Au Liberia, la jeunesse ravagée par la drogue

C’est un fragment d’enfer bordé de sable fin. A West Point, vertigineux township planté dans le sud de Monrovia, au Liberia, des montagnes de déchets en putréfaction propagent une odeur pestilentielle. En cette saison des pluies, les 80 000 habitants se déplacent dans des ruelles fangeuses. Ici, on vit dans l’attente d’un engloutissement annoncé, celui du littoral dévoré chaque jour un peu plus par l’Atlantique. Mais la montée des eaux n’est pas la seule menace. Choléra, Ebola, tuberculose, les épidémies ont plusieurs fois consumé West Point. Ceux qui y ont survécu doivent désormais affronter une nouvelle calamité : les stupéfiants.

Par petits groupes, des silhouettes apathiques s’engouffrent dans une baraque en tôle plongée dans l’obscurité, cette après-midi d’octobre. A l’intérieur, une trentaine d’hommes fument sous une chaleur étouffante. Abdu, qui se présente comme le chef de gang, règne sur ce groupe de « zogos », surnom que se donnent les usagers de drogue. « Ça fume de tout depuis longtemps. Héroïne, Italian white [cocaïne], marijuana », énumère le trentenaire, qui jure avoir décroché. « Mais là, on est en train de perdre les petits. Le kush, ils en consomment beaucoup trop. C’est inquiétant », déplore-t-il en désignant un garçonnet recroquevillé au sol, les yeux mi-clos, sourire béat. Vendu 100 dollars libériens (50 centimes d’euro) la boulette, le kush se répand comme une traînée de poudre dans les 10 000 ghettos du pays. Apparue en 2018 au Sierra Leone voisin, où elle provoque des ravages similaires, cette substance apparentée à la marijuana détient un pouvoir d’addiction très puissant.

« On a besoin d’aide ! », hurle soudain Joseph Slero, dit « Rahu », 30 ans, repris en chœur par ses camarades de galère. L’homme aux bras tatoués transpire à grosses gouttes. Dépendant depuis sept ans, il a connu le cannabis avant le kush. « J’ai essayé d’arrêter seul, mais je n’y arrive pas. En manque, j’ai froid, je tremble, j’ai des douleurs atroces à l’estomac. Je veux arrêter. Ma petite amie fume aussi. Elle est enceinte. Notre enfant ne sera pas normal », poursuit-il en triturant son bracelet sur lequel luit un « Jésus aime les zogos ».

Joseph et les autres portent en héritage l’histoire traumatique du Liberia. Celui des guerres civiles, qui ont ravagé le pays entre 1990 et 2003. A l’époque, des milliers d’enfants enrôlés de force par des seigneurs de guerre plongent dans la drogue. Opiacés, alcool, benzodiazépines… Dans les bataillons, les stupéfiants coulent à flots pour « aguerrir » les jeunes troupes face à l’ennemi. Certains sortent à peine de l’enfance. De ces quatorze années de luttes fratricides, la société libérienne ressort sidérée – on dénombre au moins 250 000 morts – et malade de l’addiction de ses anciens combattants.

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