Publié le 1 nov. 2023 à 11:00Mis à jour le 1 nov. 2023 à 11:01
« Get Rich or Die Tryin’» : il y a vingt ans, sortait cet album devenu mythique de 50 Cent, premier véritable disque en studio de Curtis Jackson. Ce 3 novembre, ils seront 35.000 à Paris La Défense Arena à en reprendre les titres avec la légende du rap. Qui a, entretemps, mis sa formule choc (« Réussir ou mourir ») en application : après s’être déclaré en faillite en 2015, il est à nouveau à la tête d’une fortune estimée autour de 40 millions de dollars. Les fans ont répondu présents pour le concert de Nanterre, comme pour presque tous ceux qui, depuis le 28 septembre, conduisent le bad boy new-yorkais sur les routes européennes, d’Amsterdam à Birmingham.
Sa carrière a beau avoir connu des hauts et des bas, son Final Lap Tour ressemble à une consécration. Et 50 Cent n’est pas le seul à vivre une période faste. Selon les données actualisées en continu du site Touring Data, de très nombreux artistes affichent même un taux de remplissage de… 100 %, comme les grands anciens des Red Hot Chili Peppers et d’Iron Maiden, les showmen de Coldplay ou encore Olivia Rodrigo, l’étoile californienne de la pop qui a, en septembre, sorti son deuxième album à seulement 20 ans.
Démesure
Un concert de 50 Cent n’est pourtant pas à proprement parler une rareté. Le rappeur a déjà rempli deux Accor Arena en juin 2022. Profitant d’un contexte propice au retour des foules dans les salles et les stades, le voilà qui vise encore plus grand. Paris La Défense Arena est en effet l’enceinte indoor la plus vaste d’Europe, et la deuxième la plus immense du globe derrière la Philippine Arena, située au nord de Manille (55.000 places). Elle se distingue à la fois par sa démesure et ses caractéristiques particulières, puisqu’elle accueille également les matchs de rugby du Racing 92.
Le rappeur 50 Cent sur scène, durant son Final Lap Tour, le 7 septembre 2023, à Seattle.© Hayward/Getty Images
Les stars avides de grand spectacle en raffolent, comme la chanteuse acrobate Pink qui peut ici chanter son tube « So What » en survolant une salle dont le gril technique culmine à 48 mètres. D’autres s’en écartent, inquiets de ne pas réussir à faire jaillir l’émotion dans un tel espace. « J’essaie désespérément de faire venir M, mais il trouve que notre salle est trop grande. Je ne lâcherai pas, confie avec sa franchise coutumière Bathilde Lorenzetti, vice-présidente de l’arène qui vient de fêter ses six ans. David Gilmour également, mais il ne tourne que dans des lieux historiques ! »
Duel de divas
L’exubérante patronne de l’enceinte pourrait, à l’avenir, avoir plus de chance avec d’autres grosses têtes d’affiche qu’elle rêve d’accueillir à Nanterre, de Måneskin à Rosalía, tant les artistes sont devenus accros à cette activité qui assure une part croissante de leur gagne-pain. Selon le rapport « Music in the Air », de Goldman Sachs, les revenus globaux du live devraient atteindre 28,1 milliards de dollars en 2023, à quasi-égalité avec ceux de la musique enregistrée, abonnements au streaming compris (28,2 milliards). Avant le Covid, en 2019, le live générait 21,5 milliards de dollars sur la planète.

Taylor Swift sur scène durant son Eras Tour, le 17 mars 2023 à Glendale, en Arizona.© Ashley Landis/Ap/SIPA
Il faut dire qu’un duo de divas au succès phénoménal pulvérise les statistiques et bouscule une hiérarchie jusque-là dominée par un gentlemen’s club conduit par Elton John. « Quelle sera la première tournée à franchir le cap du milliard de dollars de recettes ? », s’interrogeait cet été la presse anglo-saxonne, scrutant au jour le jour les performances respectives de Taylor Swift et de Beyoncé.
Les sites de billetterie à rude épreuve
La première tient la corde. Affichant 146 dates sur cinq continents, son Eras Tour passera dans l’Hexagone pour six soirées à Paris La Défense Arena et au Groupama Stadium de Lyon en mai et juin. Rien qu’en Amérique du Nord, ses 68 dates pourraient rapporter plus de 2 milliards de dollars – bien plus que la barre symbolique du milliard. Le prix faramineux du billet (455 dollars en moyenne outre-Atlantique) ne semble pas un obstacle pour ses fans. Lors de plusieurs mises en vente, les sites de billetterie ont même craqué sous la pression des fameux « Swifties ». « On aurait pu remplir 900 stades », avait crânement lancé Greg Maffei, président du conseil de l’organisateur de la tournée Live Nation, sommé de s’expliquer sur les loupés d’un Ticketmaster incapable de satisfaire la demande.

Beyoncé sur scène, durant son Renaissance World Tour, le 30 mai 2023 à Londres. © Kevin Mazur/WireImage for Parkwood/Getty Images
Mais Beyoncé n’a sans doute pas dit son dernier mot, elle qui a déjà dépassé Madonna avec les recettes du Renaissance World Tour . En août, Queen B a généré 179,3 millions de dollars en quatorze dates, un record mensuel absolu depuis que « Billboard » a commencé à calculer ce chiffre en 1985. L’artiste n’avait pas tourné en solo depuis le Formation World Tour en 2016 et elle exploite comme personne l’impatience des groupies.
Au Stade de France, le 26 mai dernier , quelques-uns des 68.624 spectateurs avaient déboursé 3.027 euros pour le billet le plus cher, ce tarif exorbitant donnant droit à quelques avantages (deux boissons, un article collector en édition limitée, etc.) en plus d’une place au premier rang d’un show phénoménal dans lequel la reine de la pop survolait la scène sur son cheval scintillant. La Suède se souvient encore des conséquences inattendues de ses deux premières dates européennes à Stockholm en mai : +0,2 point sur l’inflation nationale, selon le calcul de l’économiste en chef de la Danske Bank, Michael Grahn, tant les 90.000 fans débarqués pour l’occasion avaient réservé de nuits d’hôtels, bu, mangé, etc.
La Fed de New York s’est aussi félicitée de l’impact de plusieurs milliards de dollars de la tournée de Taylor Swift sur l’économie américaine. En mai, les hôteliers de Philadelphie ont par exemple pu compter sur un niveau des revenus inédit depuis l’apparition du Covid, en grande partie lié à l’afflux des Swifties en ville.
L’effet bienheureux du Covid
Face à un tel engouement, impossible d’accueillir tout le monde. La venue surprise de Lana Del Rey à l’Olympia en juillet dernier, décidée dix jours seulement avant l’événement, est restée dans les annales : 420.000 personnes en concurrence pour 2.824 places ! Même les arènes gigantesques semblent trop étroites pour l’époque. Paris La Défense Arena, qui avait au départ une capacité de 40.000 spectateurs, a obtenu le droit d’en caser jusqu’à 43.000 debout grâce à une fosse élargie. Le Stade de France avait, en mai 2022, réussi à faire tenir 97.036 personnes pour le concert-événement d’Indochine.

Les « Swifties » aux abords du stade où se tenait le concert de Taylor Swift le 26 mai 2023 à East Rutherford, dans le New Jersey.© Jutharat Pinyodoonyachet/The New York Times-REDUX-REA
« On ne le dit pas assez, mais le Covid a au final servi notre industrie, se réjouit le patron de Live Nation France, Angelo Gopee. Les gens ont eu le temps de réécouter de la musique, de découvrir de nouveaux genres et de nouveaux noms sur les plateformes de streaming. Une fois que le live a de nouveau été possible, ils ont massivement eu envie d’aller voir les artistes sur scène. Le public a été multiplié par deux, trois, quatre, par rapport à avant la pandémie. »
Offres premium au prix fort
L’affiche s’est diversifiée. « Il y a quinze ans, ils étaient cinq ou six à pouvoir remplir un stade : Madonna, les Rolling Stones, U2, etc. Ils sont aujourd’hui rejoints par des stars de la K-pop comme Blackpink ou de l’afrobeat comme Burna Boy, des phénomènes comme Harry Styles ou The Weeknd, mais aussi un vieux groupe comme Depeche Mode, totalement redécouvert pendant le Covid. Dave Gahan et Martin Gore font désormais le plein pas seulement au Stade de France mais à Lyon, Bordeaux et Lille », se réjouit le tonitruant responsable de la filiale française de Live Nation. La chronologie classique n’a plus cours, qui voulait qu’« un artiste fasse une salle de 500 à 1.500 places pour son premier album, un Olympia pour son deuxième, un Zénith pour son troisième ». Jadis, un « Bercy » rempli (on ne disait pas encore Accor Arena) demeurait l’apanage de Sardou et Johnny.

Les fans de Beyoncé à Pennsylvania Station, à New York, en route pour son concert dans le New Jersey, le 30 juillet 2023.© AMIR HAMJA/The New York Times-REDUX-REA
« Le complet appelant le complet », selon une formule en vogue dans le métier, la plupart des préventes sur Ticketmaster sont au contraire aujourd’hui des hits instantanés y compris en France, traditionnellement plus longue à la détente. Les fans craignant de ne pas être servis, une course au billet s’enclenche. Mieux vaut être devant son écran avant 10 heures le jour J pour avoir une – petite – chance de décrocher le gros lot dans une file d’attente parfois aléatoire.
Les billets premium partent souvent les premiers. Les fans de K-pop n’hésitent par exemple pas à débourser 1.300 euros pour le pack Blackpink qui donne un accès prioritaire au stade, un mini-concert « privé » et de petits cadeaux bien pensés. « Si tout n’est pas parti en une heure, on a l’impression que la tournée est un échec, ironise Arnaud Meersseman, DG d’AEG Presents France, le challenger de Live Nation. Tout le monde pense que ce que nous sommes en train de vivre est le nouveau normal ou, pour reprendre le titre d’un album de The Strokes, ‘le nouvel anormal’ (‘The New Abnormal’). Mais soyons honnêtes : on ne peut rien prévoir tant nos cadres de référence pré-Covid sont obsolètes. »
De l’art de pousser les murs
Tout n’est pas rose pour tous à l’ère du live. Les événements programmés dans des théâtres ou des salles des fêtes modestes accueillant des artistes en développement souffrent. Certains festivals pâtissent de la concurrence des tournées mondiales, désertés par des stars qui préfèrent amortir leurs coûts croissants en enchaînant plusieurs soirées dans une enceinte où elles peuvent imposer leurs productions et leurs tarifs. Mais les grandes salles attirent comme jamais, avec des affiches parfois improbables. Pour ses 30 ans, l’émission Taratata a réussi, début octobre, à remplir Paris La Défense Arena sans que le public sache qui participerait à la fête lors de l’achat des billets.
Les coulisses du Taratata de septembre 2023.#Replay disponible ici
=> https://t.co/wQfAV13VJA#Taratata pic.twitter.com/8id3EWEOha— Taratata Officiel (@Taratata) October 1, 2023
Le concert Vybe monté par Live Nation sidère même un pro comme Angelo Gopee. « 15.000 places écoulées pour des artistes des îles alors que personne ne connaît le concept. » L’exotisme et la nostalgie payent en cette drôle de période.
Premier organisateur de concerts du globe et heureux propriétaire de Ticketmaster, qui détient plus de 75 % du marché mondial des billets, l’américain Live Nation vit pleinement ce moment. Son chiffre d’affaires a encore augmenté de 29 % au deuxième trimestre de 2023 (4,6 milliards de dollars), tiré par l’activité dans les stades, les arènes et, à un degré moindre, les festivals. Près de 120 millions de billets se sont vendus pour des concerts Live Nation ces douze derniers mois (+20 %). Dans ce contexte, le défi est de pousser les murs. A peine Angelo Gopee a-t-il bouclé notre interview qu’il décroche son portable pour trouver un moyen d’augmenter la capacité d’une enceinte comble. « En déplaçant la console de retour près de la scène, tu passes de 5.000 à 7.000 places », souffle-t-il à un collaborateur.
Tourner pour vendre
Toute la filière se réinvente autour de cette manne. « Il y a vingt ans, on organisait une tournée pour vendre un disque. Maintenant, on sort un album pour vendre des billets de concert », résume l’universitaire Emmanuel Négrier, directeur de recherche au Cepel (université de Montpellier). Les labels, notamment, se transforment. « Autrefois, on subventionnait un peu les tournées en se disant qu’elles aidaient à la vente de CD, première source de nos revenus. Cela s’appelait du ‘tour support ‘, se souvient Romain Pasquier, responsable du label WEA en charge des tournées d’Ed Sheeran, Coldplay, Bruno Mars, Dua Lipa ou Burna Boy chez Warner Music France. Aujourd’hui, le live est devenu le pilier de notre stratégie de promotion d’un album. Il est déterminant tout au long de la campagne : à l’annonce des dates de tournée, lors du concert, mais aussi après coup, lorsque les gens qui étaient sur place ou qui auraient voulu y être écoutent massivement l’artiste en streaming. »

Billie Eilish, le 3 février 2022 à La Nouvelle-Orléans, au cours de son Happier the Ever Tour. © Kevin Mazur/Getty Images for Live Nation/Getty Images
Chanteur-phare du label, Ed Sheeran s’est ainsi prêté à une expérience inédite pour étudier la dynamique des streams dans les villes où passait son Mathematics Tour et observer quels titres joués durant le concert surperformaient localement les jours suivants. En est sortie une playlist vivante, régulièrement réactualisée sur Spotify. Les plateformes de streaming ont bien conscience qu’elles n’exploitent pas encore complètement toutes les opportunités du live…
L’inflation des billets
La folie actuelle peut-elle perdurer au-delà du phénomène de rattrapage lié au Covid ? Certains en doutent en raison de la surabondance de l’offre, qui pourrait saturer le marché, et du prix des billets – certains économistes américains parlent désormais de « funflation » pour évoquer le renchérissement des prestations live de toutes sortes.

Le groupe de K-pop Blackpink au Stade de France, le 15 juillet 2023.© Yg Entertainment
Encore faut-il se réjouir que les tarifs restent largement moins élevés en Europe qu’en Amérique du Nord, où le jeu du « dynamic pricing » inspiré des compagnies aériennes favorise l’hyperinflation de tickets trop peu nombreux par rapport à la demande. A quelques exceptions près comme The Cure, qui continue à défendre des tarifs abordables pour son public, tout le monde s’y est mis. Même Bruce Springsteen, dont le billet a pu atteindre 5.000 dollars sur la dernière tournée. « Cela fait quarante-neuf ans que mes tarifs étaient en dessous de la valeur du marché. C’était super pour les fans, mais j’ai fini par dire à mes équipes : les gars, j’ai 73 ans, je veux faire comme les autres », s’est justifié le Boss dans « Rolling Stone ».
En 2024, des arènes accaparées par les JO
L’augmentation des tarifs reflète en partie l’explosion de tous les postes de coûts (transport, énergie, main-d’oeuvre) sur des tournées de plus en plus pharaoniques. Beyoncé, Taylor Swift ou Rammstein déplacent 80 semi-remorques de ville en ville pour assurer un spectacle géant. « Le prix de la location d’un bus a triplé en un an mais pas le billet, on a à peine augmenté certains Stade de France de 10 euros », fait valoir Angelo Gopee, de Live Nation. « Attention à ne pas décourager la demande, alerte Benjamin Jourdain, directeur général d’Arachnée Productions, producteur français des tournées de Julien Doré, M. Pokora, Pascal Obispo ou encore Jenifer. Les fans sont toujours prêts à payer mais ils ne remplissent jamais 100 % d’une salle. Il ne faut pas sous-estimer la sensibilité du reste du public au facteur prix. »

Lana Del Rey à l’Olympia, à Paris, le 10 juillet 2023. 420 000 personnes étaient en concurrence pour 2.824 places.© Kristy Sparow/Getty Images
C’est en tout cas sur les folles bases actuelles que le producteur construit dès à présent son programme des prochaines années. « Je suis en train de challenger des dates pour 2025, avoue Benjamin Jourdain. Les disponibilités des salles nous obligent à beaucoup anticiper. Dans les grandes villes, c’est déjà chaud pour décrocher les meilleurs jours des mois les plus intenses, en gros de mars à novembre hors vacances scolaires. » A Paris, s’ajoute l’effet Jeux Olympiques. Les arènes traditionnelles étant réservées au sport durant une grande partie de 2024, les mois suivants seront marqués par une accumulation de concerts « de rattrapage ». Les fans de Mylène Farmer s’échauffent déjà en prévision des trois dates du Nevermore Tour de la reine française de la scène au Stade de France, à la fin septembre.
Les concerts font leur cinéma
Les fans d’un artiste qui n’ont pas pu obtenir de billets pour son concert peuvent parfois se consoler en regardant sa captation au cinéma. Ambiance garantie lors de certaines projections. Le 28 septembre, 40.000 admirateurs d’Orelsan ont ainsi fait la fête devant la retransmission sur grand écran de son Civilisation Tour à Paris La Défense Arena. Le concert était simultanément diffusé dans 400 cinémas de France, Suisse, Belgique et Luxembourg. Une date de l’Eras Tour de Taylor Swift a aussi été retransmise en octobre au Grand Rex et dans une série de salles Pathé. Le film a engrangé quelque 130 millions de dollars de recettes en deux week-ends d’exploitation aux Etats-Unis, pulvérisant les records précédemment détenus par Justin Bieber (73 millions de dollars au total en 2011) et Michael Jackson (72 millions en 2009). Le concert de Beyoncé, qui sortira en salles en décembre, devrait aussi faire un carton. Parmi les artistes français, Polnareff propose les 18 et 19 novembre une version karaoké de son concert à l’Accor Arena, le rappeur SCH le 23 novembre le film de son concert estival au stade Vélodrome et M le 7 décembre la captation de sa tournée Rêvalité.
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