en gamme » grâce au passage au primaire n’est que la suite de la mascarade. Voilà 10 ans que tout le monde nous incite à aller dans cette direction : tous les opérateurs sont prêts à se lancer. Le problème c’est que personne dans l’administration n’est capable d’instruire ne serait qu’une demande de prospection primaire tant les règles environnementales sont ubuesques”, réagit la Fedomg.
De son côté, Nolwenn Rocca assure que “le primaire qui est pratiqué en Guyane aujourd’hui est consiste en l’arasement des monts. On creuse des fosses dans les montagnes pour accéder au gisement. Or, le primaire qui apparaît le moins impactant est celui ayant recours à la technique souterraine.”
Sur ce dernier point, Guyane nature environnement reconnaît un “type d’exploitation un peu plus intéressant en termes d’acceptabilité sociétale.” Mais au-delà de l’or, la Guyane regorge d’autres richesses stratégiques : selon le BRGM, son sous-sol recèlerait de cuivre, de zinc, de lithium, de niobium ou de tantale, métaux clés de la transition énergétique. La réforme du code minier dépasse donc l’orpaillage : elle engage l’avenir de l’exploitation des métaux critiques et stratégiques, et le rôle que la Guyane pourrait jouer dans son propre développement et sa souveraineté.
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