Un match de football est parfois une longue prière. La supplique des Guinéens a été exaucée à la 98e minute, dimanche 28 janvier. Conakry a sauté comme un bouchon de champagne, éclaboussant la nuit d’une fête sans retenue. Pour la première fois depuis 1976, le pays remporte un match à élimination directe de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) et bondit jusqu’aux quarts de finale de la compétition.
La partie a commencé juste après l’heure de la prière, la vraie, celle de l’islam. Au lieu de porter le tapis sur l’épaule, sur la tête ou sur le guidon de la moto en route pour la mosquée, comme le veut l’usage, les supporteurs – c’est-à-dire tout le monde – portent un fanion, le maillot ou le drapeau national rouge jaune vert en cheminant vers le match. Une CAN est un événement d’une rare intensité en Afrique de l’Ouest. S’y mêlent la passion pour un sport qui se joue ici partout, tout le temps, dans les rues ou dans les champs, un patriotisme festif et, le temps des matchs, une intense foi collective.
Le match du Syli national (le surnom de l’équipe guinéenne) avait pourtant commencé mollement du point de vue sportif. Sur la plage de Rogbane, un cabaret en planches diffuse la partie sur deux écrans face à face. Les spectateurs regardent les autres spectateurs en même temps que la télévision. Etrange miroir à émotions. Des effluves de cannabis arrivent de la mer. La Guinée affronte la Guinée équatoriale. «Usurpateurs !» crie un drôle pendant les hymnes. Le jeu des deux équipes est prudent, l’adversaire décoche de grandes flèches vers l’avant sans vraiment faire de mal. «Quand la Guinée joue, c’est comme si le palu me prend», confie un supporteur angoissé. Le cabaret frémit doucement, s’enthousiasme à chaque touche de balle du jeune Aguibou Camara, le chouchou de la capitale.
«Dieu est avec nous»
Dans le quartier de Taouyah, un vieil homme est assis dos à la petite salle exiguë où s’entassent les téléspectateurs. «Je n’ose pas», dit-il. Il a peur de regarder, expliquent ses voisins. Son cœur est fragile. La sono du Café Jordan est poussée à plein volume pour la deuxième mi-temps. Elle produit un grondement continu, profond bruit de fond marin qui fait vibrer les murs écaillés. Un type tout sec est secoué par des violents tics à la mâchoire, qui s’accentuent semble-t-il en cas de faute violente. A la 55e minute, le coup de pied reçu en pleine poitrine par un joueur du Syli provoque une première déflagration. De colère, d’abord. A chaque ralenti, le public reçoit un nouveau choc. Puis, le karatéka prend un carton rouge. Cris de joie.
Dix minutes plus tard, c’est un joueur guinéen qui commet la faute. Pénalty. Le meilleur buteur du tournoi, l’Equato-Guinéeen Emilio Nsue, frappe sur le poteau. «Dieu est avec nous», jubile la salle. Des chaises en plastique volent, un gamin s’accroche au grillage de la salle et le secoue comme un enragé. Les assauts du Syli national se font de plus en plus précis, la salle ne se rassied plus entre deux attaques. «Chargez !» braille un vétéran. Une brève coupure de courant suscite des cris d’effroi. Mais l’électricité est de retour à temps pour le but de la délivrance, marqué par Mohammed Bayo, 25 ans, au bout du bout du temps de jeu.
Billets jetés par la fenêtre
Les rues de Conakry se remplissent instantanément d’une foule dansante et tonitruante. On frappe sur des bidons, des casseroles, des poteaux, des voitures, tout ce qui passe sous la main. Dans tous les quartiers de la capitale à la fois. Des motos fusent dans la nuit, des dangereuses silhouettes perchées en équilibre, debout sur la selle. Quelqu’un jette des billets de banque par la fenêtre de sa voiture. La circulation est impossible, des avenues sont bouchées par des adolescents possédés. L’un se roule sur le goudron.
Devant le Café Jordan, une dame élégante se trémousse sur un fauteuil roulant. Une grappe d’enfants suit à la queue leu leu un homme qui souffle de toutes ses forces dans une vuvuzela, tel le joueur de flûte de Hamelin. A chaque match, des enfants enfiévrés par les célébrations se perdent dans la capitale, paraît-il. Lors de la dernière victoire du Sily national, six personnes sont mortes dans des accidents de la route ou des mouvements de foule à Conakry. Le prochain match de la Guinée est prévu le vendredi 2 février contre la République démocratique du Congo.
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