En créant une nouvelle plateforme politico-militaire à la veille des élections, l’ancien président de la Commission électorale et la rébellion se projettent dans une possible phase de négociations entre Kinshasa et le M23 après la présidentielle de décembre.
A quelques jours de la présidentielle du 20 décembre, la sortie médiatique de l’ancien président de la Commission électorale congolaise (CENI), Corneille Nangaa, aux côtés du patron de l’aile politique du M23, Bertrand Bisimwa, a fait sensation. Depuis Nairobi, où il vit désormais en exil, Corneille Nangaa a annoncé la création d’une plateforme politico-militaire, appelée « Alliance du fleuve Congo » (AFC) pour « sauver la Nation en danger et de restaurer la dignité du Congolais ». L’ex-patron de la CENI, qui souhaitait se présenter aux élections de décembre, a fustigé l’action du président Félix Tshisekedi, qui brigue un second mandat. Corneille Nangaa a dénoncé « la faiblesse » et « l’absence de l’Etat », et accusé « « le régime de Kinshasa d’avoir fait le choix délibéré de sous-traiter la sécurité nationale en utilisant la guerre comme un fonds de commerce, et en sacrifiant les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) ». L’initiateur de cette nouvelle plateforme promet « d’en finir définitivement avec l’insécurité généralisée, les tueries et massacres massifs des populations, ainsi que les idéologies génocidaires véhiculées par les forces négatives alliées au régime de Kinshasa ».
Nangaa aux côtés du groupe armé le puissant de l’Est congolais
Aux côtés de Corneille Nangaa, l’attelage qui compose cette nouvelle alliance est des plus hétéroclites. L’ancien président de la CENI affirme avoir été rejoint par 15 partis politiques, 23 mouvements citoyens et 41 structures de la société civile, sans en citer les noms « pour raisons de sécurité ». Mais ce qui a attiré l’attention, et l’inquiétude, de tous les observateurs, ces sont les nombreux groupes armés qui composent l’aile militaire de la plateforme. En première place, on retrouve les rebelles du M23, représentés à Nairobi, aux côtés de Corneille Nangaa, par le chef politique de la rébellion, Bertrand Bisimwa. Le M23 est actuellement le groupe armé le plus puissant qui sévit dans l’Est congolais et qui contrôle de nombreuses localités des territoires du Masisi, du Rutshuru et du Nyiragongo. C’est aujourd’hui le principal groupe armé que tente de vaincre en vain Kinshasa, qui l’accuse, ainsi que de nombreux rapports onusiens, d’être soutenu par le Rwanda voisin.
Un timing qui ne doit rien au hasard
L’« Alliance du fleuve Congo » est également composé du groupe armé « Zaïre », du « Front populaire d’autodéfense » en Ituri (FPAC), du groupe « Twirwaneho » de Michel Rukunda, mais aussi de la « Force de Résistance Patriotique de l’Ituri » (FRPI), de la « Force patriotique et intégrationniste du Congo » (FPIC), ou de la « Force Patriotes pour la Défense du Congo » (FPDC). La coalition de ces groupes armés représente clairement la majorité des rébellions en lutte contre le régime de Kinshasa en Ituri, au Nord et au Sud-Kivu. Lancée à quelques jours de la présidentielle du 20 décembre, l’« Alliance du fleuve Congo » interroge sur les raisons de ce timing qui ne doit rien au hasard. Depuis plusieurs mois, Corneille Nangaa fait le forcing pour revenir sur la scène politique congolaise, avec pour principale cible le président Félix Tshisekedi dont il avait pourtant proclamé la victoire à la présidentielle de 2018. L’ex-chef de la centrale électorale était revenu sur les conditions contestées de l’élection de l’actuel chef de l’Etat. Corneille Nangaa avait notamment révélé qu’un accord politique « existe bel et bien » entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. « Il a précédé la publication des résultats définitifs. J’en suis l’un des co-rédacteurs, a même précisé Nangaa. Cet accord inaltérable a été signé devant témoins, par le Président Tshisekedi et son prédécesseur ». Des propos rejetés en bloc par le président Tshisekedi.
Anticiper une hypothétique phase de négociations Kinshasa-M23
S’estimant menacé par le régime de l’actuel président, Corneille Nangaa a décidé de s’exiler au Kenya avec la ferme intention de peser sur l’échiquier politique congolais. C’est alors que les ambitions de l’ancien président de la CENI ont rencontré l’agenda de nombreux groupes armés, dont celui du M23. La rébellion sait que quel que soit le résultat des élections du 20 décembre, le dossier sécuritaire connaîtra de nouvelles évolutions. Face aux difficultés de Kinshasa pour trouver une porte de sortie militaire au conflit après les échecs de l’état de siège et de la force régionale est-africaine, la rébellion fait le pari qu’une phase de négociation politique pourrait s’ouvrir après les élections, même avec une victoire de Félix Tshisekedi.
L’ « Alliance du fleuve Congo » nouvel interlocuteur de Kinshasa ?
Les Etats-Unis, à la manoeuvre dans le dossier de l’Est congolais, poussent Kinshasa et Kigali à se mettre autour de la table. Le M23 espère bien faire valoir ses revendications de transformation en mouvement politique reconnu par Kinshasa et d’intégration dans l’armée congolaise. Même si le gouvernement congolais a toujours déclaré fermer la porte à toute négociation avec un mouvement qu’il qualifie de « terroriste », la solution politique pour faire baisser la tension dans les Kivu revient sur la table, notamment sous la pression américaine. L’arrimage du M23 à une plateforme politico-militaire pilotée par l’ancien président de la CENI, pourrait permettre à la rébellion de négocier indirectement avec Kinshasa à travers l’« Alliance du fleuve Congo » qui représente un panel plus large de mouvements politiques et militaires. Avec la création de cette plateforme, Nangaa et le M23 font ainsi cause commune et se projettent déjà dans l’après 20 décembre pour se repositionner sur l’échiquier politique. Car même avec la très probable réélection de Félix Tshisekedi, les cartes seront redistribuées au sommet de l’Etat, dans l’ensemble des institutions congolaises et le dossier sécuritaire sera, sans aucun doute, complètement revisité. En attendant, le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, a qualifié « d’antipatriotique », l’acte de Corneille Nangaa et a demandé des explications au gouvernement kényan, qui a déclaré se « désolidariser » de l’initiative de l’ex-président de la CENI.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
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