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Crabe bleu, fourmi de feu, perche du soleil… Ne vous y méprenez pas, ces animaux aux noms poétiques n’ont rien d’amical.
Cela paraît contre-nature, mais, pour préserver l’environnement, il faut lutter contre ces petites bêtes que l’on appelle espèces exotiques envahissantes (EEE).
Selon un dernier rapport de l’IPBES, le GIEC de la biodiversité, ces espèces invasives sont en effet impliquées dans 60 % des extinctions de plantes et d’animaux au niveau mondial.
Et la France est parmi les pays les plus concernés.
Des espèces qui ne sont pas censées être là
Il faut d’abord savoir de quoi on parle. Franck Courchamp, directeur de recherche en écologie au CNRS est l’un des experts des EEE en France. Contacté par actu.fr, le chercheur dresse une définition.
Une espèce exotique envahissante est simplement une espèce qui vient d’ailleurs, qui a été introduite par l’activité humaine dans une aire où elle ne devait pas vivre naturellement. Dans un second temps, elle va réussir à s’étendre et engendrer des conséquences pour l’environnement et les êtres humains.
Des données sous-estimées
En France, on compte 2 750 espèces exotiques. Selon le décompte de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), 189 sont envahissantes. Et donc problématiques.
En réalité, ce chiffre est sous-estimé, nous explique le chercheur. « C’est plutôt entre 200 et 500. » Une fourchette large qui montre qu’il est difficile de prouver qu’une espèce est envahissante ou non. « Prouver leur impact écologique, ça prend du temps. »
Ce qui est sûr, c’est que ce chiffre est en constante évolution.
L’augmentation est exponentielle dans le monde. En France, on ne sait pas à quel rythme ça progresse, mais on sait que ça augmente.
Selon les chiffres du ministère de la Transition écologique, le nombre d’espèces exotiques envahissantes a augmenté d’au moins 76 % ces 35 dernières années en Europe.
La France, terre d’accueil idéal
Si ça augmente en France, c’est parce que notre territoire national est particulièrement propice à leur propagation.
Du fait de la diversité des climats et sa position au carrefour de l’Europe et de l’Afrique, l’Hexagone est exposé au flux de déplacement et propose aux espèces un large éventail de conditions pour s’installer et se développer.
Comme on a beaucoup de régions aux écosystèmes différents en France, on a des espèces de EEE très diverses.
Mais au fait, comment ces espèces exotiques se retrouvent en France ? Il y a deux facteurs :
- Les flux de personnes et de marchandises : c’est uniquement grâce à cela que les espèces arrivent à pénétrer un territoire sur lequel elles ne devraient pas se retrouver. En somme, les espèces arrivent par conteneurs au port ou à l’aéroport ;
- Le réchauffement climatique : le climat qui se réchauffe fait que les espèces ont des conditions de plus en plus favorables pour s’établir à des endroits où elles ne pouvaient pas avant.
Des dégâts conséquents
Pourquoi leur présence est problématique ? Ces nouvelles espèces introduites vont entrer en concurrence avec notre écosystème qui n’est pas fait pour fonctionner avec leur présence : introduction de nouvelles maladies, concurrence sur l’habitat et la nourriture avec les autres espèces, impact sur le cycle des plantes ou sur les récoltes agricoles…
Ainsi, elles dérèglent l’ordre des choses.
Les dernières arrivées en date
En France, certaines espèces exotiques envahissantes n’ont plus rien d’exotique tant elles ont intégré notre paysage : frelon asiatique, vison d’Amérique, ragondin, perruche à collier…
D’autres sont arrivées ces dernières années, voire ces derniers mois.
Originaire d’Amérique du Sud, la fourmi électrique est arrivée en France dans la région de Toulon (Var) en 2022. Cette petite fourmi détruit les insectes, les araignées, les vers de terre et même les petits vertébrés. Elle est aussi nuisible pour l’homme, car sa piqûre provoque une sensation électrique très douloureuse.
Apparu en 2021 comme l’a remarqué notre rédaction locale d’actu Marseille, le frelon oriental fait frémir les apiculteurs aux alentours de la cité phocéenne. Et pour cause. C’est un prédateur d’abeilles plus dangereux que le frelon asiatique.
- Quatre nouvelles espèces d’écrevisses
Entre 2019 et 2022, quatre nouvelles d’espèces d’écrevisses sont apparues dans nos cours d’eau, note l’UICN. Les américaines sont porteuses de la peste des écrevisses, ce qui a un impact sans précédent sur les espèces locales, à savoir les écrevisses à pattes blanches.
En effet, celles-ci, qui souffrent déjà de la dégradation de la qualité des eaux, sont sensibles à cette maladie. Un véritable « effondrement de leur espèce » est en cours pour Yohann Soubeyran, chargée de mission à l’UICN et coordinateur du Centre de ressources des EEE, contacté par actu.fr.
L’impact des EEE peut aussi nous concerner directement. Plus particulièrement les agriculteurs. Cet été, certains champs de lavande du sud de la France ont été ravagés par les chenilles de noctuelle, mettant en péril une culture clé pour l’économie locale.
Originaire de la côte atlantique d’Amérique du Nord, le crabe bleu est depuis des années en Méditerranée. En France, les observations de cette espèce se multiplient depuis 2017 sur les côtes du golfe du Lion. Il se nourrit dans les filets des pêcheurs qu’il peut habilement couper grâce à ses grandes pinces bleues.

Et ce n’est pas fini
Et la liste pourrait bien s’allonger. A l’échelle mondiale, environ 200 nouvelles EEE apparaissent tous les ans, selon les chiffres du chercheur du CNRS Franck Courchamp. La France n’y coupera pas. Si bien que les spécialistes s’attendent à de nouvelles arrivées.
L’UICN redoute notamment l’arrivée de l’écureuil gris, présent en Italie.
Il y a de fortes chances qu’il devienne une menace : en accélérant la compétition pour les ressources alimentaires et l’habitat avec les espèces endogènes, en transmettant des maladies…
Le retard de la France dans la gestion des espèces
Vous l’aurez compris, il est plus que jamais urgent d’encadrer la prolifération de ces espèces. Sauf que, comme nous l’ont confirmé nos interlocuteurs, la France, et plus globalement l’Europe, est en retard sur la question.
Dans sa dernière version publiée en 2023, seules 88 espèces (41 végétales et 47 animales) figurent sur la liste noire européenne, et donc font l’objet d’une vigilance accrue aux frontières. Pour rappel, il existe 24 000 espèces exotiques en Europe (pas toutes envahissantes). « C’est disproportionné », regrette Yohann Soubeyran.
Le coordinateur du Centre de ressources des EEE espère que le rapport de l’IPBES va mettre un coup de pied dans la fourmilière et fasse enfin avancer les choses en France.
La France est parmi les pays les plus touchés par ces invasions. C’est un vrai enjeu. On ne doit pas attendre les résultats scientifiques et gouvernementaux pour passer à l’action.
La solution : contrôler toutes les cargaisons
Pour la défense des autorités, la gestion des EEE est très complexe. Pour être efficace, il faudrait intercepter les espèces là où elles arrivent : aux frontières, c’est-à-dire dans les aéroports ou dans les ports. Hors, difficile de jouer ce rôle de filtre avec les moyens alloués.
Il existe des services d’interception qui regardent les cargaisons à risque. Mais ils n’ont pas les moyens humains et financiers pour fouiller toutes les cargaisons et donc d’être vraiment efficaces sur les points d’entrée.
Des initiatives locales et originales pour combler les lacunes
Face à ces lacunes au niveau de l’Europe ou au niveau national, les municipalités s’organisent. L’UICN et l’OFB mettent en ligne une carte interactive sur le site du Centre des ressources exotiques envahissantes.
Sur celle-ci, les gestionnaires partagent leurs pratiques qui leur ont servi dans la gestion d’espèces invasives chez eux. Ces fiches sont disponibles à toute personne ayant la même espèce sur son territoire afin de s’inspirer d’un protocole existant.
Outre la gestion au niveau local, des initiatives originales sont peut-être amenées à voir le jour, comme la valorisation culinaire. En Italie, le crabe bleu est cuisiné comme une alternative aux pâtes à la palourde. En France, nous n’en sommes pas encore là. Mais on pourrait y venir.
Guillaume Marchessaux, un biologiste, est en charge de trancher le débat. À travers un questionnaire diffusé en mars 2023, il essaie de savoir si les Français seraient prêts à déguster du crabe bleu. Ses données, en cours d’analyse, nous diront si mettre ces animaux dans l’assiette est la solution.
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