La Guyane, nouveau terrain de jeu des gangs brésiliens

La visite présidentielle sera de courte durée. Emmanuel Macron atterrit en Guyane ce lundi, y restera 48 h, puis s’envolera pour le Brésil voisin. Un laps de temps serré durant lequel le président va évoquer, entre autres choses, les fusées Ariane, l’agriculture et, sujet plus brûlant, la criminalité organisée qui asphyxie le département d’Outre-mer. Orpaillage illégal, trafic de cocaïne et règlements de compte, la Guyane, région la plus criminogène de France, est en proie à une véritable OPA des « factions brésiliennes », des réseaux criminels ultra-violents qui ont jeté leur dévolu sur ce morceau de France enclavé en Amérique latine.

La police brésilienne alerte depuis des années : les narcotrafiquants du pays cherchent à s’implanter en Guyane par tous les moyens, et leur présence est déjà avérée. Le 14 mars dernier, quatre individus ont été interpellés par la police après avoir tiré sur des ouvriers de chantier. L’un d’eux était en possession d’une arme de poing modifiée et équipée d’un viseur laser ; un armement moderne qui « témoigne d’une appartenance à un gang aux moyens importants », rapporte un policier guyanais.

Les factions brésiliennes à l’assaut de la Guyane

Ces gangs, bien connus des autorités brésiliennes, ont fait de la Guyane leur nouveau de terrain de jeu. Dans une note confidentielle du Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco), consultée par le JDD, l’état des lieux sur la présence de ces factions dans le département est inquiétant.

L’un des groupes criminels les plus puissants d’Amérique du Sud

On peut y lire que deux factions majeures se partagent le terrain, tout en s’affrontant régulièrement. La plus importante d’entre elles, « Primeiro Comando da Capital (PCC) », est l’un des groupes criminels les plus puissants d’Amérique du Sud. Fondée dans une prison de Sao Polo en 1993, la faction comprend près de 30 000 membres et entretient des liens étroits avec les cartels mexicains, mais aussi les mafias siciliennes et albanaises, très actives dans l’importation de cocaïne en Europe.

D’après les policiers du renseignement, le PCC s’intéresse de près aux ressources aurifères guyanaises et aurait déjà monté ses propres réseaux d’orpaillage illégal. C’est à travers sa branche de la « Familia Terror do Amapa » (FTA) que le PCC fait régner la terreur en Guyane. La FTA est très implantée dans l’État brésilien d’Amapa, frontalier du département français et miné par la criminalité. La frontière entre l’Amapa et la Guyane est délimitée par le fleuve Oyapock, une « porte d’entrée accessible et impossible à surveiller, témoigne un gendarme de Saint-Laurent-du-Maroni, d’où les membres de la FTA vont et viennent à leur guise ! » Pour le général de la gendarmerie de Guyane, Jean-Christophe Sintive, le cœur de leur action est en agglomération ; notamment sur l’île de Cayenne. La lutte contre les factions passe par l’enquête. « Ces gens  sont nombreux, résilients et organisés, explique le militaire. Nous avons été renforcés par une section d’appui-recherche. Notre but, c’est de les empêcher de grossir, coûte que coûte ! »

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Un problème pris très au sérieux par l’Etat français

Si les factions lorgnent sur la Guyane depuis une petite dizaine d’années, ce n’est qu’«à partir de 2021 que l’on a pris conscience du problème, souligne le général Sintive. Depuis, on a mis le paquet pour entraver leur développement. Le but c’est de tout faire pour qu’ils reste à l’état artisanal. Jusqu’à présent,  nous y parvenons, mais la pression que nous leur mettons ne doit pas baisser ! »

Moins influents mais tout aussi dangereux, les narcotrafiquants du « Comando Vermelho » (CV) jouent un rôle important dans le trafic de cocaïne. Leur présence en Guyane « ne fait que s’accroître depuis 2019 », écrivent les agents du Sirasco, notant, par ailleurs, que les hommes du CV ont fait du blanchiment d’argent l’une de leurs spécialités.

La Guyane : département français avec le plus d’homicides

Mais au-delà de la drogue, l’implantation des factions brésiliennes sur le sol guyanais apporte une réelle problématique d’insécurité ; les gangs s’étant également diversifiés dans le braquage, le vol à la tire ou le racket organisé. Et c’est sans compter sur les guerres qu’ils se livrent entre eux, à la machette ou à l’arme lourde. « Vous savez, la Guyane est le département français avec le plus d’homicides !, souligne un officier de police judiciaire, stationné en Guyane depuis 2010. Il n’est pas rare de voir les hommes du PCC tirer sur les Comando Vermelho à l’arme à feu, en zone urbaine comme en zone rurale ! »

Si les membres des factions sont présents partout en Guyane, leurs bases de repli sont parfois situées au cœur de la forêt amazonienne, cachées dans des zones difficiles d’accès. « Il faut reconnaître que ces gars maîtrisent la jungle beaucoup mieux que nous ! C’est un environnement dans lequel ils sont à l’aise », explique le Yves Le Clair, procureur de Cayenne.

 Les factions sont une menace pour l’Europe 

Yves le Clair, procureur de Cayenne

C’est depuis des mangroves ou des marécages que les criminels opèrent, mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont coupés du monde. Des rapports de gendarmerie rendus après des opérations menées contre des repaires de factionnés, consultés par le JDD, indiquent que les gangs utilisent massivement les systèmes « Starlink », commercialisés par la société du même nom d’Elon Musk, afin d’effectuer des télécommunications depuis des zones où rien ne passe hormis le signal GPS. « Les factions brésiliennes ont une capacité d’adaptation assez remarquable ; c’est peut-être là l’explication de leur longévité… », confesse un gendarme.

Des criminels brésiliens présents en métropole ?

« Les factions font rêver les jeunes d’ici. C’est l’effet Netflix, appartenir à une bande criminelle fait miroiter des perspectives d’avenir ! » Le procureur de Cayenne Yves le Clair est affecté en Guyane depuis deux ans et demi. En première ligne face à l’ultra violence des gangs, le magistrat alerte : « Il faut agir maintenant. Ces gens-là sont dans une dynamique de conquête. Au-delà de la Guyane, ils sont aussi une menace pour l’Europe ! »

Le procureur s’inquiète notamment du transfert de certains détenus vers la métropole. « Les factionnés sont des spécialistes pour créer des trafics directement depuis la prison, je crois que nous devons être particulièrement vigilants ! » Une inquiétude loin d’être infondée. D’après nos informations, deux membres du « Comando Vermelho » ont été mis en cause sur le sol français, entre 2021 et 2023, pour leur implication dans un trafic de stupéfiant entre Poitiers et Joué-lès-Tours.

Le centre pénitentiaire de Guyane n’a plus de place

C’est que le centre pénitentiaire de Remire-Montjoly, conçu pour accueillir 700 détenus au maximum, en héberge plus de 1 000 ; un taux d’occupation qui dépasse les 160 % ! C’est la raison pour laquelle plusieurs détenus ont été transférés vers la métropole, mais leur libération nécessite un suivi méticuleux afin d’éviter, à tout prix, qu’ils n’intègrent des réseaux de stupéfiants présents dans l’hexagone, au modèle de ce qui est arrivé au Portugal.

« C’est de notoriété publique que les factions brésiliennes, le PCC notamment, ont pris le contrôle de la plupart des réseaux liés au trafic de stupéfiants au Portugal », rappelle Yves le Clair. Une situation qui, si elle n’est pas encore prête d’arriver en France, devrait faire l’objet de toutes les attentions du président lors de sa visite en Guyane.

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