Michel Thierry Atangana, 59 ans, est un homme libre depuis dix ans mais toujours prisonnier de son histoire. Pendant dix-sept ans, entre 1997 et 2014, cet ingénieur financier franco-camerounais a été détenu au Cameroun, dont cinq à l’isolement dans un cachot de 7 m2, sans lumière, après avoir été condamné pour « détournements de deniers publics » et de « trafic d’influence ». Il avait à sa charge le Comité de pilotage et de suivi des travaux routiers (Copisur), un consortium franco-camerounais chargé de la construction d’axes routiers dans le pays. Les raisons réelles de son incarcération se trouvent cependant dans sa proximité supposée avec un ancien cadre du régime, Titus Edzoa, condamné lui aussi pour « détournement de fonds ».
Dans Survivre à l’injustice (éd. Le Cherche-Midi, 2024), Michel-Thierry Atangana se livre sur sa difficile reconstruction et rappelle son combat pour que la France vienne en aide à ses ressortissants détenus à l’étranger. Depuis 2021, la loi dite « Atangana » rend ainsi recevable devant un juge français les rapports des Nations unies et des ONG dans les cas de détention de Français à l’étranger.
Son objectif aujourd’hui est d’obtenir la réparation du préjudice que le Cameroun lui doit en tant que président du Copisur. En 2016, la Direction générale de la sûreté nationale en avait estimé, sur place, le montant à 300 milliards de francs CFA (quelque 450 millions d’euros).
Comment vous êtes-vous reconstruit depuis dix ans ?
Je survis. Aujourd’hui, ce qui me guide, c’est la détermination de porter un témoignage et d’envoyer un message aux Français qui vivent à l’étranger. Je ne me suis pas encore reconstruit, la souffrance que je porte est lourde. Je n’ai toujours pas de statut reconnu, ni de victime, ni d’innocent. Mais je suis déterminé à me battre jusqu’à mon dernier souffle si nécessaire. J’ai saisi la justice française sur trois procédures, la première au pénal qui a fait l’objet d’une décision importante le 30 novembre 2021, puis la justice civile qui a fait l’objet d’une autre décision le 6 janvier 2022. Je détaille ces éléments dans mon livre.
Depuis le 20 décembre 2021, la loi Atangana existe, elle est inscrite dans le code de procédure pénal et donne un cadre de protection globale à tous les Français qui vivent à l’étranger. Ce deuxième livre fait partie de mon processus de reconstruction. Mon devoir est de continuer à parler de mon cas et de porter un message d’espoir. Je ne peux pas me contenter de ma seule liberté, tant que je ne suis pas innocenté au Cameroun et n’aurais pas été indemnisé.
Où en sont les procédures de réparation que vous avez lancées ?
Il y a tout d’abord une information judiciaire toujours en cours au tribunal de Paris. Elle devrait prendre fin dans le courant de l’année. Concernant le volet de la réparation, c’est la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) qui est chargée de l’instruction et la question qui lui est posée est la suivante : un Français qui a été détenu arbitrairement à l’étranger peut-il obtenir réparation de l’Etat Français ? Jusqu’alors, la réponse technique était non. Depuis, je suis devenu le symbole de cette quête pour ceux qui sont victimes d’une détention arbitraire à l’étranger. Si la CIVI me reconnaît victime, elle doit encore arrêter le montant de l’indemnisation qui me sera versé par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions.
Sur le plan politique, la France pourrait prendre des mesures afin de mettre la pression sur le Cameroun. Je pense que l’aide au développement devrait être conditionnée au respect des droits humains. C’est une question technique que l’Elysée ou le Quai d’Orsay doit pouvoir régler rapidement.
Comment jugez-vous la manière dont votre cas a été pris en charge par l’Etat français ?
Les présidents Chirac et Sarkozy ne se sont jamais souciés de mon cas. Entre 1997 et 2009, je n’existais pas pour la France. C’est l’arrivée d’un nouvel ambassadeur de France à Yaoundé, Bruno Gain, qui me permet de bénéficier enfin de la protection consulaire quand ses prédécesseurs détournaient les yeux, prétextant de la non-ingérence dans les affaires judiciaires du pays.
François Hollande a été le premier président français à avoir pris une position publique et politique. Je ne suis pourtant pas en colère. Mon combat, je le mène avec calme, parce que je sais son importance. Il y a 1 200 Français incarcérés à l’étranger, dont environ la moitié sans cause connue. Maintenant, il faut savoir que les victimes qui sont libérées en général ne se défendent pas, c’est pour elles que j’agis.
Mais après dix ans, ma patience a des limites, il faut que les autorités françaises prennent des décisions politiques pour que le Cameroun rembourse mes dettes auprès des treize entreprises du consortium ayant investi dans le Copisur.
La loi Atangana permet à l’autorité judiciaire d’engager des procédures pour les Français qui sont incarcérés à l’étranger. Par quels moyens votre association Atangana contre l’oppression et l’arbitraire entend transposer la loi de décembre 2021 au niveau européen ?
A Bruxelles, nous avons été reçus le 19 janvier par les équipes du haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères, Josep Borrell, où nous avons réfléchi à la manière dont nous pourrions intégrer un tel texte dans le corpus juridique européen. Devant le Parlement européen à Strasbourg, c’est l’eurodéputé français Max Orville qui porte le projet, où il a mis en place un groupe de travail.
Nous réfléchissons à la stratégie à adopter afin d’apporter une protection à tous les Européens qui se trouvent en difficulté avec des autorités qui n’appartiennent pas au Conseil de l’Europe. Passer d’une protection pour 67 millions de personnes à près de 700 millions de personnes serait un pas de géant. Mais nous ne voulons pas nous satisfaire d’une simple résolution. L’idée est de partir d’une directive européenne et d’impliquer le Conseil de l’Europe.
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