Polyglotte et les deux pieds bien ancrés dans le milieu artistique, Léuli Eshrāghi est aujourd’hui responsable de la conservation des arts autochtones au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), une première au Québec et pour l’institution qui entame une véritable révolution.
Derrière la moustache, un sourire bienveillant et discret révèle une douce timidité. Même si Léuli Eshrāghi vient de loin, son cœur, lui, est au Québec depuis plusieurs années.
À la demande de Léuli Eshrāghi, Radio-Canada a retenu la dénomination iel pour désigner cette personne dans ce reportage.
Originaire des îles Samoa, archipel planté au milieu de l’océan Pacifique, iel aux origines multiples est officiellement membre des clans sāmoans Seumanutafa et Tautua.
J’ai grandi en Australie et, vers l’âge de 13 ans, j’ai commencé à prendre conscience qu’il y avait ailleurs d’autres peuples autochtones en rencontrant des gens venus de l’Océanie comme les habitants du Vanuatu, de la Papouasie-Nouvelle-Guinée ou des Kanaks de Nouvelle-Calédonie
, raconte Eshrāghi en entrevue.
Son arrivée à Montréal coïncide avec cette profonde curiosité de jeunesse de plonger tête première dans d’autres cultures et nations, malgré les distances.
Les diversités des cultures à Montréal, ancrées dans la société québécoise, font de cet endroit une cité unique en Amérique du Nord.
Depuis plus d’un mois, Eshrāghi – qui parle le français, l’anglais, le samoan, l’espagnol et les langues créoles du Vanuatu et de la Papouasie-Nouvelle-Guinée – est également responsable de l’acquisition de nouvelles œuvres autochtones pour la collection permanente du MBAM.
Je suis venu dans la métropole en 2019 pour faire mon doctorat, mais le Canada ne m’est pas étranger. Plusieurs fois par an, j’ai voyagé dans l’ouest du pays et fait la connaissance des Premières Nations, leurs grandes diversités et leurs cultures.
Je suis très heureux, car cela fait longtemps que je voulais travailler dans un environnement francophone.
À 37 ans, Eshrāghi sait qu’être autochtone signifie être issu d’un territoire souvent marqué par une certaine histoire coloniale. Au-delà des traumatismes intergénérationnels, son objectif au MBAM demeure néanmoins celui de présenter la vitalité et la complexité des communautés autochtones d’aujourd’hui.
Les premiers peuples de l’Océanie ont beaucoup de points communs avec les Autochtones du Canada. Aux îles Samoa, on n’a peut-être pas connu le système des pensionnats, mais l’influence des missionnaires reste très imprégnée dans les esprits.
Léuli Eshrāghi est originaire des îles Samoa.
Photo : Radio-Canada / Ismaël Houdassine
L’imaginaire et la géographie constituent aussi un paradigme commun entre les Autochtones, souligne Eshrāghi, qui voit les cours d’eau comme de véritables autoroutes vitales pour les communautés.
C’est la même chose avec notre rapport à l’océan chez nous, aux îles Samoa. Une autoroute de relations, d’échanges réguliers. C’est avec l’arrivée des empires européens au Pacifique que les échanges ont été réduits jusqu’à disparaître.
Avant de poser ses pénates en ville, la pandémie l’aura toutefois bloqué quelque temps en Australie. Mais la fermeture des frontières n’a pas empêché l’artiste touche-à-tout de continuer de travailler.
Pendant que j’étais coincé là-bas, j’ai mis en branle plusieurs projets comme la réalisation d’une œuvre dans le cadre de la biennale de Sydney. J’ai aussi organisé à distance et, en tant que commissaire, une exposition au musée d’art MacKenzie à Regina.
Paris avec le musée du quai Branly ou le Palais de Tokyo, Brisbane, Auckland, etc., les initiatives artistiques s’additionnent jusqu’au retour définitif à Montréal.
Je considère mon rôle comme un travail transfrontalier avec un ancrage dans les territoires, sans vision eurocentriste.
Riche d’une expertise qui recouvre les histoires de l’art autochtone, les pratiques contemporaines et le développement institutionnel en Océanie (le Grand-Océan) et en Amérique du Nord, Léuli Eshrāghi est en poste au MBAM depuis le 5 juin.
Parce que je ne viens pas du Québec, j’espère réussir à mettre en lumière les liens qui unissent les artistes d’ici avec les artistes d’autres contrées francophones, de Tahiti, du Maghreb ou de la Guyane française.
L’expression esthétique autochtone anglophone circule déjà bien dans le milieu de l’art international, aussi bien au Canada que dans le reste du monde anglo-saxon, rappelle Eshrāghi qui souhaite mettre à l’ordre du jour
la création contemporaine et historique francophone.
Je pense, par exemple, aux trois Premières Nations autochtones de la Louisiane qui pourraient avoir leur place ici, au musée.
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