Du nord au sud, avec une vitalité souvent admirable, l’Afrique célèbre sa littérature : à Tanger (Maroc), où s’est tenue en juin la cinquième édition de l’excellent festival Littératures itinérantes ; à Maputo (Mozambique), où vient de se créer un prix Mia Couto pour encourager les jeunes plumes ; à Nairobi (Kenya), où une librairie comme Prestige Bookshop ne cesse de voir s’étendre ses rayonnages de livres africains, tandis que sa clientèle, autrefois surtout composée d’expatriés, est désormais essentiellement kényane…
Mais c’est au Nigeria que ce dynamisme est le plus impressionnant. D’abord parce que cette terre s’avère particulièrement fertile en très bons écrivains – Ken Saro-Wiwa (1941-1995), Chinua Achebe (1930-2013), Chimamanda Ngozi Adichie, Ben Okri, Sefi Atta, Helon Habila… et, bien sûr, le grand Wole Soyinka. Ensuite parce que la littérature s’y montre extrêmement vivante, notamment dans les festivals qui fleurissent un peu partout. On pense à celui d’Enugu, créé en 2017 sur le modèle du Lagos Book and Art Festival, et à celui d’Aké, grand événement littéraire du continent. Aké, où, en 2022, on croisait des invités comme Abdulrazak Gurnah, originaire de Tanzanie et Prix Nobel 2021. Ou encore justement, l’enfant tant vénéré du pays : Wole Soyinka.
Dramaturge, metteur en scène, poète, nouvelliste, auteur d’essais politiques, Soyinka était à Paris ces jours-ci pour promouvoir son troisième roman, Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde. Arrivé la veille de Lagos, il nous rejoint, à Montparnasse, dans le hall de son hôtel. Il porte une chemise à col Mao et une épaisse chevelure blanche, mousseuse, qui entoure sa tête comme une auréole.
Coïncidence : le matin même nous est arrivé au courrier un livre d’une jeune Nigériane, Oyinkan Braithwaite, que son éditeur présente comme « la nouvelle reine du crime » et dont le dernier roman, L’Une ou l’autre, traduit en trente langues et déjà en cours d’adaptation au cinéma, paraîtra le 4 octobre (La Croisée).
« Belle vitalité »
Nous demandons à Wole Soyinka ce qu’il pense de cette scène littéraire nigériane si effervescente. Elle l’est en effet, dit-il. « Et cette belle vitalité est une chose qu’il faut célébrer d’autant plus qu’elle est souvent le fait de femmes… » Autre élément qui témoigne selon lui d’un réel appétit de lecture dans son pays : la moyenne d’âge, plutôt jeune, du public des festivals.
Le fait qu’il ait été le premier Africain à remporter le prix Nobel de littérature, il y a trente-sept ans, peut-il avoir provoqué un déclic ? « Ce prix a sorti la littérature africaine de son ghetto, répond-il. Les écrivains de ma génération ont contribué à ouvrir les yeux des suivantes. » Mais ce dynamisme est aussi, selon lui, « le reflet de la société multiethnique nigériane », qui crée une formidable émulation. « Si quelqu’un raconte son expérience de la guerre civile, par exemple, le voisin va dire : “Attends une minute, moi aussi j’ai ma vision de cette guerre.” Même chose pour le pouvoir militaire ou la corruption. Car, hélas, la corruption et le désenchantement qu’elle provoque restent une grande source d’inspiration dans ce pays. » Toujours est-il que, c’est un fait, la production va croissant. Et d’ajouter en riant : « Si ça continue, on en viendra presque à s’inquiéter de la qualité de ce qui est publié. »
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