Explosera ? Explosera pas ? Il y a une semaine, les autorités islandaises avaient déclaré l’état d’urgence après une série de séismes, dont un d’une magnitude de 5,2, dans le sud-ouest du pays. Des villages menacés ont été évacués, et le célèbre « lagon bleu », dont les spas géothermiques font le bonheur des touristes, fermé par précaution.
Depuis cette alerte rouge, le volcan Fagradalsfjall joue avec les nerfs des experts, qui n’écartent aucun scénario. En avril 2010, un autre volcan islandais, l’Eyjafjöll, avait cloué à terre les avions du Vieux Continent.
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Et que dire du Tambora, dont l’éruption, il y a un peu plus de deux siècles, allait bouleverser le climat européen. En septembre 1815, Thomas Forster, passionné de météorologie, observe d’étranges couchers de soleil dans le ciel de Londres « en feu ». « Une teinte rougeâtre rayée de croisements rouges et bleus », écrit dans son journal ce passionné de météorologie.
Cette science encore balbutiante compte dans ses rangs un autre pionnier : le chimiste Luke Howard s’est illustré dix ans plus tôt en mettant au point une classification des nuages – cumulus, stratus, cirrus – qui lui vaudra le surnom de « parrain des nuages ». En janvier 1816, l’Anglais note à son tour la multiplication inhabituelle, même en plein hiver, de « violentes tempêtes de vent et de pluie » qui s’abattent presque quotidiennement sur le sud du pays.
Une éruption de 44 km de haut !
Aussi avisés soient-ils, ils sont loin de se douter que ce détraquement trouve son origine à plus de 10 000 km de là, sur l’île de Sumbawa, dans les lointaines Indes orientales (actuelle Indonésie). Tout a commencé neuf mois plus tôt avec le réveil en sursaut du Tambora, assoupi depuis plus de mille ans. Après plusieurs jours de secousses, le volcan explose le 10 avril 1815 avec une force apocalyptique, la plus puissante jamais enregistrée : dix mille fois les bombes de Hiroshima et Nagasaki réunies. Une pluie de ponce arrose les villages alentour. Il relâche 35 kilomètres cubes de magma. La déflagration a presque coupé le colosse en deux. Son sommet est passé de 4 300 à 2 850 m ! Une vraie gueule cassée avec son cratère de 6 km de diamètre.
La catastrophe a provoqué la mort d’environ 80 000 personnes, fondues, écrasées, asphyxiées, englouties par les tsunamis, ou vaincues par la famine et les épidémies. C’est beaucoup mais ce n’est que le début : l’onde de choc va se propager très loin, très longtemps. En cause : la colonne éruptive de 44 km de haut a crevé le ciel.
À ces latitudes tropicales, les particules de soufre sont emportées par les courants dans la stratosphère. Les énormes masses de cendres et de gaz (qui deviennent en s’élevant des aérosols d’acide sulfurique) se propagent autour du globe. Ce voile de poussières volcanique bloque les rayons de soleil tout en laissant s’échapper la chaleur venue de la Terre. La bombe à retardement climatique est enclenchée…
1816, l’année sans été
Après la chute de Napoléon en juin 1815, l’Europe devient à nouveau fréquentable. La guerre n’y fait plus de ravages mais une armée de nuages campe dans le ciel. Luke Howard, qui a entrepris un long voyage d’études, constate, ébahi, que le continent aussi est frappé par une succession « de tempêtes et d’inondations ».
Le quaker, loin de penser au Tambora, soupçonne plutôt une divine punition. Partout, la vieille Europe grelotte de froid. L’Observatoire de Paris compte 25 jours de ciel plombé en juin, dix de pluies incessantes en juillet, où il n’a fait beau que trois jours. Août est à peine mieux. Pendant toute la saison estivale, le thermomètre ne grimpe jamais au-dessus de 20 °C. 1816 restera dans toutes les mémoires comme « l’année sans été ».
Début août, de la neige tombe sur les Alpes. Mary Shelley, Lord Byron et leurs amis sont en villégiature sur les bords du lac Léman. Arrivés en juin, la petite troupe doit vite renoncer à ses projets d’excursions. La Suisse est l’une des régions les plus maltraitées par les déluges bibliques qui se déversent sur l’Europe de l’Ouest. Frigorifiés, gavés d’opium, ils lancent dans la nuit du 18 juin un concours pour tromper l’ennui : c’est à celui qui écrira la nouvelle la plus terrifiante.
Les ténèbres en plein été, un climat inspirant pour les artistes
Dans le huis clos lugubre de manoir, à la lueur chancelante des bougies, Byron accouche d’un de ses plus célèbres poèmes, « Ténèbres », où il évoque « l’éclatant soleil qui s’est éteint ». Il esquisse également un récit autour d’un vampire moderne, thème qui fera école jusqu’au célèbre Dracula de Bram Stoker (1897). Mary, 18 ans, frappe encore plus fort, en donnant naissance à un autre illustre mort vivant de la littérature fantastique : le monstre du Dr Frankenstein.
Leur imagination n’a eu qu’à se pencher sur le spectacle désolant qu’offrent les campagnes détrempées. Le froid et la pluie incessante pendant plus de deux ans saccagent 75 % des récoltes en Europe de l’Ouest, qui essuie la dernière grande famine de son histoire. Cent cinquante mille Irlandais meurent en trois ans. Les Allemands se souviendront de 1817 comme de l’« année du mendiant ». Pour les Suisses – où l’on mange des chiens – c’est « l’année de la misère ». Et en France, où des hordes de vagabonds hantent les routes, « l’année sans pain ». Les céréales gorgées d’eau pourrissent sur pied. Jamais vendanges n’avaient été aussi désastreuses.
L’Amérique, la Chine et l’Inde également touchées
Stamford Raffles était gouverneur de Java quand le Tambora s’est réveillé. Quelques mois plus tard, le naturaliste anglais voyage dans le royaume de France, comme son compatriote Luke Howard. Sans faire le lien entre les deux calamités (il ne sera scientifiquement établi qu’au XXe siècle), il traverse un chapelet de villes fantômes, dont les rues semblent avoir « été désertées par leurs habitants ». L’Est de l’Amérique aussi est frappé, tout comme le Yunnan chinois et l’Inde, où naît une épidémie de choléra qui finira par faucher Paris en 1832. Le Tambora et ses cendres de conséquence ont longtemps sévi. En tout cas bien après la fin officielle de ce cauchemar climatique, en juin 1818, lorsque Howard relève dans son calepin un « ensoleillement chaud et clair », rapporte l’historien américain Gillen D’Arcy Wood dans son remarquable livre « L’année sans été » (La Découverte/Poche).
Contrairement au réchauffement en cours, les êtres humains n’y étaient pour rien. Certains génies y ont même puisé leur inspiration, tels Shelley et Byron, donc, mais aussi Turner et Constable, dont les pinceaux ont merveilleusement capté cette obscure clarté qui avait fait trembler le monde.
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