Dans la jungle guyanaise avec Saint-Cyr

Je voulais retrouver la démesure de la jungle qui nous restitue à notre propre dimension, c’est-à-dire presque rien , disait Hélie de Saint Marc. Car la forêt équatoriale est de ces milieux dans lesquels l’homme doit admettre qu’il n’est pas tout-puissant, comme le rappelle la tragique histoire de Raymond Maufrais, explorateur de 23 ans disparu au cœur de la Guyane en 1950, à qui notre équipe de huit militaires a voulu rendre hommage en parcourant, à l’été 2023, plus de 600 kilomètres en pirogue et à pied en pleine Amazonie française, de la frontière du Suriname, au nord du département d’outre-mer, à celle du Brésil, au sud.

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​Une expédition hors norme, techniquement inaccessible, bien sûr, à tout un chacun, mais que nous avons d’abord et surtout imaginée, préparée et vécue dans l’esprit de Maufrais : « Il faut savoir tout oser. » Comme un appel à l’aventure sous toutes ses formes. Au-delà de son intérêt militaire, cette traversée de la Guyane exigeait que nous acceptions, sans regrets, de quitter notre zone de confort pour cheminer, même intérieurement, à la recherche de ce qui est grand, de ce qui élève et de ce que l’on ne connaît pas encore…

Dans les pas d’un explorateur disparu

​Tout est donc parti de l’histoire d’un autre jeune homme, Raymond Maufrais. Scout, résistant, puis brièvement engagé dans l’armée, le natif de Toulon se consacre dans l’après-guerre au journalisme et aux explorations en Amérique du Sud. Il s’illustre lors d’une expédition dans le Mato Grosso, au Brésil où il frôle la mort lors d’une attaque d’Indiens. En 1949, à 23 ans, il se lance dans la traversée de la Guyane en solitaire, à la recherche des légendaires monts Tumuc-Humac, supposément situés entre le sud de la Guyane et du Suriname et le nord du Brésil. Seul dans la jungle, malade, épuisé, à court de vivres, contraint de manger le chien qui l’accompagnait, le jeune explorateur finit par disparaître en janvier 1950, probablement noyé en tentant de rejoindre un village à la nage. Il laisse pour seule trace son équipement et son journal, qui seront retrouvés par un Amérindien wayapi.

​Ce journal, publié sous le nom d’ Aventures en Guyane, est le tragique mais vibrant témoignage d’un jeune homme audacieux qui serait sûrement devenu l’un des grands noms de l’exploration du XXe siècle si sa disparition n’avait pas mis un terme si tôt à sa carrière. C’est en redécouvrant son histoire que notre quatuor de sous-lieutenants élèves en dernière année de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, Esteban, Jean-Dieudonné, Augustin et Victor, a décidé de marcher dans les pas du disparu, comme un hommage rendu à l’esprit fougueux et plein d’idéal qui transparaît dans ses écrits. Complétée par trois commandos jungle du 9e régiment d’infanterie de marine (9e Rima), basé à Cayenne, sans lequel rien n’aurait été possible, et un médecin militaire, notre équipe s’élance le 31 juillet dernier, soixante-treize ans après la disparition de l’explorateur.

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Seuls au cœur de la jungle

​Embarqués à Saint-Jean-du-Maroni sur des pirogues motorisées, le principal moyen de transport local, nous remontons jusqu’à Maripasoula. Les vrais ennuis commencent au-delà, quand la végétation finit par barrer la route des pirogues. Il faut alors débarquer bien avant l’endroit prévu lors de la préparation de l’expédition et s’enfoncer à pied dans l’“enfer vert”. La durée du périple en pleine forêt équatoriale, où la végétation est si dense qu’une moyenne d’un kilomètre par heure est considérée comme rapide, est ainsi multipliée par deux par rapport à ce qui était prévu. Pendant deux semaines, dans un isolement total, notre petit groupe progresse vers le sud pour atteindre enfin le Tamouri, la rivière où Maufrais a disparu. En 2023, notre principal ennemi, ce n’est pas d’abord la solitude, mais cette nature abrasive de la jungle qui éprouve rudement les corps et les âmes. Scorpions, araignées, serpents et insectes venimeux croisent quotidiennement notre route, tandis que la chaleur de la saison sèche nous étouffe.

​Le 13 août, c’est la première récompense. Nous parvenons à destination : le lieu-dit Dégrad-Claude, où les effets de Raymond Maufrais avaient été retrouvés. Ici, nous nous arrêtons pour fixer une plaque commémorative, en hommage à l’explorateur, à un gros arbre au bord du Petit-Tamouri, dans un lieu qui fut peut-être le témoin muet des derniers instants de l’aventurier. Notre mission est accomplie, mais notre aventure n’est pas encore terminée. Il faut à présent rejoindre Camopi, à la frontière brésilienne, en profitant à nouveau des rivières. Nous mettons alors à l’eau les canots gonflables que nous avons transportés durant toute la marche pour descendre le Petit puis le Grand-Tamouri. Qui vont aussi nous réserver leur lot d’embûches.

​C’est un combat sans relâche que nos forces armées mènent dans ce territoire français d’Amérique du Sud, plus vaste que l’Autriche, pour préserver la forêt amazonienne.

​La végétation, une fois de plus, dresse de véritables murailles au milieu de la rivière : c’est à nouveau à coups de machette qu’il faut tailler un chemin aux embarcations. Quand le lit du cours d’eau s’élargit enfin, nous sommes confrontés aux rapides, dont la force fait chavirer plusieurs fois nos canots surchargés.

​Lorsque nous atteignons la rivière Camopi, un détachement de légionnaires du 3e régiment étranger d’infanterie, stationné à Kourou, nous recueille et nous changeons d’embarcations pour descendre jusqu’au village de Camopi, dernière étape de notre périple avant le retour à Cayenne. Mission accomplie le 18 août et fin de cette fabuleuse aventure au cours de laquelle notre petit “commando” aura traversé ce territoire de 91 000 kilomètres carrés d’ouest en est, marché pendant deux semaines en pleine jungle et ravivé la mémoire de l’explorateur Maufrais, à l’édifiante grandeur d’âme.

Les forces armées affirment la souveraineté de la France sur un territoire stratégique

​Rien de ce projet n’aurait été possible à quatre jeunes saint-cyriens seuls. Il s’est concrétisé grâce, avant tout, au soutien des forces armées présentes en Guyane, et tout particulièrement le commando de recherche et d’action en jungle (Craj) du 9e Rima. Fondé en Indochine en 1890, en garnison en Algérie puis en Guyane, ce régiment a gardé de son histoire transcontinentale une identité très particulière. Depuis Cayenne, il est aujourd’hui le fer de lance de l’opération Harpie, qui lutte contre l’orpaillage illégal dans ce territoire au sous-sol riche en or. Dans le cadre de cette opération, qui mobilise en permanence les militaires du régiment, le Craj est en première ligne contre les bandes armées qui protègent les sites d’orpaillage clandestins implantés en pleine forêt.

​C’est un combat sans relâche que nos forces armées mènent dans ce territoire français d’Amérique du Sud, plus vaste que l’Autriche, pour préserver la forêt amazonienne, qui la recouvre à 98 %. Elles concentrent leurs efforts sur la partie protégée de ce poumon vert, le parc amazonien de Guyane (la plus grande zone protégée de France), où les exploitations illégales pillent les ressources aurifères et dégradent l’habitat des populations autochtones. Les Amérindiens de Guyane sont les premières victimes de la pollution des cours d’eau au mercure, ce métal lourd qu’utilisent les garimpeiros (nom portugais donné aux orpailleurs), qui se concentre dans les poissons consommés par les populations. L’enjeu, enfin, est d’affirmer la souveraineté de la France sur ce territoire qui abrite aussi le centreUn spatial de Kourou, clé de l’accès autonome de la France à l’espace.


Le sous-lieutenant Jean-Dieudonné est élève-officier à Saint-Cyr.


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