Maryse Condé, écrivaine et voix de la Guadeloupe, est morte à 90 ans — La Libre Afrique

Elle était née à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, le 11 février 1934. Mais plus que nulle autre, peut-être, Maryse Condé était une citoyenne du monde. France, Afrique, États-Unis, elle a posé ses valises sur différents continents, s’est abreuvée de leurs cultures, avant de porter haut sa voix et ses racines. Plusieurs fois citée pour le Nobel de Littérature, elle avait finalement été couronnée du prix de littérature de la Nouvelle Académie, à Stockholm, en octobre 2018. C’était la première fois que son œuvre, magistrale, était récompensée.

Maryse Boucolon est la petite dernière d’une grande fratrie de huit enfants, qui grandissent au milieu des livres, dans la grande maison de Pointe-à-Pitre. Dans ce “milieu d’embryon de bourgeoisie noire” – ce sont ses mots – on lit les auteurs français et on n’évoque pas l’ascendance africaine.

Ce n’est qu’à Paris, où elle arrive à 16 ans comme élève au lycée Fénelon, qu’elle comprend que la couleur a un sens. Nous sommes au cœur des années cinquante, les colonies s’émancipent, les intellectuels noirs sont en pleine effervescence.

Aimé Césaire, une rencontre décisive

C’est le père d’une de ses amies, l’historien marxiste Jean Bruhat, qui lui ouvre les yeux. Elle rencontre l’écrivain et homme politique Aimé Césaire et ses perspectives changent. “Je comprends que je ne suis ni Française ni Européenne. Que j’appartiens à un autre monde et qu’il me faut apprendre à déchirer les mensonges et à découvrir la vérité de ma société et de moi-même”, dira-t-elle dans un documentaire, en 2011.

Jeune adulte, elle rencontre un journaliste haïtien qui la quitte en apprenant sa grossesse. Mère célibataire d’un petit garçon, elle doit renoncer à Normale Supérieure. En quête de respectabilité, elle épouse trois ans plus tard, Mamadou Condé, un apprenti comédien guinéen. Mais entre l’homme et le rôle, il y a un monde et leur mariage bat de l’aile.

En 1959, l’Afrique devient la destination impérative dans sa quête de ses origines. Premier arrêt : la Côte d’Ivoire, où elle est professeure de français au lycée de Bingerville. Elle vit avec sa première fille et son garçon, avant de s’envoler pour la Guinée et de retrouver son mari, alcoolique. Deux filles viennent agrandir la famille. À Conakry, la vie est dure : “Quatre enfants à nourrir et à protéger dans une ville où il n’y a rien, c’était pas facile”.

Dans La Vie sans fards, autobiographie publiée en 2012, elle confie qu’“elle n’arrive pas à devenir Africaine”. Elle est meurtrie d’être restée “l’étrangère” malgré sa peau noire. Par ailleurs, son mariage a fait long feu. Alors elle fuit, au Ghana, avec ses enfants, puis au Sénégal, où elle se marie au début des années 80 avec un professeur britannique blanc. Richard Philcox sera aussi son traducteur.

Ce n’est qu’à l’âge de 42 ans, après douze années d’épreuves en Afrique et grâce à son nouveau compagnon, qui lui apporte “calme et sérénité”, qu’elle se met à écrire.

Professeur à Columbia University

En 1976, elle publie Hérémakhonon, puis Ségou (1984-1985), un best-seller sur l’empire bambara au XIXe siècle au Mali. Ses reconstitutions historiques ont beau être des succès, elle change de cap et, dans Traversée de la mangrove (1989), Célanire cou-coupé (2000) ou Histoire de la femme cannibale (2005), elle aborde des thèmes contemporains et profondément teintés de culture guadeloupéenne et créole.

À New York, où elle vit 20 ans, Maryse Condré ouvre à Columbia University un centre d’études francophones. Elle y enseigne une “littérature en français qui ne parle pas de la France”. Après la reconnaissance de la traite et de l’esclavage comme crimes contre l’humanité en 2001, elle préside en France le comité pour la mémoire de l’esclavage.

Atteinte d’une maladie neurodégénérative, elle choisit à 80 ans de se retirer en Provence où elle a dicté son dernier livre à une amie L’Évangile du nouveau monde, sa réécriture du Nouveau Testament, en Guadeloupe.

Maryse Condé s’est éteinte dans la nuit du 1er au 2 avril, à l’hôpital d’Apt, dans le Vaucluse. Elle avait 90 ans.

Isabelle Monnart (avec AFP)

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