Everett Ruess, l’Américain aux semelles de vent

« Vagabond de la beauté » (Vagabond for Beauty), d’Everett Ruess, préface de Jon Krakauer, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Guillaume Villeneuve, Nevicata, 340 p., 23 €, numérique 15 €.

Un jour, c’était en novembre 1934, Everett Ruess disparut. Il avait 20 ans, et multipliait depuis quelques années les expéditions en solitaire dans l’Ouest américain. Ce lundi-là, l’apprenti poète et dessinateur californien quitta la petite ville d’Escalante (Utah), où il s’était arrêté quelque temps. Monté sur un de ses deux ânes, tenant l’autre par une longe, il s’enfonça dans une région de falaises et de montagnes sculptées par le vent. « Il se passera peut-être un ou deux mois avant que je trouve un bureau de poste car je pars en exploration vers le sud du Colorado, où nul ne vit », avait-il prévenu son frère, Waldo, la veille. Ce fut sa dernière lettre.

Quand, trois mois plus tard, ses parents s’inquiétèrent, Escalante se mobilisa. On fouilla les ravins. On retrouva les ânes et, dans un défilé tortueux, une inscription, « Nemo 1934 », laissée par le jeune homme, passionné de Jules Verne. Mais de lui, de son corps, de son visage adolescent saisi peu avant par la photographe Dorothea Lange (1895-1965), qui l’avait hébergé, pas une trace. Pas un os. Est-il tombé dans une faille ? A-t-il été assassiné, puis jeté dans le fleuve Colorado ? S’est-il volatilisé volontairement ? A-t-il rejoint les Navajos ? « Je serai toujours un vagabond solitaire du désert, avait-il averti dès 1932. Quand viendra l’heure de mourir, je trouverai l’endroit le plus sauvage, solitaire et le plus désolé possible. »

Everett Ruess est alors entré dans la légende américaine : le jeune prodige mystérieusement évanoui au milieu des canyons rouges. Sa plume incandescente a fait le reste. En 1940 a été publié un choix de ses écrits, des poèmes et des lettres ­envoyées à ses proches. Puis, dans les ­années 1980, un fonctionnaire américain nommé Wilbur L. Rusho (1928-2011) a mené l’enquête sur ce fascinant fantôme, retrouvé Waldo Ruess, qui avait conservé la plupart des textes, peintures et photographies de son frère, et rassemblé en un livre, Vagabond de la beauté, tout ce qui subsistait de son œuvre. A l’époque, certains l’imaginaient encore vivant. Il a fallu quarante ans de plus pour qu’aujourd’hui ce recueil exceptionnel soit enfin traduit en français, par un éditeur belge.

Peu importe le temps qu’ont mis ces missives pour nous parvenir. Plus de quatre-vingt-dix ans plus tard, les mots d’Everett Ruess touchent au cœur comme s’ils avaient été griffonnés spécialement pour nous, hier soir, sur du mauvais papier, dans une grange de l’Arizona ou un campement navajo, dehors, près du feu.

Il vous reste 50% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Crédit: Lien source

Les commentaires sont fermés.