On a lu « Une clarté dans le lointain » de Judith Hermann, une femme sur le rivage de la vie

C’est une femme seule au bord de la mer. Enfin, seule, pas vraiment. Presque quinquagénaire, donc envahie par les ombres, les souvenirs et n’ayant pour autant renoncé ni aux plaisirs ni aux jours heureux. Sa vie procède d’un choix. Il y eut d’abord celui, dans sa jeunesse, qui fut un renoncement. La jeune femme travaillait alors dans une usine de cigarettes…

C’est une femme seule au bord de la mer. Enfin, seule, pas vraiment. Presque quinquagénaire, donc envahie par les ombres, les souvenirs et n’ayant pour autant renoncé ni aux plaisirs ni aux jours heureux. Sa vie procède d’un choix. Il y eut d’abord celui, dans sa jeunesse, qui fut un renoncement. La jeune femme travaillait alors dans une usine de cigarettes. Un soir, elle fit la connaissance d’un homme, assez âgé, qui se prétendant magicien, lui proposa de devenir son assistante (ce qui impliquait d’accepter de se laisser faussement couper en deux…) et de le suivre à travers les eaux du monde sur les paquebots de croisière où il présentait son spectacle. Elle accepta, mais au dernier moment, se ravisa. Choisir, c’est parfois dire non. Une fois au moins ; celle-ci.


Judith Hermann

Ulf ANDERSEN/Gamma Rapho

Après, il y eut l’ordinaire, qui ne l’est jamais vraiment, d’une vie. Un mari, Otis, une fille, Ann. On n’en saura guère plus. Si ce n’est que le temps passant a fait son œuvre. Ann est partie, loin, en Amérique, vivre à son tour sa vie. Et sa mère a quitté son père, sans éclats, sans drames, comme le couple a vécu, à bas bruit.

Les horizons perdus

Alors la voilà, cette femme dont on ne saura pas le nom, seule on l’a dit, dans une maison des bords de la mer Baltique. Le pourquoi ne lui est pas une question. Le comment est plus crucial. Elle est serveuse dans un bar sur le port tenu par son frère Sascha. Sascha qui vient d’entamer une histoire d’amour douloureuse avec Nike, une marginale de plus de trente ans sa cadette…

Son œuvre tout entière n’est tissée que des petits riens de la vie, fragile et infiniment délicate

Bientôt, elle noue des liens d’amitié forts avec Mimi, sa seule voisine, une artiste qui semble n’avoir peur de rien ni de personne. Mimi a aussi un frère, Arild, un homme ombrageux, solitaire, qui s’occupe d’un élevage familial de porcs avec lequel la nouvelle venue va initier une liaison à la fois presque brutale et respectueuse des horizons perdus de ces deux adultes qui ne le sont que pour mieux dissimuler les blessures de leur enfance… Les jours passent élégiaques et ennuyeux à la fois. Quelque chose pourrait advenir. Ou non.

Cet air sublime de ne pas y toucher

Cette femme qui se tient ainsi tout au bord de son existence, au bout d’un monde qu’elle tient élégamment à distance, c’est l’héroïne d’ « Une clarté dans le lointain », le deuxième roman de l’Allemande Judith Hermann. Nouvelliste avant d’être romancière, Hermann est considérée comme l’une des grandes voix d’aujourd’hui de la littérature d’outre-Rhin. De fait, son œuvre tout entière n’est tissée que des petits riens de la vie, fragile et infiniment délicate.

Il y a du Tchekhov dans cet air sublime de ne pas y toucher, du Duras sans la grandiloquence, ou plus près de nous, du Dominique Barberis pour cet art de s’immiscer ainsi dans les silences de fictions profondément spéculatives. De quoi ça parle ce « Une clarté dans le lointain » ? De rien justement, puisque rien n’est plus étranger à cet art littéraire que le bavardage. Ça ne parle pas, ça écoute, ça regarde, ça pressent, c’est une présence au monde. Des êtres égarés de solitude et de chagrins tus ou ignorés, s’agitent vaguement dans l’idée de traverser la nuit, celle qui vient, celle qui demeure. Après tout, s’il doit y avoir une clarté dans le lointain, cela s’appellera l’aurore.

« Une clarté dans le lointain », de Judith Hermann, traduit de l’allemand par Dominique Autrand, éd. Albin Michel, 224 p., 19,90€, ebook 13,99 €. Parution le 2 novembre.

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