Prix Acfas Jacques-Rousseau: documenter les savoirs traditionnels

Ce texte fait partie du cahier spécial Les prix de l’Acfas

L’ethnobotaniste Alain Cuerrier, qui a reçu le prix Jacques-Rousseau de l’Acfas, travaille depuis de nombreuses années avec et pour les communautés autochtones du Québec et d’ailleurs. Ensemble, ils documentent, traduisent et préservent des savoirs liés aux plantes, aux animaux, à la médecine traditionnelle ainsi qu’aux perceptions des changements climatiques.

À la croisée de l’anthropologie sociale, de l’ethnoécologie et de la linguistique, l’ethnobotanique demeure une science méconnue. « C’est la rencontre entre l’humain et les plantes », explique Alain Cuerrier, professeur associé au Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal. Elle implique une grande multidisciplinarité, ainsi qu’une profonde curiosité, qui caractérise bien le chercheur. « Étudiant, je m’intéressais à la chimie, aux insectes, aux problèmes environnementaux, mais aussi à la philosophie et à l’histoire, raconte-t-il. J’avais également une grand-tante herboriste. »

Au cours de son doctorat en systématique végétale, il plonge dans les écrits d’anciens botanistes sur la classification folklorique, ou comment les Autochtones perçoivent le vivant à travers le monde. Il est marqué par sa rencontre avec Richard Evans Schultes, ethnobotaniste américain reconnu, lors d’une année d’études à l’Université Harvard. Quelques années plus tard, il participe à la création du jardin des Premières-Nations au Jardin botanique de Montréal, mettant en valeur les connaissances botaniques des Premières Nations et des Inuits.

Ses travaux l’ont mené à collaborer avec des communautés au Maroc, en Guyane française et avec des Premiers Peuples cris, inuits, innus et naskapis, ainsi que des Anichinabés, des Wabanakis et des Squamish. « Rien n’est mieux que d’aller rencontrer les communautés locales directement, lance-t-il. C’est essentiel de discuter avec les aînés, de les écouter et de respecter leurs demandes ainsi que leurs besoins. »

Les bénéfices de la médecine traditionnelle

Alain Cuerrier étudie entre autres les savoirs traditionnels permettant de prévenir et de traiter le diabète de type 2, maladie très répandue dans les groupes autochtones. Avec ses collègues, il a démontré l’efficacité de plantes médicinales utilisées par les Premières Nations, comme le thé du Labrador. « Certaines plantes jouent sur le métabolisme humain, comme sur la prise du glucose dans le sang, la sécrétion d’insuline », précise-t-il.

Environ 80 % de la population mondiale a recours à la médecine traditionnelle et quelque 40 % des produits pharmaceutiques autorisés utilisés aujourd’hui sont issus de substances naturelles, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Contrairement à certaines croyances, la médecine traditionnelle n’enlève rien à la médecine moderne, qui est très importante et doit être développée, souligne Alain Cuerrier. Marier les deux est d’une grande richesse, les plantes constituent des outils complémentaires. »

Changements climatiques

Si les changements climatiques touchent particulièrement les peuples autochtones à l’échelle mondiale, ils sont flagrants dans le sous-arctique canadien. « Le pergélisol dégèle, les infrastructures s’enfoncent, des étangs disparaissent, ajoute Alain Cuerrier. Il y a un arrimage très juste entre la perception des Inuits et les données scientifiques prises dans les stations météo. » Par exemple, ils observent que le goût des baies sauvages, du caribou, des phoques et des poissons n’est plus le même, notamment à cause des sécheresses.

Or, l’identité culturelle des Premiers Peuples est intimement liée au territoire, à l’alimentation et à la langue. « Tous les os d’un caribou ont leur propre nom en langue inuktitute, image le chercheur. Les Cris nomment l’épinette noire de trois manières, alors que les Occidentaux en ont identifié une seule. Ces différences révèlent des caractéristiques distinctes très intéressantes. » La conception animiste et le respect sacré du vivant ouvrent ainsi une fenêtre plus large sur le monde.

Des liens privilégiés

L’ethnobotaniste favorise une approche d’ouverture et de collaboration. « Ce n’est plus possible d’agir comme les anthropologues qui venaient et repartaient sans donner de nouvelles, ça a beaucoup blessé les gens, estime-t-il. Quand je suis allé au Labrador, la première chose que les Inuits m’ont demandée, c’est si j’allais revenir. » Le chercheur s’assure toujours de connaître les inquiétudes des personnes avec qui il collabore. « Il faut prendre le temps et le soin de bâtir des échanges équilibrés, en les invitant dans des congrès par exemple. D’ailleurs, ils prennent de plus en plus la parole et les rênes de la recherche. »

Ce qu’Alain Cuerrier aime par-dessus tout, ce sont justement les liens forts et privilégiés qu’il a noués au fil de sa carrière. Il se souvient notamment d’une anecdote avec un Inuit, Willie Emudluk, aujourd’hui décédé. « Je cherchais à lui dire un nom de poisson en inuktitut, mais je ne l’ai pas bien prononcé, raconte-t-il. Il a ri, a pris mon visage entre ses grandes mains et m’a dit : “Dorénavant, tu t’appelles sulukpaugaq [lotte de rivière].” » Un geste d’humour et d’affection qui l’a profondément touché.

« Willie était toujours très ouvert à partager son savoir et celui des autres pour que ça ne se perde pas, que sa langue reste la plus riche possible, poursuit-il. Comme d’autres, il était heureux que je puisse lui dire et comprendre des mots dans sa langue. » Aujourd’hui, le professeur est fier de la grande sensibilité de ses étudiants à ces questions, et les accompagne sur le terrain dès qu’il le peut.

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