Cette fois, j’opte pour l’option la plus rapide : un vol de trente minutes depuis Punta Arenas qui offre des vues spectaculaires sur le parc national Alberto de Agostini, recouvert de neige. Cette région a laissé sa marque dans l’esprit de Darwin qui, dans Voyage d’un naturaliste autour du monde, parle de jets d’eau jaillissant de bancs de baleines, d’un climat orageux et d’un paysage de « magnifiques glaciers qui s’étendent du flanc de la montagne jusqu’au bord de l’eau » : « Il n’est guère possible d’imaginer quelque chose de plus beau que le bleu béryl de ces glaciers. »
Sur la rive sud du canal de Beagle, adossée aux pentes couvertes de forêts denses et aux pics enneigés en dents de scie de la chaîne des Dientes de Navarino, Puerto Williams constitue la capitale officielle de la province de l’Antarctique chilien mais elle conserve l’aspect et l’atmosphère d’une petite ville. Construite en tant que base navale dans les années 1950, dans une région longtemps habitée par des communautés du peuple Yahgan, elle compte un quartier d’impeccables maisons blanchies à la chaux destinées au personnel militaire et à leur famille, qui représente environ la moitié de la population, ainsi qu’une extension composée de maisons pour les civils, dépareillées, disposant de grandes antennes paraboliques, de piles de bois de chauffage et, souvent, d’un chien au poil hirsute.
Dans un rayon de soleil de fin d’après-midi, je flâne dans les rues calmes et balayées par le vent, passant devant des églises aux murs de bois, des groupes de bâtiments municipaux, une petite école, quelques magasins et restaurants simples, la plupart fermés, et une poignée de maisons d’hôte. Les vaches et les chevaux se promènent librement, broutant sur les pelouses mouchetées de marguerites. Les portes d’entrée ne sont pas fermées à clé, la criminalité n’étant qu’un lointain souvenir dans ces régions. En effectuant une pause sur une promenade en bois surplombant le canal de Beagle, je contemple un pétrel tempête (Hydrobates pelagicus) tournoyant au-dessus de deux bateaux de pêche revenant avec une prise de crabes royaux de très grande taille.
Après avoir dégusté les délicieux crustacés au dîner dans un restaurant décoré de bibelots nautiques, je discute avec Anna Baldinger, qui travaille à l’Hotel Fio Fio, la maison d’hôte où je séjourne. Elle a quitté son Autriche natale pour venir enseigner à Puerto Williams, avant de tomber amoureuse d’un habitant et de la Terre de Feu en elle-même. « Puerto Williams, c’est comme être dans une bulle : les gens le considèrent comme le village du bout du monde », explique-t-elle.
La ville n’a peut-être que soixante-dix ans mais cette région est habitée par des communautés du peuple Yahgan depuis des millénaires, comme en témoignent les sites archéologiques disséminés dans la campagne environnante. L’anthropologue Maurice Van de Maele, propriétaire de l’Hotel Fio Fio, m’indique que Navarino est l’un des endroits les plus denses au monde sur le plan archéologique, estimant qu’il pourrait y avoir jusqu’à 2 000 sites sur l’île. Il s’agit notamment de tas d’ordures liés à une activité humaine préhistorique et de dépressions circulaires, vestiges d’anciens abris, que j’aperçois en nombre sur le trajet depuis Puerto Navarino.
Maurice Van de Maele est un ancien directeur du musée local, anciennement connu sous le nom de musée anthropologique Martin Gusinde. Il a été rebaptisé Museo Territorial Yagan Usi – Martín González Calderón afin de reconnaître l’héritage indigène de la région, longtemps négligé. Située à l’extrémité ouest de Puerto Williams, cette institution qui ne passe pas inaperçue dispose sur son terrain d’un imposant squelette de baleine blanchi par le soleil. À l’intérieur, le musée offre un aperçu fascinant de la culture du peuple Yahgan grâce à des objets tels que des harpons en os finement sculptés, des bijoux de toute beauté et des canoës en bois construits de main de maître.
Il met également en lumière les ravages subis par les peuples indigènes lors de la colonisation de la Terre de Feu à la fin du 19e et au début du 20e siècle, une période qui a attiré des vagues de missionnaires, de chercheurs d’or et d’éleveurs de moutons venus du Chili, d’Argentine et d’ailleurs.
Cette partie de la Terre de Feu peut sembler intemporelle mais le changement est à venir. Lors de ma visite à Puerto Williams, je ne croise qu’une douzaine de touristes, dont la plupart viennent faire de la randonnée, observer les oiseaux, pêcher la truite sauvage ou simplement faire l’expérience de la vie au « bout du monde ». D’autres sont toutefois en chemin : les navires de croisière en Antarctique font désormais escale plus régulièrement, amenant des centaines de passagers vêtus de vestes assorties. Un appontement polyvalent moderne, capable d’accueillir de plus grands navires, est actuellement en train d’être bâti. C’est également le cas d’un grand hôtel. Le petit aéroport de Puerto Williams, quant à lui, est en cours de modernisation, avec notamment la construction d’un nouveau terminal pour les passagers.
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