
Soutien de Félix Tshisekedi, l’ex-chef de guerre devenu ministre RD Congolais de la Défense, jugé en 2018 à la CPI pour crime de guerre et crime contre l’humanité en Centrafrique avant d’être relaxé pour vice de forme, s’en est violemment pris ce mercredi 6 décembre à Moïse Katumbi qu’il accuse de détenir un « passeport zambien ». Une manière d’ « attiser la xénophobie, le tribalisme et la haine », ont aussitôt dénoncé les soutiens de l’ex-gouverneur du Katanga, considéré par beaucoup comme le grand favori de la présidentielle du 20 décembre. Si Jean-Pierre Bemba prend le risque de souffler sur des braises aussi ardentes dans un pays où la moindre étincelle peut suffire à tout embraser, c’est parce que, de tous les alliés de Félix Tshisekedi, il est celui qui a le plus à redouter d’une débâcle électorale. Explications.
« Avez-vous lu une lettre d’un opposant zambien la semaine dernière ? Elle a circulé même sur les réseaux sociaux (sic !), cet opposant a demandé au gouvernement zambien de sanctionner toutes les personnes qui ont donné à Moïse Katumbi le passeport zambien. C’est pourquoi j’envoie un message à Moïse Katumbi, qu’il vienne dire au peuple congolais s’il est zambien ou pas. On ne peut pas servir deux maîtres au sommet de l’État, tu finiras par trahir l’un au profit de l’autre. En cas de conflit d’intérêts avec la Zambie, quel pays défendrais-tu ? », a fait mine de s’interroger Jean-Pierre Bemba lors d’un meeting au terrain de Masina à Kinshasa. Des propos que le leader du MLC a relayés quelques heures plus tard sur X (ex-Twitter) et que ses partisans ont repris en exhibant, comme preuve supposée, sur les réseaux sociaux un document censé provenir de « la douane américaine ».
Ce document, en réalité, n’a rien d’officiel, ni d’authentique. Il s’agit d’une impression-écran d’un site internet privé dont les données peuvent être facilement manipulées, comme l’ont aussitôt démontré des internautes (voir ce thread). Et les autorités zambiennes ont catégoriquement démenti ces allégations (voir ce tweet). Mais en campagne électorale – et celle qui se déroule actuellement en RDC n’y fait pas exception –, les fausses informations et autres deep fake sont légion.
Bemba assimilé à « un animateur de la Radio des mille collines »
Aussitôt prononcés, les propos de Jean-Pierre Bemba ont suscité une vague d’indignation. « Un responsable politique, a fortiori un ministre, ne devrait pas dire ça (…) Même Félix Tshisekedi, dont les propos ne sont pas toujours dignes de ceux d’un chef d’Etat, n’a pas osé, du moins jusque-là, aller aussi loin dans l’outrance », déplore un haut-cadre du LGD, le parti d’Augustin Matata Ponyo, soutien de M. Katumbi qui fait la course en tête durant cette campagne électorale. Le député du Kasaï Central Claudel André Lubaya, qui n’est pourtant pas un partisan déclaré de l’ex-gouverneur du Katanga, a même assimilé M. Bemba sur X (ex-Twitter) à « un animateur de la Radio des Mille collines » de sinistre mémoire (voir ce tweet).
La virulence des propos de Jean-Pierre Bemba tranche avec le ton mezzo voce adopté depuis le début de la campagne par la plupart des autres principaux alliés de M. Tshisekedi, soucieux probablement de ne pas insulter l’avenir. Il faut dire que, contrairement à eux, lors de cette élection présidentielle, Jean-Pierre Bemba ne joue pas seulement sa survie politique. Depuis plusieurs années, le chef du MLC, jugé et relaxé (pour vice de forme) en 2018 par la CPI après dix années passées en prison pour crime de guerre et crime contre l’humanité (sa milice est soupçonnée d’exactions – assassinats, viols, etc. – à l’encontre de la population civile centrafricaine aux débuts des années 2000), craint d’être arrêté s’il se déplace en Europe (et aux Etats-Unis). C’est la raison pour laquelle il ne s’y est plus jamais rendu depuis son retour en 2018 en RDC, alors que le Portugal et la Belgique sont ses deuxièmes patries.
En contrepartie du Grand Equateur, Tshisekedi a promis à Bemba de ne pas l’extrader
Courant 2024, s’ouvrira à Paris le procès de Roger Lumbala, l’ancien chef du mouvement politico-militaire RDC-N accusé de crimes contre l’humanité dans le nord-est de la RDC en 2002-2003. Or, dans ce dossier, Jean-Pierre Bemba est cité. « Jean-Pierre [Bemba] a destin lié avec Félix [Tshisekedi] », affirme un député, qui le connaît bien. « Félix le protège pour l’instant contre toutes poursuites. Il lui a promis qu’il refuserait de l’extrader en cas de mandat d’arrêt international émis par la Justice française dans le cadre du procès Lumbala. Il s’est également engagé à l’aider à se refaire financièrement en lui donnant gain de cause devant la justice [congolaise] dans certaines affaires [RVA, BCDC, etc.]. » A la clé pour Jean-Pierre Bemba, une centaine de millions de dollars (lire également à ce sujet notre article).
« Mais », poursuit ce député, intarissable sur le sujet, « ça n’est pas sans contrepartie. En échange de sa protection sur le plan judiciaire et son intervention dans des dossiers financiers remontant à l’époque Kabila, Félix Tshisekedi s’est vu promettre par Jean-Pierre [Bemba] le Grand Equateur ».
Cette promesse, Jean-Pierre Bemba, n’est, de toute évidence, plus en mesure de la tenir. « Les meetings de Félix Tshisekedi, à Gemena, Gbadolite, etc., ont été catastrophiques. La population ne s’est pas mobilisée comme Jean-Pierre lui a fait miroiter. Le président l’a lui même constaté sur le terrain. Et il est furieux. Pour ne rien arranger, Moïse Katumbi, qui est passé aux mêmes endroits, a fait carton plein. C’était sans commune mesure en termes de mobilisation », indique celui qui connait toutes les arcanes de la vie politique dans la partie septentrionale du pays.
« Bemba s’est effacé derrière Tshisekedi. Sa statue de leader en a pris un coup »
Comment l’étoile de Jean-Pierre Bemba a-t-elle pu à ce point pâlir, lui qui semblait régner sans partage, tel un seigneur, sur son fief du Grand Nord ? Pour cet ancien ministre, originaire du Sud-Ubangi, cette situation n’a rien de surprenant. Elle était même prévisible. « Jean-Pierre s’est effacé derrière Félix Tshisekedi. Sa stature de leader en a pris un coup auprès de la population qui ne le voit plus comme un chef ». En outre, « il a dit à cette population que, grâce à ses relations avec le président, son quotidien allait s’améliorer. Mais cette population n’a rien vu. C’est pourquoi elle ne le croit plus aujourd’hui. A Gemena, Moïse l’a dit : même pas une toilette n’a été construite en cinq ans. Ces propos ont fait très mal ».
Ils ont beau être en froid, la population du Grand Equateur et Félix Tshisekedi ont un point commun : le sentiment, amer, de s’être fait rouler dans la farine.
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