A El Hamma, dans le sud de la Tunisie, le mausolée de Youssef El-Maarabi, un rabbin du XVIe siècle, ne voit d’ordinaire que quelques centaines de fidèles de la communauté juive défiler chaque année, des pèlerins venus du reste du pays pour rendre hommage au sage dont il porte le nom. Dans la nuit du 17 au 18 octobre, quelques heures après l’annonce que l’hôpital Al-Ahli à Gaza avait été bombardé et alors que des protestations se tenaient dans de nombreuses villes de Tunisie, des centaines de jeunes ont ici déferlé sur la synagogue et le sanctuaire qu’elle abrite pour les vandaliser et crier leur soutien à la Palestine, hissant son drapeau sur le toit en signe de victoire.
La bâtisse a été incendiée, des graffitis ont été laissés sur les murs sévèrement endommagés au cours de la nuit. « Ils y sont allés au marteau, ils ont brûlé l’endroit, ils ont tout défoncé », dénonce Ariel, qui préfère user d’un nom d’emprunt par peur des représailles. En dehors du pèlerinage annuel lors de la fête de Hannouka, en décembre, le mausolée, à plus de 400 kilomètres au sud de Tunis, reste peu fréquenté mais l’annonce de sa profanation a suscité l’émoi au sein de la communauté juive tunisienne et confirmé la crainte que le soutien historique à la cause palestinienne qui transcende le pays verse régulièrement dans l’antisémitisme.
Dimanche, les autorités n’avaient toujours pas réagi à l’incendie du mausolée d’El Hamma. Le 9 mai, le président Kaïs Saïed, après l’attaque terroriste contre le pèlerinage juif de La Ghriba, qui a fait cinq morts dont deux pèlerins, s’était empressé de dénoncer les réactions internationales attribuant un caractère antisémite à l’attaque alors, disait-il, que des « Palestiniens sont tués chaque jour et personne n’en parle ».
Dans ce contexte, les événements d’El Hamma ravivent de douloureux souvenirs au sein de la communauté juive locale et renvoient à l’historique des violences subies au gré de l’évolution de la situation au Proche-Orient. « Il y a des airs de 1967 et cela fait peur », témoigne Nino, originaire de Djerba, lui aussi usant d’un nom d’emprunt. Le 5 juin 1967, au commencement de la guerre des Six jours, une manifestation à Tunis devant le centre culturel américain avait viré à l’émeute. Les magasins tenus par des Juifs avaient été saccagés, la grande synagogue de Tunis incendiée. Nino n’était pas né mais le traumatisme s’est transmis de génération en génération.
« Comment ne pas être inquiet ? »
« C’est toujours pareil : Israël attaque Gaza et les Juifs dans le monde en subissent les conséquences, résume-t-il. Malheureusement en Tunisie, les gens ne font pas la différence entre les Israéliens et les Juifs. » Une confusion entretenue par « une vieille tradition d’antijudaïsme », analyse Sophie Bessis, historienne franco-tunisienne. « Dans l’éducation, dans l’enseignement, les Tunisiens juifs n’existent pas. Les manuels scolaires ne font aucune mention de la présence juive millénaire dans ce pays. Les enfants ne sont pas éduqués dans la connaissance de la vieille pluralité tunisienne, qui ne concerne pas seulement les Juifs d’ailleurs », précise-t-elle. En moins d’un siècle, la communauté juive de Tunisie s’est drastiquement réduite, passant de plus de 100 000 membres à environ 1 500 aujourd’hui.
Ceux qui ont résisté à l’envie d’exode en Europe, en Amérique et aux appels de l’Alya, l’émigration vers Israël favorisée par l’Etat hébreu, plongent au fil des crises au Proche-Orient dans une certaine inquiétude. « Nous faisons profil bas, nous ne publions rien sur les réseaux sociaux, et s’il y a une manifestation, nous évitons les rues », explique Nino, qui ne prévoit pas de partir pour le moment mais ne cache pas que le choix pourrait être différent pour d’autres.
« Comment ne pas être inquiet ? », interroge Ariel, qui voit dans la diffusion de l’antisémitisme un rôle prépondérant joué par les réseaux sociaux. « Les gens s’y affichent ouvertement antisémites sans aucune honte », observe-t-il, mentionnant les nombreux commentaires se félicitant des dégradations commises à El Hamma ou appelant à commettre d’autres actes similaires. « Bravo », « Oeil pour œil, dent pour dent », « La suite à [la synagogue de] La Ghriba », indiquent-ils comme Le Monde a pu les consulter. Les Juifs sont par ailleurs régulièrement renvoyés à leurs liens, réels ou supposés, avec Israël et appelés à prendre position, relate Ariel. « C’est simple si tu ne donnes pas ta position officielle, tu te tais, donc tu cautionnes » dit-il, et de conclure fataliste : « Aujourd’hui, il suffit qu’un fou poste un message appelant à attaquer une synagogue et t’en as qui répondent à l’appel. »
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