À 24 ans, le 26 octobre 1931, Henri Charrière emprunte, dit-il, « le chemin de la pourriture ». Autrement dit, celui du bagne, après avoir été condamné aux travaux forcés à perpétuité pour le meurtre d’un certain Legrand, un souteneur professionnel qui l’accusait d’être un indic.
Bien qu’il soit fils d’instituteur, Henri Charrière, originaire de Saint-Étienne-de-Lugdarès, en Ardèche, préfère, très tôt, l’éducation du bordel situé dans le village voisin à celle dispensée sur les bancs de l’école. Après s’être engagé dans la marine, le mauvais garçon, rétif à toute autorité, finit en régiment disciplinaire à Calvi. C’est là qu’il se fait tatouer sur le haut de la poitrine le papillon auquel il doit son surnom. Puis il débarque à Paris où il vit de petits larcins jusqu’à ce que cet assassinat, dont il s’est toujours déclaré innocent, précipite son destin.
Il passera deux fois par l’île Saint-Joseph, surnommée « la mangeuse d’hommes »
Prisonniers joués aux cartes par des gardiens puis froidement abattus, médicaments et vivres revendus par une administration corrompue, viols, mutilations, maladies, faim… Près de 80 % des détenus du bagne de Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane française, ne survivent pas à ces conditions de vie inhumaines. Aux journalistes de Paris Match Gérald Asaria et Patrice Habans, qui sont retournés avec lui sur les lieux de son calvaire, Henri Charrière raconte comment, depuis sa cellule, il assistait, une fois par semaine, aux exécutions par la guillotine. Dans le quartier de haute surveillance, chaque soir, à 18 heures, le pied gauche des hommes est accroché aux barreaux par une manille de fer.
Onze mois après son arrivée, Henri Charrière tente une première évasion à bord d’un vieux canot long de 5 mètres, fabriqué à partir d’un tronc d’arbre creusé par le feu. Il y en aura huit autres, la neuvième sera la bonne. Ses tentatives manquées le mènent à Trinité-et-Tobago, mais aussi en Colombie, à 2 700 kilomètres de son point de départ, où il est repris. Il passera deux fois par l’île Saint-Joseph, surnommée « la mangeuse d’hommes ».
« Papillon » sort en 1969 et le succès est phénoménal
Là-bas, les prisonniers n’ont pas le droit de parler. Guetté par la folie, Charrière marche jusqu’à épuisement en se remémorant ses souvenirs d’homme libre. « Grâce à la réclusion, disait-il, j’ai acquis une hypertrophie de la mémoire. » Il passe aussi par les îles du Salut, dont l’île du Diable, où Dreyfus fut enfermé cinq ans, avant de fuir à nouveau à bord d’un radeau constitué de sacs de pommes de terre et de plusieurs dizaines de noix de coco desséchées. Il dérive soixante-douze heures après avoir été emporté vers le large par une lame de fond. Il touche terre au Venezuela, où il prétend avoir vécu six mois chez les Indiens Guajiros. Il s’y serait marié deux fois et y serait devenu pêcheur de perles.
« Cette tribu redoutée, a-t-il décrit, a été pour moi un havre pour souffler, un refuge sans pareil contre la méchanceté des hommes. » Son dernier bagne, vénézuélien, El Dorado, sera le pire. « J’ai vu flageller un homme, puis on lui mit du sel sur les plaies et on le laissa mourir au soleil. »
Une fois libre, Charrière bénéficie du droit d’asile au Venezuela. Il y fera tous les boulots, de pompier dans une mine à chercheur d’or, en passant par garagiste ou patron de boîte de nuit. Il monte une entreprise de pêche à la crevette, mais son mandataire américain l’escroque de 1 million de francs. Ce sera sa chance. Pour se renflouer, il écrit ses Mémoires.
En 2017, son histoire est adaptée au cinéma pour la seconde fois
« Papillon » sort en 1969 et le succès est phénoménal. Il s’en vendra dix millions d’exemplaires dans le monde. Beaucoup ont enquêté sur ce récit, presque trop beau pour être vrai. Gérard de Villiers, le premier, en ciblera les incohérences, suivi par Roger-Jean Ségalat et Françoise Brunet, qui publieront leur enquête dans Match. Mais peu importe qu’il ait romancé. Le récit de cet ancien forçat, témoignage des souffrances de ces damnés de la terre, fait vibrer jusqu’à Hollywood.
En 2017, son histoire est adaptée au cinéma pour la seconde fois avec le long-métrage de Michael Noer. La première version, réalisée par Franklin J. Schaffner, date de 1973. L’année de la mort de Charrière, incarné par Steve McQueen qui joue aux côtés de Dustin Hoffman. « Ce n’est pas facile d’être Papillon, avait affirmé l’ancien bagnard. J’aurais préféré Alain Delon, qui fait un excellent truand et à qui je ressemblais à l’époque de mon procès… Ou Belmondo. »
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