Nikki Haley, la femme qui veut barrer la route à Donald Trump

À moins d’un cataclysme judiciaire, qui menacerait par exemple de l’envoyer en prison (et la possibilité existe, certes !), Donald Trump semble assuré de remporter l’investiture du Parti républicain et, dans la foulée, à en croire les mêmes sondages, l’élection présidentielle de novembre 2024. Malgré quoi, d’aucuns veulent encore tabler sur un autre scénario, pensant que les enquêtes d’opinion se trompent, mais surtout que la dynamique électorale peut à tout moment infléchir la campagne et produire des résultats inattendus. Après tout, pour s’en tenir aux deux précédents scrutins, personne n’avait vu venir Donald Trump en 2016, et personne ne misait sur la candidature de Joe Biden, quatre ans plus tard, après son démarrage désastreux dans les primaires démocrates.

On se souvient que c’est la mobilisation de l’électorat afro-américain en Caroline du Sud qui sauva Biden, le 29 février 2020, et prépara son triomphe, peu de temps après, lors du “Super-Mardi”. Or c’est encore de Caroline du Sud que pourrait venir la surprise, dans le camp républicain cette fois. C’est, en effet, celle qui fut la première femme à gouverner cet État conservateur (de 2011 à 2017), Nikki Haley, qui est aujourd’hui perçue comme la solution de rechange à l’ancien Président par les Républicains qui ne veulent pas d’un retour de ce dernier à la Maison-Blanche. Et si celle qui fut, par la suite, l’ambassadrice de Donald Trump à l’Onu (en 2017-2018), confirme les espoirs placés en elle et renforce d’ici là sa stature, c’est la primaire républicaine en Caroline du Sud, le 24 février prochain, qui pourrait décider de son sort. “Launchpad” ou “crash site”, analysait récemment la chaîne NBC : le tremplin vers la victoire ou, au contraire, la catastrophe signant la fin des illusions.

Donald Trump n’aurait pas le droit de se présenter à la présidentielle

Une montagne à gravir

La Caroline du Sud montre, à elle seule, l’ampleur du défi à relever par Nikki Haley. Celle-ci devrait logiquement s’y présenter en terrain conquis, mais c’est sans compter l’énorme popularité que conserve, envers et contre tout, l’ancien Président dans toute l’Amérique conservatrice. Ce dernier devance ainsi de plus de 30 % Mme Haley dans l’État où elle est née, le 20 janvier 1972, et où elle a fait presque toute sa carrière politique, comme députée à la Chambre locale des représentants, puis comme gouverneure. C’est moins que l’écart creusé par Donald Trump à l’échelle nationale : à l’approche du quatrième débat républicain, ce 6 décembre, son score avoisinait les 60 %, contre 14 % au gouverneur de la Floride Ron DeSantis, 11 % à Nikki Haley et 5 % à l’homme d’affaires Vivek Ramaswamy. Cela reste malgré tout un retard considérable à rattraper.

Si considérable que beaucoup d’observateurs jugent l’affaire pliée, pourvu qu’il n’arrive rien de fâcheux à l’ancien Président dans l’intervalle. D’une part, font-ils valoir, c’est en Caroline du Sud que les électeurs connaissent le mieux Mme Haley : ses qualités, nombreuses, mais aussi ses faiblesses, ses méandres idéologiques, ses promesses non tenues, qui lui aliéneront des soutiens. D’autre part, si Nikki Haley parvient à faire le vide autour d’elle pour transformer les primaires en un face-à-face avec Donald Trump, les votes acquis aux prétendants évincés se reporteront en grande partie sur Donald Trump, augmentant encore son avantage. Si Mme Haley pourra sans doute rallier les partisans de l’ex-gouverneur du New Jersey Chris Christie et ceux du sénateur noir de la Caroline du Sud Tim Scott (tous deux des modérés), les électeurs de Ron DeSantis et de Vivek Ramaswamy se tourneront, quant à eux, logiquement vers Donald Trump, dont les deux candidats sont des copies presque conformes.

L’argent de Charles Koch

Nikki Haley veut néanmoins croire en son étoile, et elle n’est pas la seule. Ils sont même de plus en plus nombreux à penser qu’il y a pour elle une voie ; un passage, certes étroit, mais praticable et qui irait en s’élargissant, à mesure que les obstacles seraient surmontés et les étapes franchies. En témoigne l’appui exclusif que vient de lui apporter solennellement Americans for Prosperity Action, l’organisation politique du milliardaire Charles Koch, qui finance depuis un quart de siècle les causes et les candidats du mouvement conservateur aux États-Unis. Dans un communiqué publié le 28 novembre, AFP Action salue en Mme Haley “une candidate capable de tourner, à Washington, la page d’une culture toxique – et une candidate qui peut gagner”. Ce soutien, susceptible d’entraîner celui d’autres généreux donateurs, devrait rassurer Nikki Haley. C’est le manque d’argent qui, le plus souvent, pousse les présidentiables vers la sortie, en les privant du torrent de publicités électorales à la radio et à la télé sans lequel aucun succès n’est possible, ainsi que des moyens nécessaires pour déployer sur le terrain l’armée de volontaires qui mobilisera l’électorat.

S’il n’est guère surprenant que Koch ait traduit son hostilité à Donald Trump par le parrainage d’un de ses rivaux, ce qui est digne d’être noté, en revanche, c’est la préférence soudainement accordée à Mme Haley, aux dépens de celui qui faisait figure jusqu’à tout récemment de concurrent naturel de Donald Trump, Ron DeSantis. Sans doute dira-t-on que le gouverneur ressemble un peu trop à son ex-mentor et maître (Trump se plaît à souligner qu’il a propulsé DeSantis à la tête de la Floride en 2018) pour plaire vraiment à Charles Koch, mais il faut rappeler que AFP Action avait pourtant soutenu sa réélection en 2022. On doit en déduire que Koch et probablement d’autres avec lui sont arrivés à la conclusion que DeSantis soit n’est pas capable de battre Donald Trump, soit n’est pas le remplacement souhaitable. Les trois débats télévisés, dans lesquels Nikki Haley a globalement fait meilleure figure que ses adversaires, et que Ron DeSantis en particulier, ont vraisemblablement contribué à cette nouvelle perception.

Deuxième prétendant ou premier perdant ?

Si les astres s’alignent donc pour Mme Haley, ce que reflètent aussi des sondages en hausse, il lui reste, cependant, à éliminer ses concurrents et notamment mettre DeSantis hors-jeu, pour que le choix des électeurs républicains soit finalement réduit à une alternative : Donald Trump ou Nikki Haley. Faute de pouvoir menacer d’emblée l’ancien Président, l’ex-Gouverneure entend donc s’imposer d’abord en numéro deux de la course à l’investiture, derrière lui – une ambition que Trump tourne en dérision en parlant d’un combat pour être “le premier perdant”.

C’est un objectif qui ne semble pas hors de portée. Il faudra d’abord que Mme Haley fasse forte impression lors du premier rendez-vous de la saison électorale, dans les caucus de l’Iowa organisés le 15 janvier. Elle devrait idéalement s’y classer deuxième, mais une troisième place (après Trump et DeSantis, qui a énormément investi dans ce lever de rideau, et pour cause !) ne la disqualifierait pas. Pour l’heure, les pronostics du Des Moines Register, l’influent journal local, donnent Haley et DeSantis au coude-à-coude. La candidate devra ensuite concrétiser l’avantage que les sondages lui prêtent dans le New Hampshire, où les primaires sont programmées huit jours plus tard. Dans cet État libéral de la côte Est, elle peut compter sur le précieux soutien du gouverneur républicain, Chris Sununu, qui voue Donald Trump aux gémonies. Nikki Haley aura alors un mois pour préparer la confrontation décisive en Caroline du Sud, où une deuxième place lui est promise depuis des mois, sondage après sondage. Si le scénario se déroule ainsi comme prévu, elle abordera le “Super-Mardi” en position de force pour écarter les autres prétendants et incarner, au soir du 5 mars, la seule opposition crédible à Donald Trump. Républicains et indépendants auront alors clairement le choix entre deux camps pour désigner le candidat du parti à la présidentielle.

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Une cervelle de moineau

Donald Trump s’efforce de minimiser le danger en prêtant à Nikki Haley “une cervelle de moineau”. Il lui reproche sa trahison en rappelant qu’elle s’était jadis engagée à ne pas se présenter si lui-même briguait un nouveau mandat. Sa déconvenue est d’autant plus grande que l’ex-Ambassadrice fut l’une des rares personnalités de l’administration présidentielle à la quitter tout sourire, en affectant de rester en bons termes avec le Président. Et son irritation est d’autant plus vive que, si les sondages prédisent l’éventuelle victoire de Donald Trump sur Joe Biden en 2024, ils prédisent aussi une victoire encore plus large de Mme Haley sur le Démocrate – un argument de poids aux yeux des partisans de la candidate.

Politicienne avant tout

Nikki Haley a assurément beaucoup d’atouts dans son jeu. Femme issue de la diversité (ses parents sont des immigrants indiens), elle cumule compétences et expériences en politique intérieure comme en politique étrangère, tout en offrant, à 51 ans, un rafraîchissant contraste avec les deux vieillards qui se disputent la Maison-Blanche. D’aucuns se méfient, toutefois, d’une vraie politicienne, prompte à suivre le vent quand il tourne. Ses positions ont varié sur des thèmes essentiels comme l’avortement (elle réclame compréhension et compassion pour les femmes qui doivent recourir à une IVG, mais n’est pas nécessairement opposée à une interdiction légale après six semaines de grossesse). Aussi, pour y voir plus clair, attend-on beaucoup des prochains débats télévisés et notamment de celui qui, mercredi, opposera les prétendants républicains à Tuscaloosa, dans l’Alabama. Un débat dans lequel Mme Haley ne pourra pas se permettre de décevoir.

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