« Il ne faut pas enterrer la France en Afrique », défend un ancien commando béarnais


L’ancien commando et expert des questions de défense, Louis Saillans – un nom d’emprunt – a œuvré près d’une décennie entre Afrique et Moyen-Orient.

Mareuil éditions

Durant près d’une décennie, de 2011 à 2020, l’ex-commando marine Louis Saillans a participé à des opérations militaires en Afrique et au Moyen-Orient visant à libérer des otages et capturer ou neutraliser des responsables djihadistes. Désormais en retrait de l’armée, le soldat d’élite d’origine béarnaise a publié « Chef de guerre », un récit vendu à des milliers d’exemplaires, en 2021 (Mareuil éditions, disponible en poche).

Alors que la position de la France s’est considérablement fragilisée en Afrique de l’Ouest avec les putschs successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger, il revient sur la perte de vitesse du G5 Sahel, ce groupe qui avait pour objectif commun la lutte commune contre le terrorisme avec le soutien actif de Paris. Il retient néanmoins certaines réussites et ne tire pas un trait sur l’influence future de la France dans la région. Entretien

La plupart des observateurs constatent l’échec du G5 Sahel et de l’intervention française. C’est aussi votre avis ?

Je serais plus mesuré. L’armée française a aussi obtenu des résultats concrets sur le terrain. Par exemple, après le G5 Sahel à Pau, en janvier 2020, un groupe terroriste avait été ciblé : l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). En six mois, il a vu ses effectifs se réduire comme peau de chagrin.

Le chef du groupe, Adnane Abou Walid al-Sahraoui, a été grièvement blessé en 2020 et il est mort en 2021. Il n’y a plus eu d’actions de ce groupe-là pendant près de deux ans. Certes, quatre ans plus tard, il s’est reformé grâce à l’instabilité actuelle mais cet exemple montre que quand on décide d’une action militaire claire et ciblée, elle peut fonctionner.

Les interventions françaises en Afrique, les opérations Serval (au Mali, en 2013-2014) et Barkhane (dans tout le Sahel, de 2014 à 2022) notamment, ne sont pas toujours des francs succès…

Je ne mélange pas tout. Oui, l’intervention en Libye en 2011 est une catastrophe générale qui a eu des répercussions sur toute la région. En revanche, l’intervention au Mali, en 2013, a permis de stabiliser le pays pendant dix ans. Non seulement le terrorisme mais aussi la contrebande, la corruption et la traite des êtres humains ont reculé. Il y a une grille très simple pour le lire : depuis notre départ en 2022, la conséquence directe et visible, c’est la reprise du trafic de drogue.

À côté de Barkhane, il y avait donc ce G5 Sahel où la France appuyait le Mali, le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie et le Tchad. Qu’a-t-il manqué à cette coalition pour être plus efficace ?

Beaucoup ont reproché le manque de vision à long terme. J’ai souvent entendu cette complainte chez les militaires, qu’on n’avait pas de plan à six mois, qu’on naviguait à vue. C’est malheureusement vrai, en partie. Nous avions un problème de vision globale, nous ne savions pas vraiment quelle solution nous souhaitions apporter. La question du positionnement de la France n’était pas clairement arrêtée. Que doit-on faire là-bas ? Assurer une force de sécurité ou s’impliquer davantage dans le développement ? Aujourd’hui encore, il faudrait une véritable ambition internationale française, à très long terme, mais je ne suis pas sûr que ce soit la priorité des politiques.

« Il fallait envisager une coopération plus poussée en tâchant de gommer les stigmates de la Françafrique »

Au Sahel, la seule intervention militaire ne pouvait pas tout résoudre…

Le G5 Sahel a apporté une réponse sécuritaire de court terme, mais il fallait d’autres réponses sur le temps long. Il fallait envisager une coopération plus poussée en tâchant de gommer les stigmates de la Françafrique. On ne l’a jamais vraiment décidé, c’était une des fragilités initiales. Mais la France n’est pas responsable de tous les maux. Ces pays ne nous ont pas attendus pour faire la guerre.

La fragilité de ces États ne rendait-elle pas la mission impossible dès le départ ?

La mission était complexe. Ces pays ont des faiblesses structurelles à commencer par la corruption. Les pays du Sahel ne sont pas producteurs de drogue mais sont des territoires de transit pour la marchandise venue d’Amérique du sud en direction de l’Europe. L’ensemble de ces marchandises passe par la Libye qui est désormais découpée entre bandes rivales depuis la mort de Kadhafi. Cette circulation crée de la ressource dans le pays, elle contribue au développement de la corruption et à son instabilité.

La Françafrique a aussi créé un biais qu’il était difficile de contourner. La confiance du continent est entamée…

Effectivement mais ça, c’est l’histoire du XXᵉ siècle. On parle encore de la Françafrique mais des gens qui ont connu les colonies, il n’y en a plus beaucoup aujourd’hui. Ce sont des pays extrêmement jeunes. Si on regarde des plus grands cycles, il est tout à fait possible de recréer du lien malgré ce passif.

Je reste convaincu que nous pouvons garder un lien avec ces pays, parce qu’ils sont francophones et que nous avons des repères culturels communs. Certes, les régimes au pouvoir aujourd’hui nous sont pour certains hostiles, mais la première étape serait d’avoir une réelle ambition pour ces territoires.

Avez-vous pu mesurer le sentiment anti-français lors de vos missions au Sahel ?

Non, on ne l’a pas du tout ressenti au quotidien. Je suis convaincu que ce n’est pas du tout un sentiment général. Ces manifestations sont très rarement spontanées, rien n’est innocent. Il faut savoir que ces populations sont extrêmement connectées. Tout le monde a un portable et des comptes sur les réseaux sociaux. Tout le monde est manipulable.

Comment envisagez-vous l’avenir au Sahel ? Et celui de la position française là-bas ?

Personne ne va remplacer la France dans le rôle qu’elle a tenu, notamment avec l’opération Barkhane. Des pays qui s’impliquent dans des missions coûteuses qui ne rapportent rien, il n’y en a pas. La Chine et la Russie commencent à réaliser qu’elles ne pourront pas être payées comme elles l’envisageaient. Chinois et Russes n’enverront pas leur armée pour rétablir l’ordre au Sahel. Les groupes terroristes qui sont actuellement en train de se restructurer vont avoir les mains libres. On retrouvera sûrement des régimes qui appelleront à l’aide dans deux ou trois ans car ils ne pourront pas répondre à ces groupuscules. Il ne faut pas enterrer la France en Afrique. Ce n’est pas fini.

(1) Louis Saillans est un nom d’emprunt.

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