Le guitariste Sean Shibe repense l’équilibre des peuples à travers leurs musiques

Il a la petite trentaine d’années, il est né à Edimbourg, des ancêtres japonais, une guitare à la main, qu’elle soit électrique ou acoustique, il s’appelle Sean Shibe et son dernier disque publié chez Pentatone est aussi brillant qu’intelligent.

Son instrument est ici la copie d’une guitare classique comme on pouvait les façonner pendant les années 1930 et le répertoire se concentre sur les musiques sud-américaines d’Agustin Barrios, Heitor Villa Lobos et Alberto Ginastera.

Mais le sujet de ce disque « Profesión » n’est pas simplement cette Amérique du Sud.  « Profesión » est avant tout la référence à la  » Profesión de Fe  » du compositeur paraguayen Agustin Barrios qui changea de vie et de vision du monde en 1930, rédigeant cette Profession de foi, qui place la guitare et sa musique au cœur de la redécouverte mystique et mythologique des secrets de l’Amérique, jouant désormais ses concerts en costumes traditionnels de son pays. Au-delà de la crise mystique de Barrios, c’est peut-être aussi le début d’une pensée libertaire qui assume la place forte des musiques sud-américaines au regard du Vieux Monde européen colonisateur.

C’est en tous cas l’axe principal de ce disque de Sean Shibe qui avance chronologiquement à travers cette aventure d’une Amérique du Sud musicale libérée, d’une Amérique de la guitare, passant de Barrios au Brésilien Heitor Villa Lobos et finalement à l’Argentin Alberto Ginastera.

À travers une analyse des rapports ambigus du légendaire guitariste espagnol Andrés Segovia à ces 3 compositeurs au XXème siècle, des rapports de curiosité, d’admiration puis de rejet et peut-être de concurrence, le jeune Sean Shibe pense son disque comme la progressive marche vers un épanouissement guitaristique sud-américain qui s’affranchit de la Vieille Europe dominatrice.

La musique d’Agustin Barrios d’abord, et son allégeance au charme de Frédéric Chopin ou son admiration révérente à Jean-Sébastien Bach, les maîtres passés d’une Europe dictant sa culture au monde ; Heitor Villa Lobos ensuite à travers ses 12 études que l’on sent évoluer d’une pièce à l’autre, partant d’une musique à l’oreille collée contre l’Europe qui finit par puiser au cœur des évidences populaires brésiliennes et trouver une identité forte qui toise les musiques qui trônent de l’autre côté de l’Atlantique.

Alberto Ginastera et sa fabuleuse Sonate opus 47 referment le disque avec panache, affirmant la certitude que la musique moderne, la création géniale peut venir d’autres mondes que celui des Classiques occidentaux.

Ce concept fort qui soutient ce disque est porté par le discours musical sans concession de Sean Shibe.  Il n’est pas là pour faire se pâmer les foules à coup d’œillades guitaristiques.  C’est de la grande guitare qui résonne ici : la virtuosité est souveraine, les résonances et les silences sont immensément évocateurs, les couleurs sont celles de l’âpreté comme du baume ; la musique de Sean Shibe est celle d’une guitare qui cisaille le temps pour vous traverser le cœur de part en part.

 » Profesión  » / Sean Shibe, guitare/ Barrios – Villa Lobos – Ginastera / Pentatone

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