En Guyane, trois ans de combat contre une centrale électrique

Le village de Prospérité, dans le nord-ouest de la Guyane française, se bat depuis quatre ans contre un projet de centrale électrique sur ses terres.

Il s’appelle CEOG, pour Centrale électrique de l’Ouest guyanais, et doit approvisionner 10 000 foyers. Le problème, c’est que l’endroit choisi par le porteur du projet, HDF Energy, se situe dans une forêt ancestrale des Kali’na, un peuple autochtone de la Guyane.

Elle serait la plus grosse centrale électrique au monde de panneaux photovoltaïques et de stockage à hydrogène. En entrevue, le yopoto (chef coutumier) Roland Sjabere explique que son village de 200 âmes n’est pas contre le projet en lui-même mais contre l’emplacement choisi, soit à environ un kilomètre du village de Prospérité.

Impossible de le déplacer, indique les autorités : scientifiquement et technologiquement, ce serait compliqué. Et surtout, cela coûterait cher et retarderait l’approvisionnement des 100 000 foyers jusqu’en 2028.

L’emplacement s’étalerait sur une superficie de 140 hectares, dont près de 75 hectares défrichés, l’équivalent de presque 200 terrains de soccer.

L’erreur de l’État, ça a été de ne pas nous consulter, de ne pas avoir de consentement libre et éclairé. Et ça, l’État l’assume, poursuit M. Sjabere.

La Guyane française est une collectivité territoriale française qui compte environ 300 000 habitants, dont 9000 sont des Autochtones. Il est fréquent là-bas qu’on parle aussi d’Amérindiens. Contrairement au Canada, ils ne disposent pas de droits spécifiques, car en France, la République est indivisible.

Des panneaux solaires ont déjà été installés à d’autres endroits en Guyane, comme ici, à Antecume Pata.

Photo : afp via getty images / JODY AMIET

L’endroit choisi par HDF Energy est en fait un espace de vie, de transmission, une aire de jeux, de chasse, de pêche et de cueillette, ajoute le chef.

Depuis l’annonce du projet et le début des travaux, plusieurs manifestations se sont tenues dans le secteur. Le chef lui-même a été brièvement placé en garde à vue (détention provisoire). Récemment, quatre manifestants ont aussi été relaxés par la justice.

Clarisse Taulewali da Silva, conseillère du chef et présidente de Jeunesse autochtone de Guyane, raconte d’ailleurs qu’à la reprise des travaux, cet été, la présence policière s’est intensifiée. Des grenades de désencerclement et des gaz lacrymogènes ont aussi été tirés.

Des manifestants ont indiqué dans plusieurs médias qu’ils sont régulièrement surveillés par des drones.

Des gens réunis dehors.

Les Autochtones de la Guyane se réunissent fréquemment pour demander que le gouvernement français reconnaisse leurs droits, comme ici, à Cayenne, en 2018.

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Déterminés, les Kali’na ne comptent pas baisser les bras, d’autant plus que ce dossier est désormais judiciarisé.

Cette forêt n’a jamais cessé de nous nourrir et nous entretenons un lien fort avec elle. Il y a un grand manque de connaissance de la part des élus, dit encore le yopoto.

On va aller jusqu’au bout, car la lutte n’est, de loin, pas terminée. Je ne me suis pas perdu dans ce combat : il va servir de leçon aux autres générations.

Ce n’est pas faute d’avoir essayé d’expliquer aux autorités le lien profond qui existe entre les Kali’na et la forêt. Clarisse Taulewali da Silva vit d’ailleurs en France pour faire le relais entre le yopoto et le gouvernement. Mais elle a compris depuis longtemps le dialogue de sourds dans lequel les deux parties sont engagées.

Ils restent diplomates, mais ils sont surtout là pour tenter de nous convaincre. La forêt est un lieu de transmission pour nous. Eux, ils nous parlent d’argent, ajoute Mme da Silva, qui précise toutefois que le village a reçu l’appui d’un des députés de Guyane.

L’entreprise porteuse du projet affirme de son côté que celui-ci est exemplaire sur le plan de l’impact environnemental, peut-on lire dans un article de Guyane première.

Vers plus d’indépendance

Toutefois, la lutte va beaucoup plus loin que la centrale, selon Clarisse Taulewali da Silva. En effet, elle est révélatrice non seulement de la relation spirituelle que les Autochtones entretiennent avec la forêt mais aussi de leur désir d’autonomie.

D’ailleurs, le yopoto explique que l’opposition du village à la centrale a fortement ralenti son projet d’autonomie puisqu’elle lui a pris beaucoup d’énergie.

Vue aérienne de la forêt amazonienne en Guyane française.

La forêt amazonienne de la Guyane française est connue pour renfermer une incroyable biodiversité.

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Le village de Prospérité s’est donc doté d’un plan d’autonomisation.

Dans un premier temps, ce plan, qui a été pensé par et pour la communauté, vise à rendre le village autosuffisant.

Serres, ateliers d’agrotransformation, création d’un marché local, inauguration d’un four à pain… Un premier pas vers un regain d’indépendance.

En Guyane, les créoles ont encore la main. Il faut qu’ils prennent conscience qu’on a notre vision à nous et que, désormais, c’est à leur tour de s’adapter à nous.

Je veux que mon village avance, qu’on ne compte plus sur l’État, car chaque projet que nous proposons prend trop de temps. En attendant, on ne veut pas perdre nos coutumes, affirme Angèle Thérèse, une militante du projet d’autonomisation du village.

Elle est venue accompagner le yopoto Sjabere à Paris pour recevoir le prix Danielle Mitterrand, remis à tout le village pour son combat contre le projet de centrale.

La Fondation Danielle Mitterrand défend les droits de la personne et les biens communs du vivant.

En décembre, une délégation – dont le yopoto Sjabere – se rendra à l’Assemblée nationale à Paris pour se faire entendre une fois de plus.

Cette lutte ne concerne pas juste Prospérité mais tout le monde autochtone. Nous sommes les meilleurs défenseurs de la nature qu’il faut protéger, car elle est notre espace de vie, conclut le yopoto.

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