Angélique Kidjo : le discours d’une reine avant son live à Jazz à Juan

En avril dernier, elle a fait partie de la promotion du Polar Prize, une distinction suédoise considérée comme le Prix Nobel de la musique, attribuée à une personne, un groupe une institution « ayant contribué favorablement » à cet art.

Aux côtés d’Angélique Kidjo, également honoré, il y avait Chris Blackwell. Voilà maintenant plus de trois décennies, le fondateur du label Island l’avait découverte.

Jamais écrasée par les honneurs

Durant cet intervalle, la Béninoise a fait du chemin, beaucoup de chemin. Elle a chanté aux côtés de Carlos Santana, Alicia Keys, Peter Gabriel, Sting ou Bono.

Elle a empilé les trophées les plus prestigieux, faisant, entre autres, main basse sur cinq Grammy Awards. Le dernier en date ayant salué Mother Nature, son disque de 2021, dans la catégorie « Meilleur album de musique du monde »).

La même année, le journal anglais The Guardian avait classé celle qui est aussi ambassadrice internationale de l’Unicef parmi les cent personnalités les plus influentes du monde.

Autant de galons pourraient finir par peser lourd sur les épaules. Pas chez elle.

« On ne peut plus écrire de la musique quand on se repose sur des titres. Parce qu’il faut être en contact avec les gens pour pouvoir être dans la vérité de ce qu’on fait. Non, tout ça n’est pas dans mon caractère, je n’ai pas grandi comme ça », martèle l’artiste, en visio depuis San Francisco.

« Si je ne suis pas sur scène, je n’existe pas »

Sur Instagram, où 558 000 personnes la suivent (tout comme 2,4 millions d’internautes sur Facebook), on voit danser Angélique Kidjo dans deux festivals, comme si elle était en transe, ou comme si elle avait sept ans pour toujours.

« À travers mes engagements avec l’Unicef, Amnesty International ou d’autres organisations, je vois la laideur humaine. Je suis en première ligne. Ce qui fait que je suis toujours en phase avec moi-même, c’est la musique », estime l’artiste.

« Si je ne suis pas sur scène, je n’existe pas. C’est un endroit sûr, un endroit où on partage. Il faut être prête à s’y présenter nue spirituellement, à mettre son ego dans une poubelle pour être en osmose avec le public. Quand elle vient à mes concerts, ma sœur me dit qu’à la fin, elle assiste à un deuxième spectacle, juste en voyant le sourire sur la figure des gens. »

Un peu comme ce soir de juillet 2003 où elle avait découvert Jazz à Juan et invité des dizaines de personnes à la rejoindre sous les projecteurs. En 2018, Angélique Kidjo s’était présentée en compagnie du trompettiste Ibrahim Maalouf, autour de leur projet commun, Queen of Sheba.

« On avait réfléchi à la manière d’unir Afrique et Moyen-Orient. Il avait fallu un travail incroyable pour choisir des énigmes autour de l’histoire de la reine de Saba. »

Demain, elle piochera dans ses trois derniers albums solo, Remain in Light, Celia et Mother Nature. Soit un retour aux racines africaines d’un album des Talking Heads, un hommage à la chanteuse cubaine Celia Cruz et un disque où la jeune génération de l’afrobeat ou du rap (Burna Boy, Sampa the Great) côtoient les Français Matthieu Chedid et Dany Synthé.

« Pour moi tout est lié. Une chanson, c’est une histoire. Et sous sommes des conteurs. »

En parlant de liens, on l’interroge au sujet de la trajectoire d’artistes comme Burna Boy, grande star du moment, qui avait commencé sa carrière en samplant l’un de ses morceaux, Wombo Lombo, sur Wombolomo Something, en 2011.

« C’est maintenant que je me rends compte du fait que ma musique a pu avoir une influence sur ces jeunes d’aujourd’hui. C’est un hommage qu’ils me rendent et ça me fait vachement plaisir », résume Angélique Kidjo.

Qui apprécie encore plus la manière dont de jeunes africains arrivent à conquérir les charts internationaux.

« Cela faisait des années que je disais que le continent africain empoisonne tellement de talents. On était tellement focalisés sur les histoires négatives racontées à propos de  l’Afrique… Et ces jeunes-là, ils viennent et ils prennent tout, grâce au streaming ou à YouTube. J’en suis très heureuse. »

Les photos de son père…

Loin de ce futur qu’elle juge prometteur, on remonte le temps. Vendredi dernier, à l’occasion de son 63e anniversaire, Angélique Kidjo a partagé une photo d’elle « à 16 ou 17 ans ».

Un excellent souvenir… aujourd’hui. « Mon père a conservé tout ça, il avait un studio photo, il faisait des mariages. Pour moi, ces séances, c’était l’enfer ! À chaque fois qu’il achetait un nouvel appareil, il voulait que je lui donne mon profil, ça durait des heures. Très tôt, il a aussi commencé à me filmer pour que je puisse revoir mes concerts et savoir par moi-même ce qui allait ou pas. Cette passion de mon père pour l’image faisait qu’il avait un regard très différent sur les choses. »

… Et la musique de toute la famille

Dans la jeunesse d’Angélique Kidjo, la musique, sous toutes ses formes, occupait déjà une place centrale.

« Mes parents écoutaient des choses du monde entier, et on ne les classait pas par genres. Les catégories, c’est dangereux. Parce que quand les gens ont envie d’aller dans une autre direction, ils ne peuvent plus le faire. Alors que la musique, c’est la liberté au départ. Les catégories sont comme des camisoles de force », assure-t-elle.

Gamine, elle se laissait porter par les choix de ses grands-frères, branchés yéyés.

« J’ai baigné dans Johnny Hallyday, Françoise Hardy, Sheila, tout ça. Et à côté, il y avait les Rolling Stones, les Beatles. Et puis ce groupe dont je ne me rappelle jamais le nom, qui chantait Baby Come Back (la version originale de ce classique est signée The Equals). Mon frère batteur l’adorait et moi, je chantais tout le temps dessus, j’inventais les mots parce que je ne parlais pas encore anglais.

En concert à 9 ans

Parmi ses huit frères et sœurs, deux lui ont transmis le « virus » du live très tôt.

« Mon grand frère avait monté un groupe, avec celui qui jouait de la batterie. Lui, il jouait de la guitare. Je les suivais dans les clubs et ils me laissaient chanter ma chanson. Et après, je repartais par la cuisine. Je devais avoir 9 ans quand j’ai commencé. Quand je racontais ça à l’école, personne ne voulait me croire ! »

« Liberté totale », communication et sacralisation du savoir

Celle qui est souvent appelée « maman » ou « tata » par ses admirateurs sur les réseaux sociaux explique avoir grandi dans « une liberté totale ».

« La seule règle à la maison, c’était d’être prendre chaque repas ensemble. Comme ça, on pouvait faire le point, si quelque chose n’allait pas à l’école. J’ai toujours été encouragée à parler. Mon père me disait qu’il ne pouvait pas rentrer dans ma tête et qu’il fallait expliquer les choses. »

La jeune Angélique apprend aussi à s’excuser quand elle commet un faux pas.

« Quand on fait quelque chose de mal, le reconnaître, c’est déjà réduire le problème. Demander pardon, ça n’enlève rien à votre identité. Quand on ne reconnaît pas ses erreurs, on les répète tout le temps, en pensant que ça va passer jusqu’au jour où on tombe chez quelqu’un qui est plus courageux que soi. »

Et au-dessus de tout, il y avait cette place fondamentale accordée à l’école.

« Mes parents n’étaient pas riches, mais ils avaient comme une sorte de passion pour l’éducation. Avec son seul salaire, mon père a envoyé dix enfants à l’école. Les siens, mais aussi ceux des copains ou des cousins. Depuis son décès, je me rends compte de toutes les choses qu’il a sacrifiées pour cette philosophie-là. »

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