En Amazonie, le destin de la forêt entre les mains d’entreprises enfin sensibilisées ?

Principaux acteurs économiques engagés dans la gestion des forêts, les entreprises privées sont aussi en première ligne dans leur conservation. Si nombre d’entre elles n’observent aucune politique durable ambitieuse, certaines, plus rares, comme le groupe estonien Arbonics, la néerlandaise Land Life Company, l’émiratie Blue Carbon ou la brésilienne BR Arbo, aspirent au contraire à se distinguer par des engagements forts. Le conditionnement des prêts accordés par les banques au respect de l’environnement pourrait bien accélérer cette tendance.

Difficultés (ou mauvaise volonté) des États

Les incendies gigantesques ayant ravagé l’Amazonie ces dernières années (9 millions d’hectares partis en fumée en 2021), couplés aux ravages des industries liées au déboisement, à l’industrie agroalimentaire, aux forages et aux mines ont remis le bassin forestier d’Amérique du Sud en tête des préoccupations environnementales. Ce dernier est en premier lieu défendu par le droit international (déclarations des Nations unies de Stockholm en 1972 et Rio en 1992), qui manque toutefois d’une force contraignante, et dépend finalement du bon vouloir des pays riverains.

Ils sont neuf à se partager l’Amazonie — le Brésil (60 %), le Pérou (13 %), la Colombie (10 %), et les six derniers (17 %) : le Venezuela, l’Équateur, la Bolivie, la Guyane, le Suriname et la France, via la Guyane française. Tous ces pays, qui subissent des pressions internationales, nationales, et locales (populations indigènes) pour protéger la forêt, ont inscrit ce principe dans leur droit national, si ce n’est leur constitution. Mais là encore, tout dépend de la volonté des hommes au pouvoir. Au Brésil par exemple, où la protection de la forêt est pourtant érigée au rang de principe constitutionnel, l’ancien président Jair Bolsonaro a été critiqué pour son prétendu désengagement de cet enjeu sensible.

Pour tenter de faire pression sur les États réfractaires, des sommets internationaux sont organisés, comme le One Forest Summit, dont la sixième édition s’est tenue à Libreville, au Gabon, les 1er et 2 mars derniers. Certains essayent bien de sensibiliser leurs voisins grâce à des projets locaux, comme la France, avec son initiative TerrIndigena, qui vise à protéger les populations locales et les forêts tropicales du Brésil, de la Colombie et de l’Équateur. Mais ces initiatives n’ont, finalement, trop souvent qu’un impact limité. Finalement, seuls les acteurs non-étatiques parviennent à avoir un impact réel sur la déforestation. Les ONG jouent en premier lieu un rôle majeur ; de contrôle tout d’abord des mesures prises par les États pour les encadrer ; et de lanceur d’alerte. Des acteurs comme Greenpeace ou le WWF tirent ainsi régulièrement la sonnette d’alarme pour informer et sensibiliser les populations, pour qu’elles fassent à leur tour pression sur les dirigeants et les entreprises. Certaines banques, par exemple, ne veulent plus être associées à l’image négative de leurs clients, et insistent pour qu’ils adoptent une démarche plus responsable.

Rôle des entreprises

Mais tous ces acteurs n’exercent souvent qu’un rôle indirect de régulation, de contrôle ou d’alerte, et seules les entreprises opérant réellement dans la forêt amazonienne ont un vrai pouvoir d’agir. Cela dit, toutes ne sont pas logées à la même enseigne. Certaines ont en effet un impact véritablement catastrophique sur la forêt, et leur éventuelle démarche ESG (Environnement, Social et Gouvernance) ne peut qu’en partie compenser le mal qu’elles font. Il s’agit là des entreprises agroalimentaires, qui rasent des milliers d’hectares pour établir des plantations, et des compagnies minières ou de forage, qui déboisent certes moins, mais polluent tout autant. Depuis quelques années, de nombreux acteurs émergent pour contribuer, non seulement au financement des projets de conservation des forêts, mais encore à leur mise en œuvre opérationnelle. Arbonics, une startup estonienne basée à Talinn, s’est ainsi associée à Swedbank, première banque de la région nordique et baltique, pour proposer aux entreprises des solutions financières entièrement dédiées au reboisement et des solutions concrètes. Le but : rendre l’accès aux crédits carbone plus simple. En Australie, Land Life Company mène un grand projet de reboisement des terres dégradées sur plusieurs centaines d’hectares, sur un format similaire.

D’autres entreprises en revanche, comme les récoltants de bois, peuvent graduer l’impact qu’elles auront. Celles-ci peuvent ajuster leur activité dans un souci de développement durable. Parmi les grandes exploitations forestières qui couvrent l’Amazonie, certaines sont d’ailleurs des projets REDD+ (Réduction des émissions de gaz à effet de serre dues à la Déforestation et à la Dégradation des forêts) particulièrement ambitieux. La BR Arbo Forest Management par exemple, possède une vaste zone de plus de 900 000 hectares dans l’État d’Amazonas (nord-ouest du Brésil), sur laquelle elle développe un projet des plus prometteurs. Au niveau international, ce projet hors-norme est, par ses dimensions, un cas rarissime de conservation des ressources forestières.

Ainsi, sur les 900 000 hectares que possède la BR Arbo, environ 230 000 seront tout bonnement exclus du projet, car faisant partie de zones de conservation permanentes. Dans le cadre du projet Mejuruá, la zone active, s’étalera donc sur une surface de 670 000 ha, dont 20 % seulement seront initialement soumis à des activités de gestion forestière active, ensuite étendues à l’ensemble de la zone. Sur une période de 30 ans, seul un volume de bois très limité par hectare (20 m3) sera récolté, ce qui permettra une meilleure régénération et conservation de la forêt, mais aussi la protection des petits arbres, l’interdiction de couper des arbres rares ou protégés par les lois fédérales et nationales. Une activité évidemment plus coûteuse et délicate à mettre en œuvre sur le plan opérationnel. Pour BR Arbo, le choix de la gestion durable peut permettre à l’entreprise de générer des crédits carbone, qui peuvent être vendus pour aider à financer des projets dans des zones protégées, pour protéger l’environnement ou pour aider les populations locales. Au Libéria, un projet peu ou prou similaire est en train de voir le jour, par la société émiratie Blue Carbon LLC, avec l’acquisition d’un million d’hectares de forêts au Libéria, qui aspire à commercialiser des crédits carbone obtenus à partir des projets de reforestation ou de conservation.

Mais au-delà de l’intérêt financier que présentent à long terme les stratégies de développement durable, les entreprises intervenant dans les forêts sont de plus en plus soumises à l’exigence d’une gestion plus responsable. Les banques notamment, particulièrement sensibles aux critiques de l’opinion publique, sont de plus en plus attentives à la réputation des entreprises avec lesquelles elles traitent.


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