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Journaliste depuis deux ans et demi à 76actu, au Havre (Seine-Maritime), la plume de Victor Massias est connue pour ses touches humoristiques.
Dans son ouvrage La Narcos League, argent sale et football colombien des années 1970 à nos jours, si le lecteur retrouve bien le côté cash du journaliste qu’il est, il découvre aussi la retenue face à un sujet toujours sensible. Entretien.
« Je me suis rapidement passionné pour les Colombiens »
Actu : La première question que j’ai envie de te poser, c’est comment à l’âge de 25 ans, un natif de l’Est de la France comme toi s’est retrouvé en Colombie ?
Victor Massias : J’ai fait un stage à Barcelone, et après avoir rencontré des Uruguayens, Argentins ou Colombiens là-bas, j’avais vraiment envie d’aller tenter ma chance en Amérique du Sud. En Uruguay, je savais que j’aurais peu de sujets à vendre à des médias français. En Argentine, il y a déjà beaucoup de journalistes français. Mes potes colombiens m’ont dit d’aller à Medellín, j’ai pris très rapidement mon billet avant que des gens essaient de me faire changer d’avis.
Tu es arrivé là-bas, c’était en tant que journaliste ?
VM : Oui j’avais des idées de sujets, mais rapidement, je me suis rendu compte que ça n’intéressait personne en France. Je parlais espagnol, un peu.
Je connaissais une personne à Medellín, rencontrée à Barcelone. Je suis arrivé le 12 décembre, le 25 je passais Noël dans sa famille. J’ai rapidement compris que j’allais me passionner pour les Colombiens avant même de me passionner pour le pays.
J’avais des projets et puis la Covid est arrivée, me limitant dans mes envies de bouger.
Un livre qui n’était pas prémédité
Quand l’idée de faire ce livre sur le « narco fútbol » colombien est arrivée alors ?
VM : Début 2020, il y a un gros tournoi de gamins à Medellín. En discutant, j’apprends que James Rodríguez, un grand joueur colombien, a participé à ce tournoi, et suite à cela, il a été recruté par un club situé au sud de Medellín, mené par un gros trafiquant de drogue.
J’ai commencé à creuser. Je suis allé dans ce fameux club, des détails me sont donnés sur l’Atlético Nacional, le club qu’a aidé Pablo Escobar. Les gars de l’Atlético Nacional vont eux me donner des détails sur l’América de Cali, tenu par le cartel de Cali, qui a failli recruter Maradona. À chaque rencontre, on me renvoyait vers une autre piste.
De ce fil que je tirais, j’ai collecté des pages de notes. Je ne pouvais pas en faire seulement un article, il fallait donc écrire un livre.
Sauf que moi, je ne suis pas écrivain. Mon livre, c’est une enquête journalistique. Sur place, j’ai eu accès également à des tas de documents traitant de pans particuliers de l’histoire du narco fútbol.
Tu expliques bien dans ton intro à quel point les Colombiens sont méfiants vis-à-vis de ces « gringos » qui veulent cantonner leur pays à la drogue. Comment as-tu réussi à gagner leur confiance ?
VM : Avec les joueurs, je ne vais pas te mentir, c’était très compliqué, contrairement aux supporters. Par exemple, l’un des tout premiers que j’ai interrogés, c’est le frère d’Andrés Escobar, la légende assassinée par des narcotrafiquants. Il refusait de parler de drogue au départ… J’ai toujours réussi à avoir de bonnes informations, sans je pense trahir qui que ce soit. C’était aussi ça mon but et aujourd’hui, ce dont je suis le plus fier, c’est quand des Colombiens me disent qu’ils le trouvent bien.
Des traumatismes bien ancrés
D’ailleurs pourquoi ce point de départ : la mort d’Andrés Escobar ?
VM : Le lien avec le foot, il est évident mais pas tant celui avec la drogue malgré ce qui a été dit, raconté, déformé. Ce point d’entrée là, pour moi, c’était une façon de dire aux lecteurs, ne vous attendez pas à ce que je vous serve du Netflix sur le sujet. Dans ce livre, il n’y aura pas de compassion pour les narcos, les faits que je raconte sont suffisamment incroyables… Il n’y a vraiment pas besoin de romancer derrière.
« Tant que le ballon roule tout va bien »
En revanche, expliquer comment le système fonctionnait et surtout comment finalement tout le monde savait y compris les supporters…
VM : Oui c’est vrai. Et à part des arbitres, quelques journalistes et quelques politiques, tout le monde laissait faire. Quand tu en parles avec les supporters, ils expliquent que s’ils ont consenti à ça, c’est parce qu’ils savaient qu’ailleurs c’était pareil ou pire.
« Tant que le ballon roule tout va bien », m’a dit une des personnes interrogées. La goutte qui fait déborder le vase, c’est Andrés Escobar. La fracture, tu la sens encore aujourd’hui. Dans les stades, des mômes portent encore un maillot avec son nom.
À partir de quand alors, ce système bien rodé va péricliter ?
VM : La stratégie de montrer les muscles s’est retournée contre les trafiquants à partir du moment où ils ont voulu devenir des personnes publiques. En restant dans l’ombre, ils auraient moins dérangé. En voulant gagner en notoriété et en pouvoir politique, le gouvernement ne pouvait plus laisser faire.
Un sport toujours majeur
Quelle vision as-tu du foot colombien aujourd’hui ?
VM : C’est toujours un sport majeur dans ce pays. J’ai vu des ambiances dans les tribunes qui ne pourront jamais être égalées en France mais j’avais du mal à m’intéresser à ce qui se passait sur le terrain. Le niveau est assez bas et dès qu’un joueur est repéré, il part aussitôt pour le Brésil, l’Argentine, le Mexique, l’Uruguay ou l’Europe.
Quant à la mafia dans le foot, elle existe mais elle est plus présente dans les petits clubs. Les narcos ont bien compris qu’il fallait aller vers d’autres sphères : la cryptomonnaie par exemple.
Tu as l’intention de retourner en Colombie ?
VM : Je ne prendrai pas le risque à cause du bouquin. Pourtant, j’aimerais parce que ce sont vraiment des gens qui m’ont donné des leçons de vie, d’humilité et de bonté. Mais je ne me vois pas sursauter à chaque fois qu’une moto passera devant moi.
La Narcos League, argent sale et football colombien des années 1970 à nos jours, 26 euros, 263 pages, éditions L’Harmattan. Le livre peut être commandé ici.
Mardi 24 octobre 2023, Victor Massias sera en conférence à l’université du Havre, faculté des Affaires internationales, salle Olympe de Gouges, de 15 heures à 16h30. Entrée libre.
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