La souveraineté électrique de l’automobile française se joue dans un cratère du Massif central

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A quelques encablures des volcans d’Auvergne, un autre cratère, vaste et blanc comme la neige, se cache dans la forêt. C’est une carrière à ciel ouvert, exploitée depuis plus de cent ans pour son kaolin exceptionnel, ce granite très blanc altéré par l’eau et indispensable à la fabrication de porcelaine. Plus profondément sous cette exploitation d’une centaine d’hectares, dans des zones allant jusqu’à 250 mètres sous terre, on trouve un granite non altéré, bien plus solide et rare, très riche en lithium. Et l’entreprise Imerys entend donc, encouragée par l’Etat et les principaux acteurs de l’industrie automobile, creuser des galeries pour l’exploiter.

Plan de la carrière de granite d’Echassières, dont le gisement est aussi appelé Granite de Beauvoir/Imerys. Pour agrandir l’image, cliquez ici.

 

Un credo martelé depuis des mois

Lundi, Emmanuel Macron va présenter publiquement la très attendue «planification écologique» qu’il entend mettre en place pour la France dans les mois et années qui viennent, afin de se «projeter vers la neutralité carbone en 2050». Ce que l’on sait déjà, c’est que le président va continuer à marteler qu’il veut un pays souverain dans la construction de voitures électriques, avec, comme ligne d’horizon 2035 et l’interdiction de la vente de nouveaux véhicules à essence en Europe. Le gouvernement pourrait d’ailleurs financer une hausse du bonus écologique pour l’achat de véhicules électriques, une incitation qui sera censée favoriser les automobiles entièrement fabriquées en France.

Le chef de l’Etat donne l’impression de croire que la transition énergétique et la voiture électrique vont sauver son bilan carbone. Développement massif de l’éolien et surtout du nucléaire, aides chiffrées en milliards pour l’ouverture de fabriques de batteries et pour la recherche de matières premières sont ses priorités pour réduire la dépendance de l’automobile française vis-à-vis du pétrole étranger et surtout de l’industrie chinoise. Un sujet d’autant plus sensible que les prix des carburants flambent ces derniers jours, créant la polémique sur le pouvoir d’achat et les leviers à disposition des distributeurs ou de l’Etat.

La carrière de kaolin d'Echassières. — © Paul Ackermann / Le Temps
La carrière de kaolin d’Echassières. — © Paul Ackermann / Le Temps

On a beaucoup parlé des usines de batteries, ces gigafactories qui doivent ouvrir en série dans le nord de la France, une autre ancienne région minière. Mais pour fabriquer ces batteries, il faut du lithium. Et, aujourd’hui, il est principalement extrait en Amérique du Sud ou en Australie, puis transformé en Chine. Et c’est là qu’entre en jeu le sous-sol d’Echassières mis en avant par le président lui-même, par le passé et probablement lundi aussi. «En France, on n’a pas de pétrole, mais on a du lithium», disait-il en octobre 2022 en référence au «on n’a pas de pétrole, mais on a des idées» de Valéry Giscard d’Estaing.

Le lithium, partout

Le lithium est utilisé dans les batteries à cause de ses caractéristiques, c’est un métal léger et à forte capacité électrique. Il est déjà utilisé dans les ordinateurs, les téléphones et les médicaments. Il est devenu incontournable pour les véhicules électriques avec les batteries lithium-ion.

«Le gouvernement nous soutient»

«Nous sommes en relation avec les autorités publiques, nous espérons qu’il y aura des aides supplémentaires qui seront annoncées», affirme Vincent Gouley, qui nous a accueillis à Echassières, accompagné d’un géologue et du responsable de l’exploitation. «C’est un projet stratégique pour l’Europe et pour la France, ajoute le directeur de la communication des projets lithium d’Imerys. D’autres projets dans la même filière ont bénéficié d’aides de ce type. Il n’y a aucune raison que celui-là déroge à la règle. Le gouvernement nous a fait part de son soutien et du fait qu’il activera tous les leviers possibles pour permettre à ce projet d’arriver à son terme rapidement.»

Imerys a déjà reçu 22 millions d’euros dans le cadre du plan France 2030. Pour les gigafactories, les aides correspondent généralement à 10%, voire 30%, des investissements, et ce projet devrait dépasser le milliard d’euros. Les attentes sont donc élevées. «La souveraineté nationale ne passe pas que par l’installation d’usines de batteries en Europe. Si nous voulons être souverains, il faut aller jusqu’à l’extraction minière, sinon ce n’est qu’une souveraineté de façade», argumente Vincent Gouley.

La gigafactory de batteries ACC inaugurée en mai à Billy-Berclau dans le nord de la France. — © François Lo Presti / AFP Photo
La gigafactory de batteries ACC inaugurée en mai à Billy-Berclau dans le nord de la France. — © François Lo Presti / AFP Photo

«L’électrification, ce n’est pas idiot, mais ça n’a de sens que si on réduit la consommation énergétique moyenne, qu’il faudrait diviser par deux», fait cependant remarquer Dominique Bourg, philosophe engagé, professeur honoraire à l’Université de Lausanne. Pour lui, tout le monde ne pourra pas avoir une voiture, électrique ou pas, dans un avenir viable. «On ne peut pas remplacer toutes les voitures actuelles par des véhicules électriques, ça ne passe pas, explique ce spécialiste de l’éthique du développement durable. Et on épuiserait de toute façon tout le cuivre à disposition d’ici à 2050. C’est une industrie extrêmement gourmande en matériaux, le coût extractif est gigantesque et l’extraction du lithium est polluante et consommatrice d’eau. Emmanuel Macron ne semble pas s’être informé. Ce déni est largement partagé dans la population et les dirigeants suivent l’opinion, ils disent à l’électorat ce qu’il veut entendre.»

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35 tonnes à 6 roues motrices

Revenons à Echassières. Cachée derrière les arbres, l’énorme carrière de kaolin est pour l’instant sillonnée par des camions miniers (dumpers) de 35 tonnes à 6 roues motrices. Mais les choses pourraient rapidement évoluer. Du lithium avait été découvert sur le site d’Echassières dans les années 1960 par un institut public. La demande ne suffisait pas à l’époque pour justifier de plus amples recherches. Avec l’augmentation de l’appétit pour cette matière, le besoin va être multiplié par 10 d’ici à 2030 selon Imerys. L’entreprise a donc réactivé les travaux en 2015 avec l’obtention d’un permis exclusif de recherche afin de réaliser un certain nombre de sondages et vérifier l’ampleur du gisement. Ces «carottages» toujours en cours se multiplient dans tous les sens. Ils permettent de cartographier la quantité de granite et son taux de concentration en lithium, parmi les plus élevés au monde. Le gisement s’avère désormais potentiellement rentable.

Un sondage en cours cette semaine à Echassières. — © Paul Ackermann / Le Temps
Un sondage en cours cette semaine à Echassières. — © Paul Ackermann / Le Temps

Pour ces recherches et le lancement de l’exploitation en 2028, Imerys entend investir plus de 1 milliard d’euros sur trois sites. Celui d’Echassières, mais aussi une station de chargement reliée par des canalisations souterraines à quelques kilomètres de là, ainsi qu’une usine de conversion de la matière dans une zone industrielle aménagée, reliée par le rail via une voie ferrée revitalisée grâce à ce projet.

Un mastodonte

Imerys est une multinationale française, leader mondial des spécialités minérales pour l’industrie. La société avec ses 14 000 salariés est présente dans plus de 40 pays et compte presque 200 sites industriels. Son chiffre d’affaires en 2022 est de 4,3 milliards d’euros.

Avant de se lancer dans l’exploitation de la totalité de la mine, une étape expérimentale devra être mise en place. Une demande de concession minière sera donc faite pour ouvrir une galerie pilote d’environ 5 mètres sur 5. Dès la fin de l’année 2025, des camions électriques pourraient y descendre à 50 mètres de profondeur par deux boucles hélicoïdales, puis suivrait une galerie d’exploitation en ligne droite de 300 mètres, agrémentée de safe rooms climatisées et équipées pour les travailleurs en pause.

Le résultat d'un «carottage» à Echassières. — © Paul Ackermann / Le Temps
Le résultat d’un «carottage» à Echassières. — © Paul Ackermann / Le Temps

Quand la mine tournera à plein régime, «les centaines de milliers de tonnes extraites seront valorisées sous forme de lithium, de feldspath pour la céramique ou d’autres produits. Quant au reste, il sera en grande partie remblayé dans la mine souterraine pour des raisons paysagères», promet Vincent Gouley. Le tout devrait donc n’avoir qu’un impact minimal en surface, en dehors de l’apparition de nouveaux bâtiments.

Selon Imerys, l’opération représenterait plus de 500 emplois directs, et au moins autant d’emplois indirects, sans compter les commerces et autres activités générées par cette présence dans la région. La société entend mettre en place des filières avec les écoles et universités locales pour trouver les profils nécessaires dans cette région très peu peuplée. Et la question des habitations se posera aussi pour que les futurs travailleurs, y compris les petits salaires qui pourraient avoir besoin de logements sociaux, trouvent de quoi se loger à moins de 50 kilomètres.

Le dialogue est en cours avec les maires, qui sont enthousiastes. «Ils voient d’un bon œil l’arrivée d’emplois et nous disent même qu’ils ont un foncier disponible, lance Vincent Gouley. Il y a un vrai soutien local.» Frédéric Dalaigre, le jeune maire d’Echassières, prend effectivement régulièrement la parole dans les médias pour vanter l’aspect «très positif» de cette mine pour la région. Un hôtelier de la région nous le confirme: «C’est un développement bienvenu pour les commerces et pour le maintien de l’école.»

Les opposants sur le Tour de France

Sur la route qui mène à la carrière, de nombreux graffitis affichent cependant le désaccord de certains: «non à la mine», «pollution pour profits», peut-on lire. Certains sont déjà effacés, recouverts de goudron noir. Les opposants au projet se sont notamment fait entendre cet été à l’occasion du passage du Tour de France dans le village, et plus tôt encore à l’occasion de réunions publiques.

Camille, du collectif Stop Mines, craint par exemple des pollutions chimiques et un assèchement de la région. «Les prévisions de prélèvement d’eau d’Imerys bougent tout le temps, affirme-t-il. Nous ne leur faisons pas confiance.» L’entreprise promet pourtant d’utiliser très peu d’eau par rapport aux projets similaires en Amérique du Sud, qui fonctionnent souvent par évaporation. «De millions de mètres cubes, on passerait ici à 600 000 m³ prélevés par an, affirme Vincent Gouley. Car il s’agit de roche dure et la plus grande partie de l’eau est récupérée sur le site, dans des bassins en circuit fermé. Nous consommerons donc bien moins que d’autres industries en France.»

Graffiti d’opposant à la mine dans la région d’Echassières. — © Paul Ackermann / Le Temps
Graffiti d’opposant à la mine dans la région d’Echassières. — © Paul Ackermann / Le Temps

Camille estime par ailleurs que «la voiture électrique est une ineptie au vu du poids des véhicules qui se vendent». Pour lui, il faudrait surtout économiser l’énergie et arrêter de toujours vouloir consommer davantage. «Un autre monde est possible», scande-t-il.

A une quinzaine de kilomètres de là, le collectif de riverains de Saint-Bonnet-de-Rochefort est également particulièrement actif. Le village est pressenti pour abriter la station de chargement sur le rail. Et ses habitants n’en veulent pas, craignant pour l’attractivité de cette commune préservée.

Ces associations de protection de la nature pourraient-elles empêcher la réalisation du projet? «Il y a une vraie volonté politique autour de cette mine, assure Vincent Gouley. Elle fait sens économiquement, en termes de souveraineté et de lutte contre le réchauffement climatique avec l’électrification nécessaire de notre automobile. On s’inscrit dans l’industrie verte. L’enjeu, maintenant, c’est d’être dans le dialogue, de faire comprendre cela aux communautés locales. Certaines associations ont des craintes légitimes, nous les entendons et apportons des garanties au fur et à mesure.»

Morceau de granite contenant une quantité exceptionnelle de lithium, la partie brillante. — © LT
Morceau de granite contenant une quantité exceptionnelle de lithium, la partie brillante. — © LT

Le responsable d’Imerys ajoute un argument à plus grande échelle: «Il y a un enjeu de responsabilité dans le fait d’extraire le lithium en Europe. Nous avons en effet le code environnemental le plus strict au monde et des attentes de la population élevées en la matière. Nos projets sont donc responsables dès le départ. Notre mine offrira en outre une garantie de traçabilité de la matière. Aujourd’hui, dans les batteries de nos voitures, on a du lithium qui vient de zones du monde qui n’ont pas du tout les mêmes règles.»

Une ligne qu’entend France Nature Environnement. Cette fédération des associations de protection de la nature a visité les lieux, fait savoir qu’elle restera très vigilante et mobilisée au vu des enjeux. Son représentant local posait toutefois la question suivante dans le média Reporterre: «Peut-on refuser un tel projet, tout en profitant de SUV électriques flambant neufs, pendant que des dizaines d’ouvriers meurent pour les fabriquer à l’autre bout du monde?»

Lire finalement: L’écologie, ennemie du progrès?

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