Sur les traces de Billaud-Varenne, un esprit révolutionnaire face aux contradictions du pouvoir

Pour des milliers de Rochelais, le nom de Billaud-Varenne évoque une avenue de Villeneuve-les-Salines. Une artère centrale qui traverse le quartier, dans le prolongement de l’avenue du 14-Juillet, croisant quelques compagnons de la Révolution française : Robespierre, Danton, Mirabeau, Condorcet. Combien savent qui était Jacques-Nicolas Billaud, dit Billaud-Varenne, puis le Rectiligne ou le Tigre, né à La Rochelle le 23 avril 1756 ? Peu sans doute. Il faut dire que le personnage n’a jamais été très populaire. « Il a eu contre lui tous les historiens du XIXe siècle et…

Pour des milliers de Rochelais, le nom de Billaud-Varenne évoque une avenue de Villeneuve-les-Salines. Une artère centrale qui traverse le quartier, dans le prolongement de l’avenue du 14-Juillet, croisant quelques compagnons de la Révolution française : Robespierre, Danton, Mirabeau, Condorcet. Combien savent qui était Jacques-Nicolas Billaud, dit Billaud-Varenne, puis le Rectiligne ou le Tigre, né à La Rochelle le 23 avril 1756 ? Peu sans doute. Il faut dire que le personnage n’a jamais été très populaire. « Il a eu contre lui tous les historiens du XIXe siècle et une partie de ceux du XXe siècle, admirateurs de Danton, et il a été détesté par les adulateurs de Robespierre », estime Claude Latrille.


Jacques-Nicolas Billaud dit Billaud-Varenne, surnommé le Patriote rectiligne ou le Tigre.

PICRYL

À 88 ans, l’ancien conseiller municipal socialiste et professeur d’histoire, « Belou » de Laleu par son père, Tasdonnais par sa mère, vient de tenir une promesse faite à Michel Crépeau, en 1989. En pleine préparation des célébrations du bicentenaire de la Révolution, le député-maire de La Rochelle lui suggère d’écrire sur l’illustre « oublié ». Bien des années plus tard, Guy Martinière, doyen de la Faculté des lettres, langues, arts et sciences humaines, l’encourage à consacrer une thèse au révolutionnaire rochelais. Le retraité s’est donc remis au travail.

Cinq années de recherches et les travaux de l’historienne Françoise Brunel n’ont pas été de trop pour rédiger une thèse, « Jacques-Nicolas Billaud-Varenne le Rectiligne, d’une rive à l’autre, entre France, Cayenne et Haïti. Une histoire atlantique (1756-1819) », soutenue avec succès lundi 13 novembre. Une double satisfaction pour Claude Latrille, qui accède au grade de docteur dans une université dont il fut l’un des fondateurs. Pour avoir ce privilège, règles universitaires obligent, il lui a fallu s’intéresser au chapitre ultramarin de Billaud-Varenne. De son exil à Cayenne à ses derniers jours à Haïti.

Auteur frustré

« Sa vie est un roman », confie l’historien, fasciné par son parcours plus que par le personnage lui-même, issu d’une famille d’avocats, instruit par les jésuites, influencé par les oratoriens à Niort et auteur frustré. Sa première pièce de théâtre, « La femme comme il n’y en a plus », une critique acerbe du libertinage, est sifflée dans sa ville natale qui est aussi, durant la même période, la ville d’adoption d’un certain Choderlos de Laclos, auteur des « Liaison dangereuses ».

« Le surnom de Rectiligne lui a été donné par Camille Desmoulins, explique Claude Latrille. Ça dit bien son caractère, il était droit dans ses bottes ! »

Faute de triompher à La Rochelle, Billaud-Varenne (il ajoute le nom de ce lieu-dit où son père possède une ferme) tente sa chance à Paris. Il écrit encore deux ouvrages, « Despotisme des ministres de France » et « Le dernier coup porté aux préjugés et à la superstition », avant 1789, fréquente le Club des Jacobins, les Cordeliers. Nommé substitut du procureur après la prise des Tuileries le 10 août 1792, il est élu député de la Seine à la Convention aux côtés de Robespierre, Marat, Danton, Camille Desmoulins, Fabre d’Églantine, etc. Républicain convaincu, Montagnard opposé aux Girondins, il se montre impitoyable au cours des massacres de septembre 1792, justifie la Terreur. Membre du Comité de salut public, les événements font de lui un homme d’État.

« Le surnom de Rectiligne lui a été donné par Camille Desmoulins, explique Claude Latrille. Ça dit bien son caractère, il était droit dans ses bottes ! Mais il a bien senti les contradictions du pouvoir, comme la subtile différence entre légalité et légitimité. Notamment quand il a voulu décentraliser le pouvoir exécutif. Il était aussi contre la guerre et ne supportait pas la personnalisation du pouvoir de Robespierre, qu’il a empêché de s’exprimer à l’Assemblée nationale avant la chute de l’Incorruptible. Et il a été l’un de ceux qui ont demandé la tête de Danton, dont il a été proche, n’admettant pas qu’il souhaite arrêter la Terreur. Lui reprochait-il également son côté jouisseur ? »

Dans ses mémoires, Billaud-Varenne exprime des remords vis-à-vis de l’exécution de Robespierre. « Il l’aurait dit, en effet, souligne Claude Latrille. Mais est-ce vraiment de lui ? Ses propos ont été rapportés, mais il n’existe pas de copie de ses mémoires, ni de ses pièces de théâtre, ce que je regrette d’ailleurs. »

Billaud-Varenne l’esclavagiste

En 1795, Billaud-Varenne est condamné à son tour, à la « guillotine sèche » : la déportation en Guyane. Il embarque à l’île d’Aix après avoir revu une dernière fois La Rochelle et ses parents.

« J’entends la voix de la postérité qui m’accuse d’avoir trop ménagé le sang des tyrans d’Europe »

« C’est déjà un miracle qu’il soit arrivé jusque-là tellement il était honni par la population », remarque l’historien. Son ami Collot d’Herbois succombe à Cayenne, pas le Rochelais, qui retrouve même ses anciens adversaires thermidoriens à Sinnamary. Il refuse ensuite la grâce accordée par Bonaparte, un « usurpateur » selon lui. Il fait surtout le choix de rester en Guyane, où il a embrassé la carrière de planteur esclavagiste. Celle qui partage sa vie est une mulâtresse affranchie, que l’adepte de Rousseau a baptisée Virginie. L’esprit de contradiction, encore.

Plus tard, Billaud-Varenne l’esclavagiste, après un court séjour aux États-Unis, vient toutefois se réfugier… dans la première République noire, à Haïti, où le révolutionnaire est chaleureusement accueilli par le président Pétion. Son épitaphe : « Mes ossements, du moins, reposeront sur une terre qui veut la liberté ; mais j’entends la voix de la postérité qui m’accuse d’avoir trop ménagé le sang des tyrans d’Europe. »

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