le passé colonial français sens dessus dessous

« Colonisations. Notre histoire », sous la direction de Pierre Singaravélou et la coordination d’Arthur Asseraf, Guillaume Blanc, Nadia Yala Kisukidi et Mélanie Lamotte, Seuil, « L’univers historique », 954 p., 35 €, numérique 25 €

Synthétiser trois décennies de profonds renouvellements en histoire coloniale : tel est le défi relevé par Pierre Singaravélou et l’équipe qu’il a rassemblée dans Colonisations. Notre histoire. Un livre dont la forme originale et l’ambition mettent à l’épreuve la notion même de progrès historiographique. Qu’est-ce qui constitue, au fond, une avancée du savoir en histoire ? On est tenté d’en décliner trois aspects : l’accumulation (de nouvelles connaissances factuelles), la complexification (de la réflexion et des concepts) et le déplacement (des questionnements et des curiosités). Faire tenir ces trois dimensions en un seul volume, pour un aussi vaste champ que l’histoire de la colonisation française, relève de la gageure. Des choix éditoriaux aussi singuliers que tranchés permettent d’y parvenir avec des réussites éclatantes, mais aussi quelques fragilités.

Il ne s’agit pas, en effet, d’un récit ­linéaire, encore moins d’un manuel. Le passé colonial français, en Asie, en Afrique, aux Amériques et dans le Paci­fique, est présenté à rebours de la chronologie, en cinq grandes parties, qui abordent successivement la période très contemporaine postérieure aux indépendances, la fragilisation de l’empire français dans la brève séquence 1930-1962, puis son apogée apparent du long XIXe siècle, avant de remonter « aux origines » (1500-1815). La dernière partie du livre, intitulée « Les mondes d’avant », expose, de façon très neuve, l’historicité propre des sociétés non européennes qui finiront par être colonisées par les Français.

Au sein même de ces grandes sections, plutôt qu’une narration continue, ce sont de brefs éclairages thématiques qui s’enchaînent, à deux niveaux : quatre pages pour les articles les plus longs sur des questions de fond, deux pages pour des exemples permettant de les illustrer. Un article sur les « luttes pour l’égalité en Afrique » au milieu du XXe siècle est ainsi suivi par deux brèves notices sur « Ousmane Sembène, la grève des cheminots et les femmes » et sur « Les ambiguïtés du PCF ». Un tel dispositif ne vise pas l’exhaustivité et, de fait, il laisse de côté certains éléments, personnages ou événements qu’on pourrait attendre dans une synthèse générale. Il n’est ainsi pas question de l’écrivain Pierre Loti (1850-1923), figure majeure de l’imaginaire ­colonial et orientaliste français, ni du 13 mai 1958, date du soulèvement des Français d’Algérie qui porte le coup de grâce à la IVe République en pleine guerre d’indépendance.

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