Michaël Brun veut remettre le kompa dans nos oreilles

La nouvelle pop dansante du continent africain domine aujourd’hui le paysage musical mondial, et Michaël Brun entend bien s’assurer que la musique haïtienne ne rate pas ce train filant à toute allure. Le compositeur, réalisateur, remixeur et DJ tiendra vendredi, 22 h, au MTelus, une nouvelle édition de ses soirées Bayo, célébration — façon sound system — des cultures musicales modernes antillaises et afro-descendantes à laquelle participeront une dizaine d’invités spéciaux. « Il y aura des artistes de Montréal et d’ailleurs, mais je ne veux pas te révéler lesquels », dit-il, taquin, au bout de la caméra vidéo. Allons, Michaël, même pas un nom ?

Fallait le voir sourire à pleines dents, le Michaël Brun, en nous faisant mariner dans l’expectative. Cachottier, va ! On s’essaie quand même : est-ce possible que votre bon ami J Balvin y soit, lui qui est apparu sur scène (avec Wyclef Jean et Boukman Eksperyans) lors de la soirée Bayo new-yorkaise de mai 2022 ? Ça, non, répond-il. Qui d’autre alors ? Son collègue Gardy Girault peut-être, habitué des clubs montréalais, compositeur et DJ qui aime tremper ses disques de house dans le bouillon rara haïtien ? Kaytranada ? Ah non, il est en tournée en Europe.

La liste d’invités de cette soirée demeurera une surprise pendant quelques heures, mais on peut quand même prédire ceci : le public montréalais aura l’exclusivité des chansons inédites du minialbum que Michaël Brun lancera dans deux semaines. Ce sera sa première parution depuis qu’il a paraphé une entente avec la maison de disques américaine Astralwerks, après dix années à développer son projet de manière autodidacte.

Cette signature a valeur de symbole pour le musicien né à Port-au-Prince d’un père haïtien et d’une mère guyanaise, lui qui se destinait plutôt à une carrière en médecine : « Lorsque j’ai commencé à faire de la musique, elle avait déjà, sans que je le réalise, cette saveur “globale”, internationale, puisque j’étais influencé autant par la musique d’Haïti que par les musiques électroniques ou le R&B. Tout ce que je fais depuis, mes chansons, les voyages, les collaborations avec d’autres artistes, tout ça m’a mené vers mon objectif : faire une musique qui soit un pont entre les cultures. »

Il pleut des cordes à Brooklyn, où on rejoint Michaël ; les gouttes perlent sur la fenêtre de son petit bureau. Sur le mur d’à côté, le musicien nous montre d’abord le certificat attestant de sa victoire aux Latin Grammy Awards il y a trois ans pour son travail de compositeur et réalisateur sur l’album Colores de J Balvin. Puis, il nous montre l’édition vinyle encadrée de Nouvelle Génération, album paru en 1988 du trio haïtien Skandal, cofondé par son père, Patrick Brun, compositeur, chanteur et guitariste.

« Son groupe faisait de la musique fusion, explique Brun. C’était du kompa [et du zouk], mais avec l’influence new wave et synthwave de l’époque », ces sons de synthétiseurs qui avaient percolé dans la pop et le rock des années 1980. « [La démarche de papa] a beaucoup influencé la musique que je fais aujourd’hui. L’afropop moderne tire autant ses influences du highlife et de l’afrobeat des années 1970 que du dancehall jamaïcain, en incorporant celles d’Europe, d’Amérique. Il me semble aussi que dans tout ce mélange d’influences, on a oublié le kompa, et c’est ce que je veux retrouver. »

Lorsque j’ai commencé à faire de la musique, elle avait déjà, sans que je le réalise, cette saveur “globale”, internationale, puisque j’étais influencé autant par la musique d’Haïti que par les musiques électroniques ou le R&B

 

À ses débuts professionnels, il y a une douzaine d’années, Michaël Brun remixait Calvin Harris, Charli XCX, Childish Gambino, tout en peaufinant ses propres compositions. La rencontre avec J Balvin fut déterminante ; après son travail sur l’album Colores, il a coécrit et coréalisé l’an dernier la chanson Forever My Love, duo entre la mégastar colombienne et Ed Sheeran : « Se retrouver en studio avec eux, échanger sur leurs visions de ce qu’allait être cette collaboration, ce fut toute une expérience » qui, n’en doutons point, a suscité l’intérêt de plusieurs maisons de disques à l’endroit du jeune musicien.

Une vitrinede la culture haïtienne

 

Trois extraits de son prochain minialbum sont déjà parus : l’excellente Clueless, avec le chanteur nigérian Oxlade, la ritournelle house tropicale Charge It (avec les Jamaïcains Masego et Bayka et l’Américain Jozzy), et la plus douce, et rappée, Sak Pase, celle-là avec la chanteuse Lolo Zouaï et le Franco-Algérien Saint Levant. Mais la chanson que les fans attendent, c’est Jessica, collaboration avec le chanteur haïtien J. Perry — une vraie bombe kompa-pop-électronique, qui ramène l’argument musical créole dans la conversation sur le son afrobeat moderne. « Dans ma création, je veux incorporer différents aspects de la culture haïtienne, mais de manière expérimentale : je ne veux pas simplement réinterpréter la tradition. Je veux repousser ce qu’on peut faire avec ces sons, le kompa, le rabòday, même le troubadou. »

La première édition de Bayo, raconte Michaël, s’est tenue dans le quartier défavorisé de Jalousie, à Port-au-Prince : « Bayo, en créole, signifie “donner”. Assister à des concerts est souvent hors de portée pour une majorité de gens, qui n’ont pas les moyens, dans mon pays. Ça m’a donné envie d’organiser de petits concerts gratuits avec des amis musiciens, un peu partout dans le pays, et surtout dans ces localités où il y a peu d’événements du genre. On amène un système de son, je fais le DJ, les amis chanteurs et musiciens se joignent à la fête ; j’ai développé cette idée pour en faire une vitrine de la culture haïtienne partout dans le monde, puisque tout ce qu’on voit aux infos à propos d’Haïti est négatif. Le monde ne sait pas tout ce que la culture haïtienne a à offrir. »

Michaël Brun présentera Bayo vendredi à 22 h, au MTelus, à l’affiche du Festival international de jazz de Montréal

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