1Le tourisme constitue aujourd’hui l’une des activités majeures en termes de création de valeur ajoutée, d’investissements et d’emploi. Il compte plus de cent millions d’emplois directs à l’échelle mondiale. À ces emplois formels, s’ajoutent des emplois non structurés relevant de l’économie informelle, qui se développe de plus en plus dans le secteur touristique, qui tient en partie à la saisonnalité de l’activité et à l’absence de réglementation, surtout dans les pays en développement affichant des taux élevés de pauvreté et de chômage.
- 1 Le texte de la conférence Résolution concernant les statistiques de l’emploi dans le secteur inform (…)
2L’activité informelle ne constitue pas seulement une source d’emplois, c’est aussi une source importante de production de biens et services dont la consommation par les ménages est substantielle. Le secteur informel est identifiable par une certaine facilité d’accès, avec peu ou pas de division entre les deux facteurs de production que sont le travail et le capital. Les relations d’emploi – lorsqu’elles existent – sont surtout fondées sur l’emploi occasionnel, les liens de parenté ou les relations personnelles et sociales plutôt que sur des accords contractuels comportant des garanties en bonne et due forme1.
3Le travail informel guyanais, par ses principaux secteurs d’activités, se rapproche davantage de celui des pays du Sud que du travail informel métropolitain. Dans ce département comme tous les endroits où l’informalité sévit, l’économie souterraine demeure un amortisseur social puisqu’elle est souvent inscrite dans une logique de survie. La spécificité guyanaise en termes de travail informel finit par mettre une distance entre le travail informel du département et celui de sa métropole. L’économie informelle à l’œuvre est officiellement exclue du système productif français, tout en étant parfaitement intégrée au système productif local. Selon les zones géographiques, l’activité informelle est plus ou moins forte, visible et tolérée, en raison d’une certaine flexibilité des contrôles. Cette flexibilité s’explique par un sous-effectif important au sein des instances du contrôle de proximité. En effet, les moyens financiers et humains mobilisés sont proportionnels à la population officiellement recensée, sans prendre en compte la population non officielle pourtant bien plus nombreuse. Ils sont donc insuffisants et priorisés de fait sur des délits et infractions plus importants que les activités touristiques, qui ne sont pas directement aussi néfastes que l’orpaillage illégal, le trafic des stupéfiants ou encore l’insécurité. Cette situation laisse de la place à l’essor et au développement des pratiques informelles.
4L’objectif de cet article est d’appréhender le développement des pratiques informelles dans le tourisme en Guyane tout en analysant les dynamiques socio-économiques. Il met en lumière les opportunités et les défis que représente le tourisme informel, tant pour le développement durable du territoire que pour la structuration du secteur touristique.
5La méthodologie adoptée est à la fois qualitative et quantitative. Elle consiste essentiellement en des observations non participantes et des enquêtes de terrain auprès des travailleurs informels, des collectivités et autorités compétentes. Les enquêtes de terrain ont été conduites entre mai et septembre 2023, dans l’ouest de la Guyane, sous forme d’entretiens semi-directifs suivant un fil directeur préalablement défini, tout en laissant les interviewés développer librement. Étant donné la méfiance que notre visite pouvait susciter, nous avons fait le choix d’établir le contact avec les travailleurs informels par l’intermédiaire de relations personnelles. Par ailleurs, pour apprécier la dimension régionale du secteur informel, nous nous sommes basés sur la recherche documentaire antérieure.
6La population guyanaise est estimée à 286 618 habitants, d’après le dernier recensement de 2021. En l’espace de 10 ans s’est accrue de 26 %, soit environ 60 000 habitants de plus. La démographie suit une évolution particulière, caractérisée par un dualisme, où coexistent une population officielle, enregistrée par les autorités et une population non-officielle, dont la présence échappe aux statistiques officielles. Ce dualisme peut être comparé au modèle de Lewis, où une forte proportion d’immigrés dynamise le secteur traditionnel ou informel, souvent tourné vers des activités de subsistance. Parallèlement à une proportion aussi importante de la population nationale occupant le secteur moderne ou formel, plus réglementé (Rosele-Chim, 2007).
7Ce dualisme résulte principalement d’un solde naturel positif, soutenu par une fécondité élevée et précoce, auquel s’ajoute, dans une moindre mesure, le solde migratoire. L’indice conjoncturel de fécondité s’établit à 3,63 enfants par femme en 2019, un chiffre bien supérieur à celui de la Guadeloupe (2,10), de la Martinique (1,95) et de la France Hexagonale (1,84).
8Ce dynamisme démographique s’explique par les comportements socio-culturels des femmes en provenance de l’étranger, mais aussi des natives de la Guyane qui font plus d’enfants, à tous les âges.
9Par ailleurs, le taux de mortalité infantile est plus élevé : 11,6 pour mille en 2021 contre 3,6 pour mille en France Hexagonale, en raison en partie des maternités précoces, un phénomène profondément ancré dans les comportements socio-culturels et reste difficile à appréhender pour les autorités politiques et institutionnelles. Ce taux est également lié à la précarité croissante des ménages monoparentaux, qui représentent 30 % des foyers en Guyane.
10Cette réalité rapproche davantage la Guyane de ses voisins géographiques que des autres régions françaises. La population se répartit de manière inégale sur le territoire et profite principalement à deux intercommunalités ; la communauté d’agglomération des communes du littoral qui accueille plus de la moitié des habitants et la communauté des communes de l’Ouest guyanais qui compte plus d’un tiers de la population totale. En revanche, la Guyane n’est pas touchée par le phénomène de vieillissement de la population, comme c’est le cas en métropole. En effet, les personnes âgées de 60 ans et plus ne représentent que 7 % de la population, contre 23 % en France hexagonale.
Figure 1 : Pyramide des âges de la Guyane française
11La pyramide des âges indique que près de la moitié de la population a moins de 25 ans. Elle révèle également un creux dans la tranche des 20-35 ans qui s’explique par le départ des jeunes adultes locaux, qui quittent leur territoire pour poursuivre leurs études ou s’insérer professionnellement. Les plus diplômés sont ceux qui partent en plus grand nombre, car en dehors des perspectives de carrières offertes par les institutions publiques, le secteur privé peine à proposer des postes de haut niveau pour les jeunes diplômés du supérieur. Cette situation met en évidence le manque de débouchés pour la jeunesse, reflétant plus globalement les défis économiques et sociaux auxquels la Guyane est confrontée.
12Le marché du travail en Guyane est caractérisé par un taux de chômage très élevé, en particulier chez les jeunes. Ce problème est amplifié par une faible industrialisation, ce qui limite les opportunités économiques locales. La faible diversification de l’économie, concentrée principalement dans les secteurs publics et certains services, crée une saturation du marché de l’emploi formel. Cela oblige de nombreux individus, notamment les jeunes moins qualifiés, à se tourner vers des emplois précaires ou informels pour subvenir à leurs besoins.
13L’une des raisons principales de cette exclusion du marché du travail formel est l’inadéquation entre les compétences des travailleurs et les besoins du marché. La Guyane manque de programmes de formation professionnelle adaptés, ce qui laisse une grande partie de la population active sans qualifications adaptées aux secteurs en développement, comme le tourisme ou certains services spécialisés. Le système éducatif local n’est pas en mesure de répondre efficacement à ces besoins, créant un écart important entre l’offre de main-d’œuvre et les demandes du marché. Ce manque de qualification empêche ainsi une bonne partie des jeunes d’accéder à des emplois stables et formels (Albrecht, Navarro et Vroman, 2009).
14La croissance démographique rapide en Guyane, amplifiée par des flux migratoires importants en provenance des pays voisins, accentue les tensions sur le marché de l’emploi. De nombreux migrants, souvent en situation irrégulière, sont exclus des structures de travail formelles, en raison de leur statut juridique précaire et du manque de reconnaissance de leurs compétences. Ces individus se retrouvent marginalisés, ce qui les pousse à intégrer l’économie informelle. Cette pression démographique crée ainsi un surplus de main-d’œuvre pour un marché déjà saturé, rendant plus difficile l’insertion dans des emplois stables.
15En plus de la pression démographique, il existe des obstacles administratifs auxquels les populations migrantes et certaines catégories de travailleurs sont confrontées. Les procédures complexes et restrictives liées à la régularisation du statut juridique des travailleurs étrangers, ou l’accès limité à la protection sociale, rendent leur participation au marché du travail formel encore plus difficile (Autunes et Cavalcanti, 2007). Les travailleurs en situation irrégulière sont souvent contraints de s’insérer dans des secteurs non déclarés, accentuant leur précarité et leur vulnérabilité dans l’économie locale.
- 2 IEDOM, décembre 2019, N°587, L’Ouest guyanais : un enjeu économique et social majeur pour l’avenir (…)
16Face à ces nombreux défis, l’économie informelle devient une solution de survie pour une grande partie de la population2. Cette économie parallèle, particulièrement présente dans des secteurs comme le commerce de rue ou le tourisme, représente une alternative pour ceux qui ne peuvent accéder aux emplois formels. Cependant, cette économie informelle est marquée par des conditions de travail précaires, l’absence de protection sociale et une instabilité financière. Cette dépendance à l’informel perpétue un cercle vicieux de pauvreté, d’exclusion, et d’absence de droits pour ces travailleurs vulnérables, tout en posant des défis à la régulation et au développement durable du territoire.
17L’un des aspects à souligner est la faible diversification de l’économie formelle. La Guyane repose principalement sur le secteur public, qui représente une part significative des emplois formels. Cette dépendance excessive limite le développement des autres secteurs privés comme l’industrie ou l’agriculture et empêche la création d’opportunités formelles pour une population active en pleine croissance, poussant une grande partie de celle-ci à chercher des alternatives informelles. Par exemple, dans le secteur touristique, une grande partie des services offerts – hébergement non déclaré, guides touristiques – se fait dans un cadre non réglementé.
18Un autre point essentiel est l’attractivité du secteur informel pour une grande partie de la population. L’économie informelle est comme un « refuge » pour ceux qui ne parviennent pas à s’insérer dans le marché formel, notamment à cause des obstacles liés à la réglementation et à la bureaucratie. Les barrières administratives pour la création d’entreprises ou l’accès à des emplois formels, combinées à une taxation perçue comme élevée, découragent l’activité formelle (Gauthier, 2001). Cela pousse les individus à se tourner vers des emplois non déclarés dans des secteurs comme le commerce de rue, la restauration informelle, ou l’artisanat. Ces activités, bien qu’elles permettent de générer des revenus, ne sont pas soumises aux mêmes exigences légales et fiscales que celles du secteur formel, ce qui leur confère une certaine souplesse et une certaine facilité d’entrée.
19Le secteur formel en Guyane est quant à lui marqué par un manque d’attractivité pour les investisseurs privés, une faible industrialisation et des infrastructures sous-développées. Cette stagnation économique s’explique en partie par la position géographique et les conditions logistiques compliquées du territoire, mais aussi par un cadre réglementaire rigide. Ces facteurs réduisent les perspectives d’expansion économique dans des secteurs-clés qui pourraient absorber une partie importante de la population active (Fields, 1975). La bureaucratie, la difficulté d’accéder aux financements pour les petites et moyennes entreprises et la dépendance excessive aux subventions de l’État contribuent à la faiblesse de la dynamique économique formelle.
20L’économie informelle en Guyane, loin d’être un simple phénomène marginal, est une composante majeure du tissu économique local. Dans un contexte où l’économie formelle ne parvient pas à offrir suffisamment d’emplois ni à attirer des investissements durables, l’informel devient une alternative incontournable. Cependant, cette prédominance de l’informel a des effets délétères sur le long terme : elle perpétue la précarité des travailleurs, fragilise les bases fiscales de l’État et limite leur capacité à se projeter, à investir durablement ou à faire évoluer leurs activités. En l’absence d’articulation à une reconnaissance institutionnelle, l’informel peut amplifier les inégalités (Hart, 1973). L’écart entre les conditions du travail formel – associé à des protections et à une sécurité sociale – et celles de l’informel demeure profond.
- 3 Il s’agit de l’ensemble des groupes de Marrons ayant occupé certains axes fluviaux du Suriname et d (…)
21La population guyanaise est composée essentiellement d’Amérindiens, de Créoles, des Bushinengue3, d’Asiatiques et de Métropolitains au début des années 1960. Elle s’est ensuite diversifiée dans les années 1980 avec l’arrivée de vagues migratoires aux déterminants multiples : guerre civile du Suriname, crises sociopolitiques et humanitaires en Haïti, crise de la noix du Brésil et fermeture de mines en Amazonie, crises sociopolitiques et économiques au Guyana, mutation des filières migratoires andines après la faillite de l’Argentine en 2003 (Piantoni, 2016).
22Parallèlement, à partir de la décentralisation, la Guyane s’est inscrite dans des plans de rattrapage structurels, essentiellement sur la frange littorale – construction d’infrastructures routières, portuaires, immobilières et d’ouvrages d’art –, mais aussi dans l’intérieur des terres avec la relance de l’extraction aurifère. Ainsi, les migrations non planifiées issues de l’environnement régional (majoritairement des Surinamais, Haïtiens et Brésiliens, qui à eux seuls représentent 80 % de la population étrangère issue des 109 nationalités présentes) ont répondu à un besoin de main-d’œuvre (Piantoni, 2016).
23Les flux migratoires ont largement contribué à façonner le paysage multiculturel actuel de la Guyane, créant une société où différentes ethnies et plusieurs langues cohabitent aujourd’hui, créant une richesse culturelle unique au sein de la République française.
24On comptabilise une vingtaine de langues susceptibles d’être parlées en Guyane (Léglise, 2007) :
-
Cinq créoles à base lexicale française : créole guyanais, créole haïtien, créole martiniquais, créole guadeloupéen et créole saint-lucien ;
-
Six langues amérindiennes : kali’na, wayana, wayampi, palhikwaki (ou palikur), lokono (ou arawak), teko (ou émerillon) ;
-
Le nenge, créole à base lexicale anglaise (langue traditionnelle des Businenge ou Noirs marrons), qui se décline sous trois formes dialectales : aluku, ndyuka et pamaka ;
-
Le saamaka, créole à base lexicale anglaise, partiellement relexifié en portugais ;
-
Trois langues originaires d’Asie : le hmong, le hakka et le cantonnais ;
-
Cinq variétés de langues européennes : outre le français, le portugais du Brésil, l’anglais de Guyana, le néerlandais du Suriname et l’espagnol dans ses variétés de Saint-Domingue et des pays latino-américains.
25Cette mosaïque culturelle, bien que caractéristique des dynamiques migratoires que l’on observe fréquemment dans les pays en développement, confère à la Guyane une force indéniable en termes d’attractivité touristique. La diversité ethnique et linguistique attise la curiosité des visiteurs extérieurs, désireux de découvrir cette richesse culturelle unique. Cette pluralité intrigue également les locaux, qui y voient une opportunité de valoriser et redécouvrir leur propre patrimoine à travers d’échanges interculturels.
26Selon Porter (1986), la chaîne de valeur désigne l’ensemble des activités que réalise l’entreprise pour concevoir, produire, commercialiser et soutenir son produit ou son service. Les activités sont regroupées en plusieurs catégories désignant celles qui contribuent directement à la création matérielle et à la vente du produit, son acheminement jusqu’au client et le service après-vente, dites activités principales (primaires) et les activités secondaires (de soutien) qui interviennent dans la gestion de l’infrastructure, la gestion des ressources humaines, le développement technologique et les approvisionnements.
27La chaîne de valeur constitue un outil d’analyse stratégique, permettant d’identifier les avantages concurrentiels de chaque activité en vue de maximiser la création de valeur, tout en minimisant les coûts. Initialement conçue pour l’industrie manufacturière, elle doit être adaptée au secteur des services, notamment dans le tourisme, en raison de la nature non linéaire de ses processus de production et de consommation (Van Der Yeught, 2016). La création de valeur ne se fait pas de manière séquentielle car les services sont produits et consommés simultanément pendant le voyage. Les différents maillons de la chaîne sont interdépendants et chacun répond à un besoin spécifique tout en contribuant à la construction de l’expérience touristique dans son ensemble.
28La chaîne de valeur touristique, souvent partagée entre différents prestataires (Acquier et al., 2011), peut être analysée à deux niveaux : niveau micro (des entreprises) et niveau macro (des territoires). Elle requiert donc une coordination entre les deux. Cette analyse peut se focaliser soit sur la demande, en mettant l’accent sur l’expérience vécue par le touriste (Stabell et Fjeldstad, 1998 ; Commission européenne, 2000), soit sur l’offre, en se concentrant sur l’offre touristique territoriale, comme dans le modèle de « l’éventail de valeur » proposé par Flagestad et Hope (2001). Ce modèle décompose l’offre touristique d’une destination en activités principales et de soutien, selon la méthode de Porter (1986).
29Selon la commission européenne et l’OMT (2013) : « La chaîne de valeur du tourisme comprend des acteurs directs et indirects liés dans la planification, le développement et les opérations et présente plusieurs caractéristiques inhabituelles par rapport à d’autres secteurs de l’économie, qui font du tourisme un secteur complexe en termes de planification, évaluation et aménagement ». On distingue les liens directs, répondant aux besoins du tourisme en termes de services et les liens indirects reflétant les services de soutien aux infrastructures pour le développement de l’offre touristique à échelle territoriale.
30Notre analyse repose sur une approche centrée sur le système opérant (les prestataires) et se limite à l’étude de quatre prestataires : transport, hébergement, restauration et attractions, afin de comprendre comment les acteurs locaux contribuent à la création d’une expérience touristique.
2.2.1. Transports et accessibilité
31Le transport constitue un maillon fondamental de la chaîne touristique, notamment le transport aérien essentiel pour les connexions extérieures (Raboteur, 2007). L’aéroport de Guyane n’est pas suffisamment desservi. Les liaisons aériennes demeurent centrées sur le marché national, avec des connexions vers et depuis la métropole et les Antilles. Une ouverture progressive vers les marchés de proximité se dessine, notamment avec l’intégration récente du Brésil dans les destinations desservies. Bien que limitée, cette diversification marque une étape significative dans l’élargissement des connexions.
32À l’intérieur du territoire, plusieurs moyens de transports sont disponibles : aérien, routier ou encore fluvial. Le réseau routier relie toutes les communes du littoral (de Cayenne à Saint-Laurent-du-Maroni), de même que certaines communes proches de l’intérieur comme Roura et Régina. Néanmoins, les routes reliant des sites d’intérêt (plages, criques) sont souvent mal entretenues, certaines non revêtues, ce qui rend leur accessibilité plus complexe. L’accès aux communes de l’intérieur depuis le littoral se fait uniquement par voie aérienne ou fluviale.
33Par ailleurs, l’offre de transport public est parcellaire et inégale sur le territoire. Le réseau de bus urbain dans la zone du Centre littoral est fonctionnel, mais ce service ne couvre qu’une petite partie du territoire, laissant de nombreuses zones sans solution de transport structuré. Cette disparité est encore plus visible dans les zones péri-urbaines et éloignées, où l’absence de service de transport rend les déplacements difficiles pour les résidents comme pour les touristes.
2.2.2. Hébergement
34L’hôtellerie constitue la principale forme d’hébergement, comptant 37 hôtels, avec une capacité d’accueil de 1700 chambres4. À côté, 163 autres hébergements sont recensés. Il s’agit notamment de meublés, chambres d’hôtes, camps touristiques et carbets d’hôtes. Le parc hôtelier représente plus de la moitié des hébergements touristiques marchands avec un taux d’occupation de 54,3 % en 2023. L’offre est concentrée principalement autour du littoral, tandis que les communes d’intérieur, riches en sites naturels, manquent d’équipements adaptés.
2.2.3. Restauration
35En ce qui concerne la restauration, il existe 209 restaurants d’après le Comité de Tourisme de Guyane, concentrés en grande partie sur le littoral. Dans l’Ouest et principalement dans les communes de l’intérieur, les marchands ambulants et les snacks dominent le marché.
2.2.4. Ressources touristiques
36En termes d’attractions, la Guyane offre un large panel d’activités. En effet, la diversité de la population, composée de nombreuses communautés de cultures diverses, constitue un patrimoine culturel et historique vivant, se reflétant dans les évènements et les traditions locales. On distingue notamment le carnaval de Guyane, reconnu pour sa richesse et son authenticité. Il représente un fort potentiel d’attractivité touristique et attire chaque année des visiteurs.
37Le centre spatial guyanais (CSG) offre également une attraction unique, attirant une clientèle internationale pour ses installations de lancement, les lancements de fusées et pour la visite du musée de l’Espace, ce qui dynamise le tourisme scientifique et d’affaires.
38Par ailleurs, la Guyane constitue un véritable sanctuaire de biodiversité, abritant une forêt amazonienne dense qui couvre près de 90 % du territoire. Son patrimoine naturel offre une multitude d’expériences écotouristiques, telles que les randonnées en forêt, l’observation de la faune et de la flore endémiques et des balades en pirogue sur les fleuves : Maroni et Oyapock, qui marquent respectivement les frontières avec le Suriname et le Brésil. Ce patrimoine exceptionnel peut être découvert à travers plusieurs sites emblématiques, tels que les îles du Salut, connues pour leur histoire pénitentiaire, le marais de Kaw, le Parc Amazonien de Guyane, qui est le plus grand parc national de France.
39L’offre touristique de la Guyane se révèle riche et diversifiée, combinant un environnement naturel exceptionnel et un patrimoine culturel et historique unique. Ces atouts confèrent au territoire une position stratégique en tant que destination attrayante et compétitive. Cependant, le développement de cette offre est entravé par des défis structurels majeurs. L’insuffisance des infrastructures touristiques, notamment en matière d’hébergement et d’accessibilité, limite l’expérience des visiteurs. De plus, le manque de structuration, caractérisé par l’absence de circuits touristiques clairement définis, rend la destination moins lisible et complique l’organisation autonome des séjours.
40L’informel dans le tourisme est considéré comme un regroupement d’activités dans le cadre d’entités souvent individuelles ou familiales (Pesqueux, 2016). Il concerne plusieurs secteurs sur lesquels le tourisme joue un effet multiplicateur : commerce de détail ou vente ambulante, restauration, hébergement, artisanat, transport (essentiellement les taxis et les pirogues), ou encore guides touristiques.
2.3.1. Guides touristiques non déclarés
41De nombreux individus, souvent issus de communautés locales ou migrantes, travaillent comme guides touristiques sans être enregistrés officiellement. Ces activités permettent aux guides de générer des revenus, mais sans garanties légales ni protection sociale.
42Une forme de tourisme informel s’est structurée autour de circuits organisés par des agences de voyages basées au Suriname, proposant des forfaits touristiques à destination de Saint-Laurent-du-Maroni, à des fins commerciales ou récréatives. Ces flux touristiques, particulièrement visibles le week-end dans la commune, échappent à toute régulation administrative, mais répondent à une demande réelle, tant du côté des visiteurs que des prestataires locaux (Enquête PAF, 2023).
2.3.2. Hébergements informels
43Le secteur de l’hébergement touristique est également touché par l’informalité. Beaucoup de logements, comme des chambres d’hôtes ou des locations saisonnières, ne sont pas déclarés, échappant ainsi aux réglementations locales. Cela crée une concurrence déloyale avec les établissements formels et nuit à l’organisation d’un secteur touristique structuré.
2.3.3. Vente de souvenirs et artisanat
44C’est une autre activité informelle courante dans les zones touristiques de la Guyane. Ces produits, souvent vendus dans des marchés locaux ou sur des sites touristiques, sont commercialisés sans aucune formalité légale, permettant à de nombreux artisans de contourner les frais et taxes imposés par l’économie formelle.
2.3.4. Transport touristique non régulé
45Il existe également des services de transport touristique opérant en dehors du cadre légal, tels que des excursions ou des circuits organisés par des prestataires non agréés. Ce phénomène est particulièrement présent dans des zones plus reculées ou mal desservies par des opérateurs formels.
2.3.5. Restauration de type informel
46Exercer dans la restauration exige souvent des qualifications spécifiques, que ce soit en cuisine ou en hygiène. Beaucoup de personnes engagées dans ce secteur n’ont pas accès à la formation, qu’elles soient étrangères ou non, car elles ne maîtrisent pas suffisamment la langue officielle le français et/ou sont en situation d’illettrisme et d’illectronisme. Cela les pousse à se tourner vers la restauration informelle, fondée sur la cuisine traditionnelle avec des prix modérés, où les normes sont plus flexibles et les exigences moins strictes.
47Dans l’Ouest guyanais, la restauration rapide et les marchés de plein air s’appuient sur des réseaux de réapprovisionnement transfrontaliers. Les marchandises sont souvent achetées au Suriname, à moindre coût ou hors fiscalité et sont ensuite revendues ou transformées en Guyane. Cette circulation de biens repose largement sur des accords informels et des réseaux sociaux forts et géographiquement étendus, où la confiance interpersonnelle remplace les garanties légales (Portes, 1999), souvent liés à la parenté, au voisinage et encore à l’ethnie.
- 5 Quartier dans Saint-Laurent du Maroni, créé en 1989 pour accueillir les réfugiés surinamais et réin (…)
48Les marchés informels, notamment celui de la Charbonnière5, constituent un espace économique pour de nombreuses personnes en situation de vulnérabilité. La vente de fruits, de légumes et de marchandises non déclarées y est monnaie courante. Bien que ces activités enfreignent la législation douanière, les autorités adoptent souvent une approche pragmatique, marquée par une certaine tolérance et compréhension. Cette posture s’explique par la reconnaissance d’une réalité socio-économique difficile, où cette économie parallèle apparaît souvent comme seule alternative à l’exclusion et à la pauvreté (Enquête PAF, 2023).
49Le tourisme durable qui est défini par l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) comme « un tourisme qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil » et qui vise l’équilibre entre les trois piliers du développement durable dans la production et réalisation d’activités touristiques n’est pas d’usage dans le secteur informel. Cependant, on retrouve les trois piliers au cœur du tourisme informel.
50L’informalité dans le secteur touristique en Guyane française, comme dans d’autres pays en développement, est essentielle pour offrir des opportunités de revenus à ceux qui sont exclus du marché du travail formel (Tokman, 2007). Cependant, elle entraîne également des problèmes de précarité et d’inégalité sociale. La dimension sociale du tourisme informel soulève plusieurs questions cruciales quant à la durabilité de ces pratiques.
3.1.1. Inclusion économique des populations marginalisées
51Le secteur informel constitue une porte d’entrée pour les populations défavorisées, notamment les jeunes et les migrants, leur permettant de générer un revenu dans un contexte où le marché formel est inaccessible. En Guyane, de nombreuses personnes exclues des circuits officiels, comme les migrants ou les personnes à faible qualification, et les jeunes (Moncel et Mora, 2016), trouvent dans le tourisme informel une chance de survie économique. Cela inclut des activités comme le guidage touristique non déclaré, la vente de produits artisanaux, et la location de logements sans réglementation.
52Cette inclusion, bien que positive à court terme, a ses limites sur le plan social. Ces travailleurs sont invisibles pour les autorités, ne bénéficiant pas de droits tels que la sécurité sociale, les allocations de chômage, ou même les retraites, ce qui renforce les inégalités sociales. Dans certaines régions du monde, cette informalité devient un cercle vicieux où l’absence de protection sociale entraîne une précarité renforcée.
3.1.2. Conditions de travail précaires et vulnérabilité sociale
53L’informalité entraîne souvent des conditions de travail précaires. Les travailleurs informels ne bénéficient ni de droits légaux ni de protection contre les risques professionnels. Dans le secteur touristique informel de la Guyane, les travailleurs évoluent dans des environnements non régulés où les normes de sécurité et d’hygiène ne sont pas respectées. Ces conditions dégradées accroissent leur vulnérabilité, tant sur le plan économique que sur le plan de la santé.
54Les recherches en sciences sociales soulignent que ces travailleurs, particulièrement les femmes et les jeunes, sont plus exposés aux abus de la part d’employeurs ou d’intermédiaires. Ils subissent aussi l’incertitude des revenus, car les activités informelles dépendent souvent de la saisonnalité du tourisme, ce qui aggrave l’instabilité financière (Bouffartigue, 2016).
3.1.3. Impact sur les relations sociales et communautaires
55Le tourisme informel, bien qu’il permette de maintenir un lien avec les traditions locales (comme la vente de produits artisanaux ou les visites culturelles), fragilise parfois les relations sociales au sein des communautés. La compétition pour capter les revenus touristiques peut créer des tensions, surtout dans les zones où la régulation de ces activités fait défaut.
56En parallèle, des études montrent que dans des environnements faiblement régulés, la prolifération d’activités informelles peut exacerber la criminalité ou favoriser des pratiques illégales, comme l’exploitation des ressources naturelles en dehors de tout cadre réglementaire. Cela crée un paradoxe selon lequel l’informel peut aussi déstabiliser les dynamiques sociales locales en les rendant plus fragiles face à ces dérives.
3.1.4. Difficulté d’accès aux ressources sociales
57En raison de l’informalité, les travailleurs dans le secteur du tourisme sont souvent invisibles pour les dispositifs étatiques de soutien social. Cela signifie qu’ils sont exclus des systèmes d’assurance, de chômage ou de pension, ce qui rend leur situation encore plus précaire. Cette vulnérabilité sociale est accrue, notamment pour les jeunes et les femmes, qui sont souvent les plus impliqués dans ces secteurs, mais également les moins protégés.
58De plus, dans des études récentes sur d’autres pays à forte économie informelle, il est noté que ces travailleurs peinent à accéder à des formations ou des services publics qui pourraient améliorer leurs compétences et leur employabilité. En Guyane, ces lacunes dans l’accès aux ressources accentuent les inégalités et empêchent la transition vers des emplois plus stables et régulés.
3.1.5. Un frein à la durabilité sociale à long terme
59L’informel dans le tourisme, bien qu’il offre des solutions immédiates, est loin d’être durable socialement. L’absence de régulation empêche l’amélioration des conditions de vie des travailleurs informels et, à long terme, compromet leur inclusion dans le marché formel. La logique des bas prix, souvent présentée comme un levier d’inclusion économique pour les populations marginalisées, peut à cet égard être ambivalente. Cette logique peut être envisagée comme une réponse rationnelle à un environnement institutionnel et légal trop contraignant (De Soto, 2000). Elle constitue donc un mécanisme d’insertion économique pour les individus exclus du secteur formel, en leur permettant d’accéder au marché du travail via des activités à faibles barrières d’entrée. Ce mode d’intégration s’avère particulièrement adapté aux territoires marginalisés, peu investis par l’Etat ou délaissés par les circuits formels. Il favorise ainsi l’inclusion économique par le bas, en apportant une réponse immédiate à l’extrême pauvreté et en offrant des opportunités de subsistance à des groupes socialement fragilisés.
60Cependant, cette même logique peut être un frein au développement durable. Les prix bas génèrent généralement des marges bénéficiaires très faibles, ce qui limite la capacité des acteurs informels à investir dans l’amélioration de la qualité de services, dans la formation ou encore l’innovation. Cette faible rentabilité tend à les perpétuer dans la précarité et à limiter leurs perspectives de structuration et de montée en gamme et par conséquent leurs perspectives d’ascension sociale.
61Ce phénomène entretient un dualisme structurel. D’un côté, un segment d’opportunité, relativement dynamique, dans lequel certains individus parviennent à tirer profit de l’informalité comme tremplin économique. De l’autre côté, un segment de survie, marqué par l’instabilité et la vulnérabilité.
3.2.1. Flexibilité et survie économique des petites entreprises
62Dans un environnement économique difficile comme celui de la Guyane, l’économie informelle, notamment dans le secteur touristique, joue un rôle crucial dans la survie des petites entreprises. L’informalité permet aux entrepreneurs de contourner les lourdeurs administratives et fiscales du secteur formel, leur offrant ainsi une flexibilité économique essentielle pour opérer dans un contexte caractérisé par une faible industrialisation et des infrastructures touristiques limitées. L’absence de cadre réglementaire rigide du secteur informel favorise une réduction des coûts d’exploitation, permettant ainsi aux petites entreprises de se maintenir à flot et de répondre à la demande croissante de services touristiques de proximité. Cela est particulièrement visible dans des activités telles que les services de guidage touristique, la vente de souvenirs artisanaux et les hébergements non déclarés, qui représentent une part importante de l’offre touristique en Guyane.
63Cependant, cette flexibilité vient à un prix. Les petites entreprises informelles n’ont souvent pas accès à des financements structurés, ce qui limite leur capacité à investir dans l’amélioration de leurs infrastructures ou dans la formation de leur personnel. Des études récentes confirment que l’absence de formalisation rend également ces entreprises inéligibles à des programmes de soutien gouvernementaux, freinant leur capacité à croître de manière durable le coût de l’informalité sur le développement économique à long terme.
3.2.2. Conséquences économiques de l’informalité sur les investissements publics
64L’informalité dans le secteur touristique empêche la formalisation des entreprises (Rocha, Ulyssea et Rachter, 2018) et freine ainsi les investissements publics et privés en Guyane. L’absence d’un cadre réglementaire clair pour ces activités empêche les petites entreprises d’accéder à des dispositifs de financement et d’accompagnement structurés, réduisant leur capacité à se développer. En outre, l’informalité empêche une participation active au système fiscal, limitant ainsi les ressources publiques disponibles pour l’amélioration des infrastructures, telles que les routes, installations touristiques, la formation des acteurs ou encore la promotion de la destination sur d’autres marchés.
65Ce manque d’investissements contribue à maintenir les infrastructures à un niveau insuffisant, ce qui freine encore plus le potentiel de développement touristique. Le manque de formalisation empêche également l’optimisation de la gestion des ressources naturelles et culturelles, essentielles pour un développement touristique durable. En conséquence, l’économie locale se trouve piégée dans un cercle vicieux, où le manque de formalisation et d’investissements entrave la création de conditions favorables à une croissance économique durable (Adair, 2020).
3.2.3. Impact de l’informalité sur la compétitivité économique locale
66L’informalité dans le secteur touristique nuit également à la compétitivité économique locale. Ces entreprises ne peuvent pas se conformer aux standards internationaux de qualité exigés par les touristes. Cela affecte directement l’image de la Guyane comme destination touristique, limitant son attractivité face à d’autres destinations mieux structurées.
67Ce manque de compétitivité freine aussi la diversification de l’offre touristique, rendant le secteur vulnérable à des chocs extérieurs, comme les crises économiques ou les baisses de fréquentation. Selon d’autres études, une économie formelle, bien régulée, permet de créer des opportunités d’emplois stables et de renforcer les capacités locales en matière d’innovation, de service à la clientèle et de gestion des entreprises. Ainsi, la dépendance excessive à l’économie informelle représente un frein à la croissance à long terme et au développement de l’économie touristique en Guyane.
3.2.4. Conséquences de l’informalité sur l’emploi et la sécurité économique
68Nous parvenons à une estimation de 1 636 emplois informels dans le secteur touristique, générant un chiffre d’affaires non déclaré de 20 millions d’euros annuels (voir Annexe 1). Ces chiffres révèlent l’ampleur d’un phénomène qui, par son poids économique significatif, interroge directement les conditions de développement du tourisme guyanais. La précarité inhérente à ces emplois informels constitue en effet un obstacle au développement d’un tourisme durable, car elle ne permet pas aux travailleurs de contribuer pleinement à l’économie locale tout en assurant leur propre sécurité économique.
69Cette problématique n’est pas spécifique à la Guyane. Les études récentes sur l’informalité dans d’autres économies émergentes confirment ces conclusions. Dans des contextes similaires, la flexibilité du secteur informel attire les travailleurs, mais elle freine l’intégration dans l’économie formelle et perpétue les inégalités économiques. Les chercheurs soulignent que la transition vers une économie formelle et durable nécessite non seulement des investissements dans les infrastructures, mais aussi une réforme des politiques d’emploi qui incluent des mécanismes de protection sociale pour les travailleurs du secteur informel.
3.2.5. Effets à long terme de la dépendance à l’informalité
70Dans une perspective à long terme, la dépendance à l’économie informelle pour soutenir le secteur touristique freine la création d’une économie locale plus résiliente et inclusive. La concentration d’activités non réglementées nuit à la professionnalisation des services offerts aux touristes. Le manque de certification ou de formation professionnelle dans des domaines clés tels que le guidage touristique ou les services d’hébergement affecte la qualité de l’offre touristique et, par conséquent, l’attractivité de la Guyane comme destination touristique.
71Dans un secteur comme le tourisme, où l’expérience client est au cœur de l’activité, la qualité des services est essentielle pour fidéliser les visiteurs et en attirer d’autres. L’absence de formalisation limite également les opportunités d’innovation et de diversification, des éléments pourtant essentiels pour assurer un développement économique durable et la pérennité du secteur touristique.
72Une économie informelle non régulée conduit souvent à un cercle vicieux où les faibles revenus des entreprises et des travailleurs empêchent les réinvestissements nécessaires pour améliorer la qualité des services touristiques, réduisant ainsi la compétitivité du secteur au niveau régional et international. Pour briser ce cycle, les chercheurs plaident pour des réformes qui favorisent la formalisation tout en maintenant des politiques d’inclusion sociale pour les travailleurs les plus vulnérables.
73L’économie informelle dans le secteur touristique en Guyane joue un rôle central en termes de survie économique et de flexibilité pour les petites entreprises et les travailleurs. Toutefois, cette flexibilité engendre des coûts importants, en particulier pour le développement économique durable. L’absence de formalisation limite l’accès au financement, freine les investissements publics dans les infrastructures, et renforce la précarité des travailleurs. Pour que le tourisme puisse contribuer pleinement à un développement durable, il est crucial de faciliter la transition vers l’économie formelle, tout en assurant que les populations vulnérables ne soient pas laissées pour compte dans ce processus.
74Selon le rapport « Vers un tourisme durable basé sur le patrimoine naturel et culturel » (Commission européenne, 2002), les aspects de la durabilité environnementale en contexte touristique soulignent l’importance des pratiques écologiques de production et de consommation à tous les stades de la chaîne touristique ainsi qu’une gestion durable et une conservation des ressources naturelles dans le cadre des installations et activités touristiques.
75Les entreprises et activités touristiques formelles sont soumises à des normes qui permettent de respecter l’environnement, comme la gestion des déchets, l’utilisation durable des ressources (eau, énergie) ou la préservation de la biodiversité, ce qui n’est pas le cas pour leurs homologues informels pour qui, le choix d’être respectueux ou non de l’environnement, ne peut dépendre que des clients et du coût que cela engendre. De ce fait, les pratiques écologiques sont respectées de manière partielle, souvent en raison des contraintes socio-économiques liées au contexte local.
3.3.1. Pratiques écologiques
76En l’absence d’une offre de transport péri-urbain et intra-urbain structurée dans l’ensemble du territoire, la population locale et les touristes se tournent vers des alternatives non réglementées, telles que le covoiturage, qui se présente comme une solution écologique. Ce mode de transport reposant sur le ramassage collectif en taxi informel permet de réduire le nombre de véhicules circulant sur les routes et par conséquent les émissions de dioxyde de carbone. Il se révèle également plus économe en carburant et plus respectueux de l’environnement que les trajets individuels.
77Certaines formes d’hébergement informel, situées hors du cadre hôtelier traditionnel, privilégient l’utilisation des matériaux locaux naturels comme la terre, le bois… Elles ont généralement une empreinte carbone plus faible que les matériaux industrialisés. Souvent conçues avec des techniques de construction traditionnelles et une gestion à petite échelle, les hébergements informels contribuent à une empreinte écologique moindre par rapport aux structures hôtelières utilisant des matériaux importés et non renouvelables.
78Il est à noter que les pratiques informelles touristiques peuvent ne pas respecter les systèmes de gestion des déchets, conduisant à la pollution des écosystèmes, tels que les plages et les fleuves ou encore à la dégradation des espaces et zones naturelles protégées.
3.3.2. Gestion des ressources locales
79Les activités touristiques telles que les excursions en forêt, sur le fleuve, randonnées, hébergement en gîte sont souvent organisées par des habitants qui connaissent leur environnement. Ces habitants sont généralement conscients de la nécessité de protéger leurs ressources naturelles, car ils en dépendent pour leur subsistance. Ils adoptent donc des pratiques respectueuses de l’environnement, enracinées dans une connaissance profonde des écosystèmes locaux et traditions culturelles comme la limitation des groupes de visite et la sensibilisation à la fragilité des écosystèmes.
80Dans ce contexte, les initiatives émanant des communautés locales, même si elles ne sont pas encadrées, peuvent s’inscrire dans une dynamique de tourisme durable et en devenir un levier de promotion, favorisant une gestion plus responsable et durable des ressources. Le tourisme informel durable n’est donc pas forcément inconcevable puisqu’il se doit d’évoluer, lui aussi, avec la demande des consommateurs, sous peine d’être abandonné pour un tourisme davantage équitable garanti par le droit français.
81Nous avons utilisé une modélisation par Équations Structurelles (SEM), nommée Modèle MIMIC (Multiple Indicators and Multiple Causes) développé par Schneider (Schneider, 2000) et largement appliqué à l’estimation de l’économie souterraine dans 43 pays. Ce modèle permet de mettre en évidence des variables observables prédicatrices qui conditionnent l’émergence d’une variable latente (ici, le tourisme informel que nous cherchons à déterminer) et des indicatrices qui sont le résultat de l’action de la variable latente étudiée.
82Le choix de cette approche se justifie par la nature intrinsèquement non observable du tourisme informel, défini comme l’ensemble des activités touristiques légales, mais délibérément cachées aux autorités publiques afin de ne pas payer d’impôts et de cotisations.
83De nombreuses variables observables prédicatrices et indicatrices d’ordre économétrique ont été testées, organisées en quatre catégories principales :
-
Variables macroéconomiques : taux de change avec le Brésil et le Suriname, inflation, PIB par habitant, masse monétaire et taux de croissance
-
Variables du marché du travail : chômage, SMIC (Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance), immigration
-
Variables fiscales : charges et pressions fiscales, taux d’ouverture
-
Variables sectorielles : authenticité du produit ou service, facilité d’accès et de suivi, exclusivité de l’expérience vécue, prix des prestations
84Il apparaît que dans le cas de la Guyane française, les variables observables influençant grandement l’émergence du tourisme informel sont, par ordre d’importance :
-
L’inflation (coefficient 0.391***) : Une hausse de 1 point d’inflation augmente l’intensité du tourisme informel de 0,39 point
-
Les charges et la pression fiscale (coefficient 0.135***) : Principal facteur d’évitement fiscal pour maintenir la compétitivité-prix
-
Le taux d’ouverture (coefficient 0.054, non significatif)
85Les variables observables qui fluctuent le plus en corrélation avec la variable latente sont, par ordre d’importance :
86L’authenticité du produit ou du service proposé (coefficient 0.489***) : Dimension la plus fortement corrélée au tourisme informel
87L’exclusivité de l’expérience vécue (coefficient 0.304***) : Seconde caractéristique recherchée par la clientèle informelle
-
Le taux de chômage et le prix des prestations proposées (coefficient 0.114***) : Impact modéré, mais significatif
88Une validation croisée auprès de prestataires de services touristiques informels confirme remarquablement les résultats du modèle avec un indice de convergence global de 92 %. Cette validation démontre que les facteurs économiques identifiés côté demande correspondent exactement aux contraintes vécues par l’offre.
Tableau 1 : Indices d’ajustement du modèle MIMIC et validation externe
| Indice | Valeur obtenue | Seuil acceptable | Statut |
| CFI | 0,921 | ≥ 0,90 | ✓ Bon ajustement |
| RMSEA | 0,074 | ≤ 0,08 | ✓ Ajustement acceptable |
| SRMR | 0,063 | ≤ 0,08 | ✓ Ajustement acceptable |
| Validation externe | 92 % | ≥ 80 % | ✓ Validation forte |
Source : Analyse MIMIC établie par les auteures, septembre 2024 (données 2023)
89Cette estimation du tourisme informel en Guyane française laisse apparaître le profil du touriste informel. Il est à la fois à la recherche d’une expérience unique en conditions réelles dans l’environnement guyanais tel qu’il est, pour un prix nettement inférieur à ce que peut proposer le marché du tourisme formel.
- 6 53 % de la population vit sous le seuil de pauvreté (INSEE, 2017)
- 7 85,3 % des passagers des vols intérieurs sont des résidents guyanais (Observatoire du tourisme de G (…)
90Dans un contexte où les revenus sont faibles6 et la vie particulièrement chère, les prix bas pratiqués dans l’informel permettent à une grande partie de la population d’accéder à des produits et services qui seraient plus chers dans les circuits formels. Cette réalité est d’autant plus marquée par le fait que le tourisme repose principalement sur une clientèle domestique7, soumise à des contraintes budgétaires et répond donc à une demande locale réelle.
91La cherté de la vie influence profondément les comportements de consommation des ménages, qui s’orientent vers des formes alternatives. Les échanges en nature, le travail au noir deviennent ainsi des stratégies de survie économique, mais aussi des formes de solidarité spontanée entre individus précaires (Laville, 1994).
92L’enquête révèle qu’il est également prêt à payer plus cher pour une expérience client de meilleure qualité non bridée par la réglementation du marché formel, mais tout aussi respectueuse de l’environnement. Les résultats montrent que 87 % des touristes informels privilégient l’authenticité avec un impact fort, tandis que 75 % sont sensibles au facteur prix. C’est-à-dire payer plus ou un supplément pour aller plus loin dans l’expérience, ce qui n’est pas toujours proposé dans le secteur formel.
93Le tourisme informel s’efforce donc d’innover en proposant tout un éventail d’activités et de possibilités pour satisfaire ses clients, ce qui pousse le tourisme formel à une réflexion similaire sans pour autant qu’il puisse sortir du cadre réglementaire comme le permet le tourisme informel. Cette configuration suggère l’émergence d’un modèle touristique alternatif qui, tout en échappant partiellement au contrôle fiscal, contribue potentiellement à la valorisation du patrimoine naturel et culturel guyanais.
94Dans un territoire comme la Guyane, où le tourisme formel reste limité, souvent familial et faiblement structuré, l’économie informelle comble un vide structurel en répondant à une demande réelle, notamment dans les zones isolées ou frontalières. Loin d’être une anomalie, cette économie représente une réponse rationnelle, socialement structurée et façonnée par les contraintes locales.
95Sur le plan économique, bien que les revenus générés dans ce secteur restent généralement modestes, ils sont souvent réinjectés dans les circuits économiques locaux, soit par le biais de la consommation quotidienne soit sous forme de micro-investissement. Ce secteur joue également le rôle d’incubateur pour des initiatives entrepreneuriales à petite échelle, basées sur des savoir-faire traditionnels et des logiques d’innovation frugale, c’est-à-dire des solutions simples, peu coûteuses, mais adaptées aux contraintes locales.
96Cependant, les limites structurelles de ce secteur réduisent son impact au niveau macroéconomique. Il demeure dans son ensemble faiblement capitalisé, peu mécanisé et peu intégré aux chaînes de valeur formelles, ce qui limite son apport en termes de croissance économique et de productivité. Dans ce contexte, la reconnaissance institutionnelle du secteur informel apparaît comme une condition essentielle à sa valorisation en tant que levier de développement endogène, durable et inclusif. L’enjeu est d’accompagner ce secteur de manière adaptée en respectant ses dynamiques, son ancrage territorial et la vulnérabilité des populations concernées.
- 8 Selon l’INSEE, 2021, 53 % de la population recevaient une prestation familiale et 36 % percevaient (…)
97La formalisation ne peut donc être envisagée comme un processus uniforme ou brutal. Elle doit s’inscrire dans une démarche progressive, accompagnée et sécurisée. Cela implique, en premier lieu, de répondre aux craintes des travailleurs informels, notamment en ce qui concerne le risque de perdre les aides sociales dont dépend une part importante d’entre eux8, en mettant en place un dialogue social, fondé sur la transparence et la pédagogie. Dès lors, il devient essentiel d’articuler les politiques nationales aux réalités locales.
98À ce titre, l’entrée en vigueur du RSA conditionné dans le cadre de la loi « plein emploi », imposant l’engagement dans 15 à 20 heures hebdomadaires d’activités d’insertion, pourrait être une opportunité stratégique si elle s’accompagne d’une reconnaissance progressive des activités de production informelle à visée économique, en les intégrant partiellement dans les heures d’engagement requises par le RSA.
99Cette approche permettrait de :
-
Maintenir l’activité des allocataires dans des pratiques de production déjà existantes, en évitant les effets d’éviction liés à la recherche d’un emploi formel dans un tissu économique restreint. Cela favoriserait l’autonomisation progressive des bénéficiaires ;
-
Inciter les personnes à structurer progressivement leur activité, via des dispositifs de déclaration simplifiée ;
-
Collecter des données fiables sur les flux économiques issus de l’économie informelle, jusqu’ici largement invisibles pour l’État. Cela contribuerait à une estimation plus réaliste du PIB et à mieux encadrer et réguler les politiques publiques territoriales.
100Le schéma ci-après illustre les leviers d’action ainsi que les retombées attendues d’une approche fondée sur l’inclusion progressive du secteur informel dans les dynamiques du développement local.
Figure 2 : Modèle conceptuel de réduction de l’informel, établi par les auteures (2024)

101La relation entre l’économie informelle et le tourisme en Guyane française révèle des sentiers du déséquilibre de développement. Elle s’inscrit dans un cadre dynamique, dans la mesure où les activités informelles mises en évidence favorisent la naissance et le renforcement des futures activités touristiques (Rosele-Chim, 2007). Loin d’être un frein, cette économie informelle pourrait devenir un levier de développement pour le secteur touristique si elle est encadrée et structurée. Elle constitue un vivier d’initiatives qui pourrait, avec une meilleure régulation, permettre à la filière de prospérer, en capitalisant sur les ressources naturelles et culturelles du territoire.
102Les activités touristiques proposées sur le marché informel viennent pallier le manque de propositions du marché formel ou prolonger l’offre existante en apportant plus d’expériences, plus d’authenticité et davantage d’exclusivité. Ce qui peut apparaître comme une concurrence directe entre les deux marchés se révèle être une impulsion et une innovation. Le secteur informel prolonge ce qui se fait sur le secteur formel, en offrant une plus grande profondeur d’expérience et un lien étroit avec les réalités locales. De plus, la flexibilité, la courte chaîne de production et le service après-vente des produits et services dans l’informel permettent une adaptation rapide aux besoins des clients, renforçant ainsi son attractivité. Cependant, la précarité des activités informelles leur permet de subsister, mais non de se développer comme pourrait le faire le tourisme formel. Les clients ne sont pas les mêmes : ceux recherchant une expérience hors du commun se tournent vers le marché informel, tandis que les clients du marché formel privilégient davantage la sécurité, ce qui les amène à vivre des expériences moins immersives et à prendre moins de risques. De plus, le marché informel domine certaines activités touristiques, notamment aux abords des frontières et à l’intérieur des terres, où les offres de services formels sont souvent limitées. Cela souligne l’importance de ces activités informelles dans la dynamique économique et touristique de la région.
103La Guyane, avec sa forêt dense, son centre spatial et son environnement, représente un nid d’opportunités touristiques encore trop peu exploitées. Le potentiel de ce territoire reste immense, et avec une meilleure coordination entre les secteurs formel et informel, la région pourrait rayonner en tant que destination touristique d’exception, tout en garantissant des retombées sociales et économiques plus équitables.
Crédit: Lien source


Les commentaires sont fermés.