« il est naïf de croire que ceux qui nous font la guerre apportent des solutions »

À l’occasion de ses dix ans d’épiscopat à la tête du diocèse d’Uvira (RD-Congo) dans la région des Grands Lacs en proie à l’insécurité, Mgr Sébastien-Joseph Muyengo dénonce pour la énième fois l’expansion de la guerre dans les Kivu. « Un dialogue sur le fond du mensonge ne peut qu’accoucher d’une souris », accuse-t-il.

La Croix Africa : Quelle est la situation sociopolitique actuelle dans la région des Grands Lacs ?

Mgr Muyengo : La multiplicité des conflits dans le monde nous ferait presque oublier ce qui se passe chez nous sur les hauts plateaux d’Uvira, Mwenga et Fizi : là des troupes étrangères du Rwanda et du Burundi, différentes milices congolaises et les forces armées de RDC se battent, sans qu’on ne sache toujours très bien qui est avec qui et pour quelle cause.

Aujourd’hui, Minembwe (au Sud-Kivu), comme Bunagana (au Nord-Kivu), sont devenus comme des territoires autonomes au sein de la RDC. Et à en croire les informations qui circulent sur des réseaux sociaux, beaucoup d’éléments de M23 qui font la guerre dans le Nord-Kivu s’infiltrent de plus en plus dans les hauts plateaux, prêts à sauter sur Uvira, Baraka et pourquoi pas rejoindre Bukavu. Ce sera alors l’achèvement du processus de balkanisation tant rêvé par certains, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

Après les condamnations des États-Unis et de la France face à la présence rwandaise en RDC (1), qu’attendre de la communauté internationale ?

Mgr Muyengo : Il y a trop d’hypocrisie dans cette affaire-là. Fallait-il attendre que les Kinois marchent et brûlent des drapeaux, cassent des véhicules, que nos compatriotes marchent à Paris, Bruxelles, Londres, ou encore Montréal pour que la communauté internationale prenne conscience du drame de l’Est du Congo ? Alors qu’attendre de la communauté internationale ? Comme j’aime à le dire : il serait naïf de croire que ceux-là mêmes qui nous font la guerre à cause de nos terres et de ses ressources puissent chercher à nous libérer. Le Rwanda et l’Ouganda ont été pointés du doigt, mais qui est derrière ces deux pays, sinon ceux qui fournissent des armes et des équipements sophistiqués aux groupes qu’ils soutiennent ? Il faut une réforme des structures de l’ONU, car tant qu’il y aura des pays superpuissants qui disposent du fameux « droit de veto », on ne sortira pas de la situation que traverse le monde aujourd’hui, que ce soit en Ukraine, en Palestine, au Soudan ou encore à l’Est de la RDC.

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Par ailleurs, j’ai trouvé lâches ceux qui se sont attaqués aux ambassades étrangères (2), laissant libre cours aux tireurs des ficelles qui animent de l’intérieur le feu à l’Est. Ces personnes auraient dû montrer le même esprit de résilience quand elles se sont fait voler leur vote, comme lors des élections de décembre. Il est facile de combattre l’ennemi de l’extérieur alors que le vrai combat doit commencer contre les démons de l’intérieur.

Quelles sont les pistes de solutions pour que le retour de la paix soit effectif ?

Mgr Muyengo : Pendant dix ans, nous avons organisé des ateliers, des pourparlers, des dialogues, des prières œcuméniques et dialogue interreligieux, des messes pour la paix,… Tout cela sans résultat. La vérité est que l’on se bat pour une terre sur laquelle beaucoup de sang coule et sur laquelle le sang coulera jusqu’à la dernière goutte si les hommes ne se convertissent pas à la paix, qui passe par un dialogue vrai et sincère. Un dialogue sur le fond du mensonge ne peut qu’accoucher d’une souris. Le but des prières et des messes est la conversion des cœurs des hommes, afin qu’ils renoncent aux guerres et déposent les armes pour construire la paix, la fraternité, le vivre ensemble. « Si vous ne vous convertissez pas, nous dit le Seigneur, vous périrez tous » (Lc 13, 3).

Recueilli par Prisca Materanya (à Kinshasa)

(1) Le 20 février, la France a appelé « le Rwanda à cesser tout soutien au (groupe armé rebelle, NDLR) M23 et à se retirer du territoire congolais ».

(2) Des ambassades de plusieurs pays occidentaux ainsi que des bureaux de l’ONU à Kinshasa ont été ciblés par des violences ces dernières semaines à Kinshasa.

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