Avec le LiDAR, l’archéologie des champs de bataille vue du ciel

“Dans tous les villages il y a des monuments, des mémoriaux, il y a des musées, mais il y a finalement peu de sites archéologiques”, fait remarquer Birger Stichelbaut, à l’approche des commémorations du 11 novembre. Cet archéologue de l’université de Gand, en Belgique, étudie depuis plusieurs années le paysage de la Première Guerre mondiale, dans les Flandres : « Maintenant que les derniers témoins de la Première guerre mondiale, voire de la Seconde guerre mondiale, ont disparu ; les paysages restent le dernier témoin de la guerre ».

En 1918, au sortir des combats, les remises en culture et les reconstructions de villages détruits ont gommé, en quelques décennies, les traces de la guerre. Seules quelques zones, où les affrontements les plus brutaux se sont déroulés, tel Verdun, ont conservé les cicatrices du conflit avant de devenir des lieux de mémoire. Plus d’un siècle après, les archéologues observent, à la recherche de vestiges, les zones encore épargnées par l’agriculture et les reconstructions.  Pour les étudier, ils s’aident du LiDAR, pour « laser imaging detection and ranging », (“détection et estimation de la distance par la lumière”), une technologie qui, à l’aide d’une multitudes de faisceaux de lumière envoyés depuis le ciel, permet de dessiner la topographie des paysages en faisant fi de la végétation.

L’archéologie des conflits contemporains

Depuis le début 2010, ce dispositif est largement utilisé par les archéologues, au point de devenir, au fil des ans, un outil indispensable. Il a notamment fait parler de lui lors de la découverte, en Amazonie,  après avoir permis d’identifier des ruines mayas dans la jungle guatémaltèque.

En Europe, le dispositif est davantage utilisé par les archéologues des conflits contemporains, qui souhaitent étudier les vestiges des guerres mondiales. Les archives historiques sont riches de documents sur les deux conflits, rappelle Birger Stichelbaut: “On en a beaucoup de sources historiques, cartographiques… Pendant la Première Guerre mondiale, des milliers de photos aériennes ont été prises comme source d’information. Et ces photos aériennes sont très variées dans les archives. Elles donnent une idée du champ de bataille, des tranchées, des baraquements, des camps militaires…. Ça donne une idée très spécifique du paysage historique”.

“Il y a une documentation écrite et photographique énorme”, surenchérit Yves Desfossés, conservateur général du patrimoine au Service régional de l’archéologie de la DRAC Alsace – Champagne-Ardenne et Lorraine. “Mais il est évident que l’intérêt, pour l’archéologue, est d’apporter son grain de sel sur des domaines qui sont peu renseignés. Ce qui nous intéresse ce n’est pas comment on creuse une tranchée ou d’établir une liste d’armements, mais d’apporter des détails dans des domaines peu ou pas renseignés de la vie des combattants, qui vont au-delà d’une documentation écrite et photographique énorme.”

Carbone 14, le magazine de l’archéologie

L’archéologie vue du ciel

Pour mener leurs recherches, les archéologues s’appuient donc désormais sur le LiDAR. Comme son nom l’indique, cette technologie fonctionne sur le même principe que le radar, mais en utilisant, en lieu et place d’ondes sonores, des faisceaux lumineux.

“C’est une technologie qui utilise des lasers pour mesurer la distance entre un capteur LiDAR à bord d’un avion et la surface”, précise Birger Stichelbaut. “En archéologie on l’utilise pour repérer des sites archéologiques en effectuant des mesures précises de l’altitude depuis l’air. Ces mesures aident les archéologues à détecter des structures cachées et des structures enfouies dans le terrain, même si elles sont recouvertes de végétation et de jardins. En traitant et en filtrant ces données les archéologues peuvent utiliser le LiDAR pour pour révéler des sites archéologiques, préhistoriques, médiévaux, mais aussi des traces de la Première et Seconde Guerre mondiale”.

Le dispositif est particulièrement intéressant pour détecter les structures qui, au fil du temps, ont été avalées par les forêts. “Le couvert forestier a souvent repris ses droits sur l’occupation archéologique », poursuit Yves Desfossés. « On a des vestiges qui sont foisonnants dans les sous bois, qui n’existent plus en terrain ouvert, où ils ont été détruits par les pratiques agricoles ».

Les faisceaux lumineux du LiDAR, en traversant la fronde des arbres, peut toucher le sol. « Les relevés LiDAR sont souvent faits au milieu de l’hiver, pour avoir la couverture la plus légère possible », détaille l’archéologue des conflits contemporains. « Les programmes qui traitent les données vont faire la différence entre les points lumineux qui ont touché le sol et ceux qui ont touché la cime des arbres ». A l’écran, les archéologues voient donc apparaître le sol et les restes de structures qui y subsistent sans avoir à se soucier de la végétation. « La perception que l’on a des vestiges au sol en forêt, quand on se promène, est réduite à une vision périphérique d’une vingtaine de mettre ; avec le LiDar, on voit tout immédiatement ».

La Méthode scientifique

La vie dans un camp allemand

Yves Desfossés en veut pour preuve les vestiges du camp de repos allemand du Borrieswalde, situé en forêt d’Argonne, dans le Grand Est, qu’il a pu observer grâce au LidAR. Le chercheur connaissait l’existence du camp grâce à la documentation et l’avait visité antérieurement pour en apprécier son potentiel archéologique : « En fait, la couverture LiDAR permet d’avoir une appréciation physique de l’organisation du camp bien meilleur qu’un passage au sol. On a été très surpris : on avait un détail et une précision dans la topographie des vestiges du camp qu’on ne percevait pas quand on était sur le terrain. Finalement, d’une perception très ponctuelle, ‘ici il y a une cabane, ici il a un abri », on s’est aperçu qu’on était en présence d’une véritable ville, extrêmement organisée, avec ces lieux de cantonnement, un centre urbain, des voies de circulation, avec des routes… On a le cimetière, un hôpital, et puis on a en périphérie ce qu’on appelle maintenant des zones d’activité économique, des ZAC, où finalement, les soldats vont stocker tous les éléments dont ils ont besoin pour alimenter le front… Le LiDAR a permis d’ouvrir les grandes lignes de la perception qu’avaient les archéologues du terrain ».

En permettant de scanner le sol sur des grandes distances, le dispositif laser a permis d’élargir la perspective des archéologues et de leur permettre d’étudier de vastes étendues de paysages*. « Avant qu’on n’utilise le LiDAR, on connaissait quelques sites historiques de la Première guerre mondiale »,* abonde Birger Stichelbaut. « Après son utilisation, dans les Flandres, on a constaté que jusqu’à 15 % de toute la région porte encore des traces de la guerre. Pas uniquement dans les forêts, qui sont peu nombreuses dans cette région, mais aussi dans les prairies ».

Toujours plus de Lidar ?

Mais l’archéologue prévient : « ce n’est pas un outil magique, il montre des traces préservées sur le sol, rien de plus ». Yves Desfossés fait le même constat, et rappelle qu’il ne s’agit que d’un outil qui nécessite que des vérifications au sol soient réalisées « pour une exploitation complète des vestiges ».

Reste que les archéologues s’accordent sur le caractère « exceptionnel » de l’outil, devenu un instrument indispensable à la pratique de leur métier. « Comme toutes les technologies, plus on l’utilise, plus elle se démocratise et plus ses coûts d’exploitation vont être réduits », jauge encore l’archéologue. Depuis peu, les LiDAR sont désormais juchés sur des drones : « on a pu trouver des trous d’obus, de bombes mais aussi, par exemple, une batterie américaine d’artillerie », raconte Birger Stichelbaut. Plus accessibles, ils permettent aux archéologues d’effectuer des prospections à moindre frais, mais également de moins grande ampleur.

En France, un programme nommé  LiDAR HD de l’Institut Géographique National a d’ores et déjà commencé à scanner l’intégralité du territoire français (à l’exception de la Guyane française). La cartographie réalisée ainsi devrait être disponible en 2025. La promesse, pour les archéologues, de découvrir de nouveaux trésors.


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