Les dieux du jazz ont été cléments avec nous. Il pleuvait depuis deux jours, et encore hier pour une bonne partie de la journée jusqu’à 17 h, moment de l’ouverture officielle de la 43e édition du Festival international de jazz de Montréal. Faisant fi de l’alerte au smog, les mélomanes ont pris le Quartier des spectacles d’assaut pour profiter une soirée chaude, humide et fertile en découvertes musicales – à commencer par l’orchestre britannique Kokoroko, qui a fait le plein de spectateurs devant les marches du parvis de la Place des Arts à 20 h.
On l’attendait, celui-là. L’orchestre s’est fait un nom en Grande-Bretagne dès la parution de son premier mini-album en 2019 avec sa propre mouture de jazz, de soul, d’afrobeat (le classique, celui de Tony Allen et de Fela Kuti, pas l’afrobeat contemporain de Burna Boy) et de highlife ghanéen, récoltant les éloges à la sortie de son premier album complet, Could We Be More, paru l’été dernier sur le label Brownswood Recordings du DJ et curateur Gilles Peterson.
Kokoroko s’est forgé un son qui se distingue autant de celui des acteurs de la nouvelle scène jazz londonienne (Sons of Kemet, Theon Cross qu’on reverra le 1er juillet au Studio TD, pour ne nommer qu’eux) que de celui des puristes brooklynois d’Antibalas Afrobeat Orchestra. Plus coulant, plus soul, plus ouvert aux multiples saveurs musicales populaires d’Afrique de l’ouest.
Ce groove highlife compte au moins autant dans la balance que la signature rythmique de l’afrobeat nigérian et donne une couleur unique au son de l’orchestre, qui nous est apparu moins raffiné sur le plan des orchestrations de cuivres que sur l’album – notons qu’il manquait une des deux saxophonistes sur scène, l’orchestre devant se produire à seulement sept membres.
Qu’importe, ces musiciens ont offert un envoûtant concert – les deux musiciennes prenant les devants de la scène avec leurs chants et leurs solos de cuivres, la section rythmique (batteur, percussionniste, bassiste) cadençant les ondulations de la foule, un guitariste et un claviériste (et maître de cérémonie) enjolivant les grooves. Ce groupe-là est né pour jouer sur les scènes extérieures pendant la belle saison.
Notre FIJM a toutefois débuté sur une note bien différente. Au Théâtre du Monument-National, à 19 h, en compagnie du trio constitué de la chanteuse Arooj Aftab, du pianiste et claviériste Vijay Iyer et du précieux bassiste et multi-instrumentiste Shahzad Ismaily (le New York Times faisait son portrait il y a deux jours dans un texte intitulé How Shahzad Ismaily Became Musicians’Favorite Musician). Le petit ensemble tentait alors de recréer la magie de Love in Exile, le magnifique album, paru en mars dernier, de méditations jazz modales improvisées et imprégnées d’une forme de ghazal, genre poétique d’héritage perse répandu en Asie du sud et chanté en urdu (et un moment en anglais !) par la Pakistanaise d’origine Arooj Aftab, qui nous visitait l’an dernier dans la foulée de son album solo Vulture Prince.
Le trio a lancé la soirée avec une première improvisation qui se démarquait de l’album en cela que le piano d’Iyer arrimait la performance au jazz, un argument présenté tout en délicatesse sur Love in Exile. Flanqué côté jardin avec son piano à queue et son piano électrique, Iyer occupait déjà toute l’espace avec son motif mélodique minimaliste, rythmé, Ismaily jouant avec délicatesse de sa basse électrique. Arooj Aftab, au centre devant son micro (sinon vers l’arrière où, sur son tabouret, étaient placés une bouteille de rouge et un verre sur pied), fermait les yeux pour chanter, d’une voix juste, mate et tendre, ses vers.
La dernière pièce avant le rappel bouclait la boucle ouverte avec cette première improvisation, Iyer jouant au piano avec une force inouïe sur l’album ; entre ces deux longues pièces (elles faisaient toutes entre 12 et 15 minutes), le musicien s’est tourné vers son piano électrique pour tricoter des harmonies plus diffuses. De son côté, Ismaily impressionnait par le raffinement de son jeu : constamment à l’écoute de ses deux collègues, il trouvait toujours le bon son, la bonne ligne, avec sa basse électrique, qui imitait tantôt le tintement des clochettes, tantôt le bourdonnement d’un train passant au loin. Rien de ce qu’ils ont joué n’était sur l’album Love in Exile et pourtant, on reconnaissait la chimie entre eux, et le climat apaisant qui en est son produit.
À 21 h 30, la place des Festivals était bondée – pas comme un samedi soir caniculaire enrichi de touristes, mais comme un jeudi soir inaugural sans la menace d’une averse. La bonne humeur parmi les spectateurs se faufilant entre les files d’attente devant les bars pour se rapprocher de la scène où officiait le compositeur et trompettiste franco-libanais Ibrahim Maalouf, un habitué du FIJM, qui lui a déroulé le tapis rouge de la grande scène.
Spectacle groovy, mais poli, le musicien et sa troupe articulant sa propre vision d’une fusion de jazz, de rap et de rock (« C’est le Festival international de hard rock de Montréal ! », a-t-il badiné en terminant un morceau plus robuste), certes avec vigueur, mais en demeurant à l’intérieur de balises esthétiques déjà posées. Sur la place, le public jasait, écoutait, dansait un peu, puis jasait de plus belle. Comme un vrai beau soir d’été, rassurant et familier, en plein coeur de la ville.
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