L’appel à l’aide du président de Rugby Afrique, Herbert Mensah : « Les autres doivent se contenter des miettes »
L’Afrique du Sud va disputer sa deuxième finale de Coupe du monde d’affilée. Quel impact cette régularité dans la très haute performance peut-elle avoir sur l’ensemble du continent africain ?
L’écart entre l’Afrique du Sud et l’autre nation africaine de ce Mondial, la Namibie, est énorme. De même que celui entre la Namibie et les autres sélections africaines. Le train du haut niveau n’est-il pas trop déjà trop loin pour elles ?
H.M. : Je ne le crois pas. Nous avons vu dans cette Coupe du monde qu’il n’était pas nécessaire d’être un athlète professionnel pour y être et « performer ». Il faut bien se préparer physiquement et mentalement, s’entraîner dur, avoir une alimentation adéquate, se régénérer, et être bien entouré sur le plan médical. Si vous avez cela et que vous pouvez jouer suffisamment de tests matches chaque année, alors vous pouvez prétendre à être compétitif dans une compétition comme la Coupe du monde.
Johan Retief, troisième ligne de la Namibie
Crédit: Getty Images
Le rugby africain a-t-il aujourd’hui les moyens de grandir ?
H.M. : Quand vous êtes un pays européen majeur et que vous recevez chaque année plusieurs dizaines de millions d’euros du Tournoi des 6 Nations, vous êtes puissant et c’est normal. Mais il s’agit d’un petit club privé. Rugby Afrique reçoit seulement 2,25 millions d’euros pour promouvoir le rugby sur l’ensemble du continent, qui regroupe 39 fédérations. Ce n’est évidemment pas possible d’atteindre le haut niveau avec si peu. Si aucun investissement n’est fait et que vous vous n’avez que 10 000 ou 15 000 euros par an pour préparer votre équipe nationale… tout le problème vient de là ! L’Afrique a les meilleurs athlètes mais n’a pas aujourd’hui les moyens de développer leur potentiel pour être suffisamment compétitifs.
Dans la plupart des pays africains, l’état ne donne rien du tout au rugby
Est-ce selon vous à World Rugby d’assumer ces investissements ?
H.M. : World Rugby et les états. En Océanie, on voit que la part de l’état représente 40% du budget pour certaines fédérations. Dans la plupart des pays africains, l’état ne donne rien du tout au rugby. Ce n’est pas à World Rugby d’assumer entièrement les besoins financiers du rugby africain. Il donne un peu après chaque coupe du monde, tous les quatre ans. Les fédérations du 6 Nations en Europe font, elles, le plein chaque année. Donc oui nous devons pousser auprès de World Rugby pour qu’il nous aide plus mais nous devons aussi et surtout pousser auprès des différents gouvernements africains et leur faire comprendre que le rugby est un sport du présent et du futur, qui porte des valeurs uniques. En cela, un joueur comme Siya Kolisi (le capitaine de l’Afrique du Sud, ndlr) peut contribuer à changer les mentalités car il a une image fantastique, moderne et humble. Quand vous l’entendez parler, le rugby devient vite le sport que vous souhaitez pour vos enfants.
Outre le manque de moyens, l’absence de compétitions internationales et de tests matches en Afrique n’est-elle pas l’autre limite majeure à la progression des sélections ?
H.M. : C’est le plus gros problème. Mais si vous vous asseyiez à ma place et si vous aviez 2,25 millions d’euros à gérer pour 39 pays, comment les utiliseriez-vous ? Il ne faut pas oublier non plus qu’en termes de superficie, la France, qui est le plus grand pays d’Europe, rentre par exemple trois fois dans le Nigéria (sic), qui n’est pas le plus vaste pays d’Afrique. Combien coûte un vol Paris – Rome ou Paris – Londres ? Cent euros ? Deux cent peut être ? Un billet Dakar (Sénégal) – Nairobi (Kenya), c’est mille euros ! Et 1500 euros pour un Dakar – Madagascar. Aujourd’hui, sur les 2,25 millions d’euros à ma disposition, plus de la moitié sert à payer des billets d’avion pour les équipes nationales. Et une bonne partie de ce qui reste sert à financer le logement de ces équipes qui se déplacent. Avec un tel budget, vous ne pouvez pas organiser beaucoup de compétitions.
Si nous avions l’argent, nous pourrions créer l’équivalent africain du Super Rugby
H.M. : En France, votre équipe des moins de 20 ans a été sacrée championne du monde pour la troisième fois d’affilée. C’est un modèle fantastique, basé sur une très bonne politique de formation. Avec ces résultats, vous savez que vous avez le potentiel pour être champion du monde dans les prochaines années. Les pays africains auraient besoin des mêmes investissements. Mais quand vous ne les avez pas, que vous n’avez pas les infrastructures ni même parfois des terrains de rugby corrects et que vous n’avez pas la chance de jouer huit à dix matches par an, alors bien-sûr vous ne pourrez jamais prétendre à gagner une Coupe du monde.
La création d’une ligue professionnelle en Amérique du Sud a permis à des pays comme le Chili et l’Uruguay d’émerger. Rêvez-vous d’un projet semblable en Afrique ?
H.M. : Absolument ! Mais pour pouvoir créer cette ligue, ces fédérations ont pu bénéficier d’un soutien financier important des états. Si vous investissez correctement, vous pouvez créer des compétitions magnifiques. Si nous avions l’argent, nous pourrions créer l’équivalent africain du Super Rugby avec le Kenya, l’Ouganda, le Zimbabwe, Madagascar ou l’Algérie. Avec de l’argent, tous ces pays joueraient ces fameux huit à douze matches par an et pourraient alors prétendre à « matcher » à la Coupe du monde.
Quel écho obtiennent vos revendications auprès de World Rugby ?
H.M. : World Rugby est d’accord avec mon constat mais répond qu’il n’a pas beaucoup plus à donner. Il a créé trois catégories pour distribuer l’argent : les nations du haut du panier reçoivent beaucoup, celles qui sont juste en-dessous reçoivent beaucoup moins et les autres doivent se contenter des miettes. Que ce soit l’Asie, l’Amérique du Nord et du Sud ou nous, tout le monde sauf peut-être les pays du 6 Nations met la pression sur World Rugby pour obtenir plus. Je négocie pour ma part et j’espère pouvoir avoir un peu plus. Est-ce que cela sera suffisant ? La réponse est non.
Demain, c’est peut-être l’Afrique qui sauvera World Rugby
Le passage à 24 équipes pour la prochaine Coupe du monde vous permet-il d’envisager un ticket supplémentaire pour l’Afrique ?
H.M. : On travaille pour cela. Mais nous devons monter de niveau. Ce que je souhaite avant tout, c’est de pouvoir proposer aux équipes nationales plus de matches et de compétitions. Une nation qualifiée pour la Coupe du monde doit pouvoir arriver prête pour cette échéance. Pas juste pour un match, mais pour plusieurs dans un intervalle très court, ce qui implique d’avoir joué une dizaine de matches dans l’année qui précède. Quelqu’un doit poser l’argent nécessaire pour permettre cela. L’Afrique n’en est pas encore là mais nous poussons pour que cela arrive.
Quel est aujourd’hui votre stratégie pour faire bouger les lignes ?
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